logofb

 

 
 
line decor
Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
line decor
 

 


 
 
 

 
 
PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LES SERVICES SPÉCIAUX FRANÇAIS DANS LES CONFLITS D'OUTRE-MER 1945-1956 (3)
 

INDOCHINE (1940-1945) LES RETOMBEES DE LA GUERRE DU PACIFIQUE

par le Colonel DAUGREILH

LA MONTÉE DES ORAGES

Pression japonaise.  Affaire de Langson. Conflit avec le Siam

En 1939, la Fédération Indochinoise regroupe trois pays sous Protectorat et une colonie comme nous l'avons vu précédemment (cf. Bulletin n° 142).

En fait, depuis la suppression du Vice-Roi qui représentait l'Empereur d'Annam au Tonkin, elle comporte quatre territoires sous Protectorat : Royaume du Cambodge, Royaume du Laos, Annam, Tonkin et toujours une colonie, la Cochinchine.

 

Cette possession est placée sous l'autorité d'un Gouverneur Général assisté d'un Résident Supérieur dans chaque protectorat et d'un Gouverneur pour la Colonie Cochinchinoise. Le siège du Gouvernement Général est établi au Tonkin, plus précisément à Hanoi, mais en raison des distances et de la relative lenteur des communications, les Gouverneurs Généraux utilisent encore, suivant les besoins, l'ancienne résidence des Amiraux à Saïgon (Palais Norodom). En outre, au Tonkin, la frontière de Chine est bordée par cinq Territoires Militaires où tous les pouvoirs civils et militaires sont assurés par un Officier Supérieur assisté d'un Administrateur Civil qui lui est adjoint.

 

Depuis la fermeture des ports chinois, les Japonais désireux de couper toutes les voies terrestres de ravitaillement restant ouvertes à la Chine de Tchoug King, font pression sur les Gouvernements intéressés pour arrêter le trafic important écoulé par :

- le Chemin de Fer français du Yunnan de Haiphong à Kun Ming,

- la Route de Birmanie, route des crêtes, reliant Rangoon à Kung Ming par Mandalay et Lashio.

 

Devant la menace qui se précise, le Général Catroux, alors Gouverneur Général, suspend le transit de matériels ou produits stratégiques le 16 juin 1940 par notre voie ferrée. Dans le même temps, la Grande-Bretagne accepte de fermer pour un mois la route de Birmanie.

 

Le Japon envahira par la suite la Birmanie fin février 1942. Les Forces Alliées évacueront le centre de ce Pays en juin 1942 et feront retraite jusqu'aux accès de l'Inde. Ils exploiteront en 1944 un autre tracé de la route qui, partant de Ledo à la frontière de l'Assam (province Nord des Indes) rejoindra Lashio, puis par Pao Shan et Tali Fou, continuera d'assurer le ravitaillement des armées de Tchang Kai Chek.

 

Cependant en 1940, profitant de nos difficultés en Europe, Tokyo par un véritable ultimatum exige la mise en place dès le 20 juin d'un contrôle japonais pour surveiller la réalité de la fermeture de la frontière sino-tonkinoise.

 

Mis ainsi au pied du mur et compte tenu de la conjoncture, le Général Catroux (1) donne son accord, puis rend compte au Ministre des Colonies qui blâme son initiative. Le 25 juin, le Gouvernement de Bordeaux décide son rappel et son remplacement par l'Amiral Decoux.

 

La mission de contrôle nippone arrive en Indochine le 29 juin et engage dès le 30 les premières conversations avec les autorités françaises.

 

Le 2 juillet, les contrôleurs japonais sont en place à Moncay, Langson, Cao Bang, Hagiang, Laokay et Haiphong, mais le Chef de la Mission émet aussitôt de nouvelles prétentions allant dans le sens d'une coopération militaire beaucoup plus poussée.

 

L'Amiral prend ses nouvelles fonctions le 20 juillet 1940.

 

Le 2 août, le Gouvernement japonais exige le libre passage de ses troupes par le Tonkin, la disposition de nos aérodromes et un rattachement presque complet de l'économie indochinoise à l'économie de l'Empire du Soleil Levant. Cette demande présentée sous forme d'ultimatum aboutit à la signature le 30 août de l'accord politique dont il a été fait état supra dans notre exposé sur le conflit du Pacifique. (Cf. Bulletin n° 143, page 12).

 

Après de nouveaux ultimatum et de nombreuses péripéties nées des prétentions toujours croissantes des Nippons, l'accord militaire prévu par l'accord politique est finalement signé le 22 septembre 1940. Il comporte les clauses suivantes :

1°  Mise à la disposition de l'armée japonaise de trois aérodromes au Tonkin.

2°  Le droit pour le Commandement Nippon d'entretenir 6.000 hommes de troupes au nord du Fleuve Rouge.

3°  Le libre passage éventuel des forces japonaises allant opérer en direction du Yunnan. Cependant les effectifs présents en même temps en Indochine ne devront en aucun cas dépasser 25.000 hommes.

4° Le transfert à travers le Tonkin en vue de son rembarquement par mer et la Division dite de Canton, massée à notre frontière, suivant accord particulier à intervenir.

Ce dernier point sera à l'origine du premier conflit sanglant de Langson.

Dans la nuit du 22 au 23 septembre, les forces japonaises franchissent la frontière en direction de Dong Dang poste avancé de Langson. Suivant les ordres reçus, nos troupes résistent mais ne réussissent pas à repousser l'assaillant bien plus nombreux et surtout doté d'un armement plus moderne ainsi que de moyens qui nous faisaient cruellement défaut.

 

Les combats durèrent du 22 au 25 septembre 1940 et ne cessèrent que sur l'intervention personnelle du Mikado. Le Général Ando, Commandant en Chef de l'Armée de Canton sera relevé de son commandement. Cette affaire nous a coûté cent cinquante tués, dont quinze officiers. Nos prisonniers ainsi que notre armement nous sont rendus et dans un message officiel l'Empereur exprime ses regrets, accompagnés du souhait de voir naître une amitié grandissante entre nos deux pays.

 

Le calme était à peine revenu sur notre frontière sino-tonkinoise qu'une nouvelle et grave menace se précisait au Sud, cette fois avec le Siam.

Ce pays était alors dirigé, comme nous l'avons dit précédemment, par le Maréchal Luang Pibul Songram qui, tout en favorisant des liens privilégiés avec les Britanniques, flirtait secrètement mais outrageusement avec les Nippons.

Il recevait alors de l'armement moderne, venant tant du Japon que de l'Amérique. Il avait conclu avec la Grande-Bretagne un pacte d'amitié et de non-agression qui comportait à son profit des rectifications de frontières sur les confins Birmans et Malais.

Notre représentant à Bangkok s'inspirant du précédent Britannique, pensa alors pouvoir réussir la même opération diplomatique, mais se heurta aux prétentions de Pibul Songram qui, dévoilant ses batteries, revendiqua les droits du Siam, prétendument historiques, sur les territoires voisins du Cambodge et du Laos, pour revenir à la situation d'avant 1907.

 

Vers la fin septembre 1940, les provocations se multiplient le long du Mékong, sur notre frontière Ouest et se transforment très vite en agression caractérisée.

 

Sur terre, le sort des armes reste confus et indécis, mais sur mer le 17 janvier 1941 une force navale française attaque et détruit devant Koh Chang les meilleures unités de la flotte adverse.

 

Dès le 20 janvier, le Japon impose sa médiation pour mettre fin au conflit et, comme à l'habitude, sous la menace d'un ultimatum, les autorités françaises durent accepter la cessation des hostilités à la date du 28 janvier par la conclusion d'un armistice. Les négociations de paix engagées à Tokyo le 7 février, sont conclues le 9 mai 1941 par un Traité aux conditions fixées par le " médiateur ", mais mentionnant cependant les expresses réserves formulées par le Gouvernement de Vichy.

 

Le Traité signé ampute le Laos de deux territoires sur la rive droite du Mékong, et le Cambodge de la province de Battambang ainsi que de la partie Nord de la province de Siem Reap (Sud de la Chaîne des Dangrecks), soit environ un quart du territoire de ce dernier royaume.

 

Par sa duplicité dans cette affaire, le Japon faisait ainsi payer par notre Indochine la promesse de collaboration militaire qu'il imposait parallèlement à la Thaïlande, en cas de conflit.

 

Le 14 juillet 1941, le Gouvernement de Tokyo demande, toujours sous forme d'ultimatum, que lui soient concédées de nouvelles facilités militaires sur toute l'étendue de l'Indochine.

 

Le 24 juillet suivant, un accord est signé à Vichy par l'Amiral Darlan autorisant l'Armée Japonaise à créer et à utiliser huit aérodromes au Cambodge et en Cochinchine, à disposer d'installations dans le port de Saïgon ainsi que dans la baie de Cam Rhan, et à entretenir des troupes dans l'Indochine du Sud.

 

Dès le 30 juillet, un convoi escorté de 4 cuirassés et 12 croiseurs, trans­portant 50.000 hommes à destination de Saïgon, se présente devant le Cap Saint-Jacques (2).

 

Le 9 décembre 1941, au lendemain de l'attaque surprise de Pearl-Harbor, toujours sous la pression japonaise, sont signés à Hanoï après une discussion marathon de quarante-huit heures, les accords dits de " Défense commune de l'Indochine " dont le principe était inclus dans le protocole du 24 juillet. Les dispositions de ce nouveau texte n'auront jamais à être mises en oeuvre jusqu'au 9 mars 1945.

 

L'Indochine de 1941 à 1945

Dans la tempête qui s'est déchaînée sur l'Extrême-Orient, la Fédération Indochinoise constituera pendant toute cette période de 1941 à 1945 un havre de paix, peut-être trompeur, mais indiscutable.

Les relations avec les forces japonaises présentes sur le territoire seront correctes, sans plus, limitées aux simples rapports officiels inévitables sans aucune idée de subordination ou de collaboration.

 

Depuis juillet 1941, les relations maritimes sont interrompues avec la Métropole par le contrôle allié effectué sur les navires se rendant dans la zone. L'Indochine vit donc pratiquement en autarcie. Ses ressources naturelles et l'ingéniosité de sa population, tant européenne qu'indigène, lui épargne les dures privations qui sont imposées à la France occupée.

 

Sur le plan intérieur, le calme règne en dépit de l'intense propagande antifrançaise et raciale répandue par les Japonais par le canal des auxiliaires recrutés par la Kempetai (Gendarmerie Japonaise) et des différents agents camouflés par leurs services de renseignements, ou simplement politique, dans les nombreuses firmes commerciales qui fleurissent subitement sur le territoire. Cette propagande rencontre apparemment peu d'échos au sein de la population autochtone, sauf auprès de certains notables mécontent de leur sort ou des sectes politico-religieuses du Sud. Les Caodaïstes en particulier militent pour le retour du Prince Cuong De, alors réfugié au Japon.

 

Nos troupes, par des opérations de police incessantes, ont ramené le calme en haute région du Tonkin perturbée par l'action de bandes pirates constituée principalement de déserteurs après l'affaire de Langson en 1940. La Sûreté de son côté a fait place nette des agitateurs " professionnels " de tous poils c'est-à-dire Nationalistes et Communistes.

 

Certains comme Vu Hong Khanh ou Ho Chi Minh, Pham Van Dong et Vo Nguyen Giap ont trouvé refuge en Chine du Sud. Les autres ont été arrêtés puis placés en détention. Ceux qui ont été estimés les plus dangereux sont éloignés à Nosy Lava aux Comores pour y être internés. Ils seront récupérés par les forces alliées lors de l'attaque sur Madagascar et transférés dans un centre du Kenya.

 

Hors du territoire, le Gouverneur Général appuie sa politique sur la représentation diplomatique de Vichy, seule reconnue par le Japon, mais accrédité également en Chine où elle ignore volontairement le Gouvernement fantôme de Nankin. Après la rupture par la Chine Nationaliste de ces relations avec Vichy, deux Consuls resteront en poste à Kunming et à Longtchéou et assureront la représentation du Gouvernement Général de la Fédération. Ils si trouveront en conséquence " cohabiter " un temps avec les représentant de la France Libre que Chung King tarde à reconnaître en raison de ses ambitions secrètes tendant à rétablir à la faveur des événements l'ancienne domination chinoise sur le Nord de l'Indochine.

 

Manigances chinoises et autres

Il résultera de ces positions une situation ambiguë qui n'est pas pour déplaire à un Asiatique. Une telle situation offre en effet à ses yeux de grande possibilités de développements pouvant dégager des perspectives profitables.

Le Maréchal Tchang Kai Chek trouve d'ailleurs un sérieux encouragement à ses calculs dans la position du Président Franklin Roosevelt (3), peu favorable au rétablissement de notre souveraineté sur l'Indochine et dont l'allergie à la personne du Général de Gaulle est connue. Malgré les apaisements donnés par ailleurs par le Département d'État et la mort du Président Roosevelt le 13 avril 1945, cette position américaine ne sera pas profondément modifiée. Son successeur, le Président Truman, ancien Vice-président, bien que se montrant plus coopératif, ne changera pas cette ligne politique et en Chine le Général Wedemeyer, qui, de formation allemande, ne nous aimait guère, ainsi que les agents de l'O.S.S. se conformeront fidèlement aux directives reçues en les aggravant souvent.

Seul le Général Chennault, commandant " Les Tigres Volants ", nous témoignera quelque intérêt, mais prisonnier de ses ordres, il ne pourra nous être d'un grand secours.

Les agitateurs annamites, nationalistes ou communistes, réfugiés en Chine, ne restent pas inactifs. Divisés, ils sont encore peu dangereux.

Les communistes se montrent les plus entreprenants. Début 1941, Ho Chi Minh connu alors sous le nom de Nguyen Ai Quoc a regroupé les communistes annamites émigrés en Chine du Sud et entamé des pourparlers avec les autorités chinoises du Kwangsi et du Yunnan. En mai 1941, il réunit à Tsin Tsi à environ 100 km au nord de Cao Bang, un comité central du P.C.I. (4) et crée avec quelques représentants de mouvements fantômes le Viet Nam Doc Lap Dong Minh Hoi (en abrégé Viet Minh ou V.M.) étiquette essentiellement nationaliste. Cette création présente le double intérêt de répondre aux nouvelles directives mondiales de Komintern prescrivant aux communistes de prendre la tête des mouvements nationaux de libération, et de désarmer les craintes des élites non marxistes de Chine et d'Indochine.

 

Le programme V.M. tient essentiellement en trois points :

1° Chasser les " fascistes " français et japonais pour rendre le Viet Nam indépendant.

2° Alliance avec les démocraties qui combattent le fascisme et l'agression.

3° Édifier une République Démocratique du Viet-Nam avec large participation populaire.

Le Maréchal Tchang Fa Kwei, Gouverneur du Kwang Si tombe facilement dans le panneau et pense ainsi utiliser les réfugiés vietnamiens pour faciliter les visées chinoises sur le Tonkin. Il charge son adjoint, le Général Siao Wen (Tieu Van en sino-vietnamien) de regrouper les réfugiés annamites en un mouvement unique englobant les partis les plus importants :

-  Viet Nam Quoc Dang Dang (parti nationaliste vietnamien connu sous le sigle V.N.Q.D.D.)

-  Viet Nam Cach Menh Dong Minh Hoi (Ligue révolutionnaire vietnamienne connue sous le sigle D.M.H.)

-   Viet Nam Phuc Qhoc Dang ou Phuc Qhoc (parti de la restauration du Vietnam)

-  Dong Duong Cong San Dang ou D.D.C.S. (parti communiste indochinois)

-   Viet Minh (créé à Tsin Tsi en 1941 comme indiqué supra).

Un premier congrès se tient à Lieu Tcheou en octobre 1942 et n'obtient qu'un succès partiel en faisant accepter l'union au sein du D.M.H. dirigé par Nguyen Hai Than et totalement entre les mains des Chinois.

Mais l'accord ne peut se faire sur la création d'un comité exécutif unique.

 

Siao Wen décide alors de mettre en oeuvre tous les procédés de persuasion dont il dispose et qui sont nombreux : séjour plus ou moins long dans les geôles chinoises, menace d'être remis aux autorités d'Indochine, etc... puis il organise un deuxième congrès à Lieou Tcheou du 25 au 28 mars 1944. Il obtient cette fois pleine satisfaction. Tous les partis acceptent rapidement de s'inféoder au D.M.H. et constituent sous son égide un " Gouvernement provisoire républicain du Vietnam ", reprenant le programme proposé par le V.M.

 

Ce Gouvernement provisoire présidé par Truong Boi Cong groupe au moins sur le papier Nguyen Hai Than, Vu Hong Khanh, Le Tung Son, Bo Xuan Lat, Nghien Ke To et Ho Chi Minh.

 

En effet, ce dernier, emprisonné en Chine, ayant appris dans sa geôle les difficultés des Chinois et l'échec de Nguyen Hai Than dans ses tentatives d'action en Indochine fait proposer à Tchang Fa Kwei de prendre la relève du leader du D.M.H. pour organiser au Tonkin un réseau d'espionnage et d'action au profit de la Chine... Mais sa position de leader communiste étant connue, il propose, pour tourner la difficulté, d'adopter désormais le nom de Ho Chi Minh (celui qui éclaire) et d'abandonner celui de Nguyen Hai Qhoc. Ce nouveau patronyme étant inconnu à Chung King, le Gouvernement chinois accepte.

 

Ho Chi Minh est libéré en février 1943 et profite de sa nouvelle position pour noyauter toutes les autres organisations révolutionnaires concurrentes et se servir du " patronage " allié pour sa propagande en Indochine.

 

Profitant aussi du travail déjà effectué par Chu Van Tan et Vo Nguyen Giap, revenu au Tonkin, Ho Chi Minh, tout en continuant à bénéficier de l'aide chinoise, réussit très vite à installer des bases V.M. solides dans la région de Cao Bang tout en évitant un engagement sérieux contre les troupes japonaises après l'élimination par celles-ci des forces françaises.

 

9 mars 1945 : Le Japon confisque brutalement l'Indochine

Pendant toutes ces péripéties, les événements ont marché et le 9 mars 1945, l'Ambassadeur Matsumoto se présente à Saïgon au Palais du Gouvernement Général à 18 h 30 pour la signature, sans conséquence sérieuse, d'un accord économique. A 19 heures changeant de ton, il remet au Gouverneur Général un nouvel ultimatum, qui sera le dernier, tendant à placer sous le comman­dement unique de l'Armée Japonaise les Armées de Terre, de Mer et de l'Air, ainsi que la Police armée Indochinoise. L'Administration Française devra concourir fidèlement et intégralement à la requête ainsi formulée.

 

Une réponse devra être impérativement fournie à 21 heures. Mais à 20 h 45 les troupes nippones encerclent déjà le Gouvernement Général. A 21 heures elles pénètrent dans le Palais dont elles s'emparent. L'Amiral Decoux et ses collaborateurs immédiats réunis autour de lui sont gardés à vue.

Dès 20 heures toutes les forces japonaises se sont lancées à l'assaut des garnisons françaises surprises par cette attaque brusquée et qui ont été écrasées par le nombre et par le feu. Tous les bâtiments publics sont occupés.

 

Dans le Sud, le Général Delsuc, Commandant la Division Cochinchine-Cambodge est fait prisonnier avant d'avoir pu donner l'alerte. Nos garnisons ne pourront donc opposer qu'une faible résistance.

 

Exception faite toutefois pour le poste de Thudaumot qui tiendra jusqu'au 10 mars sous les ordres du Commandant Mollard qui sera tué à son poste de combat. Dans l'Ouest Cochinchinois, le Capitaine Jean d'Hers, de la Gendarmerie, a réussi à prendre la brousse avec une petite équipe de volontaires. Après quelques actions réussies, il sera à son tour tué le 18 mars au cours d'un engagement.

 

Au Centre Annam, la garnison de Hué réussit à rompre l'encerclement et à gagner la jungle, mais elle tombera plus tard dans une embuscade et sera massacrée (5).

 

Au Tonkin, où l'alerte a pu être donnée, la situation sera très différente.

A Hanoï, la Citadelle oppose, sous les ordres du Général Massimi, une très belle résistance qui lui vaudra de voir le vainqueur lui rendre les Honneurs de la Guerre: Ce sera d'ailleurs la seule exception consentie par les Japonais.

 

Les Postes Frontières de Dong Dang, Lang Son, Hagiang, Dinh Lap tomberont les uns après les autres et les prisonniers, tant Français qu'annamites, sont massacrés de façon systématique et atroce.

 

A Langson, le Général Lemonnier, l'Administrateur Auphelle sont décapités au sabre, les autres prisonniers sont massacrés et les femmes sont livrées au viol collectif d'une soldatesque déchaînée.

 

Après plusieurs jours de combat et la mort du Colonel Lecoq, tué en se portant du secours du poste de Ha Coi, les troupes du secteur maritime retraitent sous le commandement du Chef de Bataillon Grinda, se regroupent le 17 mars près de la frontière et se replient en Chine en laissant à découvert, par ce mouvement, la route de Moncay menacée par une forte colonne japonaise.

 

La garnison de cette portion centrale attaquée dès le 21 mars se replie à son tour le 22, après un violent assaut des attaquants, e t passe la frontière avec le Commandant Balland, Officier en retraite, qui l'organise dans un ensemble de fermes chinoises fortifiées.

 

Cependant le combat continue au Tonkin. En effet, si le Général Ayme  (6)  Commandant Supérieur et le Général Mordant, son prédécesseur à ce poste, ont été fait prisonniers à Hanoï, le Général Sabattier, Commandant la Division du Tonkin, avait gagné dans la journée du 9 mars un P.C. de campagne tenu secret, à Phu Doan, tandis que le Général Alessandri, commandant le Groupement tactique basé à Tong/Sontay, mettait à profit le répit laissé par la résistance des villes pour rompre l'encerclement et prendre la direction du Nord­Ouest.

 

Les deux généraux avaient pour instructions l'organisation d'un réduit en Haute Région, et de s'y maintenir le plus longtemps possible. Cependant, l'absence d'appui aérien et le défaut total de soutien des Alliés du Théâtre d'Opérations Chine, les obligèrent à modifier leurs plans initiaux et à opérer dans les pires conditions une retraite aussi pénible que meurtrière en direction du Yunnan à travers les montagnes du Haut-Tonkin. Le dernier détachement français franchit la frontière le 15 juillet 1945.

 

Nos troupes réfugiées en Chine sont d'environ 6.000 hommes (2.500 Fran­çais et 3.500 Indochinois), réparties en deux détachements : celui de l'Est venant du secteur maritime, fort d'environ 500 hommes (composé pour moitié d'Européens) s'accrochant aux confins des deux provinces du Kwang Tung et du Kwang Si, et le détachement de l'Ouest, le plus important, qui sera finalement regroupé autour de Sze Mao. L'accueil des Chinois est très mitigé, mais laisse la porte ouverte à des arrangements locaux. Celui des Américains est beaucoup plus en recul et si ces derniers offrent spontanément une aide humanitaire, ils diffèrent sous divers prétextes la décision de rééquiper nos troupes.

 

Sur le Territoire de la Fédération, subsistent dans le flanc des Japonais deux épines qui tiendront jusqu'à la défaite de nos adversaires. Nos guérillas du Laos, qui bénéficient du soutien logistique de la Force 136 inclue dans dans le dispositif britannique du SAC-SEA sous les ordres de Lord Mount­batten, et la minuscule flottille commandée par le Capitaine de Vaisseau Commentry qui évolue en Baie d'Along en se dissimulant parmi les innombrables îles qui la parsèment.

 

Maître maintenant de l'Indochine, le Japon élimine complètement les rouages mis en place par l'Administration Française et se substitue à elle. Après deux mois de maintien en résidence forcée dans son palais de Saïgon, l'Amiral Decoux, ses collaborateurs les plus proches, ainsi que M. Arnoux, Directeur de la Sûreté, sont transférés à Loc Ninh à 135 km au nord de Saïgon où ils resteront captifs dans les bâtiments de cette plantation.

 

Les militaires français sont désarmés et prisonniers dans leurs casernes.

Un camp de représailles tout à fait comparable aux camps de la mort des nazis est ouvert au Tonkin à Hoa Binh.

La Kempeitai, dont les méthodes ressemblent étrangement à celles de la Gestapo allemande, avec en plus le recours constant à des finesses toutes asiatiques, règne en maîtresse sur le pays. Dès le 10 mars au soir, l'Ambassadeur Yokoyama a demandé à l'Empereur Bao Dai de collaborer avec le Japon à l'établissement de la " Grande Asie Orientale ". Ce dernier acquiesce et le 11 mars signe une proclamation impériale déclarant aboli le Traité de Protectorat avec la France.

.

Le 17 avril, Bao Dai confie au professeur Tran Trong Kim la tâche de former un nouveau gouvernement après avoir pressenti le leader catholique Ngo Dinh Diem qui, hostile à la personne de l'Empereur, avait refusé.

 

Mais, malgré ses efforts, ce gouvernement ne réussit pas à promouvoir les réformes qu'il souhaite accomplir. La propagande antifrançaise qui sévit, est jugée outrancière par beaucoup, même chez certains responsables japonais, dont l'Ambassadeur Yokoyama lui-même.

 

En raison des inondations qui prennent dans le Nord des proportions désastreuses, dues au défaut d'entretien des digues et en raison aussi de la famine qui font près d'un million de morts, la colère gronde au sein de la population autochtone activement travaillée par la propagande insidieuse du Viet Minh.

 

Au Cambodge, le jeune roi Norodom Sihanouk, qui a succédé à son grand-­père, Monivong, décédé en avril 1941, suit l'exemple de Bao Daï et le 12 mars 1945 dénonce tous les traités et conventions signés avec la France. Il est doté lui aussi d'un " conseiller suprême ", Kubota, envoyé par Tokyo et d'un gouvernement pro-japonais dirigé par Son Ngoc Thanh.

 

Par contre, au Laos, le Roi Sisavang Vong, dont le fils, le Prince héritier Savang a suivi les troupes françaises passées en Chine, entend rester fidèle à la France ; mais le 5 avril 1945, une colonne japonaise arrive à Luang Prabang, et l'oblige à se soumettre à la volonté de Tokyo. Un gouvernement dirigé par le " Tiao " Petsarath chef d'une famille rivale de la dynastie régnante et hostile à notre Pays, est alors formé à Vientiane où, en dépit de son obédience, il entretiendra une certaine équivoque.

 

Mais c'est finalement en pays annamite que va se jouer le destin de l'Indochine Française. Le Viet Minh n'avait jusqu'alors, de toute évidence, que peu de chances de l'emporter contre une forte structure administrative française, mais le coup de force japonais, puis l'échec du Gouvernement Tran Trong Kim ont changé la situation et modifié profondément les données du problème.

 

Le Vietminh s'empare du pouvoir. Complicité japonaise

Après la défaite de l'Allemagne en Europe, celle du Japon se profile à l'horizon.

Agitateur politique chevronné, Ho Chi Minh comprend que le pouvoir est à prendre.

Dès le 7 août 1945, au lendemain de la bombe d'Hiroshima, il met en place son dispositif et ses guérillas formées en Haute Région par Chu Van Tan et Vo Nguyen Giap prennent l'appellation de : Armée de Libération du Vietnam. Le 10 août suivant, il lance le mot d'ordre d'insurrection générale.

Notons au passage que l'Empire d'Annam retrouve également son ancienne dénomination " Viet Nam ".

 

De son côté, la Kempeitai n'est pas restée inactive et, désireuse de voir se créer une situation irréversible, joue dorénavant la carte V.M. Elle place des hommes à elle dans les comités révolutionnaires qui se forment. Des manifestations de masse sont organisées du 17 au 21 août.

Le 22 août, Bao Daï charge le Viet Minh de former un nouveau gouvernement en remplacement de celui de Tran Trong Kim démissionnaire.

Le 25 août, l'Empereur abdique et remet les sceaux impériaux aux envoyés du mouvement V.M.

 

A Saïgon, les Japonais jouent le même jeu qu'à Hanoï et laissent s'installer au Palais du Gouvernement de Cochinchine un comité exécutif provisoire du Sud-Vietnam présidé par le leader V.M. : Tran Van Giau.

Le 29 août, Ho Chi Minh, arrivé secrètement à Hanoï dès le 21, constitue, sous sa présidence, un Gouvernement provisoire où, avec ses principaux lieutenants, il détient tous les postes-clés :

- Présidence et Affaires Etrangères : Ho Chi Minh

- Intérieur : Vo Nguyen Giap

- Défense Nationale : Chu Van Tan

- Finances : Pham Van Dong

 

Dans le double souci de s'assurer d'une légitimité et d'obtenir rapidement une reconnaissance internationale, il nomme l'ancien Empereur, devenu le citoyen Vinh Thuy, Conseiller Suprême du Gouvernement.

 

Enfin, le 2 septembre 1945, le jour même de la signature en rade de Tokyo de l'acte de capitulation japonais (cf. notre Bulletin n° 143), le " Gouvernement " insurrectionnel Ho Chi Minh proclame solennellement à Hanoï, l'avènement de la République Démocratique et l'indépendance du Viet-Nam.

 

Bien que vaincue officiellement, l'Armée Japonaise reste omniprésente et responsable, en principe, du maintien de l'ordre public.

 

Cependant, lors de la Conférence de Postdam (17 juillet-2 août 1945), les Alliés ont décidé de conserver le partage déjà existant de l'Indochine entre deux théâtres d'opérations : China au Nord du 16em  parallèle, et SEAC au Sud.

 

Ces deux zones d'opérations se transformeront à la cessation des hostilités en zones de reddition de l'Armée Japonaise qui s'y trouve.

 

Son désarmement ainsi conçu sera donc assuré par les Anglais au Sud et par les Chinois au Nord. Ces derniers en profiteront pour se conduire en conquérants et véritables maîtres du pays qu'ils mettront en coupe réglée, sans vergogne aucune.

 

Quant à nos populations et nos prisonniers tant civils que militaires, ils devront attendre encore longtemps, dans un pays troublé, le retour à une sécurité aussi précaire que relative.

 

AGITATEURS POLITIQUES INDOCHINOIS : INDEX DES NOMS CITES

Chu Van Tan : Montagnard de race Tho, né en 1910. Fermier dans la région de Dinh Ca, qui a eu de nombreux démêlés avec l'Administration. Entré en rébellion, il organise des bandes armées dans la région des calcaires du 2° Territoire Militaire (Cao Bang). Il recrute des pirates locaux et des militaires déserteurs de l'Armée Française, ainsi que de la Garde Indochinoise.

Membre important du P.C.I. et du Front V.M.

Ministre de la Défense Nationale dans le premier Gouvernement Viet Minh.

Ho Chi Minh : Ancien militant du P.C.F. Agent chevronné de la III° Internationale. Fondateur du P.C.I. et du Front Viet Minh. Fera l'objet d'une notice détaillée.

Le Tung Son : Vietnamien. Réfugié au Yunnan. Chef du Hoi Giai Phong (Parti Libéral).

Pham Van Dong : Vietnamien né en 1906 - Journaliste. Membre important du P.C.I. Leader avec Giap du " Front Démocratique Indochinois ".

Ministre des Finances dans le premier gouvernement Viet Minh. Fera l'objet d'une notice détaillée.

Nguyen Hai Than : Vietnamien né en 1878 au Tonkin.

Participe au mouvement nationaliste au Tonkin de 1907 à 1909 et émigre en Chine dès 1912.

Vit le plus souvent à Canton où il essaie, sans grand succès, de regrouper les jeunes émigrés vietnamiens. En rapports étroits avec le Kuomintang et le Maréchal Tchang Fa Kwei.

Leader du D.M.H, il a rang de Général dans l'Armée Chinoise. Nghiem Ke To : Vietnamien émigré. Membre important du D.M.H.

Petsarath : Laotien. Chef du Gouvernement pro-japonais du Laos après le coup de force du 9 mars 1945.

Son Ngoc Thanh : Secrétaire de l'Institut Boudhique à Phnom Penh. Agitateur politique violemment indépendantiste. Enfui au Japon où il prend rang de Capitaine dans l'Armée Nippone. Condamné à mort par contumace en Indochine.

Chef du Gouvernement Cambodgien pro-japonais après le coup de force du 9 mars 1945.

Tran Tronk Kim : Vietnamien. Professeur connu pour ses opinions nationalistes et sa propagande en faveur de la " Grande Asie ". Pour le soustraire à la surveillance de la Sûreté Française, les Japonais l'aident à s'enfuir à Bangkok d'abord, puis à Singapour ensuite.

Chef du Gouvernement Vietnamien pro-japonais après le coup de force du 9 mars 1945.

Truong Boi Cong : Vietnamien émigré. Membre du D.M.H. Vieil homme assez falot désigné par le Congrès de Lieou Tcheou de mars 1944 comme Président du Gouvernement Républicain Provisoire pour la " Libération " du Vietnam.

Vo Nguyen Giap : Vietnamien. Né en 1912 au Nord Annam. Professeur à Hanoi à l'école Than Long. Membre du P.C.I. Chargé par le Comité Central de l'action clandestine en Haute Région où il rejoint Chu Van Tan en 1941.

Ministre de l'Intérieur dans le premier Gouvernement Viet Minh. Fera l'objet d'une notice détaillée.

Vu Hong Khanh : Vietnamien. Leader du Parti Nationaliste et pro-chinois V.N.Q.D.D.

 

Le V.N.Q.D.D. fut créé en 1927 par un jeune instituteur Nguen Tai Hoc, sous forme de société secrète qui prône l'action directe pour l'élimination directe pour l'élimination des Blancs envahisseurs.

Après la répression dont ce mouvement fut l'objet en février 1929 après l'assassinat d'un Européen, il se reconstitua sous forme d'un parti ultra-nationaliste qui se veut copié sur le modèle du Kuomintang chinois.

Le V.N.Q.D.D. organise dans la nuit du 9 au 10 février 1930 à Yen Bay une mutinerie militaire vite maîtrisée.

Nguyen Thai Hoc est capturé à la suite de cette affaire, condamné et exécuté.

Vu Hong Khanh a repris le flambeau.

Pour le neutraliser, Ho Chi Minh lui fait contresigner à Hanoï les accords franco-vietnamiens du 6 mars 1946, puis le 3 avril suivant le protocole fixant les conditions d'application, au point de vue militaire, de ces accords.

(1) Général Catroux, Gouverneur Général de l'Indochine (août 1939-juillet 1940).

(2) Dès la fin décembre, les importants effectifs évalués à 75.000 hommes stationnés en Cochinchine et au Cambodge franchissent la frontière et envahissent le Siam qui n'opposera qu'une défense symbolique.

(3)A la Conférence du Caire en novembre 1943, en l'absence de la France, le Président Roosevelt et T'chang Kai Chek discutent du statut futur de l'Indochine.

(4) Parti communiste indochinois.

(5) Nous nous sommes volontairement abstenus, dans un but de simplification, de faire une analyse complète de la situation créée en Cochinchine et en Annam. Les cas cités nous sont les plus connus. Mais il est évident que d'autres foyers de résistance ont existé.

(6) Frère de l'écrivain Marcel Aymé.

 

 

 
Début / Suite / Haut de page
 

 

Article paru dans le Bulletin N° 144

Dépot légal - Copyright

Enregistrer pour lecture hors connexion.

Toute exploitation, de toute nature, sans accords préalables, pourra faire l'objet de poursuites.

Lire l'Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle. - Code non exclusif des autres Droits et dispositions légales....