" L'INCARTADE " du Colonel BARIL (Suite)
Nous avons reproduit, dans le précédent BULLETIN, les passages les plus caractéristiques de la première "Note pour le Commandement" où, après avoir fait un bilan lumineux des forces qui s'affrontaient dans le conflit germano-russe, le Colonel BARIL concluait qu'en dépit de succès initiaux que remporterait l'Armée allemande à l'époque de sa puissance, Hitler serait hors d'état de venir à bout de la résistance russe et, par conséquent, d'échapper au terme fatal d'une victoire alliée.
La deuxième "Note pour le Commandement", dont nous extrayons ci-dessous les passages essentiels, établit que la première phase de l'offensive allemande se solde en définitive par un échec, et fournit la condition première de l'affaiblissement de l'Allemagne en présence de la croissance accélérée des moyens dans le camp Anglo-Saxon. BARIL devient affirmatif : mis à part un miracle impossible, l'Allemagne est condamnée à terme, le désastre point à l'horizon.
Et BARIL, déjà, scrute avec ses dons de visionnaire, les lendemains de la victoire, n'éludant aucun des problèmes qui vont se poser à la France, enfin libérée, mais affaiblie, réceptive, exposée, -si l'on n'y prend garde aux virus sournois ou avoués qui menacent les convalescents. Problème, dit-il, à étudier sans retard, si l'on ne veut pas courir le risque de la surprise".
Note pour le Commandement
VICHY, le 4 Janvier 1942.
LA SITUATION MILITAIRE A LA FIN DE 1941
Perspectives pour 1942
Sur le front oriental, les rigueurs de l'hiver sont venues interrompre les opérations offensives de la WEHRMACHT. Les Allemands ont été obligés d'en convenir dès le 8 Décembre dans leur communiqué officiel. L'aveu a dû leur en coûter car ils avaient à maintes reprises déclaré que le sol durci par le gel favoriserait la reprise de la progression de leurs unités blindées enlisées dans les boues de l'automne et que les Russes se trompaient s'ils comptaient sur leur allié naturel, le fameux Général Hiver, pour retarder la destruction des quelques forces qui leur restaient.
Dans le même temps que le front germano-russe est entré en sommeil du moins en ce qui concerne les initiatives allemandes un nouveau théâtre d'opérations s'est ouvert. Quelle qu'en ait été la cause : attitude intransigeante des ÉTATS-UNIS ou volonté bien arrêtée de la part du JAPON de profiter des dissensions de la race blanche pour tenter d'établir la domination nippone en ASIE avant l'achèvement du plan de réarmement américain, la lutte s'est engagée dans le PACIFIQUE et cette lutte ne sera pas sans avoir des répercussions importantes sur le conflit européen.
Subsidiairement, une action se déroule en AFRIQUE, dont les conséquences dépassent en importance l'ampleur des forces mises en jeu.
Aussi difficile que soit la tâche, l'heure est venue de faire le point de la situation, de peser les facteurs nouveaux qui viennent encore compliquer le problème européen, de s'efforcer enfin de se faire une opinion sur la conduite de la guerre au cours de l'année 1942 et sur les chances des adversaires.
I/- LE CONFLIT GERMANO-RUSSE
Six mois de batailles acharnées dans lesquelles le REICH a lancé toutes ses forces vives, n'ont pas permis au Commandement allemand d'emporter la décision sur l'Armée russe avant l'hiver.
Voilà un fait que la campagne de 1941 se soit, somme toute, pour les Allemands, soldée par une déception, terminée sur un échec. Rien ne permet mieux de le mesurer que la mise en disgrâce du Maréchal Von BRAUCHITSCH.
Lorsque le 22 Juin, l'ALLEMAGNE entamait les hostilités contre l'U.R.S.S., il ne faisait de doute pour personne que la WEHRMACHT ne pourrait être tenue en arrêt aux lisières mêmes du territoire russe. Pour nous, moins que pour tout autre. La force de l'armée allemande nous était connue non seulement par la récente expérience que l'Armée française en avait faite, mais encore parce que, appliqué depuis des années à en suivre, pas à pas l'évolution, nous avions appris à en connaître les facteurs : qualités traditionnelles du Commandement et des E.M., valeur des Cadres, ardeur de la troupe, dynamisme des services, nombre des unités, abondance du matériel et par-dessus tout, coordination parfaite de l'action des diverses armes au combat.
Mais, parallèlement, les points forts de la RUSSIE et de l'Armée rouge n'avaient pas échappé au 2ème Bureau : détermination du Commandement à se battre jusqu'à l'épuisement des moyens, fanatisme des cadres et de la troupe, abondance du matériel, difficulté d'abattre le régime soviétique dans un pays ressemblant en quelque sorte â un organisme dépourvu de système nerveux.
Dès le début du conflit, dans une note datée du 27 Juin, nous avions exprimé la conviction que la tâche ne serait ni aussi brève ni aussi simple pour les Armées du REICH qu'on le pensait communément; que, si des succès initiaux importants seraient à inscrire au bénéfice de l'ALLEMAGNE, les chemins qui menaient à MOSCOU seraient jalonnés des tombes pressées des meilleurs d'entre les soldats du REICH; en sorte que l'ALLEMAGNE, en admettant même qu'elle pût triompher de son nouvel adversaire, sortirait sérieusement affaiblie de cette lutte, ce qui n'était pas sans gravité car le problème anglais restait à résoudre.
Les évènements ont justifié et au-delà ces convictions.
Dans quel état se trouvent les deux adversaires au lendemain de cette première partie de la campagne ? La question est d'importance puisque, de la réponse que l'on peut y faire, dépend dans une grande mesure la solution des inconnues de demain. Elle vaut qu'on s'y arrête.
L' ARMÉE ALLEMANDE A LA FIN DE 1941 : SES POSSIBILITES AU PRINTEMPS
L'Armée allemande a subi au cours de la campagne de l’Est des pertes considérables. Le Chancelier HITLER, dans son discours du 10 Décembre au REICHSTAG, a bien cité des chiffres. Il ne vaut même pas qu'on les rappelle ici, tant ils sont éloignés de la vérité. Ne fallait-il pas s'efforcer de rassurer une opinion publique alarmée par les nouvelles répandues par les blessés sur "l'enfer du front russe" ? Le but d'ailleurs a été manqué. Le peuple allemand, lui-même, ne s'est pas laissé abuser.
Les renseignements provenant des origines les plus diverses et les plus dignes de foi s'accordent pour indiquer que les pertes du REICH dépassent 1 million de tués et disparus.
Le 2ème Bureau s'est efforcé d'en vérifier le bien fondé. Deux procédés, qui sont exposés en Annexe (1), l'ont conduit à la conviction qu'à la date du 31 Décembre le chiffre de 1 million de tués et disparus sur le seul front oriental est à considérer comme un ordre de grandeur acceptable.
Le total des pertes de l'Armée allemande pendant les 6 premiers mois de la campagne de RUSSIE doit être de l'ordre de 3 millions d' hommes, malades compris.
Le nombre des blessés est faible relativement à celui des tués. Ceci s'explique par l'âpreté des combats et par la déficience du service de santé allemand qui a été manifestement surpris par les conditions de la lutte sur ce théâtre de guerre.
Sur ce chiffre de 3 millions de pertes, des renseignements de bonne source évaluent à 1.600.000 ou 1.700.000 le nombre des irrécupérables (tués, prisonniers ou inaptes définitifs pour blessures ou maladies graves).
Il n'est pas douteux, dans ces conditions, que l'Armée allemande se trouve placée en présence d'un problème des effectifs qui pourrait rapidement se transformer en une crise grave si les pertes continuaient à se maintenir au taux des mois précédents.
Frappée dans le nombre l'Armée allemande l'a été bien plus encore dans ses éléments de qualité.
Non seulement la proportion des gradés tombés est considérable mais parmi les hommes, ce sont les meilleurs qui ont payé. L’élite a fait les frais de la guerre, élite sociale, élite d'âge aussi. La fleur de la jeunesse allemande a été fauchée. "Im blühenden Alter",.... pour reprendre l'expression des avis de décès.
En bref, l'Armée allemande qui au cours des campagnes précédentes: POLOGNE, NORVEGE, Campagne de l'OUEST, avait payé à la mort le tribut tout juste nécessaire pour aguerrir ses troupes, mettre au point ses procédés de combat, parfaire sa tactique, vérifier la justesse de ses conceptions stratégiques, a cette fois-ci perdu de sa substance. Son apogée peut, sans crainte d'erreur, se situer au lendemain de l'Armistice du 25 Juin 1940. Intacte dans son personnel, son moral exalté par sa victoire sur l'ennemi qui paraissait devoir être le plus redoutable à vaincre, confiante dans l'issue prochaine de la guerre, elle a donné toute sa mesure dans la campagne des BALKANS qu'elle a liquidée en un tournemain.
Aujourd'hui, l'élan n'est plus le même, une certaine lassitude commence à se manifester dans les rangs de la troupe, Le Commandement lui-même n'a plus la même foi dans son étoile et les mesures de rigueur prises par HITLER contre le Chef Supérieur de l'Armée pourraient bien s'étendre à d'autres personnages militaires en vue.
En somme, au printemps, l'ALLEMAGNE pourra encore disposer d'une armée peut-être réduite en nombre, sûrement atteinte dans sa qualité et dans son moral, mais encore puissante et bien pourvue en matériel, sous réserve toutefois que les initiatives russes ne rendront pas caduques les prévisions du Commandement. Il y a là une inconnue que nous analyserons après avoir essayé de déterminer le potentiel de l'Armée Rouge.
ETAT DE L'ARMEE ROUGE A LA FIN DE 1941
Sur l'état de l'Armée Rouge, nous sommes malheureusement moins bien renseignés.
A n'en pas douter, cette Armée a fait au cours des six premiers mois de la campagne des pertes considérables en hommes et en matériel. Elle a dû, au cours d'une retraite qui s'est étendue sur une profondeur de 1.000 kilomètres, abandonner entre les mains de l'ennemi, des masses énormes de chars, d'artillerie, de munitions.
Ce fait, joint à celui que, malgré tout, la force combative de l'Armée russe n'a pu être brisée, donne à penser que le Commandement rouge avait accumulé avant le conflit des réserves considérables de matériel de toute sorte et donc que l'industrie des armements avait une capacité de production insoupçonnée. Ce point est à retenir.
D'après un renseignement digne de foi - renseignement confirmé par une autre source également compétente - les unités russes étaient encore à la fin de Novembre dotées de matériels modernes d'artillerie et d'infanterie en quantité suffisante, les troupes étaient bien habillées et équipées. Il y avait, par contre, des déficits importants en chars et en avions.
Les mêmes sources ont indiqué que le nombre total des Divisions de toute nature en état de combattre la même époque, était encore de 235 et que 100 Divisions étaient en cours de formation entre DON supérieur et VOLGA moyenne.
Si l'on peut faire fond sur la première partie du renseignement qui résulte d'observations directes, il convient de faire des réserves sur les indications données quant aux disponibilités en grandes unités de l'Armée rouge, car ces indications n'ont pu être recueillies que de la bouche de personnalités soviétiques et sont donc sujettes à caution.
Dans quelle mesure la RUSSIE aura-t-elle la possibilité de reconstituer ses forces pour le printemps ? Trop d'inconnues subsistent pour que l'on puisse répondre en toute certitude à cette question.
Pour le moment, il faut s'en tenir, pour déterminer l'état de l'Armée rouge à la fin de 1941 et ses possibilités au printemps prochain, à la simple constatation suivante :
L'Armée russe disposait encore à l'entrée de l'hiver de forces capables de tenir les Allemands en échec dans différents secteurs du front - LENINGRAD et MOSCOU notamment - et de procéder à des contre offensives d'une certaine envergure (ROSTOV et TIKHVIN).
Il faut s'attendre à ce que cette Armée - dont le moral reste élevé et qui aura pu au cours de la mauvaise saison se re-compléter et se renforcer de façon appréciable - reste un adversaire redoutable pour les Allemands au printemps prochain.
Telle est la seule conclusion que l'on puisse tirer de l'examen de l'état actuel des deux Armées opposées et de leurs possibilités de reconstitution. Mais un facteur peut venir bouleverser toutes les prévisions : ce facteur, c'est l'hiver russe.
LA CAMPAGNE D'HIVER SUR LE FRONT RUSSE
L'hiver russe a surpris les Armées du REICH avant qu'elles aient pris leurs dispositions pour s'en prémunir. Il y a là de la part du Commandement allemand un manque très grave de prévision qui peut avoir les plus funestes conséquences. Se basant sur les expériences de la guerre 14-18, ce Commandement semble avoir sous-estimé les difficultés qu'occasionnerait la mauvaise saison. Les conditions de climat ne sont pas les mêmes sous le méridien de RIGA et sous celui de MOSCOU. D'autre part, tandis que les Allemands escomptaient, grâce aux résultats acquis sur l'Armée rouge, n'avoir à tenir que des axes, ils ont été dans l'obligation de maintenir loin de leurs bases leurs armées déployées sur un front immense, alimenté par quelques rares voies ferrées d'un maigre rendement. Les camions circulent difficilement. Les chevaux mal nourris, mal abrités et dont les effectifs avaient été déjà terriblement éprouvés pendant l'été et l'automne (2) , ne résistent pas aux grands froids. Le ravitaillement pose un problème quasi insoluble. Les évacuations se heurtent aux mêmes difficultés. Les hommes atteints de gelures graves affluent dans les postes de secours. Le service de santé submergé ne suffit pas à la tâche.
Dans ces conditions, le moral du soldat baisse visiblement.
Comment cette Armée résistera-t-elle aux entreprises des Russes qui, de LENINGRAD à la CRIMEE, ont partout pris l'initiative des opérations ?
Les facteurs qui faisaient la supériorité de l'Armée allemande : avions, chars, mobilité stratégique, sont, il convient de le souligner, momentanément en défaut. Par les froids extrêmes, avions et véhicules à moteur sont d'un emploi restreint. Le nombre, c'est-à-dire le combattant à pied, reprend sa valeur. Et là les Russes ont un net avantage, accoutumés qu'ils sont aux rigueurs du climat. Mais il y a plus. Dans sa Cavalerie, jalousement gardée dans ce but, le Commandement rouge dispose d'un outil d'une certaine mobilité stratégique qui lui permet de procéder à des concentrations de forces et des attaques auxquelles il devient difficile de parer.
Conscient de la supériorité fugitive que lui offre l'hiver, le Commandement russe se hâte d'en profiter.
Aux deux ailes du front central, une double manoeuvre d'enveloppement met en péril les forces allemandes qui s'accrochent de MOJAISK à MALOJAROSLAVETZ.
Dans le Nord, d'autres unités ont progressé profondément le long de la voie ferrée qui va de JAROSLAV à LENINGRAD, menaçant les arrières des assiégeants de la Capitale.
Dans le bassin du DONETZ, des combats indécis se livrent dont KHARKOV est l'enjeu.
En CRIMEE, enfin, où SEBASTOPOL résiste, les Russes ont réussi à débarquer et une menace pèse ainsi sur la presqu'île.
Le commandement allemand a dû se résigner à retirer ses troupes sur une position qu'il prétend avoir organisée en arrière du front actuel. Mais cette position construite en plein hiver ne peut offrir qu'une solidité problématique car elle ne comporte certainement pas d'ouvrages bétonnés. Enfin, de deux choses l'une : ou la ligne de recueil a été choisie nettement en arrière, à plusieurs centaines de kilomètres, du front actuel pour placer l'Armée à portée de ses bases, lui assurer le bénéfice d'un réseau de communications plus complet et d'un climat moins rigoureux, où les difficultés qui ont motivé le repli subsisteront en totalité.
En raison des difficultés de circulation et du manque de chevaux, le repli, s'il doit être profond, n'ira pas sans abandonner aux mains des Russes la plus grande partie du matériel concentré devant MOSCOU et LENINGRAD. Il n'est pas sûr que l'artillerie légère de campagne puisse être, elle-même, retirée.
La retraite allemande, déjà amorcée, peut tourner au désastre.
NOTE de la RÉDACTION.- Suivent trois notes sur "Le conflit du Pacifique", "L'offensive anglaise en Libye" & "Les Perspectives sur la conduite de la guerre en 1942". Nous reproduisons ci-dessous intégralement cette dernière.
PERSPECTIVE SUR LA CONDUITE DE LA GUERRE EN 1942
L'étude analytique des évènements passés serait stérile, si elle ne permettait de formuler, en conclusion, des prévisions sur la conduite de la guerre par les belligérants au cours de l'année 1942 et sur les chances relatives des deux blocs adverses dans le conflit qui les oppose.
Le terrain est trop mouvant pour qu'on ne s'y aventure sans la plus extrême prudence, mais refuser de s'y engager équivaudrait à abdiquer ses responsabilités, se soustraire à la mission essentielle qui incombe au 2ème Bureau.
En ce qui concerne les Anglo-Saxons, tout porte à penser que l'état de leurs forces leur imposera, cette année encore, une attitude défensive. 1942 est pour eux une année d'attente, pendant laquelle ils devront se borner à :
- apporter une aide matérielle à la RUSSIE;
- soutenir la TURQUIE dans le cas où cette puissance serait attaquée par les troupes de l'Axe;
-enfin, au maximum, en AFRIQUE, consolider leurs bases par la conquête de la TRIPOLITAINE et s'assurer la possession de bases nouvelles en vue des opérations à mener ultérieurement par les forces Anglo - américaines. Ceci intéresse directement nos possessions.
Ce n'est que dans le cas où les opérations sur le front russe tourneraient en faveur de leur allié soviétique, qu'ils pourraient essayer de susciter de nouvelles difficultés à l'Allemagne dans les Balkans en lançant la TURQUIE dans la lutte.
Les Puissances de l'Axe conservent en 1942, sauf complications sur le front russe, l'initiative des opérations.
Reste l'attaque de l'ANGLETERRE.
Certes, la réussite justifierait tous les sacrifices. Mais peut-on logiquement penser qu'elle puisse être couronnée de succès.
La question a été souvent débattue de savoir si, en automne 1940, les Allemands avaient ou non tenté l'invasion des Îles Britanniques. Il semble que l'on puisse répondre par l'affirmative. L'opération comportait plusieurs phases. La première, sorte de préparation aérienne, avait pour but de mettre hors de cause l'aviation britannique, d'anéantir les usines d'armement, de faire chanceler le moral anglais sous une avalanche de bombes. Malgré les pertes consenties, -plusieurs milliers d'appareils en 2 ou 3 mois- le résultat n'a pu être atteint, le ciel britannique n'a pu être nettoyé, l'industrie n'a pas été stoppée, le moral anglais a tenu. Le Commandement allemand a eu la sagesse de ne pas pousser plus loin l'aventure.
Ce que les Allemands n'ont pu faire en 1940, au moment le plus propice, lorsque l'ANGLETERRE ne disposait que de moins de mille avions de chasse et de quelque six Divisions d'infanterie incomplètement armées en canons anti-chars, seront-ils en mesure de le réussir en 1942 alors que l'aviation anglaise de chasse est dès maintenant comparable à la leur, que les côtes et l'intérieur du pays ont été pourvus d'organisations défensives, que 50 Divisions sont en mesure de participer à la défense. Nous ne le pensons pas et il n'est pas sûr que le Commandement allemand songe encore sérieusement à tenter une telle entreprise.
En tout cas, sauf à consentir à mener la guerre sur deux fronts, il lui faut attendre que l'affaire russe soit pratiquement terminée. Compte tenu des délais nécessaires pour balancer les forces d'un front sur l'autre, de l'obligation d'accorder aux troupes un répit nécessaire pour se reconstituer, il ne semble pas que l'opération soit possible avant l'automne prochain ou même le printemps de 1943.
A cette époque, les temps seront révolus où l'opération pouvait être tentée avec chance de succès, car la supériorité aérienne, dont l'ALLEMAGNE dispose encore, aura changé de camp.
CHANCES DES BELLIGERANTS
Le moment est venu de conclure.
Lorsque l'année 1941 s'est ouverte, il était encore permis de penser que l'issue du conflit pourrait être favorable à l'ALLEMAGNE. En 1942, des trois solutions qui peuvent mettre fin à la guerre : victoire de l'Axe, paix de compromis, victoire anglo-saxonne, la première peut être résolument écartée. Le conflit peut traîner en longueur; le bloc anglo-saxon ne peut plus être battu.
Pour les solutions qui subsistent : compromis ou défaite de l'Axe, seul l'avenir élucidera le mystère qui les entoure - un proche avenir - sans doute, car la clef de l'énigme repose entre les mains des Russes.
La campagne d'hiver -nous avons insisté sur ce fait- peut amorcer la désagrégation de la puissance militaire de l'Axe. Si, dans le courant de l’été, l'ALLEMAGNE se révèle incapable de briser définitivement la résistance soviétique, d'atteindre le pétrole du CAUCASE, il ne fera plus de doute que l'Axe aura immédiatement perdu la guerre.
Qu'elle réussisse et le conflit s'éternisera indécis jusqu'à ce que les peuples lassés se résignent à trouver un terrain de compromis.
Quant à la FRANCE, les vicissitudes du conflit risquent de lui poser des problèmes qu'il est nécessaire d'envisager, même s'ils doivent rester dans le domaine de l'hypothèse, pour ne pas être pris de court au cas où ils se présenteraient.
Cette étude serait sans objet si elle n'avait eu pour résultat d'amener à les définir. Nous n'en retiendrons ici que deux.
Le premier problème peut se poser à nous, demain, en AFRIQUE, soit que les forces britanniques poursuivant victorieusement leur offensive en TRIPOLITAINE parviennent à la frontière tunisienne, refoulant sur le Protectorat les restes du Corps germano-italien, soit qu'une force américaine se présente devant nos possessions d'Afrique occidentale ou du Maroc, en quête des bases nécessaires à l'Amérique pour participer à la lutte contre l'Axe.
Le deuxième est autrement complexe.
Le moral allemand peut brusquement s'effondrer sous les coups conjugués des Armées russes et des bombardements de l'aviation anglo-saxonne. La FRANCE peut-être, tout à coup, évacuée par les soldats allemands rejoignant en désordre leurs foyers.
Sans doute la RUSSIE rouge a-t-elle d'ores et déjà suffisamment souffert pour que son ingérence dans les questions intérieures des pays de l'Europe occidentale soit moins à redouter que par le passé. Mais chacun des États occidentaux porte en lui-même, à l'état latent, un microbe communiste qui, à la faveur du mauvais état général consécutif à la guerre, peut prendre une soudaine virulence. La crainte de l'Allemand disparue, des troubles graves peuvent éclater dans la zone précédemment occupée.
Le problème du maintien de l'ordre ne pourra être résolu que si les problèmes corollaires qui en déroulent : recrutement, armement, répartition, transport des unités coopérant à la police des territoires récupérés, ont été étudiés dans le détail, à la manière d'un plan de mobilisation et de concentration et si, à côté de la préparation de l'instrument répressif, on s'est également soucié de prévenir, dans la mesure du possible, les troubles par l'aménagement d'un plan de ravitaillement et de chômage
Alors même que les chances de les voir se poser à bref délai pourraient être jugées minimes, ces problèmes méritent d'être étudiés sans retard, si l'on ne veut courir le risque de la surprise.
Nous nous sommes bornés à les évoquer, conscient déjà que,ce faisant, nous étions peut-être sortis du strict domaine du 2ème Bureau où la prudence aurait voulu que nous restions confinés.
Signé : Le Lieutenant-Colonel BARIL - Chef du 2ème Bureau de l'État-Major de l'Armée
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