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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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BIBLIOGRAPHIE - EXTRAITS DIVERS (sommaire)
UN SERVICE D'ESPIONNAGE - « Souvenirs de quatorze années au service des renseignements Austro-Hongrois -1905 – 1918 »
 

Extraits de l'ouvrage " Un Service d'espionnage " - 1935

Voir la présentation de cet ouvrage sur notre site 

Par le colonel Von WALZEL

Croyez-moi, en examinant les résultats des campagnes, on constatera que ni la bravoure de l’infanterie, ni celle de la cavalerie ou de l’artillerie n’ont décidé un aussi grand nombre de batailles que cette arme maudite et invisible des espions » (Napoléon au Maréchal Soult)

INTRODUCTION Je crois utile de dire ici quelques mots de la situation de l'empire austro-hongrois au point de vue politique et au point de vue militaire.

Quand la guerre éclata, la Monarche Dualiste, avec ses cinquante-deux millions d'habitants, était une des grandes puissances européennes. Elle avait été fondée en cinq siècles par la dynastie des Habsbourgs, principalement grâce à d'heureux mariages, et, en fait, elle avait assuré une existence prospère et paisible aux différents peuples qui occupaient le cours moyen du Danube. Elle avait ainsi réuni sous son sceptre un grand nombre de peuples de nationalités diverses et créé un grand empire. Au point de vue économique, les territoires placés sous son autorité jouissaient d'une situation unique. La Hongrie produisait plus de céréales qu'elle ne pouvait en consommer, la Bohême fournissait du charbon, la Galicie du pétrole, l'Autriche du bois et du fer. L'agriculture, le commerce et l'industrie étaient prospères. Le Danube constituait une excellente voie de communication avec le Proche-Orient, les nombreux ports de l'Adriatique facilitaient le commerce avec le monde entier. Personne ne demandait rien. Il semblait que tout le monde fût content.

L'Autriche et la Hongrie vivaient sous une monarchie constitutionnelle basée sur des principes libéraux, la dynastie était respectée, et l'empereur François-Joseph était adoré de la plupart de ses sujets. Il faut reconnaître, cependant, que les questions de nationalité avaient provoqué quelquefois des différends. Les peuples étaient satisfaits mais il en était tout autrement des politiciens. Des ambitions nationales étaient allumées, encouragées et soutenues par les pays voisins, surtout par la Serbie, la Roumanie et l'Italie qui prétendaient qu'on leur avait pris leurs territoires alors que ceux-ci appartenaient à la Monarchie Dualiste bien des siècles avant que leurs États eussent été formés. En tout cas, il ne s'est jamais produit de troubles aussi sérieux que ceux dont l'Irlande, par exemple, a été le théâtre en 1922, mais le gouvernement a été obligé de s'occuper attentivement de ces problèmes.

Deux liens puissants unissaient les différentes nations de la Monarchie : la dynastie et l'armée. Celle-ci reposait sur le service obligatoire auquel étaient astreints, naturellement, les hommes de toutes les nationalités qui participaient également à la formation du corps des officiers. Tous les jeunes gens qui avaient passé leurs examens de fin d'études avaient droit au brevet d'officier de réserve de la marine ou de l'armée de terre. On ne montrait de préférence pour personne, mais les Allemands et les Hongrois conservaient parmi les officiers la supériorité du nombre qu'ils avaient dans l'empire.

La langue courante était l'allemand, non dans un but de germanisation, mais parce qu'il avait fallu choisir entre treize langues une langue commune et que les hommes instruits le parlaient outre leur langue maternelle. L'armée austro-hongroise constituait véritablement un instrument de guerre efficace et puissant. Elle comprenait seize corps d'armée, soit environ soixante divisions actives et d'importantes réserves. Son instruction était parfaite, son équipement moderne et la plupart des hommes étaient de superbes combattants qui ont fait leur devoir. La presse alliée a tout simplement travesti un fait historique lorsque, pendant la Grande Guerre et après celle-ci, elle a accusé d'incapacité cette splendide armée et l'a représentée comme un cadavre vivant soutenu par les armées allemandes. S'il était besoin d'autres témoignages, on pourrait ajouter que cette armée si malveillamment jugée, après avoir livré des combats malheureux en Serbie et repoussé l'immense armée russe, fut attaquée par les armées de l'Italie son ancienne alliée. Elle réussit, non seulement, à arrêter l'avance de ce nouvel adversaire dans onze batailles qui furent de terribles boucheries mais encore à remporter une très grande victoire en 1917, au cours d'une lutte dont on trouvera les détails dans le chapitre XII.

Le cerveau de l'armée était l'État-major Général, qui avait pour chef un homme d'une valeur exceptionnelle, un excellent stratège : le général Francis Conrad von Hœtzendorf. Mais il avait une besogne écrasante que Napoléon lui-même n'aurait pu accomplir. En tout cas, il fut seul à prévoir les malheurs qui allaient arriver. Fidèle à son serment, il a lutté de toutes ses forces pour sauver la couronne et 1er empire avant qu'il ne fût trop tard. Les membres de l'État-major Général étaient choisis parmi les meilleurs officiers de l'armée. Après qu'ils avaient satisfait à des examens très difficiles, ils suivaient les cours d'une École de guerre pendant deux ans et leur valeur seule décidait de leur admission dans l'État-major dont le siège était à Vienne.

Le travail y était réparti entre un grand nombre de bureaux. L'un d'eux, dont nous parlerons dans le prochain chapitre et que nous appellerons désormais le « Bureau », correspondait au « 2e Bureau » de l'État-major français qui est chargé de l'ensemble des Services de Renseignements sur l'ennemi.

Nous rencontrerons dans ce livre plusieurs noms étranges mais je ne peux omettre de les citer quand je parle du Service des Renseignements austro-­hongrois. Ils sont souvent d'origine slave, ce qui prouve que l'État-major admettait des hommes de toutes les nationalités à condition qu'ils eussent de la valeur. Un des premiers que je doive citer est mon inoubliable ami et, en même temps, mon ancien chef, le général von Hranilovitch. Quelques mois avant sa mort, il avait reçu des propositions de collaboration à une grande Encyclopédie relative à l'espionnage, faites par un éditeur allemand qui le jugeait plus qualifié qu'aucun autre pour ce travail puisqu'il avait été chef du Service des Renseignements austro-hongrois pendant la Grande Guerre. Mais Hranilovitch souffrait déjà de la maladie qui devait l'emporter. Il me proposa de rédiger le récit des événements intéressants qui étaient survenus pendant les années où nous avions collaboré et de le soumettre à son examen, après quoi il lui donnerait son approbation. Je fouillai dans mes souvenirs, je trouvai plusieurs articles que j'avais déjà publiés ailleurs et je me mis au travail. Quand j'avais terminé un chapitre je le présentais à mon ancien chef et nous le discutions. Au bout de peu de temps nous constatâmes que l'ensemble des chapitres sortait du cadre d'un article de revue et atteignait le format d'un volume. Mais, hélas! mon ami mourut avant que le manuscrit ne fût terminé.

J'ai été assez longtemps l'élève, le confident et le collaborateur de cet homme supérieur pour savoir ce qu'il pensait du Service des Renseignements. Il posait en principe que l'espionnage tel que le conçoivent les non-initiés et malheureusement aussi avec l'importance exagérée que les gens de métier lui attribuent, doit faire place à d'autres moyens d'information. C'est pourquoi je me suis efforcé dans ce travail de dégager « le vrai visage du Service des Renseignements » d'une suite d'événements auxquels j'ai assisté ou qui m'ont été rapportés par des témoins oculaires absolument dignes de foi. J'espère que mon travail contribuera à faire clairement comprendre ce qu'était en Autriche-Hongrie, avant et pendant la guerre mondiale, le Service des Renseignements près les Quartiers Généraux.

 

CHAPITRE III LE ROI DES ESPIONS En arrivant au Bureau, le 26 mai 1913, je rencontrai le délégué du ministère de la Guerre qui, la figure décomposée, sortait précipitamment de la pièce qui m'était réservée. Aux questions que je lui posai, ce vieil ami, dont j'avais été le collaborateur pendant des années, répondit : « Redl est mort; je pensais que vous étiez au courant de l'affaire. » Et la terrible vérité m'apparut aussitôt. Un colonel, qui occupait une haute situation à l'État-major Général, avait pratiqué l'espionnage sur une grande échelle et venait d'être pris sur le fait. Pour comprendre l'extrême gravité de cette trahison, il faut connaître la position spéciale de celui qui l'a commise. Alfred Redl appartenait à une famille très modeste de Galicie. Entré très jeune dans l'armée, il n'avait pas tardé à être admis dans l'État-Major Général grâce à ses dons naturels et à son ardeur au travail. C'était un homme robuste qui devait posséder un sang-froid à toute épreuve car on ne le vit jamais manifester la moindre émotion, même dans les circonstances les plus critiques. Il paraissait profiter largement de la vie et si on le voyait souvent avec des femmes, on ne l'avait jamais soupçonné d'avoir des passions abominables.

En 1900, il fut affecté au Bureau comme chef du groupe d'espionnage et il connut bientôt l'organisation et le fonctionnement de tout ce service. C'est lui qui s'occupait des détails du Service des Renseignements. Il avait la direction de nos agents à l'étranger, il leur donnait des instructions et les rétribuait. Il avait aussi à déjouer les manoeuvres des services d'information ennemis. Toutes les affaires du Bureau passaient par lui. En outre il intervenait comme expert toutes les fois qu'un espion était déféré en justice et obtenait presque toujours la condamnation du prévenu. Les fonctions de Redl le mettaient inévitablement en contact avec des gens de toutes sortes et l'attention du Service des Renseignements russe, qui était remarquablement organisé, fut attirée par l'homme qui savait si bien découvrir les espions russes et les faire condamner. Mais il n'était pas facile de l'atteindre. Des femmes jeunes et gracieuses furent chargées de le séduire; il ne les regarda même pas. Son goût le portait vers les personnes de son sexe.

Dès que les agents russes eurent découvert son faible, ils conçurent un plan diabolique pour maîtriser cet homme dangereux. Ils lui envoyèrent de jolis garçons qui obtinrent plus de succès que les femmes. A partir de ce moment Redl était perdu; le chantage fit le reste. Vivant constamment sous la menace d'une dénonciation et dans l'impossibilité de se débarrasser de ses bourreaux, il commença à trahir son pays. Ces faits peuvent expliquer le crime, ils n'excusent nullement celui qui l'a commis. J'ai assez longtemps servi sous les ordres de Redl et travaillé avec les officiers qui ont contribué à sa perte pour pouvoir raconter ici, en témoin oculaire, cette déplorable affaire d'espionnage.

On verra aussi comment j'ai pu, dans la situation modeste que j'occupais, éviter que ne se produisent de plus grands malheurs. J'ai dit dans le chapitre précédent que j'avais fait la connaissance de Redl au Bureau où il était chef du groupe d'espionnage. Promu, peu après, major à l'État-Major Général, il avait été maintenu provisoirement dans son emploi afin qu'il mît au courant son successeur, qui devint plus tard son exécuteur.

Nous verrons bientôt comment l'élève, le capitaine Ronge, a démasqué son maître. En exécution des règlements de l'État-Major autrichien, Redl, qui venait d'être promu major, avait dû faire au moins un an de service dans un corps de troupes. Sa période accomplie, il était revenu au Bureau comme sous-chef. Cet emploi lui offrait des possibilités de se livrer à l'espionnage à peu près illimitées puisque les informations reçues et les instructions envoyées par le Service des Renseignements, les rapports et les documents secrets étaient examinés et signés par lui. La situation aurait pu être plus grave encore parce que Redl convoitait la place de chef que, d'ailleurs, il a bien failli obtenir.

Le colonel Hordliczka, que nous avions pour chef depuis cinq ans, était sur le point de passer général et allait nous quitter. Les deux seuls officiers d'État-Major dont on parlait pour le remplacer étaient Redl et un de mes amis intimes, le colonel von Urbanski. Ce dernier avait servi deux ans dans la gendarmerie de Macédoine et était venu rédiger au Bureau le rapport qu'il devait fournir à ce sujet. Les relations étroites que j'entretenais avec Urbanski et avec sa famille me faisaient vivement souhaiter que le colonel devînt mon chef. D'un autre côté, j'éprouvais pour Redl une aversion qu'il me rendait bien. Mais ce n'était pas tout. Il ne m'inspirait plus confiance. Non pas, certes, que je le crusse coupable de trahison, car jamais personne n'aurait osé imaginer qu'un officier supérieur appartenant à l'État-Major de notre magnifique armée pût commettre une pareille infamie, mais j'étais certain qu'il avait une conduite immorale et qu'il était peu recommandable.

Voici pourquoi. Pendant la nuit de la Saint-Sylvestre, que tout Vienne fêtait avant la guerre, je me trouvais vers trois heures du matin dans un cabaret bien connu, quand j'aperçus Redl assis à la meilleure table au milieu de jeunes officiers dont il faisait ses compagnons habituels. Il m'invita aussitôt à prendre place à côté de lui et je ne pus le lui refuser. Au bout d'une heure il se leva après avoir payé une note énorme pour tout ce qui avait été consommé à sa table. Cette façon de faire déjà me donna beaucoup à penser. Quand nous fûmes dans le vestibule, Redl ordonna au portier de faire avancer sa voiture et m'offrit de me ramener chez moi. Nous montâmes dans une auto qui était magnifique pour l'époque d'avant-guerre et que conduisait un chauffeur vêtu d'une pelisse d'ours blanc, puis nous partîmes. J'étais stupéfait car la possession d'une voiture particulière à Vienne était alors un grand luxe qu'un officier autrichien ne pouvait pas s'offrir avec sa maigre solde. Mon étonnement s'accrut encore lorsque j'entendis Redl, après qu'il m'eut déposé à ma porte, crier au chauffeur : « A la maison. » J'avais noté le numéro de la voiture et j'appris à quelques jours de là qu'elle appartenait à une dame.

J'en dus conclure que Redl, que je savais sans le sou, avait une liaison avec cette dame et qu'elle mettait à sa disposition non seulement la voiture mais aussi les moyens de mener une vie dispendieuse. Quand j'eus raconté cette aventure au Bureau, les explications que l'on me donna me laissèrent croire que Redl avait usé de rouerie pour justifier son train luxueux. Quelques années auparavant, il s'était présenté au chef, qui était encore Hordliczka, et lui avait montré des pièces légales établissant qu'il avait hérité d'un oncle qui habitait la Galicie. Il avait demandé, en conséquence, que ce changement de situation fût noté dans son dossier conformément au règlement. La confection de ces faux documents n'avait été qu'un jeu pour Redl et le chef s'était laissé duper facilement, à tel point qu'il avait demandé sur un ton enjoué à l'heureux héritier ce qu'il comptait faire de tant d'argent, à quoi Redl avait répondu qu'étant célibataire et n'ayant que la passion de l'automobile, il allait acheter une voiture. En réalité, il en acheta deux mais il fut assez prudent, comme nous l'avons vu, pour déclarer l'une d'elles sous un faux nom.

Jusque-là Redl n'avait jamais été soupçonné de se livrer à l'espionnage mais il m'était devenu encore plus antipathique, si c'est possible. Pendant l'été de 1909, Hordliczka était en permission et la désignation de son successeur n'allait plus tarder. On pensait généralement qu'Urbanski serait nommé chef du Bureau. Un jour, un de mes amis, reporter de presse, qui était généralement bien informé et m'apportait souvent de petites nouvelles, m'annonça que Redl allait être nommé chef du Service des Renseignements. J'en avisai immédiatement le colonel von Urbanski. La nomination officielle de ce dernier parut quelques jours après et le danger fut écarté.

Il est impossible d'imaginer le mal que Redl aurait fait à notre armée s'il était arrivé, comme il en avait l'intention, au poste de chef du Service des Renseignements avant la guerre et s'il y avait été maintenu. Depuis les plans d'opérations jusqu'aux dispositions les plus simples, tout eût été révélé à l'ennemi car, comme il l'a avoué plus tard, Redl avait livré une masse considérable de renseignements non seulement à la Russie, mais encore à l'Italie et même à la France.

Par suite de ses fonctions, il eut été seul à connaître ce qui était intéressant ou à se le procurer sans peine, et il aurait eu à sa disposition les moyens les plus variés pour communiquer rapidement avec l'ennemi par les pays neutres en utilisant la T.S.F., les télégrammes chiffrés, ou tout autre procédé.

Il est probable que les manoeuvres infâmes de Redl avaient commencé en 1903 ou 1904. Le Service des Renseignements autrichien s'était assuré à cette époque le concours d'un officier de l'État-Major russe de Varsovie qui était fort bien informé et nous procurait des nouvelles d'une grande exactitude. Il était l'âme de notre Service d'information contre la Russie. C'est lui qui nous avait dévoilé que la Russie devait posséder en Autriche des espions très habiles dont elle avait récemment reçu un grand nombre de documents de la plus haute importance. Redl fut naturellement la seule personne chargée d'étudier l'affaire et de trouver les coupables à tout prix. Au cours de l'enquête, il fut amené à quitter Vienne et à faire un voyage sur la frontière russo-galicienne.

Nous savons aujourd'hui qu'il était allé en Russie s'entendre avec le Service des Renseignements de ce pays. Il avait dévoilé le nom de notre informateur russe en Autriche et en échange s'était fait donner les noms des trois Autrichiens qui opéraient pour la Russie. A son retour de Vienne, il put annoncer que son enquête avait abouti et accusa les trois hommes dénoncés par les Russes. L'un d'eux s'enfuit en Amérique du Sud. Les deux autres nièrent toute complicité, mais Redl prouva leur culpabilité en produisant des lettres qui avaient été écrites de leur main et adressées à l'État-Major russe. Comment s'était-il procuré ces lettres, on ne l'a jamais su. De ce jour, sa réputation d'expert en matière d'espionnage fut bien établie. Il avait prouvé qu'il était capable de débrouiller les questions les plus compliquées.

L'État-Major autrichien pouvait être fier d'avoir un officier aussi remarquable. Ce que l'État-Major ignorait c'est que Redl avait dénoncé cet officier supérieur russe comme étant le chef des agents autrichiens en Russie et que le malheureux avait été pendu sur-le-champ. Redl alors se trouvait complètement au pouvoir du Service des Renseignements russe et, par suite, il était tenu de dénoncer les agents et les espions qui travaillaient en Russie pour le compte de l'Autriche.

Naturellement notre service d'information en subit un préjudice considérable. Dès qu'un nouvel agent avait franchi la frontière, il était arrêté puis fusillé ou pendu. Personne n'y comprenait rien et la situation du commandant Ronge, nouveau chef de notre espionnage, n'était pas enviable. Redl accomplit son dernier coup de maître en 1912, peu de temps avant de quitter le Bureau définitivement. Notre attaché militaire à Saint-Petersbourg était, à cette époque, l'actif colonel Muller qui s'était fait une position exceptionnelle dans la capitale russe. Grâce à ses excellentes relations, il avait acheté à un officier de l'État-Major russe un plan d'opérations très confidentiel qui fut ensuite soumis pour étude à notre Bureau.

Redl, qui était encore notre sous-chef, parvint à connaître le nom du Russe et le révéla aussitôt aux chefs de celui-ci. L'officier se donna la mort au moment où l'on venait l'arrêter. Sur ces entrefaites, Redl fut nommé chef d'État-Major du VIII ème corps d'armée à Prague et, de 1912 à 1913, année pendant laquelle ses crimes furent découverts, il n'eut la possibilité de vendre que des documents relatifs à sa sphère d'action limitée. Pendant ce temps le major Ronge avait complètement réorganisé le groupe du Bureau qui s'occupait de l'espionnage et c'est son travail acharné qui a valu au Service des Renseignements du temps de paix le plus grand des succès qu'il ait remportés, c'est-à-dire, l'arrestation du maître-espion Redl sous l'inculpation d'espionnage.

Cette affaire a déjà été exposée par des personnes dont les unes étaient qualifiées pour le faire et les autres n'y entendaient rien. Des ouvrages, généralement sérieux, ont même servi au lecteur, qui les acceptait de bonne foi, des absurdités à faire dresser les cheveux. C'est ainsi que l'un d'eux, par exemple, fait une description impressionnante du bureau secret de Redl. Chacun des visiteurs est photographié sans qu'il s'en doute. A cet effet, deux tableaux pendus au mur sont percés d'ouvertures qui permettent à un aide d'opérer d'une des pièces voisines. Des boîtes à cigarettes ainsi que d'autres objets sont disposés de façon que le visiteur les touche et y laisse ses empreintes digitales. En outre, une boîte encastrée dans le mur et ressemblant à une armoire à médicaments contient un microphone destiné à un sténographe qui se trouve dans la pièce contiguë. Dans certains cas la conversation des visiteurs est enregistrée sur des disques de gramophone.

Je suis entré dans ce mystérieux bureau du sous-chef, au quatrième étage de l'ancien ministère de la Guerre, presque chaque jour pendant neuf ans, et je peux certifier que cette chambre, sommairement meublée, ne contenait rien de moderne à part une armoire en fer et une table de toilette branlante. D'autres auteurs ont entouré la découverte du crime de circonstances romanesques où de jolies femmes cherchent à séduire Redl qui, après un grand nombre d'histoires d'amour, est pris au piège.

La vérité est que ce chef-d'oeuvre de contre-espionnage fut accompli uniquement par le major Ronge, qui avait succédé à Redl et était l'officier le mieux doué que notre Bureau eût jamais eu. Il avait été initié par Redl aux secrets de l'espionnage, mais dès qu'il eut pris en main la direction du Service, il modifia le système radicalement. Avec une ténacité farouche et une patience inlassable il se mit au travail. Il entretint les rapports les meilleurs avec le Grand État-Major allemand, avec la police viennoise, les hommes politiques, le ministère Public et la Direction générale des Postes. Puis, quand il eut été éclairé par les informations et les rapports innombrables qui lui avaient été fournis par ces administrations et par d'autres autorités encore, il constitua un organisme qui rendit les plus grands services.

Dans un livre (1), que devraient lire tous ceux que le Service des Renseignements intéresse, il expose avec simplicité et avec modestie comment il est arrivé à ce résultat. Mais quiconque a eu comme moi l'occasion de le voir travailler jusqu'à l'épuisement pendant des années sait combien cet ennuyeux travail de détail était difficile et écrasant. Cependant c'est à ce travail qu'il a dû son grand succès. Il a fallu tenir des conversations innombrables, concilier des opinions divergentes, expédier des piles de lettres, étudier des centaines de rôles; ouvrir et examiner des milliers de correspondances suspectes, analyser des dizaines de mille de dossiers. Il a fallu rassembler et comparer des écritures, des modèles de machines à écrire et des échantillons de papiers différents.

Tous ces éléments étaient toujours mis en concordances, classés et placés dans des dossiers. Cette petite regratterie exténuante s'est poursuivie jour après jour pendant des années jusqu'au moment où les renseignements recueillis et les dispositions prises jouèrent les uns dans les autres comme les rouages d'une montre bien huilée.

La découverte du secret dont notre Service des Renseignements avait souffert si longtemps et le coup dont le major Ronge abattit son ancien maître et collègue se produisirent dans les circonstances suivantes. La fameuse Section III B du Grand État-Major de Berlin envoyait régulièrement à notre Bureau des listes sur lesquelles figuraient, entre autres, toutes les lettres adressées poste restante ou recommandées qui étaient suspectes pour une raison ou pour une autre. De ce nombre étaient les lettres de ces deux catégories provenant d'Eydtkuhnen, en Prusse Orientale, de Stockholm, de Christiania et d'autres villes parce qu'on savait que, de ces endroits, le Service des Renseignements russe envoyait de l'argent à ses agents. Dans le cas qui nous occupe, une lettre ordinaire, adressée poste restante au nom de « Nikon Nizetas », n'ayant pas été retirée, avait été retournée de Vienne au bureau émetteur de Berlin dans les premiers jours d'avril 1913. On l'avait ouverte pour connaître le nom de l'expéditeur et on y avait trouvé sept mille couronnes autrichiennes en gros billets et quelques adresses de centres d'espionnage bien connus. La poste berlinoise transmit la lettre à la Section III B du Grand État-Major allemand qui avisa notre Bureau.

Ronge flaira aussitôt une bonne prise et s'occupa de l'affaire avec diligence. L'adresse Nikon Nizetas ne permit pas de découvrir le destinataire de la lettre. Il se pouvait qu'il habitât Vienne et qu'une maladie ou tout autre cause l'empêchât d'aller retirer la lettre. Peut-être demeurait-il à la campagne et ne venait-il en ville qu'accidentellement. Quoiqu'il en soit, la poste ne put donner aucune explication. Elle ne se rappelait pas si quelqu'un était déjà venu chercher des lettres portant la même adresse. Tout ce que nous espérions, c'est que le destinataire ne soupçonnât pas qu'il y eût anguille sous roche et qu'il vînt un jour retirer la lettre. Celle-ci avait beaucoup souffert des examens auxquels elle avait été soumise dans plusieurs bureaux et son mauvais état pouvait faire naître des soupçons dans l'esprit du destinataire. On fabriqua donc une lettre en tous points semblable à l'original que Berlin fut chargé d'expédier à la même adresse. La Sûreté viennoise mit ensuite à notre disposition deux de ses inspecteurs les plus adroits qui reçurent la mission de se tenir en permanence dans une pièce attenante au bureau de poste jusqu'à ce qu'un coup de sonnette les avertisse que le destinataire venait retirer la lettre.

Pendant ce temps deux nouvelles lettres portant une suscription identique étaient arrivées au même bureau. Il était donc évident que la première lettre n'avait pas été oubliée et que l'espion allait être pris au piège sous peu de jours. Dans la soirée du 25 mai, au moment où l'on allait fermer le bureau, un homme vint retirer la lettre et monta dans un taxi qui s'éloigna. Les inspecteurs de la Sûreté, avertis par le coup de sonnette, se précipitèrent dans la rue, mais ils ne purent que prendre le numéro de la voiture. Ils se rendirent alors à l'endroit où stationnait habituellement le taxi et y arrivèrent à l'instant précis où celui-ci revenait. Le chauffeur leur déclara qu'il avait conduit son client à l'hôtel Klomser. Les policiers, en cherchant dans la voiture, trouvèrent un étui de canif qui probablement y avait été laissé par le dernier client. Ils allèrent à l'hôtel Klomser demander quel était le voyageur qui venait d'y rentrer en taxi un quart d'heure auparavant. Le portier répondit que ce ne pouvait être que le colonel Redl, de Prague.

Les inspecteurs, qui avaient travaillé avec Redl lorsqu'il était chef du groupe de l'espionnage et par conséquent le connaissaient bien, pensaient certainement avoir fait fausse route quand le portier leur dit : « Voici justement le colonel qui descend. » Aussitôt l'un d'eux fit appel à tout son courage et demanda au colonel :« N'avez-vous pas perdu cet étui? » La réponse affirmative de Redl dissipa l'incertitude de l'inspecteur.

L'affaire était claire. Redl s'était servi du canif pour ouvrir ses lettres dans le taxi et y avait laissé l'étui. Quand il eut quitté l'hôtel les inspecteurs s'attachèrent à ses pas. L'un d'eux ramassa en cours de route des papiers que le colonel avait jetés et courut faire son rapport au Bureau Central de la police pendant que l'autre continuait la filature. Pendant ce temps le major Ronge, qui habitait dans un des faubourgs de la ville, dînait chez lui. C'est là qu'il reçut le coup de téléphone du conseiller qui le priait de venir immédiatement à son bureau pour une affaire d'une gravité exceptionnelle.

Ronge se rendit à Vienne en toute hâte et apprit de la bouche de Gayer la nouvelle incroyable que l'espion que l'on recherchait depuis si longtemps n'était autre que son ancien chef et collègue, officier supérieur d'État-Major. Dès qu'il fut revenu de sa première émotion, il se mit aussitôt à sa pénible besogne. Il importait de prévenir immédiatement le général Conrad von Hœtzendorf, chef d'Etat-Major Général, et son adjoint, ainsi que le chef du Bureau, et de trouver à tout prix un auditeur militaire pour réunir une Cour martiale qui, aux termes du règlement, a seule le droit d'arrêter un officier supérieur d'Etat-Major.

La nuit était venue et les personnalités se trouvaient dispersées dans les différents quartiers de Vienne. L'une dînait au Grand Hôtel, l'autre était allée jouer au bridge dans un des faubourgs, la troisième restait introuvable. Ronge sentait peser sur lui une lourde responsabilité. Les inspecteurs filaient Redl qui errait sans but dans les rues de Vienne et pouvait encore leur échapper. Il était venu de Prague dans sa propre voiture, dont il avait prudemment évité de se servir pour aller chercher ses lettres, mais depuis l'incident de l'étui de canif il se savait certainement filé et par conséquent il pouvait chercher à passer la frontière russe avant le lendemain. Minuit était passé depuis longtemps quand les membres qui devaient constituer la Cour martiale furent tous réunis. Ils pénétrèrent dans la chambre de Redl au moment où celui-ci allait se pendre et l'empêchèrent d'accomplir son projet.

« Je sais pourquoi vous êtes ici, dit Redl Je dois payer de ma vie. J'avouerai tout mais laissez-moi me tuer. J'ai été victime d'une passion infâme.» Il sollicita, en outre, la faveur de ne faire une révélation détaillée de ses fautes qu'à son ancien camarade, le major Ronge. Et pourquoi faire cette demande. Un pareil gredin était-il encore capable d'éprouver de la honte. N'avait-il pas commis un crime de haute trahison quelques heures auparavant.

Les papiers que l'un des inspecteurs de la Sûreté avait ramassés dans la rue étaient les récépissés des lettres que Ronge avait adressées à des espions connus. Que signifiait maintenant cette soudaine délicatesse de sentiments. Ce désir, d'ailleurs, fut satisfait. Les autres membres de la Cour martiale se retirèrent laissant, pour la dernière fois, le maître en face de l'élève auquel il allait faire une confession courte et terrible. Sur la table qui les séparait se trouvait un revolver destiné à mettre un rapide point final à ce révoltant chapitre de l'espionnage...

Nous ne saurons jamais si, dans sa confession, Redl a dit la vérité, mais le major Ronge a cru à sa sincérité. D'après ses déclarations, Redl a commencé à trahir en 1910, quand il était sous-chef du Bureau, en vendant un grand nombre de documents secrets à la Russie, à l'Italie et à l'Allemagne. Une fois qu'il eut été nommé chef à Prague il continua le même commerce sur une échelle plus restreinte et livra surtout des photographies d'instructions secrètes. Il parvint même, au début, à vendre notre plan d'opérations contre la Russie, ce qui eut des conséquences graves mais moins dangereuses qu'on ne l'a cru généralement.

Il est certain, du reste, que les défaites que nos armées ont éprouvées pendant les phases préliminaires de la guerre n'ont pas été dues à ses tractations. Redl n'a pas eu de complice. Les vrais espions n'en ont jamais.

Car toutes les associations dont le but est l'espionnage finissent toujours par être découvertes. Il est très possible que les chefs des Services des Renseignements étrangers avec lesquels Redl correspondait n'aient pas su à qui ils avaient affaire. Redl s'était senti en complète sécurité, et à bon droit. La situation exceptionnelle qu'il occupait à l'État-Major.

A mon avis, on a eu tort d'autoriser Redl à mettre fin à ses jours. A crime extraordinaire, sanctions extraordinaires. Il y avait un moyen très simple d'éviter le scandale et de garder Redl en prison. Au lieu de réunir cette Cour martiale qui a pénétré dans l'hôtel à la faveur de la nuit pour tâcher de faire la lumière complète sur l'affaire, bien qu'elle ne disposât pas du temps nécessaire, j'aurais fait conduire en ambulance le coupable dans un hôpital militaire. Dès qu'il était arrivé, on lui mettait la camisole de force et on l'internait dans le service des aliénés. Le lendemain je faisais publier par les journaux que le chef d'État-Major du corps d'armée de Prague, ayant donné des signes d'aliénation mentale pendant un voyage officiel à Vienne, on l'avait transporté à l'hôpital pour que son état y fût examiné. On aurait pu ainsi en toute tranquillité soumettre le coupable à un interrogatoire préparé d'avance et approfondi, et tout le reste se serait bien passé. Le revolver aurait aussi bien servi six semaines plus tard. Ce n'est pas la première fois que j'émets cette opinion. Je l'ai déjà exprimée il y a vingt ans, vingt quatre heures après la catastrophe, à un des acteurs principaux de ce drame qui s'en souviendra certainement.

L'affaire Redl a eu de malheureuses conséquences. Ni les injures ni la calomnie n'ont été épargnées aux officiers les plus honorables, à ceux de l'État-Major Général en particulier. Le Bureau a reçu des centaines de lettres écrites par des personnes qui prétendaient connaître des actes d'espionnage commis par RedL Tout cela naturellement n'était que de l'imagination. Il n'en fallut pas moins examiner tous les cas et se livrer à un travail énorme. On en arriva même à soupçonner des officiers appartenant aux grades les plus élevés et à les surveiller.

Pour terminer ce chapitre, je dirai qu'après les perquisitions exécutées dans l'appartement que Redl avait à Prague et la saisie de ce qui s'y trouvait concernant l'espionnage, on avait vendu aux enchères les biens du traître. Quelques mois après, un journal de Prague publia un article auquel était jointe une photographie. Celle-ci provenait d'une des pellicules qu'un jeune homme avait trouvées dans un kodak acheté à la vente et développées ensuite. Les photographies représentaient une instruction secrète. C'est ainsi que cette triste affaire, que l'on avait à peu près oubliée, a été rappelée quelques mois avant le commencement de la Grande Guerre.

 

CHAPITRE IV IMPORTANCE DU SERVICE DES RENSEIGNEMENTS Il n'est pas une branche de la science militaire qui soit encore embellie d'autant de secrets légendaires que le Service des Renseignements. Tout ce qu'on écrit et tout ce qu'on publie sur ce sujet délicat et souvent mal apprécié, quoiqu'il soit d'une importance capitale pour la préparation à la guerre, ne fait que jeter la confusion dans les idées. Les auteurs des nombreux ouvrages qui le traitent ne sont pas des spécialistes pour la plupart, tout au plus ont-ils occupé, pendant la guerre, des emplois subalternes dans une des multiples ramifications du Service des Renseignements, et tous ne cherchent qu'à satisfaire le besoin d'émotion de leurs lecteurs. Ils atteignent quelquefois leur but en exagérant très habilement les faits réels et en y ajoutant ceux que leur imagination leur suggère. Quelques spécialistes ont, eux aussi, publié des ouvrages remarquables sur ce sujet mais ce sont des professionnels qui, parlant métier et se perdant dans les détails, sont incapables de captiver le lecteur.

On a le tort de confondre très souvent avec l'espionnage le Service des Renseignements qui est chargé de renseigner le commandement sur l'ennemi et d'interdire à l'adversaire de reconnaître la situation et les intentions du parti ami.

En général, ce ne sont pas les espions qui fournissent les informations les plus précieuses et les plus sûres en temps de paix ou en temps de guerre. Je dirai même que les « grands espions apportent très fréquemment des nouvelles qui sont inutiles ou même qui induisent en erreur le commandement et quelquefois exercent une influence néfaste sur ses décisions.

Pour en donner un exemple, je citerai à la fin de ce chapitre un acte de trahison qui, malgré le soin avec lequel il avait été préparé dans tous ses détails, n'a pas seulement été inutile à l'ennemi mais encore a entraîné sa défaite.

Le Service des Renseignements possède, en temps de paix aussi bien qu'en temps de guerre, comme nous le verrons, des moyens d'information plus efficaces et plus sûrs que ceux que l'espion ordinaire peut espérer avoir jamais. Il conviendrait tout d'abord de définir ce que c'est qu'un espion et qui peut être qualifié ainsi. C'est assez difficile. L'attaché militaire d'une puissance alliée qui remet à un collègue un rapport intéressant ou la femme d'un diplomate neutre qui divulgue à propos des secrets précieux ne rentre certainement pas dans la catégorie des espions. Et cependant tous deux apportent souvent des renseignements utiles. Il est encore d'autres personnes dont les conversations sont quelquefois intéressantes à ce point de vue, par exemple, les financiers toujours prêts à confier un secret à un diplomate, les hauts dignitaires des Églises diverses, les hommes politiques de partis opposés, les membres des industries de guerre et enfin les innombrables bavards qui parlent inconsidérément.

Le Service des Renseignements doit examiner toutes ces possibilités et les utiliser. Les ambassadeurs et les ministres, ainsi que leur personnel, les chargés d'affaires, les consuls, les attachés militaires et navals, les attachés commerciaux et les représentants de la presse, etc., ont pour mission de renseigner leurs gouvernements respectifs sur les pays dans lesquels ils sont accrédités. Leurs rapports contiennent rarement des nouvelles sensationnelles et, pour en extraire les éléments qui peuvent être utiles, il faut se livrer à un travail fastidieux et absorbant. En dehors des relations qu'ils entretiennent avec leurs collègues étrangers, ces fonctionnaires doivent profiter le plus habilement possible de la situation sociale particulière qui est reconnue partout au corps diplomatique.

Comme je l'ai dit dans un autre chapitre, la lecture des journaux est certainement de la plus grande importance. Cette besogne active du diplomate doit être ignorée du pays où il est accrédité. Il faut qu'il évite de fréquenter des individus douteux et qu'il prenne les plus grandes précautions : ne jamais écrire et ne prendre pour confidents que des personnes sûres.

Les espions appartiennent aux milieux les plus variés de la société humaine. Il se trouve parmi eux des idéalistes, des aventuriers ou des réfugiés politiques dont les antécédents douteux ont aiguisé les sens. Le patriotisme, le fanatisme, la haine, la soif de vengeance, la passion du jeu, l'amour, le besoin d'argent sont les mobiles auxquels obéissent ces gens qui souvent ne reculeront devant rien pour atteindre leurs buts. Quelquefois aussi des femmes pratiquent l'espionnage mais c'est assez rare. On peut compter les espionnes qui ont rendu des services réels pendant la Grande Guerre.

L'espèce d'espions la plus commune est composée d'individus sans demeure fixe et possédant une instruction rudimentaire, que la vie a rendu débrouillards et qui savent se déguiser. Ces gens-là travaillent pour gagner de l'argent et cela suffit à donner une idée de la valeur des informations qu'ils fournissent. Pourtant, certains renseignements très utiles sont généralement demandés à des agents subalternes à condition qu'ils soient suffisamment intelligents, tels sont, par exemple, tous ceux qui concernent la viabilité des routes, les ponts, les gués, les chemins de fer, les fortifications, les approvisionnements, les effectifs des garnisons, etc.

On aura toujours besoin d'espions en temps de guerre. Quoique la demande dépasse l'offre sur le marché de l'espionnage, il est indispensable de faire subir à l'agent qui offre ses services une épreuve qui consiste généralement à lui demander de recueillir des renseignements sur un sujet à propos duquel on possède déjà des informations complètes.

Les demandes et les offres se font souvent par correspondance ou au moyen d'innocentes annonces demandant pour un journal étranger des correspondants que l'on invite ensuite, par exemple, à écrire un article sur les environs de l'endroit où ils demeurent. Il arrive fréquemment que l'employeur et son employé s'écrivent pendant des années sans qu'ils se connaissent ni qu'ils aient la moindre idée de ce qu'ils sont l'un et l'autre.

Avant tout, l'espion doit posséder certaines connaissances professionnelles et une dose suffisante d'habileté et de ruse. Si les questions militaires lui sont étrangères, il pourra parcourir un pays tant qu'il voudra sans y voir rien de particulier et sera incapable de discerner ce qui intéresse son employeur. Il faut aussi qu'il parle sans accent non seulement la langue du pays où il désire travailler, mais encore les différents dialectes usités dans celui-ci. Si, voulant se faire passer pour horloger suisse en Allemagne, il ignore tout de ce métier et parle allemand avec l'accent français, il n'ira pas loin.

Un espion qui reçoit la mission de s'assurer qu'une division stationne à un endroit donné doit savoir que son effectif est environ de quinze mille hommes cantonnés dans des villages différents, qu'elle comprend de l'artillerie, des convois, des ambulances, des chevaux, des autos, etc. Il est ainsi capable d'observer utilement et de renseigner le commandement de mémoire sans avoir pris de notes. Ce qui importe surtout c'est que l'espion envoie son rapport immédiatement afin que l'employeur le reçoive avant que la division ait quitté ses cantonnements.

Après avoir parlé des espions, nous allons examiner le rôle que le Service des Renseignements joue auprès  du commandement et les informations qu'il doit lui fournir. Il convient tout d'abord de distinguer le Service des Renseignements en temps de paix du Service de l'espionnage en temps de guerre, car ce sont deux organes essentiellement différents. A mon avis, le Service des Renseignements en temps de paix est le plus important. C'est à lui qu'incombe avant tout le devoir de prendre toutes les dispositions utiles en vue d'une guerre future et de s'assurer, dans les pays que l'on a toutes raisons de croire des ennemis probables, le concours de personnes sûres dont les informations lui parviendront par des voies soigneusement préparées, immédiatement après la déclaration de guerre. Une fois que les hostilités sont commencées, il est trop tard. Le commandement a évidemment le plus grand intérêt à savoir sur l'ennemi tout ce qui peut influencer sa décision. Mais il ne faut pas, pour cela, recueillir toutes sortes de renseignements insignifiants.

Il arrive que, dans ce but, on dépense des sommes énormes et qu'on emploie des légions d'agents sans obtenir d'autre résultat que l'accroissement du nombre des espions et, d'un autre côté, l'application des contre-mesures les plus exagérées. Dans La crise mondiale, Winston Churchill montre par un exemple comment l'ennemi peut découvrir par hasard des secrets militaires malgré les précautions incroyables avec lesquelles on les a cachés. Il s'agit du tank, l'arme de guerre la plus moderne, et, ce qu'il y a d'intéressant dans l'affaire, c'est que les Allemands ont découvert un secret extrêmement important dont ils n'ont pas soupçonné la valeur et dont, par conséquent, ils n'ont pas su profiter.

Les premiers véhicules à chenille avaient fait des manoeuvres dans Hatfield Park en présence du roi, de lord Kitchener et des autorités. Lord Kitchener était sceptique, le Quartier Général britannique moyennement confiant. Cinquante de ces machines auxquelles on donna le nom trompeur de « tanks » (réservoirs) furent construites dans le secret. Pour les expérimenter et pour entraîner leurs équipages, on les envoya en France où elles arrivèrent en 1916 pendant la première phase de la bataille de la Somme. La facilité avec laquelle elles franchissaient les tranchées et écrasaient les obstacles qui avaient été préparés derrière les lignes britanniques révéla aux généraux la puissance du nouvel engin.

Le Quartier Général, qui jusque-là s'était montré tiède, souhaita les engager dans la bataille aussitôt. Churchill ne put supporter l'idée que ce terrible secret allait être dévoilé à l'ennemi dans une opération restreinte qui ne pouvait être qu'indécise et demanda une entrevue à Asquith dont il était alors l'adversaire politique. Le premier ministre écouta si patiemment les arguments de Churchill que celui-ci pensa l'avoir convaincu. Je ne sais s'il le fut mais il ne le prouva pas. Car, le 15 septembre, les premiers tanks, les « gros chars blindés », comme les appelait le communiqué, prenaient part au combat sur le front.

Il avait été recommandé de lancer à l'attaque le plus grand nombre possible de tanks et de les faire suivre immédiatement par une infanterie nombreuse. Mais cet avis ne fut pas suivi. Des tanks, groupés par deux ou par trois, reçurent comme objectifs des centres de résistance déterminés tandis que les autres étaient employés isolément à des missions spéciales.

Parmi les 59 tanks qui se trouvaient en France, 49 ont pris part aux combats et 31 de ceux-ci ont franchi les tranchées allemandes. Quoique le char n'en fût qu'à ses débuts et que son personnel manquât d'entraînement, on comprit immédiatement qu'un nouveau facteur était introduit dans la guerre. La première fois que les tanks parurent sur le champ de bataille, l'un d'eux, trouvant l'infanterie arrêtée par des fils de fer et des feux de mitrailleuses, franchit une tranchée ennemie, en suivit le talus postérieur et, sans avoir subi de pertes, contraignit à se rendre les 300 hommes qui l'occupaient.

Partout où un tank avait atteint son objectif sa vue suffisait à provoquer aussitôt la fuite ou la reddition des Allemands stupéfaits. Dix jours plus tard, le 25 septembre, un autre tank, suivi par deux compagnies d'infanterie, nettoya 1.500 mètres de tranchées et fit prisonniers huit officiers et 362 soldats allemands, sans compter les tués et les blessés, et ne perdit que cinq hommes. Ces épisodes font un vif contraste avec les massacres épouvantables qui ont eu lieu à d'autres jours pendant la bataille de la Somme.

Malheureusement quelques unes de ces machines, qui s'étaient trop avancées dans les lignes ennemies, furent endommagées et restèrent entre les mains des Allemands. Le petit succès qu'ils avaient ainsi remporté sans l'avoir cherché était complété par la révélation d'un secret qui, s'ils avaient su en tirer parti, leur aurait procuré en 1917 une victoire qui aurait ébranlé le monde.

Par un hasard providentiel, les conventions obnubilèrent la vue du Grand État-Major allemand et même obscurcirent I'oeil perçant de Ludendorff. Les Allemands ne comprirent pas l'importance de ces nouveaux chars et ne surent pas profiter de l'énorme avantage que le sort leur avait procuré.

Quelles sommes d'argent le Grand État-Major allemand n'eût-il pas données volontiers à celui qui lui aurait proposé les plans d'une nouvelle machine qui pouvait décider de la guerre. Cependant, lorsque les Allemands ont eu entre les mains un modèle du tank mystérieux, personne n'a cru à son utilité et le précieux échantillon a été abandonné sur le champ de bataille. En tout cas, les épisodes comme ceux que nous venons de voir sont des exceptions.

Il y a des secrets de guerre qui sont généralement bien gardés mais on en compte peu. Les Services des Renseignements de toutes les nations possèdent presque toujours des indications complètes sur l'instruction des armées étrangères, leur armement, leur équipement et leurs effectifs. Il est facile de se procurer les annuaires officiels, les règlements, les lois qui régissent le service militaire, les budgets de la Guerre et de la Marine.

Les rapports des attachés militaires et des attachés navals, ceux des autres missions ainsi que les revues professionnelles sont des sources auxquelles on peut puiser également pour compléter sa documentation. Si dans celle-ci il y a des lacunes, le Service de l'espionnage les comblera.

Le début de la guerre réserve toujours des surprises, mais le Service des Renseignements doit toujours être parfaitement informé de toutes ces questions élémentaires relatives à l'armée ennemie, sinon il ne sert à rien.

Ce que l'État-Major ignore la plupart du temps ce sont le plan de mobilisation et le plan d'opérations de l'ennemi, aussi ont-ils toujours été et sont-ils encore ce que l'on demande le plus aux espions.

Ces documents, très secrets, ne peuvent être fournis généralement que par un officier supérieur de l'État-Major Général, à condition qu'il soit à la source, c'est-à-dire dans le bureau des opérations ou bien dans la Section des Renseignements du commandant en chef ennemi.

Dans l'affaire Redl, dont nous avons parlé dans le chapitre III, l'ennemi avait acheté le chef d'État-Major du VIII ème corps d'armée qui lui avait fourni, outre un grand nombre de documents secrets, le plan de mobilisation de son corps d'armée. D'ailleurs Redl avait déjà pratiqué l'espionnage sur une grande échelle lorsqu'il était le sous-chef du Bureau. Quand on a réussi à se procurer le plan d'opérations de l'armée ennemie, il serait imprudent d'y ajouter une confiance aveugle, car il subit généralement de profonds changements en cas de guerre.

La Grande Guerre l'a prouvé bien des fois dès le début. L'armée austro-hongroise, comme chacun le sait, a commencé les opérations contre la Serbie avec sept corps d'armée seulement et un huitième corps de réserve car le ministère des Affaires étrangères avait recommandé d'éviter aussi longtemps que possible de provoquer la Russie. Quatorze jours plus tard il fallut porter en toute hâte deux de ces corps d'armée sur le front russe. Là aussi, les opérations n'avaient pas débuté conformément au plan initial et il en a été de même en Prusse Orientale et même en France. Le plan de mobilisation, ainsi que le plan d'opérations du VIII ème corps, que Redl avait livrés aux Russes, ne leur procurèrent aucun avantage stratégique; au contraire, il les embrouillèrent parce que les dispositifs avaient été changés au dernier moment.

La possession du plan d'opérations ennemi, quelle que soit sa valeur, n'est nullement la garantie d'une victoire certaine. L'acquisition de la clé du chiffre ennemi, qui compte parmi les opérations de l'espionnage les mieux rétribuées, est évidemment très utile. Sa valeur est toutefois problématique parce que la disparition d'un code est presque toujours immédiatement connue et que des précautions sont prises dans toutes les armées pour, en pareil cas, changer le chiffre ou modifier tout le système. L'opération doit être faite avec beaucoup d'habileté, sans cela on court le risque d'aggraver la situation, comme nous le verrons plus tard par des exemples tirés de la Grande Guerre.

Le but suprême d'un Service de Renseignements est de connaître à tout moment la situation exacte de l'ennemi et d'être tenu au courant des décisions de l'adversaire avant qu'elles n'aient été exécutées. Mais les informations nécessaires ne lui peuvent venir, surtout en temps de guerre, que d'officiers appartenant au Haut Commandement. Les petits colporteurs et les trimardeurs, les vedettes et les casse-cou que l'on voit au cinéma n'existent que dans l'imagination des auteurs de scénarios et dans celle des journalistes qui cherchent à impressionner le public. En tout cas, les informations qu'ils peuvent fournir n'ont aucun intérêt pour le commandement. Combien d'argent n'a-t-on pas gaspillé pour des gens pareils qui avaient promis d'apporter les renseignements les plus authentiques.

Ce n'étaient pas seulement de petites gens. Il y avait aussi de hauts dignitaires, des représentants ou des délégués des « nations opprimées », et enfin d'innombrables aventurières névrosées qui se voyaient déjà jouant le rôle séduisant de la grande espionne exécrée - Mata-Hari ou Mlle Docteur, par exemple - sans même avoir la moindre idée de ce qu'on attendait d'elles; tous ces gens-là promettaient de rendre d'éminents services, demandaient de l'argent et, en mettant les choses au mieux, disparaissaient pour ne plus revenir, s'ils n'étaient des espions doubles.

En réalité, les choses se passent beaucoup plus simplement. Toutefois, le Service des Renseignements doit au zèle soutenu de ses officiers, à leur passion du métier et aussi à la chance, d'obtenir souvent des résultats infiniment plus intéressants que ceux auxquels tous ces pantins pourraient arriver... .....

 

CHAPITRE VI LE CHIFFRE DE CAMPAGNE RUSSE Au début de la mobilisation, j'ai eu dans mes attributions l'examen des interprètes affectés à notre Section. Je reçus un jour un jeune homme myope, lieutenant de territoriale, qui me déclara, dans le viennois le plus pur, être interprète russe et se présenta sous un nom italien. La surprise que m'avaient causée ses déclarations disparut quand le jeune officier - que nous appellerons Ambrosio - m'eut expliqué qu'il avait fait ses études à Saint-Petersbourg et suivi les cours de droit dans cette ville.

Il devait avoir bientôt l'occasion de montrer sa connaissance parfaite de la langue russe. Je peux dire sans exagération aucune que la victoire que les Empires Centraux ont remportée sur le colosse russe est dûe en grande partie à ses travaux.

Quelques mots sur le chiffre en général aideront à comprendre l'histoire qui va suivre. Le besoin de transmettre une information secrète à un allié ou à un ami intime est aussi vieux que la guerre. Je me souviens avoir été très impressionné, quand j'étais à l'école, par l'histoire d'un roi perse - Xerxès, je crois – qui  avait fait tatouer sur le péricrâne préalablement rasé d'un esclave le message secret qu'il voulait envoyer à l'un de ses alliés. Le messager partit. Ses cheveux repoussèrent pendant les quelques mois que dura le voyage et, quand il fut arrivé à destination, le correspondant du roi n'eût qu'à lui faire raser la tête pour lire le message. Ce mode de correspondance secrète n'étant plus possible de nos jours, il a fallu chercher autre chose et on a trouvé l'écriture de convention, dite aussi écriture chiffrée ou cryptographie.

Les clefs des premières écritures de ce genre étaient d'une ingéniosité primitive. On se contentait de substituer dans un mot une lettre à une autre. Par exemple, c était remplacé par t, t par z, etc. Il est évident qu'un cryptographe exercé déchiffrait ces cryptogrammes aussi facilement que s'ils n'avaient pas été chiffrés, car certaines lettres entrent si fréquemment dans la formation des mots de la plupart des langues modernes - e entre autres - qu'on les découvre du premier coup d'oeil.

Néanmoins ces écritures primitives sont encore employées par les agents d'information et par les espions qui sont souvent des gens simples et doivent prendre des précautions car la découverte sur eux d'un code secret peut entraîner leur mort. On complique quelquefois ces écritures en se servant d'un mot-clé dont les agents doivent se souvenir et faire usage dans leur correspondance. Une autre méthode consiste dans l'emploi de carrés de 5 x 5 formant vingt-cinq divisions dans lesquelles on écrit les vingt-cinq lettres de l'alphabet que l'on peut remplacer par des chiffres et former par groupes.

Ces différents systèmes n'ont pas de secrets pour un expert, mais leur chiffrage et leur déchiffrement présentent beaucoup d'inconvénients. Ces deux opérations sont fatigantes et exigent du temps; la dépêche chiffrée sera beaucoup plus longue que l'original, elle contiendra souvent des erreurs et les télégrammes seront plus coûteux. C'est pourquoi on en est arrivé à se servir de clés d'écriture chiffrée ou codes imprimés qui, étant donné leur prix, doivent rester en usage assez longtemps. Ils sont absolument sûrs. Une dépêche qui a été composée à l'aide d'un de ces codes est indéchiffrable tant que le code n'a été ni perdu ni volé.

La disparition d'un code est généralement découverte aussitôt, quoiqu'il arrive quelquefois qu'on ne s'en aperçoive qu'assez longtemps après, comme dans le cas suivant que cite Winston Churchill dans sa Crise mondiale.

On n'a pas oublié les tragiques circonstances dans lesquelles le Service des Renseignements anglais est entré en possession du code de signaux secret de la marine allemande. En octobre 1914, le Magdebourg, croiseur léger allemand, était coulé dans la mer Baltique. Quelques jours après un pêcheur russe trouva le cadavre d'un marin allemand tenant dans ses mains crispées le précieux code. Celui-ci fut envoyé à Londres et l'Amirauté le soumit, ainsi que les tableaux qui s'y trouvaient joints, aux spécialistes de White Hall dont le travail discret et la perspicacité ont obtenu d'admirables résultats.

A l'aide de ces livres et des déductions tirées de leur usage, l'Amirauté fut à même de lire une partie des radiogrammes chiffrés des Allemands. Quelque bien gardé qu'eût été le secret, la coïncidence des événements avait éveillé les soupçons des Allemands. Ils savaient que les escadres britanniques ne pouvaient pas toujours être en croisière et, cependant, quand ils avaient déclanché un raid, il arrivait souvent qu'il fût interrompu par d'importantes forces navales britanniques. D'ailleurs, eux aussi connaissaient en partie les codes britanniques; ils avaient alors à Neumunster une station qui transmettait à leur flotte les messages britanniques qu'elle avait captés. Néanmoins, l'Amirauté a pu fournir à sa flotte une grande quantité de renseignements précieux.

Revenons maintenant à notre histoire. Aujourd'hui que tout le monde voit les résultats merveilleux obtenus par la radio, il est difficile de se rappeler le temps où la télégraphie sans fil en était encore à ses débuts. Avant 1914, notre ministère de la Guerre n'avait pas prêté une grande attention à cette invention, mais quelques officiers de l'État-Major Général, plus perspicaces que les autres, ne la considéraient pas comme une bagatelle. L'un d'eux était le capitaine Pokorny, aujourd'hui général dans l'armée hongroise. Il avait obtenu l'autorisation d'installer un poste de réception non loin du Quartier Général, mais ses succès de début ne furent pas brillants. Il réussissait parfois à capter une dépêche ennemie mais, s'il parvenait à découvrir quelques mots chiffrés, personne ne pouvait les comprendre. Pokorny n'était pas homme à se laisser décourager par un premier échec, d'autant plus qu'il savait que le commandement russe transmettait tous les ordres par télégraphie sans fil. Sans cesse il modifiait et améliorait ses appareils de réception. A la fin il nous envoya chaque jour un paquet de dépêches qui ne retinrent guère notre attention au début.

Ces télégrammes, naturellement, étaient en grande partie chiffrés d'après une clé que nous avons longtemps ignorée. Le texte était représenté, autant que je m'en souvienne, par des groupes de trois lettres : mcg, daf, ykl, par exemple. Copie de ces groupes fut envoyée à notre section du chiffre à Vienne qui était réputée pour son habileté. Mais en vain. Les chiffres gardaient leur secret, tout ce qu'on savait, c'est qu'ils devaient être d'origine russe. Des montagnes de papier s'entassaient dans nos archives et le capitaine Pokorny nous envoyait tous les jours des radiogrammes chiffrés que personne ne pouvait lire. En désespoir de cause, nous eûmes recours à nos interprètes russes qui allaient se tirer à leur honneur de cette épreuve difficile.

Il y avait des nuits et des jours qu'Ambrosio, ses yeux de myope chaussés d'épaisses lunettes, cherchait inlassablement à découvrir le sens des caractères mystérieux, quand, un soir où nous étions de service tous les deux, pendant que je déchiffrais une dépêche officielle, il se leva tout à coup et se mit à sauter dans la salle d'école en criant dans son dialecte viennois : « J'ai trouvé, j'ai trouvé. »

Puis il m'expliqua comment il était parvenu à trouver la solution si désirée. Se basant sur la forme de toutes les dépêches en clair qui avaient été interceptées, il avait conclu que les radiogrammes russes portaient la signature du chef d'État-Major du corps d'armée, « Barochef-chef-chtaba », par exemple, et il s'était demandé si les trois dernières syllabes ne représentaient pas un groupe de chiffres.

Disons en passant que de toutes les langues européennes, celle des Russes est la seule dont la constitution s'adapte à un système de chiffre composé de syllabes. Si la supposition d'Ambrosio était exacte et si, d'autre part, le dernier groupe se présentait sous la forme dkm, par exemple, on avait d = chef, k= chta, m= ba.

Comme il savait maintenant que le chef d'État-Major d'un corps d'armée s'appelait Barochef, il avait pu déchiffrer sans difficulté non seulement le dernier groupe mais encore l'avant-dernier, m t d, d'où il avait déduit la quatrième syllabe, t = ro. Après avoir interpolé bien des fois les quatre syllabes connues dans les dépêches chiffrées il réussit, pendant cette nuit mémorable, à découvrir le secret du mystérieux chiffre de campagne employé par les Russes.

Il a dû son succès à un travail consciencieux joint à une grande intelligence, ainsi qu'à sa profonde connaissance de la langue dont la construction étymologique particulière servait de base à tout le système.

Cet exposé, que je fais de mémoire, n'est peut-être pas d'une rigoureuse exactitude. Les informations que le déchiffrement des télégrammes nous avait fournies furent utilisées de la façon la plus heureuse les jours suivants. C'est ainsi que l'offensive d'un corps d'armée russe contre un secteur sans défense de notre front des Carpathes, qui aurait pu avoir de sérieuses conséquences, se termina par un échec grâce aux précautions que la connaissance des intentions de l'adversaire nous avait mis à même de prendre.

A partir de ce moment, les commandants dirigèrent les opérations comme un joueur de cartes qui a vu le jeu de son partenaire. Il se trouva souvent que nous avions pris des mesures préventives contre une attaque russe avant que les troupes de l'adversaire eussent compris les ordres de leurs chefs. Les Russes ne tardèrent pas à concevoir des soupçons. Ils avaient eu vent de notre découverte par leur vaste Service des Renseignements, mais, au lieu de changer radicalement tout le système, ils eurent la naïveté de substituer une lettre à l'autre, par exemple, m à t ou z à b, etc. Pour comble de malheur, leurs propres postes récepteurs ne comprenaient pas le nouveau chiffre et rendaient compte de leur embarras, sur quoi on leur envoyait le même télégramme établi cette fois suivant l'ancien chiffre.

Mais Ambrosio se tenait aux aguets. Quelques heures après que les Russes eurent changé leur chiffre, il avait déchiffré à peu près le nouveau code. Et comme les Russes prirent ensuite l'habitude de changer les lettres suivant un ordre immuable, il lui arrivait de prévoir les lettres qui seraient affectées par le nouveau changement. Les résultats étaient si surprenants que nos frères d'armes, les Allemands, se refusèrent longtemps à y croire - pour leur plus grand désavantage - jusqu'au jour où les événements leur eurent ouvert les yeux.

La percée de Gœrlitz, la marche victorieuse des armées alliées jusqu'au Styr, la conquête de la Pologne et la défaite finale des armées du tsar, tous ces succès ont été les fruits de la découverte d'Ambrosio.

Hindenbourg en convient pleinement dans son Aus meinem Leben, page III « A cette occasion, je ne cacherai pas que, si nous avons connu en temps utile les dangers dont nous étions menacés, c'est grâce à l'inconcevable insouciance, on pourrait même dire la naïveté, avec laquelle les Russes se servaient de leurs liaisons radio-télégraphiques. La lecture de leurs télégrammes nous a souvent renseignés non seulement sur la situation de l'ennemi mais aussi sur ses intentions. » Les mérites du lieutenant Ambrosio ont été appréciés pleinement et lui-même a été l'objet de tous les honneurs qui étaient compatibles avec son grade subalterne. Il a été promu capitaine et a reçu des décorations.

Je serais heureux d'avoir réussi à élever un monument à la mémoire de ce « soldat inconnu » qui fut vraiment grand et sera toujours inconnu car il ne s'appelait pas du tout Ambrosio. Cette histoire montrera mieux qu'aucune autre que le Service des Renseignements militaires obtient des résultats importants sans avoir recours aux espions.

Les Russes ont consacré des millions à l'espionnage en temps de paix et en temps de guerre, leurs armées ont opéré en Galicie sur un terrain qui avait été préparé depuis longtemps et où leurs partisans pullulaient et nous espionnaient sans grand succès. Cet échec exaspéra les Russes. Ils virent des traîtres partout et accusèrent principalement les officiers de haut grade de l'entourage du tsar ou de l'État.

 

CHAPITRE IX LE SERVICE DES RENSEIGNEMENTS EN SUISSE La joie du triomphe qu'avaient provoquée les succès de nos troupes en Galicie après la percée de Goerlitz fut sensiblement affaiblie par la déclaration de guerre que l'Italie nous signifia le 25 mai 1915.

Bien que nous n'eussions jamais eu d'illusions touchant la fidélité de l'Italie et que toutes nos précautions fussent prises, comme bien l'on pense, la situation parut tout d'abord désespérée. Une nouvelle armée formidable, comprenant un million d'hommes, nous menaçait, de sorte que l'Autriche allait devoir faire face à l'ennemi sur trois fronts. L'isolement des Empires Centraux, dont le roi Édouard VII avait pris l'initiative en 1902, était complet. Un cercle de fer allant de la mer Baltique aux monts Carpathes, du Danube à la mer Adriatique, de la plaine italienne aux glaciers des Alpes tyroliennes, et des Vosges au Pas-de-Calais entourait les alliés centraux. Une île isolée en plein coeur de l'Europe émergeait, intacte, de cet océan de destruction.

C'était la Suisse, dont le gouvernement, prévoyant, avait pris les mesures qui étaient nécessaires pour que son petit pays restât neutre et ne fût pas entraîné dans la catastrophe générale. Aujourd'hui encore, la Suisse goûte les fruits de cette politique, elle ne connaît ni le chômage, ni l'appauvrissement dont souffre le reste du monde.

Après l'entrée en guerre de l'Italie, la Suisse était devenue le centre d'espionnage de tous les pays belligérants, en particulier de ceux qui étaient ses voisins, et les chancelleries et les États-Majors Généraux s'étaient empressés d'envoyer leurs meilleurs agents renforcer le personnel des légations de Berne.

C'est à cette circonstance que je dus d'être adjoint à notre attaché militaire. J'en étais très heureux. J'avais pensé que ce poste important m'eût donné l'occasion de mettre en pratique à l'étranger ce que j'avais appris pendant onze années laborieuses de paix et de guerre.

Quelle illusion. Au lieu des affaires d'espionnage passionnantes, des aventures intéressantes et des résultats merveilleux dont j'avais rêvé, le bureau de l'attaché militaire à Berne n'offrait à mon activité qu'un travail fastidieux de bureaucrate. Nous y noircissions des montagnes de papier, des volumes qui constituaient de véritables archives. Il fallait dénouer des intrigues et régler des différends enfantins, faire subir des interrogatoires, rédiger des procès-verbaux et envoyer les dénonciations au Quartier Général et au ministère de la Guerre.

Tout cela pendant que la Grande Guerre faisait rage là-bas et que les Services des Renseignements de toutes les nations avaient envoyé leurs experts les plus habiles en Suisse pour qu'ils soient mieux à même de saisir immédiatement la moindre occasion de compenser un échec que leur pays aurait subi sur le champ de bataille ou, en bref, pour qu'ils s'efforcent de tirer le meilleur parti possible de l'état politique et de la situation géographique de la Suisse pour organiser l'espionnage.

La situation de la Suisse, nous l'avons déjà dit, était unique. Berne et Zurich étaient deux centres d'espionnage et les lieux de réunion de tous les partis socialistes et nationalistes du monde.

Tout d'abord le personnel des missions des nations belligérantes avait été augmenté à l'excès. La légation d'Allemagne, qui se composait de sept ou huit personnes en temps de paix, en a compris peut-être plus de cent cinquante à la fin de la guerre. L'attaché militaire d'Autriche-Hongrie assurait seul son service avant la guerre, mais ensuite il a eu sous ses ordres vingt-cinq personnes. Le personnel de toutes les ambassades des nations belligérantes s'est accru dans les mêmes proportions. La France avait eu à Genève, dès le temps de paix, un service de renseignements qui employait de nombreuses personnes.

Tout ce monde se retrouvait à l'hôtel Bellevue, magnifique immeuble de construction récente, qu'une foule bruyante remplissait du matin au soir. Diplomates ou gens qui voulaient se faire passer pour tels, agents, profiteurs de guerre, déserteurs, chevaliers d'industrie, espions et naturellement, femmes légères du monde entier semblaient s'y être donnés rendez-vous.

En plus de tout cela, le commandant en chef de l'armée fédérale avait établi son Quartier Général dans l'hôtel, dont la porte était gardée par deux factionnaires, l'arme sur l'épaule. Le général (2), Ulrich Witte, habitait le premier étage où se trouvaient également ses bureaux. Tous les soirs il faisait avec ses adjoints, dans le grand hall de l'hôtel, une partie de jas qui est un jeu de cartes auquel un véritable Suisse ne refuse jamais de prendre part. Et la meute des espions de l'Europe entière l'entourait et regardait avec curiosité.

Il se passait rarement un jour sans que l'une ou l'autre des missions n'offrît un dîner ou un déjeuner. Nous nous connaissions tous mais nous formions naturellement deux partis : celui des Alliés et celui des Empires Centraux.

Les membres de l'un des partis affectaient de ne pas connaître les membres de l'autre et ne les saluaient pas, quelques intimes qu'aient été autrefois leurs relations. Cette hostilité entre membres de légations ennemies se manifestait quelquefois dans l'hôtel par des injures et des voies de fait.

L'isolement des Puissances Centrales était évident. Les rapports amicaux qui s'étaient établis entre les membres de la légation de Roumanie et nous au début de notre arrivée à Berne cessèrent dès que la Roumanie nous eut déclaré la guerre. Il ne fallait pas songer à entrer en relations avec la population suisse, qui gardait une stricte neutralité, de sorte que, finalement, les membres des quatre légations qui représentaient les Puissances Centrales, c'est-à-dire l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Bulgarie et la Turquie, durent se contenter de vivre entre eux.

Dans ces conditions, la recherche de renseignements que nous eussions pu utiliser contre l'Italie devenait très difficile. Le Suisse allemand, bien que ses sympathies le portassent du côté de l'Allemagne, tenait à rester strictement neutre, et ce n'est que très rarement qu'il a consenti à faire de l'espionnage contre les Alliés.

Durant les dix-huit mois que j'ai passés à Berne, j'ai connu trois ou quatre cas de ce genre seulement. C'était tout le contraire en Suisse française. Là, tout le monde prenait ouvertement le parti de la France. Les journaux, le Journal de Genève et la Gazette de Lausanne surtout, tenaient un langage plus violent encore que les feuilles françaises; tout y respirait une haine fanatique des Puissances Centrales.

Quand un Suisse français avait obtenu la permission - que sa qualité de neutre interdisait de lui refuser - d'accomplir un voyage en Autriche, on pouvait être certain qu'à son retour il irait spontanément exposer à sa façon à l'un de ces journaux les observations qu'il avait faites, à moins qu'il ne préférât - ce que l'on a constaté maintes fois - se rendre directement de la gare de Berne chez l'attaché militaire français, le colonel Pageot, ou chez son collaborateur à Genève, le consul général Pascal d'Aix, pour leur faire son rapport.

Par contre, jamais nous n'avons pu décider un Suisse intelligent des régions de l'est à faire un voyage en France ou en Italie pour y recueillir des renseignements et nous les rapporter.

Le gouvernement suisse s'efforçait d'observer une neutralité complète. Il était interdit, sous les peines les plus sévères, de fournir des informations aux puissances étrangères et de se livrer à l'espionnage. Les lignes télégraphiques et téléphoniques étaient l'objet d'une étroite surveillance de l'État et la table d'écoute fonctionnait en permanence. L'usage des télégrammes chiffrés était exclusivement réservé aux diplomates accrédités.

Malgré toutes les précautions que prenait le gouvernement, nous sommes parvenus avec le temps à trouver des agents sûrs. Un riche Autrichien qui, après avoir fait fortune dans le commerce hôtelier sur la Riviera française et avoir été expulsé de France au début de la guerre, s'était réfugié en Suisse, nous fournissait régulièrement des informations très utiles qu'il tenait d'une armée de garçons et de serveurs d'hôtels de toutes les nations.

En outre, il y avait toujours des gens qui nous faisaient des offres de service, soit pour l'espionnage, soit pour le sabotage, mais il était indispensable de les mettre à l'épreuve très sérieusement avant de les employer car ils pouvaient être des agents provocateurs agissant à l'instigation des Services de Renseignements ennemis.

Nous avions fini par posséder des hommes utiles qui, soit de Suisse même, soit d'Italie, nous fournissaient régulièrement des renseignements. Souvent ils allaient les chercher et ils les rapportaient eux-mêmes, généralement avec un retard considérable. Il fallait toujours contrôler soigneusement les informations qui nous venaient par des agents récemment entrés à notre service car elles étaient très souvent inexactes.

La marine austro-hongroise avait constitué à Zurich une section chargée du sabotage des navires de guerre et des établissements des marines ennemies qui était placée sous le commandement du capitaine de vaisseau Rudolf Mayer, expert éprouvé qui connaissait bien son affaire. Il avait été nommé vice-consul et son bureau se trouvait à la résidence officielle de notre consul général. La Section a obtenu d'excellents résultats, surtout en ce qui concerne le sabotage. Il convient de citer en particulier l'explosion de la fabrique de dynamite de Cengio et la destruction d'un hangar d'aviation à Ancône. Ce sont ses agents qui ont coulé les navires italiens Benedetto Brin et Regina Margherita. Ils ont également fait sauter dans le port de Tarente le Leonardo da Vinci, avant qu'il n'eût été armé, et provoqué un grand nombre d'explosions moins importantes.

Les hommes que Mayer employait étaient pour la plupart des Dalmates, des Albanais et des Grecs. Ils produisaient des ravages considérables au moyen de bombes explosibles qu'ils introduisaient avec adresse dans des morceaux ou dans des briquettes de charbon que des agents jetaient ensuite sur un dépôt, un tender ou dans une soute sans attirer l'attention. Parfois ils glissaient habilement la bombe munie d'un mécanisme d'horlogerie dans un panier de légumes destinés au navire ou dans un vieux vêtement qu'ils abandonnaient négligemment.

La Section du capitaine Mayer a souvent reçu en temps utile des renseignements précieux. C'est ainsi que ses gens ayant prévenu notre attaché militaire que le col de Lana était miné et sauterait à une date qu'ils indiquaient, l'officier ne les crut pas et l'explosion se produisit au jour fixé, entraînant la mort ou la capture de centaines de nos soldats.

Cet incident, survenant après les dissentiments qui s'étaient élevés entre l'attaché militaire et lui, obligea Mayer à quitter le bureau du consulat général et à chercher un autre local pour sa Section. Il finit par trouver un appartement dans l'immeuble d'une banque qui était situé dans une grande artère et semblait surveillé constamment. Malheureusement les deux sous-officiers de marine, hommes très sûrs, qu'il ernployait comme courriers et qui auraient pu prévenir le désastre qui a désorganisé la Section, n'habitaient pas dans l'appartement. Et, en février 1917, l'appartement de Mayer fut visité par des cambrioleurs qui emportèrent tous les documents secrets qui s'y trouvaient, ce qui eut de fâcheuses conséquences pour les agents que nous entretenions à l'étranger.

Je vais raconter ce vol avec effraction parce qu'il est unique dans l'histoire du Service des Renseignements. J'observerai d'abord que l'activité du capitaine Mayer, qui nous était si précieuse, avait éveillé les soupçons du Service des Renseignements italien. Je suis convaincu, pour ma part, que l'organisation détaillée de la Section, ainsi que la facilité relative avec laquelle on pouvait la cambrioler, ont été révélées par un contre-espion.

On commet toujours une erreur quand on établit deux Sections des Renseignements dans un même pays car il arrive inévitablement que les hommes qui en font partie se suspectent mutuellement, ce qui est mauvais, ou se connaissent, ce qui est pire.

Notre Service des Renseignements en Suisse aurait dû être tout entier dans une main unique et ferme et, de cette façon, on aurait épargné beaucoup d'argent, d'ennuis et de malheurs. Les détails qui vont suivre m'ont été donnés par un des collaborateurs du capitaine Mayer qui a failli être empoisonné par les voleurs pendant la nuit fatale. La presse italienne n'a pas davantage hésité à publier tous les détails de cette affaire que le Service Secret italien n'avait hésité à allouer un million de lires à ceux qui cambrioleraient le bureau du capitaine Mayer.

On leur avait promis, en outre, qu'ils pourraient emporter l'argent et les objets de prix qui s'y trouvaient. Les bureaux du capitaine Mayer étaient situés au 69 de la Bahnhofstrasse, dans l'immeuble de la banque Schoop et Rauch. Ils se composaient de deux pièces et d'un petit couloir au premier étage et étaient séparés des services de la banque par un mur en briques de construction récente. On accédait directement de l'escalier aux bureaux. La première pièce était celle des agents et des secrétaires. La seconde, qui servait de bureau particulier au capitaine, contenait un coffre-fort en acier neuf et solide où étaient enfermés les documents secrets, le code chiffré, la liste des agents et des espions à notre service, une grosse somme d'argent et les bijoux de sa femme.

Les cambrioleurs avaient constaté que le personnel quittait le bureau le samedi soir et que le veilleur de nuit de la banque ne prêtait pas attention à ce qui se passait dans cette partie de l'immeuble. Ils avaient également pris l'empreinte des clés de la porte d'entrée.

D'autre part, l'affaire avait été préparée soigneusement. Son instigateur était Livio Bini, avocat italien résidant à Zurich. Le consul d'Italie, à qui il avait soumis son plan, en avait fait part à Rome d'où un ingénieur spécialisé dans la construction des coffres-forts fut dépêché à Zurich. Celui-ci vit d'un coup d'oeil, au cours d'une visite qu'il fit au capitaine sous un prétexte quelconque, qu'un chalumeau oxhydrique était indispensable pour forcer le coffre.

Pour cette opération, on fit sortir des prisons italiennes un cambrioleur fameux nommé Papini qui fut amené sous bonne garde en Suisse. L'appareil à oxygène, ainsi qu'un outillage complet de cambrioleur, enveloppés dans de la toile huilée, furent apportés en plein jour dans le sous-sol de la banque de sorte que, pendant la nuit qui avait été choisie, Papini et ses complices entrèrent dans le bureau du capitaine et terminèrent leur travail sans qu'ils eussent été dérangés.

On a dit que, outre l'avocat italien, un déserteur de Trieste et un carabinier appartenant à la légation d'Italie à Berne ont participé au crime ainsi que deux officiers de la marine italienne qui montaient la garde dans la rue.

Lorsque le pauvre capitaine entra dans son bureau le lendemain matin, il trouva son coffre-fort éventré et vidé de tout son contenu. On avait tout emporté, y compris de l'argent, des valeurs et des bijoux. L'appareil à gaz oxhydrique avait été laissé sur place par les cambrioleurs.

Les conséquences de cette affaire furent très sérieuses. Le capitaine et son personnel durent quitter la Suisse et ainsi fut tarie une de nos meilleures sources de renseignements sur l'Italie. En outre, un grand nombre de pauvres diables dont les noms figuraient sur les listes de nos espions et de nos agents furent exécutés en Italie.

L'affaire eut un épilogue tragi-comique. Papini et sa bande intentèrent à l'État italien un procès en paiement de la récompense d'un million de lires qui suscita de vives discussions dans les journaux et se termina, semble-t-il, par un jugement rendu en faveur des demandeurs.

La lecture attentive des journaux de toutes nuances qui paraissaient dans les pays neutres était d'une importance capitale. Toutes les nouvelles des puissances belligérantes y étaient publiées sans qu'elles eussent été censurées. Les communiqués des États de l'Entente s'étalaient à côté des bulletins de guerre des Empires Centraux dans les feuilles du matin, de sorte qu'une simple comparaison suffisait pour que l'on se fît une idée exacte de la situation vraie.

Il arrivait souvent que l'on publiât telles qu'elles avaient été reçues des informations intéressantes relatives à des mouvements de troupes, à l'équipement des armées et aux projets d'offensive. Mais il convenait de ne les utiliser qu'avec prudence parce qu'elles avaient peut-être été répandues intentionnellement par l'ennemi.

C'est ainsi qu'avant l'offensive de janvier 1915 contre la Serbie, nous avions pu annoncer dans le Journal de Genève, qui était favorable à l'Entente, que l'armée bulgare tout entière s'était portée sur la frontière orientale de la Serbie, et les Serbes, ayant aussitôt ajouté foi à cette nouvelle, n'avaient pas opposé le gros de leurs forces à l'attaque des Empires Centraux.

Ce simple stratagème avait grandement facilité le passage du Danube et la conquête de la Serbie.

Il y avait également à glaner dans les annonces des journaux suisses qui contenaient quelquefois des informations dont on pouvait tirer profit. C'était du reste un travail difficile dont jamais personne ne s'est occupé aussi parfaitement que le lieutenant en premier, baron Hennet, qui était l'homme le mieux doué de notre bureau de Suisse. Il est actuellement ambassadeur d'Autriche en Hongrie.

On ne saurait assez répéter qu'en temps de guerre la lecture attentive des journaux qui paraissent en pays neutres est d'une grande importance. Elle a provoqué, d'ailleurs, une des décisions les plus graves de l'histoire dans des conditions que je ne crois pas inutile d'exposer ici.

C'était pendant la guerre franco-allemande de 1870. Après les batailles de Mars-la-Tour et de Gravelotte, le Quartier Général du Kronprinz allemand ignorait où se trouvait l'armée du maréchal de Mac-Mahon. Le général Bazaine était assiégé dans Metz, et Moltke avait déjà donné à ses armées l'ordre de se porter sur Châlons quand il reçut, le 23 août, un télégramme de la légation allemande à Londres reproduisant un article du Temps qui annonçait que Mac-Mahon avait résolu soudain de se porter au secours de Metz et que l'armée française avait quitté le camp de Châlons et s'avançait de Reims vers l'est.

Dès que la cavalerie allemande eut vérifié l'exactitude de ces renseignements, Moltke résolut d'exécuter sa fameuse conversion à droite. Cette opération, comme. on le sait, amena la capitulation de Sedan, et la guerre fut terminée par la victoire des Allemands.

La libre circulation des civils qui allaient d'Autriche en Suisse, et vice-versa, préoccupait beaucoup le Service des Renseignements et comme le trafic des voyageurs menaçait de prendre des proportions exagérées, on établit une section de surveillance spéciale dans la petite ville autrichienne de Feldkirch qui se trouvait sur la grande ligne de chemin de fer menant en Suisse. Cette section a fait d'excellent travail en arrêtant des espions et en interceptant des lettres suspectes. C'est de cette façon qu'on apprit avec stupéfaction que le courrier de la nonciature de Vienne emportait des informations à l'étranger. Ces lettres étaient régulièrement expédiées en Suisse avec l'autorisation qu'un haut dignitaire de l'Église avait accordée certainement par pure bonté d'âme et sans se douter de leur contenu.

La surveillance de la frontière était beaucoup, mais elle ne suffisait pas à tout. Il était tout à fait inutile de déshabiller les malheureux touristes si, en même temps, des délégués tchèques, des prêtres catholiques et des membres de la famille impériale eux-mêmes pouvaient passer la frontière sans être inquiétés parce qu'ils étaient porteurs de laissez-passer délivrés par le ministère de la Guerre ou par le Quartier Général.

De toutes les affaires importantes dont je me suis occupé ou dont j'ai été témoin pendant mon séjour en Suisse, j'en exposerai deux pour prouver une fois de plus que le Service Secret a obtenu des résultats remarquables au moyen de procédés qui ne sont pas toujours ceux dés romans d'espionnage.

Ainsi que je l'ai dit dès le début, le gouvernement fédéral suisse avait envisagé la possibilité de la violation de sa neutralité par l'un ou l'autre des deux partis belligérants. C'est pourquoi il avait ordonné la mobilisation et le renforcement de la défense des frontières. L'État-Major Général suisse suivait les opérations qui se déroulaient sur les différents théâtres de la guerre avec d'autant plus d'attention que la petite armée fédérale avait à défendre des frontières assez étendues.

Par suite de sa situation, la Suisse avait été obligée d'organiser un Service des Renseignements aussi irréprochable que possible afin que le Quartier Général fût toujours prévenu en temps utile du danger et pût disposer des troupes nécessaires au moment opportun et à l'endroit menacé. En conséquence, le Service des Renseignements de l'armée suisse avait été largement développé et, pour un État neutre avec qui tout le monde désirait rester en bons termes, il n'était pas très difficile de recueillir des informations utiles.

Les plus intéressantes des nouvelles qui concernaient les deux partis étaient résumées dans un bulletin que l'État-Major envoyait à un certain nombre d'officiers supérieurs et à quelques fonctionnaires. Le bulletin contenait habituellement des informations de presse bien choisies ainsi que des rapports ou autres nouvelles de caractères politique et militaire recueillies par des hommes de confiance.

Nous avions pu obtenir de deux officiers supérieurs que ces bulletins nous fussent envoyés régulièrement. L'un des officiers était le colonel Karl Egli, sous-chef d'État-Major de l'armée fédérale, et l'autre, le colonel Moriz von Wattenmyl, adjoint au chef d'Etat-Major. Ils nous obligeaient non sans contrepartie; ils nous demandaient et recevaient de nous en échange un grand nombre d'informations et de services complaisants qui étaient de la plus grande importance pour l'armée suisse.

Ces bulletins nous donnaient une quantité de précieux renseignements qu'il nous eût été impossible de trouver ailleurs. Je me souviens du beau rapport d'un officier d'État-Major suisse, originaire du Tessin, qui, sur l'invitation du général Cadorna, avait visité tout le front italien de l'Isonzo à la frontière suisse et avait rédigé ses impressions accompagnées de beaucoup de détails sur les forces italiennes, les numéros des régiments, le nombre de canons, les approvisionnements en munitions, etc. Si nous avions eu la possibilité d'envoyer dans le camp italien un de nos officiers d'État-Major, il n'aurait certainement pas mieux rempli sa mission, car le rapport était accompagné de croquis, établis d'après une carte autrichienne de la guerre, qui indiquait les emplacements des postes de commandement, des canons lourds, des camps d'aviation, les routes et les chemins de fer de campagne.

Ce document m'était parvenu dans la soirée. Il fut expédié par courrier spécial la même nuit au commandant du front du sud-ouest et, je l'ai appris plus tard, souleva l'enthousiasme de l'État-Major. Grâce aux croquis, quelques canons lourds des Italiens furent mis hors de combat rapidement.

La découverte de cette source de renseignements doit être considérée comme l'un des plus beaux succès qu'ait remportés notre Section de Suisse. Malheureusement elle a tari beaucoup trop tôt par suite de l'imprudence de ceux qui l'alimentaient et il en est résulté de graves conséquences. Non seulement nous avons été privés d'informations qui étaient d'une haute importance pour nous mais il s'est produit un scandale qui, sous le nom d'« affaire des colonels », a ému la Suisse pendant plusieurs mois. Voici comment.

Un jour, un des précieux bulletins arriva, comme c'était à prévoir, sur la table de l'attaché militaire française au lieu de parvenir à notre bureau. Il avait été confié à un cycliste militaire suisse en uniforme qui, après avoir arrêté sa machine devant la maison de notre attaché militaire, l'avait déposé chez l'attaché militaire français.

Mes avertissements répétés n'avaient servi à rien et lorsque l'ambassadeur de France, M. Dutasta, se fut rendu chez le président du conseil fédéral pour protester contre cette soi-disant violation de neutralité, la bombe explosa. Le gouvernement suisse envoya les deux colonels exercer un commandement sur le front, pensant que leur déplacement suffirait à régler l'affaire. Mais il avait compté sans un certain André Laugier, qui avait été l'informateur de l'attaché militaire français.

Cet homme se servit des journaux ultra-radicaux de Genève pour soulever la population de la Suisse Occidentale tout entière; quelques régiments, composés d'hommes de la région, refusèrent même d'obéir avant que les deux colonels eussent été condamnés. Les deux officiers furent traduits en justice et destitués bien que leur innocence éclatât aux yeux de toute personne impartiale. Je peux même certifier que les deux colonels, avec lesquels j'étais intimement lié, ont agi de bonne foi et ont toujours eu en vue le bien de leur pays. J'ajouterai que j'ai souvent entendu dire en Suisse, à l'occasion du procès des colonels, « qu'ils avaient été hommes d'honneur pendant toute leur vie et qu'ils l'étaient encore aujourd'hui. »

Les menées des agitateurs socialistes en Suisse, que nous suivions avec l'attention la plus grande, m'amenèrent à m'occuper d'une affaire qui a eu des conséquences mondiales. Un des officiers adjoints à notre attaché militaire s'était imposé la tâche de surveiller les réunions socialistes afin de connaître les intentions des partis marxistes et, à l'occasion, de les utiliser aux fins d'une propagande défaitiste dans les pays ennemis. Il a même réussi à assister à la célèbre conférence de Zimmerwald, village suisse, où fut fondée la IIIe Internationale.

Le contact que notre camarade avait pris avec les socialistes de toutes les nations allait porter ses fruits. Il nous avisa un jour que la plupart des bolcheviks russes résidant en Suisse jugeaient qu'un certain Oulianov, alias Lenine, disposait dans son pays d'assez d'influence pour provoquer une révolution qui amènerait la suspension des hostilités sur le front russe.

Lénine et Zinoviev (Apfelbaum) déclaraient vouloir « transformer la guerre impérialiste en guerre civile. » Ils étaient constamment en relations avec les bolcheviks de Russie; l'exécution de leur plan nous coûterait certainement assez cher, mais s'ils pouvaient obtenir un sauf-conduit pour se rendre dans leur pays, ils se chargeraient du reste.

A ce moment, je faisais précisément l'intérim d'attaché militaire pendant l'absence du titulaire et j'expédiai aussitôt une longue dépêche chiffrée à notre Quartier Général pour lui signaler l'occasion qui se présentait sans me douter le moins du monde que je préparais ainsi un événement historique.

Notre chef comprit immédiatement l'importance de la proposition et poursuivit avec énergie l'entente avec les bolcheviks à laquelle il affecta une somme importante.

La communiste Clara Zetkin, qui demeurait alors à Zurich et inaugura le Reichstag allemand en 1932, avait pris part à l'affaire pour laquelle elle recevait mensuellement un salaire considérable. Les Allemands, que nous avions mis au courant des négociations engagées, prirent aussitôt toute l'affaire en mains.

Dans les premiers jours d'avril 1917, Lenine, accompagné par quelques partisans dévoués, retourna à Saint-Petersbourg par l'Allemagne et la Suède, non « dans un wagon plombé », comme on l'a dit, mais sous bonne garde.

J'estime qu'en rendant possible la révolution russe, quelque funestes qu'aient pu être ses conséquences, notre Service Secret a remporté un de ses succès les plus grands. Car si, pour briser la résistance de l'ennemi, nous avons utilisé toutes les possibilités qui s'offraient, nous n'avons pas fait seulement notre devoir, nous avons agi conformément au droit de la guerre.

Finalement c'est l'influence de Lénine qui a produit la rupture du front russe tout entier et conduit à la paix de Brest-Litovsk qui fut une issue heureuse que personne n'aurait osé rêver un an plus tôt. Et cet événement aurait fort bien pu amener la victoire décisive des Empires Centraux.

Le cas d'une nation provoquant la révolution dans un pays ennemi n'a pas été particulièrement rare pendant la Grande Guerre, personne n'ignore que, dès le début des opérations, l’Entente s'est inlassablement efforcée d'empoisonner. l'opinion publique de notre pays et d'encourager la révolution au moyen de divers mensonges et de propagande pacifiste. Ses émissaires étaient constamment en relations avec les chefs marxistes d'Autriche et d'Allemagne. Si nous avions, nous aussi, utilisé contre l'Italie les tendances révolutionnaires qui régnaient chez elle, la carte d'Europe serait tout autre qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Mémorandum sur les moyens propres à hâter la paix mondiale (21 décembre 1916).

« Il ne fallait pas s'attendre à ce que les offres de paix des Empires Centraux obtinssent un succès immédiat, d'autant plus que personne ne pouvait imaginer que les gouvernements des puissances de l'Entente les accepteraient aussitôt et se déclareraient prêts à entamer des négociations.

« Cependant la démarche des Empires Centraux doit être regardée comme un acte de politique habile et prévoyante car, malgré son échec officiel, elle a réveillé l'idée de paix qui existait à l'état latent dans tous les pays belligérants - l'Angleterre exceptée, peut-être - et plus les peuples de ces États souffrent des malheurs de la guerre plus ils sentent le besoin de la paix et s'intéressent à nos propositions.

« Les gouvernements des pays ennemis, estimant qu'ils n'ont pas atteint leurs buts de guerre et craignant que les négociations de paix engagées dans les circonstances présentes ne tournent à leur désavantage, mettront tout en oeuvre évidemment pour faire échouer le mouvement national en faveur de la paix.

Je crois cependant que nos propositions auraient trouvé des partisans en Italie et en Russie, principalement dans les milieux socialistes et révolutionnaires, et que la propagande pacifiste, qui était déjà très active avant que nous eussions exposé notre projet, aurait pu causer de graves embarras aux deux gouvernements. Je fonde cette opinion et les appréciations qui vont suivre sur la connaissance que je crois posséder de la situation intérieure de ces deux pays, de l'Italie surtout, dont je me suis longtemps occupé pendant mon séjour en Suisse.

Il faut que nous intensifiions notre propagande par tous les moyens, principalement en Italie où une action vaste et habilement menée a les plus grandes chances de succès.

« Beaucoup de socialistes italiens résident encore en Suisse et, quand j'étais en service à Berne, il m'eût été très facile d'entrer en relations avec eux si j'avais eu pleins pouvoirs pour cela. Je sais également que notre attaché militaire dans cette ville a plusieurs personnes à sa disposition qui peuvent s'entendre avec les socialistes italiens. Il y a certainement beaucoup de moyens pour se mettre d'accord mais il faudrait commencer par inonder l'Italie de tracts exposant nos propositions de paix puis soutenir financièrement les socialistes travaillant dans le pays afin qu'ils puissent faire un plus grand nombre de partisans et donner plus d'extension à leur propagande.

« Cette mission doit être confiée à un homme énergique, qui soit très au courant des choses de Suisse et d'Italie, et agisse en complète indépendance. Mais elle ne réussira que si l'homme choisi est sûr et a pleine conscience de sa responsabilité. .

« Il faut commencer l'action aussitôt que possible et la poursuivre avec la plus grande vigueur pendant deux mois environ. L'Italie, empoisonnée par les idées socialistes depuis longtemps, est fatiguée de la guerre, et si notre propagande pacifiste agit efficacement sur l'opinion publique et dans les rangs de l'armée, il suffira alors d'une petite victoire remportée sur le sol italien pour que le gouvernement se voie contraint à conclure une paix séparée.

« Suivant l'opinion de l'auteur, pour que le bloc de l'Entente consente à signer une paix raisonnable, il faut qu'un anneau de la chaîne ait sauté. Or l'Italie est le point de moindre résistance de celle-ci, et elle est mûre pour la paix à condition que nous ne perdions pas un instant pour faire, avec l'aide des socialistes, cette propagande de grande envergure dans tout le pays. »

Telles étaient, le 21 décembre 1916, mes idées sur la force de résistance de l'Italie. Nous verrons dans le chapitre suivant que je ne m'étais pas trompé.

 

(1) Espionnage, par le général Max RONGE, édition française, Payot, Paris

(2) Le grade le plus élevé dans l'armée suisse est, en temps de paix, celui de colonel. Les régiments, brigades, divisions et corps d'armée sont commandés par des colonels. En temps de guerre, il est nommé un général qui commande l'armée mobilisée

 

 

 

 
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