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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LA FONCTION PUBLIQUE DANS SA PARTICIPATION A L'ACTION CLANDESTINE SOUS LE RÉGIME DE L'ÉTAT FRANÇAIS (1)
 

par Guy de SAINT-HILAIRE

Chef du Réseau des F.F.C. " Kléber-Marco "

La plus grande majorité de nos contemporains, qui n'a pas vécu la période de l'occupation allemande, est périodiquement intoxiquée par certains médias dont l'obsession est la suivante : l'histoire de l'État français est incomplète, et par conséquent faussée, du fait que l'épuration des années 45-50 a très insuffisamment sanctionné les " fonctionnaires de Vichy ".

C'est ainsi que, pour faire bonne mesure, on tente de persuader l'opinion que les " fonctionnaires de Vichy " étaient complices du Génocide. Cette affirmation impliquerait évidemment que ces fonctionnaires étaient d'abord collaborateurs, car il est impensable qu'on puisse avoir été " complice du Génocide " si l'on n'était pas, en tous points, d'accord avec le régime nazi.

S'il n'est pas dans mon propos de traiter ici, de façon approfondie, la dramatique question du Génocide, il me semble indispensable cependant, avant d'aborder le sujet tel qu'il est titré ci-dessus, de rappeler certains points qui éclairent d'une lumière différente les accusations formulées de nos jours.

Puisant dans de nombreux ouvrages documentés, sérieux et impartiaux (tels que ceux de Robert Aron, Henri Amouroux, Marrus et Paxton, et le dernier en date François-Georges Dreyfus), j'ai tenté de faire une très courte synthèse d'explication, permettant de mettre l'accent sur certains aspects du problème tel qu'il se présentait lors de l'occupation allemande, et tel qu'il doit être compris de nos jours.

Je pose donc, d'abord, simplement la question : " Peut-on accuser quelqu'un d'un crime dont il n'a jamais entendu parler ? " Or, à ce qu'on peut savoir, la version officielle obtenue par Pierre Laval auprès des Allemands, et qui pouvait avoir filtré dans la Haute Administration, était la suivante : les convois de Juifs sont dirigés vers la Pologne " où nous voulons créer un État juif ". Cette version plausible avait sans doute été inventée pour justifier, notamment à l'égard des Français, les rafles massives ordonnées dans différentes villes. Ainsi les Juifs, principalement allemands, ou provenant de pays occupés, pouvaient être considérés comme " récupérés " au titre de « personnes déplacées ", et non pas vouées au Génocide, crime d'ailleurs inconnu et impensable en France et dans le monde resté libre. Et un consensus du silence s'établit - même chez les rares initiés - et dura jusqu'à la découverte des Camps qui stupéfia, et horrifia, le monde entier.

Marrus et Paxton ont d'ailleurs écrit : " On a généralement cru que la première mise en garde contre un programme actif d'extermination totale, - une solution finale -, distincte des massacres épisodiques, fut un message envoyé à Londres et à Washington par Gerhardt Riegner, représentant du Congrès Juif Mondial à Genève, le 10 août 1942, moins d'un mois après le début des déportations systématiques d'Europe occidentale. " Certains témoignages, comme on le verra plus loin, n'ont pas eu davantage d'écho...

Aujourd'hui il apparaît prudent, et même indispensable, aux Résistants qui s'intéressent â leur Histoire, de faire confiance à certains spécialistes dont, jour après jour depuis cinquante ans, l'information s'est améliorée, complétée, recoupée.

Par ailleurs, ce qui tombe sous le sens et qui est devenu un principe du Droit européen, c'est qu'on ne peut être indéfiniment inculpé sans autre solution judiciaire. Or, en droit français, il suffit d'une plainte et de la constitution de partie civile pour provoquer une inculpation, même si le plaignant n'est qu'un lointain parent de la victime. Dans le cas d'une obstination de la Justice française à ne pas donner suite à cette inculpation, après une période de 10 ans, seul un recours au Code européen permettrait de sortir de l'impasse.

Ceci étant posé, il n'est pas niable que quelques fonctionnaires aient pu, par conviction ou par intérêt, adopter sans réserve les doctrines imposées par l'occupant au point d'exécuter les ordres, et même parfois de faire du zèle. Mais peut-on prouver que de telles exceptions aient échappé aux diverses instances de l'épuration quand on sait que 11.343 fonctionnaires ont été épurés, bien souvent pour de moins graves manquements au devoir patriotique ?

Parmi les anciens fonctionnaires de Vichy les survivants se font de plus en plus rares... Il nous est donc apparu qu'ayant encore gardé la mémoire et une abondante documentation, il nous appartenait d'apporter notre propre témoignage, complété par celui d'autres survivants avec lesquels nous avons travaillé à l'époque considérée. Ainsi ne pourra être contestée la véracité de ce que nous estimons comme suffisamment probant à l'encontre des affirmations fallacieuses qui égarent l'opinion.

Mais étant foncièrement hostile à ce que l'on se substitue aux Magistrats pour prononcer des accusations - c'est-à-dire à la diffamation, quand l'accusation est mal fondée - nous ne nous reconnaissons pas le droit de plaider une cause avant que n'interviennent les Avocats, seuls habilités pour le faire. Nous nous en tiendrons donc, pour défendre devant l'opinion publique la mémoire de nos camarades disparus, et la réputation des survivants, à affirmer, du point de vue historique et juridique, ce qui nous paraît juste et vrai.

 

LE COMMISSARIAT A LA LUTTE CONTRE LE CHÔMAGE : UNE RÉSISTANCE DIVERSIFIEE

Depuis octobre 1940, j'étais moi-même " fonctionnaire de l'État Français " en tant que Secrétaire Général du Commissariat à la Lutte contre le Chômage (C.L.C.) et Henri Maux, ancien Ingénieur en chef de la F.O.M., couvrait alors les diverses activités du C.L.C. en qualité de Commissaire adjoint (1) pour la zone sud. Aussi suis-je heureux d'avoir enfin l'occasion de présenter le C.L.C. et de mettre en valeur certaines actions qui l'apparentent à un réseau de Résistance. Il se trouve, en effet, que dissous en décembre 1942, il n'a jamais été question de cet important organisme dans l'Histoire de la Résistance, bien que bon nombre de ses anciens fonctionnaires se soient affiliés par la suite à diverses organisations, ou réseaux (2)  .

Avant d'aller plus avant et d'aborder la relation de témoignages vécus, il convient, je crois, d'être plus explicite sur la nature et la diversité des problèmes à résoudre, dans le sens humanitaire bien plus que dans le sens réglementaire. Il ne faut pas perdre de vue que les chômeurs de cette époque n'étaient pas seulement, comme ceux d'aujourd'hui, des travailleurs privés de leur emploi pour cause économique. A ceux-là s'ajoutaient alors, en zone non occupée, et dans la catégorie des chômeurs non encadrés :- les démobilisés de la zone interdite ; - les expulsés et réfugiés d'Alsace-Lorraine ; - les anciens prisonniers évadés ; - les militaires polonais ayant combattu en France et démobilisés ; - les immigrés juifs individuels en provenance de tous autres pays occupés.

Bon nombre d'entre eux étant évidemment en situation " irrégulière " posaient déjà, avant tout emploi, le problème de la fausse identité. Paradoxalement et dans de nombreux cas, c'est un Service Public, le C.L.C., qui se devait de les aider à se procurer de faux papiers.

C'est ainsi que, dans un récent témoignage écrit, Mademoiselle Thomann, ancienne secrétaire particulière de Henri Maux, a déclaré avoir été faussaire, en toute bonne conscience.

Et sur une plus vaste échelle, une officine de faux papiers fut installée dans les locaux de la main-d'oeuvre encadrée. Mais ce local fut découvert et plusieurs arrestations s'ensuivirent.

Au chapitre des arrestations, y compris celles provoquées par la découverte de matériel de guerre camouflé, il me paraît suffisamment significatif de les énumérer, sans autres commentaires :

- 13  arrestations dont 3 suivies de mort violente (parmi lesquelles Mme Albrecht).

- 2 déportés

- 6 internés

- 2 évadés

Enfin, 6 d'entre nous (je suis du nombre) échappèrent à l'arrestation en se réfugiant dans la Résistance ou en France Libre.

Quant à la Résistance passive, elle consistait notamment à ne jamais appliquer les lois d'exception, tout en négociant " courtoisement " avec les Services compétents, tels que le Commissariat aux Questions juives.

Pour ma part, j'avais en charge un matériel roulant considérable, dont les camions de l'ancienne armée de Barcelone, réfugiée en France depuis 1939 et dont les effectifs avaient été intégrés dans le Service des Travailleurs étrangers encadrés, l'une des principales composantes des chômeurs remis au travail par le C.L.C. - Or, dès les derniers mois de 1940, le 4ème Bureau de l'État-major de l'Armée, alors dirigé par le Commandant Mollard, commença d'organiser le camouflage du matériel de guerre (C.D.M.) susceptible d'être utilisé à l'époque ardemment souhaitée de la libération du territoire.

Ayant des " affinités " avec le Commandant Mollard et ses Services, j'avais convenu avec lui de mettre en commun certains moyens, la participation du C.L. consistant principalement à réquisitionner des locaux, soit pour camoufler du matériel roulant militaire, soit pour abriter des ateliers de réparations pour le matériel des deux organismes.

Pour les besoins de ces ateliers (dont le plus important occupait une ancienne usine à Marseille), il fallait utiliser des métaux non-ferreux, notamment du plomb pour les accumulateurs, lesdits métaux étant gérés et contrôlés par un Comité d'Organisation dépendant du Ministère de la Production industrielle. La comptabilité-matières de ce Comité en avait été perturbée pour des raisons qu'il m'est impossible aujourd'hui de préciser.

Toujours est-il que le C.L.C. en avait été rendu responsable et que c'est à mon bureau qu'avait abouti la demande d'explication. Il me restait donc à prendre contact avec le Cabinet du Ministre Bichelonne, ce dernier ayant la réputation d'être dans les meilleurs termes avec le Président Laval.

Pourvu de certains renseignements des plus utiles pour une approche aussi aléatoire, je fis cette démarche qui eut pour résultat inespéré la proposition suivante : un Inspecteur général de la Production industrielle m'accompagnerait à Marseille, chargé de rétablir une " vraie fausse " comp­tabilité. La seule condition était la suivante : que le Président Laval n'en sache rien !

 

AFFINITES AVEC LE MINISTÈRE DES FINANCES ET LE CABINET DU MARÉCHAL

L'ambiance générale, d'ailleurs, dans bon nombre de services, était " étrange " et l'on y devinait une complicité bienveillante qui se manifestait par des absences de curiosité excessive, ou par des démarches apparemment inexplicables. Deux exemples précis me reviennent en mémoire : - Au cours de mes négociations budgétaires auprès du Ministère des Finances, j'ai toujours eu l'impression que le Haut fonctionnaire, chargé des problèmes de chômage, ne se faisait aucune illusion sur l'affectation strictement " Chômage " des crédits sollicités.

- Ayant contracté d'excellentes relations avec l'ancien Directeur des Chemins de fer de Djibouti - Addis-Abeba, ancien chef du Poste S.R. et Éthiopie, il venait souvent me rendre visite à mon bureau du C.L.C. pour une conversation exclusivement amicale. Dans les années 80, je l'ai retrouvé et lui ai posé la question : " Quand tu venais à Vichy, ce n'était certainement pas pour me dire bonjour ; quel était le vrai but de ton voyage ? "

Réponse : " Étant à cette époque Secrétaire général de l'O.C.M. (Organisation Civile et Militaire) j'allais prendre mes renseignements de haut niveau chez le Docteur Ménétrel, médecin du Maréchal. " Et je lui dis, qu'alors, j'en faisais autant auprès d'Henri du Moulin de la Barthète, Directeur du Cabinet du Maréchal Pétain, jusqu'en avril 1942, date de son départ pour la Suisse, exigé par Laval.

 

LE SERVICE SOCIAL DES ETRANGERS ( S.S.E. )

SON INTERVENTION AU COURS DES RAFLES DE JUIFS EN AOUT 1942

Toujours dans le cadre du C.L.C., et du Service des Travailleurs étrangers un Service social des Étrangers avait été créé. Son utilité théorique était indiscutable, mais nous allons voir quelle utilité pratique pourrait se révéler dans la plus tragique des situations de l'époque.

Disons tout de suite que la direction de ce Service avait été confiée à un spécialiste des problèmes de personnes déplacées. D'origine normande, mais d'inspiration quaker, Gilbert Lesage s'était arrangé pour avoir la double appartenance : Ministère du Travail (C.L.C.) et Ministère de l'Intérieur, du fait que les travailleurs étrangers, toutes catégories confondues, étaient sous surveillance policière, tandis que le C.L.C. était responsable de leur utilisation au travail. Et qui dit double appartenance dit également double origine de financement et double facilité de réquisition. Ce qui explique ses grandes possibilités de camouflage réservées aux seules personnes en danger. (Étant pacifiste, Lesage était allergique au matériel de guerre).

Lorsqu'en août 1942 les autorités d'occupation exigèrent que leur soit livré - ou restitué (3) - un important contingent de Juifs étrangers, leurs ordres, d'abord reçus par le Ministère de l'Intérieur, étaient transmis aux Intendants de Police et aux Préfets. Quant à leur exécution, dans les camps du C.L.C. zone sud, le Chef des Formations de Travailleurs Étrangers (Colonel Tavernier) avait refusé d'y participer pour lui et pour ses cadres. Mais ceux-ci s'étaient aussitôt ingéniés à ce qu'une " sélection " préalable, par divers moyens diminue déjà le nombre des partants probables. Les autorités morales Juives (C.N.J.F.) en ont félicité, m'a-t-on dit, le Colonel Tavernier.

Le S.S.E., bien entendu présent dès la phase préparatoire, le fut encore en participant aux Commissions de Criblage, créées par le Ministère de l'Intérieur. Il joua son rôle social avec tant de zèle et d'efficacité que le nombre de Juifs partants se trouva sensiblement inférieur à celui exigé. Soucieux de n'être pas tenus pour responsables - et se disant scandalisés - les intendants de Police concernés rendirent compte de leurs soupçons au Ministère de l'Intérieur à l'encontre du S.S.E. et de son chef Lesage. Nous verrons ci-après ce qu'il en advint pour ce dernier.

 

LE SAUVETAGE DES ENFANTS DE VÉNISSIEUX ( PAR GILBERT LESAGE )

Bien qu'ayant toujours refusé d'appartenir à une quelconque organisation, car il voulait rester libre de ses choix et moyens pour résister, individuellement et sans violence, aux violences de l'occupant, Gilbert Lesage avait pour but essentiel de " sauver qui pouvait l'être ". Et l'occasion s'en présenta une fois encore, à la même époque, dans la région lyonnaise (zone non occupée) lorsque la grande rafle du 20 août 1942 posa le même problème que celui des camps du sud-ouest. Mais il s'agissait cette fois de Juifs isolés, et souvent de familles. Dans ce dernier cas, qu'adviendrait-il des enfants ? Leur sort restait en discussion et faisait l'objet de controverses.

A Lyon, les Autorités Religieuses de toutes confessions et de hauts fonctionnaires, civils et militaires, tels que le doyen Garraud, de la Faculté de Droit, et le Général de Saint-Vincent, Gouverneur militaire, étaient partisans de séparer les enfants de leurs parents pour les protéger des aléas de la déportation.

Quant aux fonctionnaires dépendants du C.L.C. ils s'étaient déjà mobilisés pour le sabotage de toutes mesures exigées par les autorités d'occupation. Il s'agissait essentiellement de ceux du Service Médical, dirigé par le Docteur Giry, et de ceux du S.S.E., dont le chef, Gilbert Lesage, s'était réservé l'action la plus difficile et la plus dangereuse que l'Histoire a retenue sous le nom de : " Le sauvetage des enfants de Vénissieux ".

Pour ne pas déborder mon sujet, je m'en tiendrai à cet épisode d'autant plus significatif qu'il a réussi, et sur les détails duquel j'ai recueilli le témoignage verbal de Lesage, quelques semaines avant sa mort subite en 1989.

Par son correspondant du Ministère de l'Intérieur, (peut-être complice), Lesage avait appris qu'un télégramme imminent allait prévenir les autorités de Lyon que les enfants juifs devaient partir avec leurs parents ; tel était l'ordre définitif. Il s'arrangea pour être présent à l'arrivée du télégraphiste, subtilisa le télégramme, et fit aussitôt embarquer le maximum d'enfants (84) dans deux cars déjà prévus à cet effet, avec l'Abbé Glasberg, son complice, sous la conduite d'un " éclaireur " juif français.

Habilement dispersés dans la nature, ces enfants ne furent jamais retrouvés malgré les plus minutieuses recherches.


(1) Sa qualité d'adjoint, à laquelle il tenait beaucoup, le dispensait d'avoir un poste politique comme ce fut le cas pour deux Commissaires successifs à Paris : MM. Lehideux et Terray. Ceux-ci avaient en effet le rang de Secrétaires d'État. Du fait que je me propose de protester contre certaines allégations infâmantes injustifiées, il est intéressant de noter que MM. Lehideux et Terray furent totalement blanchis par la Commission d'Épuration, leur aide et leur " complicité " ayant été reconnues sans conteste.

(2) On a trouvé dans les Archives allemandes que les autorités d'occupation considéraient le C.L.C. comme un " repaire de résistants " !

(3) Les Allemands avaient - d'autorité - directement logé au Camp de Gurs (Pyrénées-Orientales) l'effectif de Juifs allemands raflés en octobre 1940 au Palatinat et au Pays de Bade. Ils ne feront que les " récupérer " en août 1942.

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 152

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