par Roger MORANGE
Nous publions ci-dessous la fin du récit de l’évasion du Capitaine MORANGE en juin 1944. Un tel exploit ne se commente pas !
VI. — LA LIBERTE
De cette évasion, une cinquantaine de détenus ont profité. Pendant plusieurs années, les survivants, sous la conduite de BIAGGI, ont fait un pèlerinage sur les lieux, le 5 juin, quelle que soit leur origine sociale, célébrant ainsi cet événement qui avait constitué, pour chacun d’entre nous, une seconde naissance.
BIAGGI, malgré la violence de la chute, n’avait éprouvé aucune douleur particulière du côté de son bassin fracturé en 1940. LE MEUR n’avait rien; seul MARTIN était blessé à la tête mais bien que durement « sonné » il avait conservé toute sa connaissance. Les trois hommes s’étaient repliés en suivant la voie ferrée. Ils avaient récupéré, quelques centaines de mètres plus loin, deux camarades « en bon état de marche ».
A travers champs, l’équipe était parvenue à la route nationale et avait gagné CHALONS-SUR-MARNE sans encombre.
Chez l’abbé WEBER, elle avait trouvé un accueil fraternel. BIAGGI avait fait jouer la fraternité corse auprès du Maire LEONI. Il avait été introduit chez le Préfet PERETTI DE LA ROCCA. Celui-ci avait logé trois évadés à la préfecture et deux à l’évêché. D’authentiques « faux papiers » leur furent fabriqués dans la journée et signés de la main du Préfet. Le lendemain les cinq acolytes furent « fourrés » dans l’express de PARIS où ils arrivèrent sans problème.
BIAGGI contactera son chef de réseau Alain GRIOTTERAY. Par bonheur, celui-ci venait de rentrer d’ALGER par parachute. Il retrouve également ALLIOT, étudiant en droit à la faculté de PARIS, qui avait utilisé la même filière, laquelle sera utilisée, plus tard, pour faire évader, d’un autre train de déportés, Pierre Henri TEITGEN, futur Ministre de l’information.
Ce fut, incontestablement, une grande évasion, sans doute la plus importante jamais réalisée de cette façon durant cette guerre et ce malgré la garde des S.S.
On ne dira jamais assez que les deux héros en furent BIAGGI et l’abbé LE MEUR. Après la tentative de mutinerie des « droits communs », un certain nombre d’entre eux, quand ils ont vu la porte s’ouvrir, ont profité de cette chance et se sont jetés à leur tour hors du wagon.
Inversement, d’autres détenus, des « politiques » ont reculé devant l’aspect impressionnant de ce saut en pleine marche. Ceux-là ont été déportés jusqu’à NEUENGAMME, camp particulièrement meurtrier, situé à l’est d’HAMBOURG.
Mais revenons un peu en arrière.
LE PREMIER DEVOIR D’UN EVADE EST DE NE PAS SE FAIRE REPRENDRE.
Pour lui d’abord évidemment, mais aussi pour ses camarades. Si suivre le rail peut permettre de retrouver « le suivant », ce « voisinage » continu risque de se révéler malsain.
Après avoir suivi la voie quelques temps pour « récupérer » mon « suivant », je décide de piquer droit vers le prochain village dont le chant du coq signale la paisible présence. Mais quelle émotion! La première ferme rencontrée est hérissée de flèches et de panneaux indicateurs en belles lettres gothiques, signalant la direction de la Feldkommandantur, du Kasino des Officiers et autres lieux fréquentés par la Wehrmacht.
Je « tire » au large. Après une demi-heure de marche à travers champs voici la route nationale et un nouveau village. Un homme tranquille ouvre ses volets, qu’il referme précipitamment à ma vue. J’ai une barbe de trois jours, un pantalon poussiéreux et déchiré et un manteau d’hiver, bien utile pour sauter du train mais bien surprenant par cette chaude matinée d’été; bref, je suis l’individu à mauvaise mine, peu recommandable. Cependant la conversation s’engage. Je me présente pour ce que je suis, un officier évadé du train de la déportation. Il maugrée que cette même fable a été racontée un mois auparavant par un milicien, qui cherchait à rejoindre le maquis; en fait, il s’efforçait d’identifier les paysans qui ravitaillaient ce maquis. Heureusement pour moi, il est un expulsé des Ardennes et la haine des Allemands le rend coopératif. Sa femme me « fricasse » un nombre considérable d’œufs au lard et ravaude mon pantalon délabré. Par eux, j’apprends que les inquiétantes pancartes allemandes du village précédent sont périmées et correspondent à un cantonnement de la Wehrmacht, qui manœuvrait par là l’année précédente. Réconforté, rasé et présentable, je reprends la route pour les débarrasser de ma compromettante présence.
VITRY-LE-FRANÇOIS est à 15 kilomètres : j’y serai vers 9 heures (il en est 6), si toutefois l’alerte n’a pas été donnée, déclenchant des barrages gênants. La « baraka », heureusement, continue et un gros routier me prend à son bord pour me « lâcher » à ma demande, à l’entrée de Vitry vers 7 heures.
A 8 heures, je partage le petit déjeuner d’un industriel ami. A 9 heures, il me met en contact avec son réseau de résistance qui me « fabrique » de faux papiers, plus ou moins présentables.
Epuisé par le voyage et la nuit sans sommeil, je dors toute la journée. Le lendemain, je suis mis dans l’express de PARIS, avec le souhait de ne pas rencontrer de contrôle allemand car cela m’obligerait encore à sauter du train, mais d’un train rapide avec chute quelque peu fracassante.
C’est le 6 juin 1944.
A l’arrivée à la Gare de l’Est, il faut ouvrir l’œil. La sortie des voyageurs doit être contrôlée par les Allemands. O surprise! Il n’en est rien. Quelques minutes plus tard, j’arrive chez une vieille amie de ma mère qui accepte aussitôt de me cacher malgré le risque qu’elle court, elle et les siens.
C’est le 6 juin 1944.
Depuis le milieu de la nuit le débarquement des Alliés en Normandie a commencé, ce qui explique l’absence des contrôles allemands, tous les « occupants » ayant été rappelés dans leurs casernes.
Maintenant, il faut recontacter mon réseau...
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