par Jean-Pierre SPENLÉ, président des anciens GMA
Les débats de la résistance des Alsaciens en Alsace annexée et dans le reste de la France
La convention d'armistice signée entre la France et l'Allemagne, en juin 1940, ne comportait aucune disposition particulière sur le sort des trois départements du Rhin et de la Moselle.
Ceci n'empêche pas les Allemands d'y introduire leurs lois par ordonnance des Gauleiter Wagner et Burckel, nommés par Hitler, afin de germaniser les citoyens français qui y résidaient. Les Gauleiter Wagner, pour l'Alsace et Burckel pour la Moselle, s'appuyèrent sur la Gestapo, la S.D. et les camps de concentration du Struthof et d'internement de Schirmeck, afin de réaliser leur oeuvre d'annexion et la soumission de la population au régime national-socialiste en vigueur en Allemagne.
Face à cette dictature, la résistance en Alsace commença très tôt. Dès août 1940 un certain nombre d'Alsaciens réfugiés en zone sud, prirent contact entreeux et décidèrent de rentrer en Alsace afin de ne pas laisser le champ libre aux Allemands et pour leur opposer une résistance organisée. Marcel Kibler, Paul Dungler recrutèrent des patriotes bien décidés à résister à l'occupant. La première réunion se tint à l'usine Du Breuil à Saint-Amarin, le 5 octobre 1940 et il y fut créé la 7ème colonne d'Alsace. Fin 1940, 40.000 Alsaciens et Lorrains, jugés inassimilables au Grand Reich, furent expulsés en zone libre, parmi eux Kibler, qui avait refusé de signer une déclaration de fidélité au Grand Reich. Paul Dungler, menacé d'arrestation par la Gestapo réussit à s'évader et rejoignit également la zone libre. Paul Winter, industriel à Mulhouse, prit le commandement du réseau.
Au même moment en zone sud, des contacts s'établissaient entre des réfugiés alsaciens et des cadres du 51ème régiment de Cuirassiers. Le capitaine d'Ornant, de Bayon, conseilla au lieutenant de réserve Barreis de rentrer en Alsace pour y constituer un réseau de résistance. Il lui promit l'aide de l'armée d'armistice. Strictement compartimentée en cellules de trois membres, la 7ème colonne d'Alsace prend le nom de réseau Martial et fut l'une des rares organisations de résistance à ne jamais être démantelée par l'ennemi, par la suite elle sera intégrée à l'organisation de résistance de l'armée.
L’armée d’armistice dont un grand nombre d'officiers n'admettent pas la défaite, prépare en secret la revanche. Des armes, du matériel sont camouflés, certains officiers sont détachés après des réseaux, une lutte secrète est entreprise contre les agents allemands infiltrés en zone sud, dont certains sont exécutés.
En Alsace, Barreis crée le réseau Résistance et organise la résistance dans le Bas-Rhin. Il recrute des chefs de secteur et étend son action dans le Haut-Rhin avec Vuillard, Heitz, et Anglo vers la Lorraine. Ce réseau fonctionna jusqu'au 16 juin 1942, date à laquelle il est décapité par une série d'arrestations : Barreis, Wenninger, R. Heitz, Henner, Bosenmeyer sont condamnés à mort ; les autres résistants à des peines de prison. Il faut mentionner l'action courageuse de jeunes étudiants alsaciens qui créèrent le front de la jeunesse d'Alsace, commandé par Adam Pfister et certains autres. Il agit auprès de la jeunesse et organise un attentat contre le Gauleiter Wagner. Celui-ci y échappe, Adam est arrêté et fusillé. Les communistes alsaciens créent un réseau animé par Wodli, eux aussi paient un lourd tribut : Wodli et plusieurs de ses camarades sont arrêtés et fusillés.
Les missions de tous ces réseaux sont multiples :
- Recherche de renseignements militaires, économiques et politiques ;
- Filières d'évasions de prisonniers de guerre et de réfractaires, passeurs ;
- Préparation d'une organisation militaire pour la reprise du combat et récupération d'armes
- Propagande - Tracts ;
- Sabotage des services allemands, usines, transports ;
- Camouflage des patriotes traqués ;
- Liaison avec Londres et Alger par agents et radio.
Pendant que Barreis et Winter travaillent en Alsace, Dungler et Kibler se retrouvent à Lyon et avec le Lieutenant Laurent, détaché par le Général Frère, gouverneur de Lyon et créent le Comité Directeur de la résistance alsacienne. Celui-ci poursuit un triple objectif :
- Conserver le contact avec les résistants d'Alsace ;
- Se relier aux réseaux clandestins de la zone sud ;
- Chercher des appuis secrets au sein de l'armée d'armistice ;
- Le Comité Directeur crée six filières de liaison avec l'Alsace avec le concours de Jean Esbach, par Chalon-sur-Saône, Poligny, Belfort, Bâle, Paris, Mulhouse. Il dispose de divers points de franchissement, tant de la frontière érigée par les Allemands entre l'Alsace et le reste de la France, que de la frontière suisse et de la ligne de démarcation entre les zones occupées et libres. Le Comité Directeur s'installe dans une ancienne clinique, cours Tolstoï à Lyon. Il est renforcé par le Commandant Georges, de la Manurhin.
Les résistants du Haut-Rhin montrent la qualité de leurs filières d'évasion, en assurant le passage en Suisse, puis en zone sud du Général Giraud, le 20 avril 1942, qui passera par Mulhouse, grâce à la filière Schieber, Weiss, Ortlieb, curé Stamm, Kupfer.
L'incorporation des Alsaciens et Mosellans dans la Wehrmacht et ses conséquences
Le 25 août 1942, les Gauleiter Wagner et Burckel obtiennent de Hitler la décision d'incorporer les Alsaciens et Mosellans dans la Whermacht. L'État-major allemand y était opposé, ainsi que le Ministre d'État Stuckart qui fit valoir que cet acte était interdit par les conventions de La Haye. Wagner, faisant preuve de son habituel fanatisme, obtint le soutien du Maréchal Keitel, inquiet des pertes énormes subies par ses armées en Russie et arracha ainsi la décision. Les suites de cette tragique décision sont terribles : 32.000 morts, 10.500 disparus et 32.000 blessés sous un uniforme haï. A cet acte criminel, répondit le refus clair et déterminé de jeunes appelés et de leurs familles, refus rendu très périlleux en raison de la férocité de la répression qui s'abattit sur ceux qui osèrent ainsi défier l'occupant. Il faut rappeler que les évadés, pris durant leur tentative, encouraient la peine de mort et que leurs familles étaient arrêtées et déportées en Allemagne. Malgré ces menaces plus de quatorze mille jeunes réussirent à s'évader et à rejoindre les forces françaises combattantes.
Les évasions revêtirent des formes multiples :
Évasions collectives par groupes, souvent armés, telles celles qui eurent lieu les 11 et 13 février 1943 dans la région d'Altkirch, où 265 réfractaires forcèrent le passage de la frontière suisse. Le 14 février 1943, un groupe de 18 jeunes du village de Ballersdorf est arrêté après une fusillade, au cours de laquelle un allemand et deux évadés sont tués. Les autres sont arrêtés, condamnés à mort par le Tribunal du peuple (Volksgericht) de Strasbourg et fusillés le 16 février 1943 au camp du Struthof.
Après ces événements il apparut que la formule des évasions collectives présentait trop de risques. Les évasions individuelles reprirent et ne s'arrêtèrent jamais.
L'évasion réussie du Général Giraud, le 22 avril 1942, mit les Allemands en fureur. Les représailles s'abattirent sur les résistants qui l'avait aidé : le curé Stamm et l'hôtelier Ortlieb sont arrêtés, déportés en Allemagne et fusillés au camp de Wolfach, le 17 avril 1945. Ces héroïques passeurs avaient également fait évader des dizaines de jeunes gens, aidés par le garde forestier Kupfer.
Excédés par l'esprit de résistance des Alsaciens, les Allemands pensèrent avoir trouvé un moyen d'enrayer les évasions. Ils recoururent au système de la prise d'otages : les familles des évadés seront arrêtées et déportées en Allemagne. Les candidats à l'évasion devront affronter un douloureux cas de conscience : s'évader ou voir leurs familles subir de dures représailles.
Dès le 20 février 1943, des arrestations massives sont opérées un peu partout et notamment dans la région d'Altkirch. Hommes, femmes, enfants, vieillards sont embarqués dans des trains spéciaux et transportés dans des camps de travail forcé en Allemagne ou en Pologne. D'autres suspects, passeurs, réfractaires ou résistants sont internés au camp de Schirmeck ou déportés dans différents camps de concentration. Près de trois mille personnes du seul arrondissement d'Altkirch connurent ce triste sort.
Nous pensons utile de donner quelques indications sur le sort des évadés ayant réussi leur passage en Suisse :
Ils sont d'abord interrogés par la police, et souvent par le service de renseignement de l'armée suisse, qui cherche à connaître la position des unités allemandes en Alsace.
Ils sont ensuite dirigés vers un camp d'internement. Les déserteurs de la Wehrmacht, sont regroupés dans un camp d'internés militaires. Ils reçoivent des tenues kaki de l'armée britannique avec l'écusson tricolore et la barrette France. Un officier suisse commande le camp, assisté par des officiers et des sous-officiers français évadés. Ceux-ci en profitent pour entraîner les évadés par des sports et exercices en vue de la reprise du combat.
Les autres réfractaires, qui n'ont pas encore été incorporés, sont internés dans des camps de travail. Ils touchent des treillis et sont envoyés sur des chantiers divers : extraction de tourbe, drainage, abattage d'arbres, etc... Ils sont logés dans des baraques et encadrés par un chef de camp suisse. L'Ambassade de France en Suisse, dépendant du gouvernement de Vichy, ne leur apporte ni aide, ni secours. Des Français résidant en Suisse et des Suisses généreux organisent une action d'aide aux internés et leur envoie des colis de vêtements et de douceurs.
Les Suisses ont accueilli très correctement les évadés d'Alsace et ont fermé les yeux sur les activités de la résistance, que nous évoquerons plus loin.
L'organisation des évadés d'Alsace-Lorraine par la résistance avant juin 1944
L'invasion de la zone libre entraîne la dissolution de l'armée d'armistice le 27 novembre 1942, et Georges est arrêté à Lyon et transféré à Fresnes. Entre-temps, le Comité Directeur a pu réaliser la liaison avec les réseaux de Londres et est entré en contact avec le réseau CND du Colonel Rémy, par le Capitaine Fourcaud. En juillet 1943 il décide d'étudier les conditions d'utilisation contre l'ennemi des Alsaciens s'étant évadés et qui se trouvaient en Suisse et en zone sud, d'où il leur était impossible de rejoindre l'Afrique du Nord et la France Libre. Le Comité créa à cet effet trois groupes mobiles d'Alsace :
- Le GMA-Sud, deviendra la brigade Alsace-Lorraine. Il est composé par des Alsaciens-Lorrains se trouvant dans le sud-ouest. Il fut commandé, lors des opérations militaires, par André Malraux, alias Colonel Berger, assisté par un officier d'active, le Colonel Jacquot. Il dispose de 1.500 hommes.
- Le GMA-Vosges. En mars 1944, d'Ornant et Kibler rencontrent le Colonel Grandval et décident, avec son accord, de constituer une unité alsacienne et lorraine dans les Vosges, qui prend le nom de GMA-Vosges. Ils disposent de deux postes radio et recrutent environ 600 hommes.
- Le GMA-Suisse, organisé par le Commandant Georges, qui s'est évadé de Fresnes.
Les autorités suisses qui veillaient farouchement à la neutralité helvétique, n'étaient pas disposées à favoriser, sur leur territoire, des entreprises visant à faire reprendre le combat à des ressortissants étrangers placés sous leur contrôle et internés dans des camps surveillés par la police militaire suisse. Cependant entre l’affirmation solennelle des principes de neutralité et les nécessités de la survie de l'indépendance nationale, qui aurait été gravement menacée par une victoire du nazisme, certains accommodements intervinrent entre la résistance française et les Services Spéciaux de la Confédération helvétique.
En raison de la surveillance particulière des points de passage France-Suisse, en Haute-Savoie, le franchissement de celle-ci était très difficile, et ce n'est que le 26 novembre 1943, que Georges put passer en Suisse et prendre contact avec des éléments suisses et français.
Un homme était tout particulièrement qualifié pour faciliter la constitution d'un groupement d'Alsaciens pouvant être intégrés au futur GMA. Il s'agissait du père Keller, aumônier des camps d'internement et futur aumônier du GMA. Il disposait d'une documentation assez complète sur les Alsaciens et les Mosellans en Suisse, de plus il avait accès aux différents camps d'internement et il jouissait d'un grand crédit auprès des autorités chargées de l'internement. D'autres concours s'offrirent également à Georges, ainsi Julien Dungler, frère de Paul alias "Zoo", qui possédait une situation de couverture au Consulat de France à Bâle et qui dirigeait un centre de renseignement et de liaison entre les résistants d'Alsace et la France occupée, fut chargé de questions délicates et obtint certaines complicités policières suisses. Il s'occupa également de l'acquisition d'armes et de l'approvisionnement en vivres et en médicaments.
Ces contacts permirent la mise en place des trois équipes clandestines, fonctionnant à Fribourg, Bâle, Lausanne, et d'une équipe mobile confiée à Francis Faller, alias Hermes, qui fut chargé de la liaison avec l'Alsace annexée et du renseignement.
Les informations ainsi recueillies en Alsace par Faller, furent partagées entre la résistance et les Services Spéciaux suisses, anglais, américains. Ceux-ci disposaient d'un important centre de renseignements, dans les locaux de l'Ambassade US à Berne, dirigé par Allan Dulles, futur chef de la CIA.
Les équipes de travail accomplirent une tâche considérable entre décembre 1943 et mai 1944, toutefois elles eurent à faire face à de sérieuses difficultés, dues à plusieurs raisons :
- Les internés se répartissaient en plusieurs catégories : les internés militaires évadés de la Wehrmacht; les internés civils réfractaires à l'incorporation de force, répartis en 86 camps différents, camps de travail, d'accueil, de discipline ou détachés chez des agriculteurs, en liberté, en cas de moyens d'existence insuffisants.
- Les autorités policières suisses, gardiennes vigilantes de la neutralité, rendaient les déplacements malaisés.
- La liaison de commandement France-Suisse était très difficile en raison de la surveillance étroite des frontières par les Allemands.
Néanmoins, environ 1.800 futurs combattants du GMA étaient recensés et fichés fin mai 1944.
Londres alloua un crédit mensuel de 2 millions de francs à Georges pour l'exécution de sa mission. Ceux-ci lui furent remis par Dulles, qui lui assura un concours très étendu dans tous les domaines, lui facilitant les liaisons radio avec le Général Koenig, chef des FFI à Londres.
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