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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LE CONTRE-ESPIONNAGE FRANÇAIS ET L'ABWEHR DANS LES PAYS NEUTRES
 

Nous restons dans la période qui précéda la Deuxième Guerre mondiale. L'Abwehr reconstitué intensifie son activité en France.

EMA-2ème Bureau (SCR) contre ABWEHR

Par le Colonel DOUDOT

Nos services avaient constaté, dès le début de 1938, une recrudescence de l'activité des espions allemands en France, tant par les aveux détaillés des agents ennemis arrêtés que par nos propres agents de pénétration en contact étroit avec le SR allemand du Nord et du Sud.

Nous étions ainsi au courant des préoccupations du gouvernement et du haut commandement allemand.

L'adversaire voulait savoir quelle serait la réaction du gouvernement français en face des projets successifs d'expansion territoriale allemande (le nouveau « Drang nach Osten ») , l'état de l'aviation militaire, de l'arme blindée française et l'ordre de bataille des troupes derrière la ligne Maginot après le rappel des réservistes (suppression des permissions et mobilisation partielle ou totale).

Fin 1938, après l'affaire des Sudètes et avant l'occupation totale de la Tchécoslovaquie en mars 1939, les questions-mires du SR allemand se firent encore plus pressants dans ces domaines.

La lettre suspecte et le problème à résoudre Au début de l'été 1938, la Centrale du CE offensif de Paris (SCR) dirigée par le Capitaine Paillole envoya à notre Poste SR et CE de Metz une demande pressante de recherches concernant un espion allemand important opérant sur les aérodromes militaires en France.

On ne connaissait ni son nom ni son signalement, mais on possédait des spécimen de son écriture.

A l'appui de la demande de recherche SCR communiqua la photocopie d'une lettre manuscrite et de photographies de terrains d'aviation français de la région de Reims.

La lettre contenait les renseignements précis sur ces terrains et avait été expédiée par la poste de Lille à une adresse poste restante à Amsterdam, plus exactement à un casier postal, comme on pouvait facilement en louer temporairement en Hollande.

Cette lettre n'avait pas été retirée à temps à Amsterdam où la Post Box en question n'avait plus été levée par l'abonné occasionnel qui n'avait pas laissé d'adresse. Aucun nom d'expéditeur ne figurait sur l'enveloppe du pli.

Il s'agissait donc pour nous d'essayer d'identifier et ensuite de faire arrêter l'expéditeur du pli qui était manifestement un espion du IIIème Reich ; la situation politique internationale en Europe fit écarter toute autre hypothèse.

Hitler préparait la mobilisation totale, le " rattachement " de l'Autriche en mars, sa visite à Rome en avril, les conférences de Berchtesgaden, Bad Godesberg et, fin septembre, de Munich (Chamberlin-Daladier) et entre temps le congrès nazi de Nuremberg avec ses menaces tonitruantes à l'adresse de toute l'Europe.

Nous savions que le SR allemand, notamment les postes de l'Abwehr de Hambourg et surtout celui de Munster en Wesphalie, envoyaient régulièrement leurs représentants à des entrevues avec des agents de France à Rotterdam et Amsterdam.

Nous ne comprenions toutefois pas pour quelle raison, dans une affaire si importante, la boîte aux lettres en question n'avait pas été levée ni pour quel motif le locataire de la case postale n'avait pas fait suivre son courrier.

En outre, la lettre était rédigée en un allemand plus ou moins correct.

Après le délai réglementaire de dix jours, la direction des P.T.T. d'Amsterdam avait, selon la coutume internationale retourné le pli à son lieu d'expédition en France où il tomba dans le rebut central à Paris.

En ouvrant le pli dans le but de trouver trace de l'expéditeur, la Poste française constata qu'il s'agissait d'une affaire d'espionnage et c'est ainsi que le deuxième bureau français (SCR) avait été informé.

Notre deuxième mission consistait à identifier le destinataire du pli, le représentant ou homme de paille du SR allemand.

Les données matérielles étaient bien maigres pour entreprendre des recherches fructueuses dans les deux sens.

L'écriture de la lettre était ostensiblement celle d'un homme qui avait fréquenté les écoles en Hollande, typique par les lettres déliées, espacées et les grands caractères. L'écriture dans les écoles primaires varie selon les pays et il est très facile de distinguer une lettre espagnole d'une lettre italienne ou allemande ; pendant la guerre, dans les Contrôles Postaux nous avons souvent eu la confirmation de ce phénomène. Le style de la lettre comportait aussi des termes hollandais germanisés.

En étudiant cette affaire je ne croyais jamais qu'en quelques mois nous aurions la chance de faire arrêter en France l'espion allemand expéditeur et son patron destinataire du pli.

Comme dans la plupart des affaires de police difficiles, la chance, le hasard et aussi un peu la mémoire des exécutants permettent de trouver la solution de l'énigme.

 

L'Abwehr se manifeste Contrairement à ce que l'on pouvait penser, ce fut d'abord le destinataire du pli qui tomba entre nos mains.

Au printemps de la même année 1938, un ouvrier français de Hayange (Moselle) Ernest Wagner, employé aux nouveaux terrains de secours de l'aviation dans la région de Briey, était spontanément venu apporter au Deuxième Bureau de la IVe Région, boulevard Clemenceau à Metz, une lettre suspecte qu'il venait de recevoir du Luxembourg et qu'il supposait provenir d'un espion allemand.

A cette époque, presque chaque semaine les tribunaux de Lorraine condamnaient des espions allemands et le personnel civil des établissements militaires (Ligne Maginot) avait souvent été mis en garde contre l'activité des agents étrangers.

La méfiance de Wagner était ainsi éveillée lorsqu'un individu lui offrit, par écrit, des gains supplémentaires pour un travail facile, mais non précisé.

L'expéditeur de cette offre d'emploi avait donné une adresse poste restante à Trèves et demanda une réponse rapide et un accord de principe pour un rendez-vous au Grand Duché de Luxembourg.

Le Deuxième Bureau alerta aussitôt notre Service et Wagner reçut des instructions précises sur la suite à donner et la correspondance à échanger avec l'inconnu de Trèves.

Une réponse d'attente fut rédigée et mise à la poste à Hayange.

Dans la suite Wagner donna son accord de principe au correspondant de Trèves pour un rendez-vous et demanda, sans insister, des précisions sur le travail proposé et aussi une avance d'argent pour faire le voyage au Luxembourg.

Le correspondant allemand promit d'expliquer verbalement le travail demandé et fixa finalement un rendez-vous pour le lundi de Pentecôte, à 11 heures, au Grand Hôtel en face du Parc de Mondorf-les-Bains (Grand Duché de Luxembourg) sur la frontière française même.

Nous ne savions pas encore quel émissaire du SR allemand allait venir à ce rendez-vous.

Nous pensions y voir l'un ou l'autre des officiers ou des " voyageurs " (chefs de réseau) de l'Abwehr de Cologne ou de Trèves que notre CE offensif suivait de près.

Nous étions d'ailleurs très étonnés à cette époque que ces représentants du SR allemand ne se fassent pas accompagner par des " anges gardiens " au cours de leurs déplacements à l'étranger, comme nous avions l'habitude de le faire depuis 1931.

 

Le piège et l'arrestation d'un officier de l'Abwehr

Lorsque Wagner nous apporta la lettre fixant le rendez-vous à quelques mètres le la frontière française même et, nous inspirant de plusieurs affaires retentissantes en matière de CE c'est-à-dire d'arrestations de membres d'un SR aux abords immédiats de la frontière, une reconnaissance du territoire fut immédiatement décidée en compagnie de Wagner.

Il n'était pas du tout question d'un enlèvement de force en territoire grand-ducal, mais le terrain présentait un aspect idéal pour un coup de main par la ruse, sans violer la neutralité du Luxembourg, à condition toutefois que l'Allemand suive le mouvement projeté.

Le grand mérite de cette opération fructueuse revient à mon adjoint du CE offensif, qui connaissait très bien le pays luxembourgeois, la langue et les moeurs ;

il donna à Wagner les consignes suivantes : se faire inviter à déjeuner, écouter les " positions et promettre une collaboration entière pour mettre l'allemand en bonnes dispositions, le faire boire, si possible, pour créer une certaine euphorie ; après le repas, sous prétexte d'une promenade digestive et dernière discussion, le conduire insensiblement dans le Parc municipal et y suivre, à une quinzaine de mètres de distance, mon adjoint servant de guide pour la promenade, passer derrière lui par le petit pont japonais enjambant le ruisseau, qui forme la frontière, et aller ainsi dans la partie du Parc située en territoire français.

Le reste regarderait notre service.

Ce reste était capital : le vent devait retourner la petite pancarte " Frontière française " à l'entrée du pont, le portillon donnant accès au pont normalement fermé à clé, allait par hasard être bien ouvert.

Un inspecteur de la police spéciale le Thionville, territorialement compétent, avait été convoqué sur les lieux et placé dans le bosquet du parc, en territoire français.

L'affaire fut faite " sans bavure " !

Immédiatement après le passage de Wagner et de son chef allemand, fumant tous les deux des gros cigares belges, le portillon du pont s'est automatiquement refermé et les deux promeneurs furent interpellés par l'inspecteur.

Wagner pour la forme et l'allemand en connaissance le cause.

Pour défaut de visa français, ce dernier fut mis en état d'arrestation provisoire.

Pendant le court trajet, à travers champs, jusqu'au poste de douane française de Mondorf, l'allemand pleurait avec des rires saccadés et supplia l'inspecteur de lui délivrer le visa manquant moyennant une forte somme d'argent.

Il fut " embarqué " dans l'auto qui attendait derrière le poste de douane et conduit au Commissariat spécial de la gare de Thionville.

Notre surprise fut totale : l'homme capturé était le Capitaine Schultze de l'Abwehrstelle VI de Munster, détaché à Dusseldorf pour le compte du SR Air allemand (I/Luft) que nous ne connaissions pas encore.

Il avait pourtant déjà opéré en Hollande et au Luxembourg. Sa section SR Air était de création relativement récente et lui-même passablement novice.

Par rapprochement d'idées nous avons alors constaté que c'est lui qui, quelques temps auparavant, était entré en correspondance avec une fille légère de Nancy, qui fréquentait des aviateurs, et que le SR allemand avait cherché à recruter par lettres : simple tentative sans suite, mais qui nous avait été signalée.

 

Les révélations de Schultze et l'identification du destinataire de la lettre rebutée

Wagner raconta en détail sa conversation avec Schultze : il s'agissait bel et bien d'espionnage sur les bases militaires en Meurthe-et-Moselle : un questionnaire précis lui avait été confié et une certaine somme d'argent français.

Schultze lui avait donné des conseils de prudence (Oh ! ironie...) à respecter dans la recherche des renseignements et dans la transmission des informations.

Après les dénégations de principe du début de l'interrogatoire, comprenant la gravité de sa situation et les suites disciplinaires de son imprudence (que ses chefs ne lui pardonneront pas de sitôt) le Capitaine se mit rapidement " à table " d'autant plus vite qu'il avait en poche un agenda très éloquent avec les noms et adresses en France d'un certain nombre d'agents.

L'adresse de la fille de Nancy n'y manquait pas. Schultze révéla son rôle dans l'Abwehr, sa spécialisation dans le domaine SR sur l'aéronautique militaire française, son activité de " recruteur " et de traitant d'agents.

Les spécialistes du CE (CST) de Lille et de Nancy vinrent à Thionville pour interroger Schultze à leur tour au sujet des adresses du Nord et de l'Est de la France, trouvées dans le calepin.

Plus tard, lorsque l'instruction ouverte par le tribunal correctionnel de Thionville pour espionnage par la tentative de recrutement de Wagner, témoin à charge, fut close, Schultze fut "prêté" aux policiers du CE des autres villes françaises intéressés par ses révélations.

Il fit ainsi des séjours plus ou moins long dans différentes prisons françaises.

Il tomba malade à la prison de Lille, et malgré tous les soins qui lui furent prodigués, il y décéda de mort naturelle en 1939. Après autopsie (pour pouvoir répliquer aux protestations allemandes éventuelles) et des démarches diplomatiques il fut renvoyé à Dusseldorf dans un double cercueil.

Schultze nous avait révélé que son service utilisait, chose essentielle, à Amsterdam, la case postale qui nous intéressait dans l'affaire du pli tombé au rebut.

C'était lui le destinataire exploitant les renseignements reçus par cette boîte aux lettres : il prétendit ne pas connaître l'expéditeur du pli secret. Nous avons compris plus tard qu'il n'avait pas voulu le dénoncer parce que cet espion des terrains d'aviation français n'habitait pas en France.

Je ressens encore aujourd'hui, presque trente ans plus tard, ma fierté d'alors lorsque j'ai pu dire par téléphone au Capitaine PAILLOLE à Paris :" Nous avons le destinataire du pli "... " Bravo ! " me répondit le Capitaine.

 

La situation du CE en France en 1938

Pendant ces années critiques de 1937 et surtout 1938 devant le nombre toujours croissant d'espions allemands identifiés, arrêtés et condamnés en France, SCR avait vu ses longues démarches récompensées par une nouvelle législation relative à la répression de l'espionnage ennemi : les peines prévues pour le crime (et non plus le délit) d'espionnage avaient été renforcées (vingt ans au lieu de cinq ans) la juridiction sur ces affaires avait été confiée aux tribunaux militaires.

Auparavant, devant le tribunal correctionnel, l'espion le plus dangereux risquait moins qu'un vulgaire voleur.

En collaboration avec la police spéciale de Briey et sur les conseils d'un Procureur de la République, nous avions un jour fait condamner un espion italien, non pas pour espionnage, mais pour vol de documents militaires au maximum de la peine prévue : cinq ans d'emprisonnement.

SCR avait en même temps apporté sa contribution à la création des CST (Commissariats de Surveillance du Territoire) chargés dans chaque région militaire de la répression de l'espionnage, et recommandé au Ministère de l'Intérieur, pour ces nouveaux postes quelques chefs qualifiés généralement bilingues et surtout bien au courant du métier.

Le Commandant SCHLESSER, chef du SCR commençait ses tournées de conférences dans les Régions Militaires les plus vulnérables par l'espionnage ennemi, pour inculquer aux Etats-Majors (et aussi à la gendarmerie, la Douane, les P.T.T., etc.) une notion plus concrète de la protection du secret et des points sensibles (1ère, 6ème, 20ème région).

Les officiers de renseignements dans les unités reçurent des instructions précises : des formulaires spéciaux furent distribués dans les régiments concernant les recrues d'origine étrangère. Les FFD (Français de fraîche date) c'est-à-dire, naturalisés depuis moins de cinq ans furent écartés des emplois de confiance, car le SR allemand faisait de préférence, et souvent avec succès, appel à des catégories de personnes pour la recherche du renseignement en France.

 

Arrestation de l'expéditeur Telle était la situation du CE lorsqu'un samedi après-midi l'inspecteur principal François du Commissariat spécial de Metz (les commissariats spéciaux le long des frontières avaient conservé leurs attributions de CE), spécialiste du CE répressif, me fit venir à son bureau.

Il était en train d'interroger un suspect de nationalité hollandaise et espérait que mes connaissances de la langue néerlandaise pourraient contribuer à éclaircir le cas.

François, ami de longue date, avait quelque temps auparavant recruté des indicateurs un peu partout près des points sensibles de la garnison de Metz, la plus forte de France.

Un de ces informateurs, une serveuse d'un café de Montigny à proximité immédiate de l'aérodrome de Frescaty l'avait alerté pour la raison suivante : un grand garçon blond paille, âgé de vingt-huit ans environ, se disant sujet britannique, avait plusieurs fois en bicyclette, fait le tour du terrain d'aviation, et avait ensuite posé au café quelques questions indiscrètes sur l'occupation de la Base.

Il était porteur d'un appareil photographique neuf.

Les inspecteurs de la police spéciale avaient très rapidement " cueillis " cet Anglais qui avait en réalité un passeport hollandais et était domicilié à Bruxelles.

Une fouille à corps et une " visite domiciliaire " dans sa chambre d'hôtel en face de la gare de Metz ne donnèrent aucun résultat positif.

Toutefois, le passeport du Hollandais, Zaandam van Delft, comprenait un nombre impressionnant de cachets d'entrée et de sortie par la frontière franco-belge dans un laps de temps relativement bref.

Zaandam, bien habillé, des allures efféminées, avait répondu aux questions pertinentes de François avec une naïveté désarmante il se disait touriste de la jeune génération, assez fortuné pour se payer ces voyages peu coûteux en France, curieux de nature pour s'intéresser à tout dans les pays étrangers, bref, aucune preuve le culpabilité dans le domaine de l'espionnage.

Cependant François, qui avait un flair très sensible pour les moindres indices d'espionnage, sans être atteint d'espionnite, était moralement convaincu que cet individu aux moeurs troubles était bel et bien un espion allemand.

L'appareil photographique de Z. était de marque Leica, et nous savions, par expérience que le SR allemand prêtait à ses agents des appareils Leica. Les aveux J'interrogeais le nommé Zaandam en hollandais.

Nous avons d'abord parlé longtemps de son passé, de ses études, de sa famille, de ses voyages, de Bruxelles.

L'ayant ainsi mis en confiance je lui ai ensuite expliqué, au conditionnel, une hypothèse alléchante : l'intérêt majeur des services secrets français commande d'employer des agents qui sont déjà en relations confiantes avec le SR allemand.

Si un agent étranger arrêté en France, donne des preuves irréfutables de sincérité et les gages valables en avouant tout ce qu'il sait sur le SR allemand employeur, surtout les questionnaires du commandement ennemi et des précisions sur le personnel et les méthodes de travail de ce SR, le juge d'instruction peut sur recommandation du Deuxième Bureau, passer l'éponge sur des méfaits mineurs antérieurs, l'impunité est même prévue dans le code pour le coupable qui, avant le commencement de toute poursuite, révèle son crime ou permet l'arrestation d'un tuteur principal.

Ce raisonnement fit réfléchir Z. anormalement longtemps.

Je l'intimidais en lisant qu'il était bel et bien pris en France et retenu pour longtemps, que même sans aveux la vérité sortirait de toute façon, que le Deuxième Bureau avait le bras long en Hollande, en Belgique et même en Allemagne, que l'Allemagne hitlérienne était vomie par tous les peuples, surtout par le peuple hollandais, et que lui, Zaandam, ne pourrait s'en tirer qu'après des aveux complets.

Finalement Z. demanda, en échange de sa confession, l'intervention du Deuxième Bureau auprès de la Justice Française en sa faveur, dans l'espoir de " travailler " à l'avenir contre les Allemands.

Cela s'appelle " retourner sa veste ".

Je lui promis d'en rendre compte à mes chefs et de parler en sa faveur, à condition qu'il fut d'une sincérité absolue " toute la vérité et rien que la vérité ".

Z. fit alors à François des aveux, sincères à première vue. Depuis plus d'un an il travaillait pour le SR allemand de Dusseldorf.

Il révéla les questionnaires reçus, les sommes perçues, les adresses conventionnelles utilisées et les missions accomplies en France. L'encre sympathique dont il se servait depuis peu de temps, avait échappé à la curiosité de la police, c'était un flacon sur sa table de toilette étiqueté comme eau de Cologne.

 

L'enquête en Belgique Dans l'affaire du Capitaine Schultze il fallait sauvegarder la neutralité du Grand Duché de Luxembourg dans la poursuite de l'affaire Zaandam, telle que je l'envisageai, la neutralité de la Belgique ne devait pas être violée.

Pendant que François recueillait par procès-verbal les révélations de Z. j'allai tard dans la soirée rendre compte au Colonel Mangés, chef du Service, à son domicile.

Pour voir tout à fait clair dans le jeu de Z. je proposai une vérification idéale de la sincérité de cet espion par une visite à son logement à Bruxelles ; j'avais dans ce but empoché les clés de la maison et de l'appartement.

Le patron approuva ma proposition, à condition d'en aviser au préalable les services spéciaux belges auxquels nous avions eu l'occasion de rendre des services appréciés dans les dernières années.

Par un coup de téléphone donné dans la soirée à Bruxelles, la Direction belge fut informée de mon arrivée à la gare du Nord le lendemain dimanche à 11 heures.

Le commissaire Principal belge B., vieil ami m'attendait à la gare.

Pendant l'apéritif pris à l'hôtel du Pôle Nord, je lui expliquai le but de ma visite, l'affaire Z. et mon intention de me rendre au logement de Z.

Je lui demandai seulement à titre amical, d'assurer ma protection pendant cette visite domiciliaire car le propriétaire pouvait être un complice de Z, ou un indicateur de la police municipale.

Au fur et à mesure que j'expliquai mon histoire, la mine de Jef B. se renfrognait; je ne l'avais jamais vu si réservé.

Il interrompit mon exposé en disant : " Mon cher, tu n'aurais pas dû me mettre officiellement au courant de cette affaire, surtout après l'avis téléphonique de ton patron à mon patron. Tu comprends, la Belgique est un pays qui a officiellement déclaré sa neutralité et, à mon grand regret, je ne peux pas te seconder ".

J'étais navré. Mais ma décision était prise. " N'en parlons plus, mon cher Jef. Je rendrai compte à mon patron. Allons quand même déjeuner ensemble et ensuite j'irai rendre visite à des parents de ma femme, près de la cathédrale, au lieu d'aller rue de Brabant chez Z. ".

Après avoir pris congé de B. vers 14 heures, je me précipitai rue du Brabant. En ouvrant la porte de la maison je sonnai en même temps chez le propriétaire.

J'avais arboré le ruban d'une décoration belge reçue deux ans plus tôt.

Lorsque je glissai la clé dans la serrure du premier étage, le propriétaire, dérangé dans sa sieste, ouvrit la porte et me regarda avec curiosité, lui montrant les clés je lui expliquai que son locataire Z. avait pris froid après avoir trop transpiré en vélo à Metz, qu'il était à l'hôpital, souffrant d'une pneumonie et qu'il m'avait demandé de lui apporter du linge de rechange, puisqu'il avait appris que je venais à Bruxelles.

Méfiant, le propriétaire demanda si je n'avais pas un mot écrit de Z. " Il a une trop forte fièvre et pensait sans doute que ses clés suffiraient pour m'accréditer ".

Le propriétaire se contenta de cette explication. Il m'accompagna pas à pas dans les deux chambres occupées par Z.

Je pris une valise dans l'armoire, entassai du linge pêle-mêle, et ajoutai que je devais aussi rapporter le courrier arrivé pour Z les derniers jours.

A ce moment le téléphone sonna, le propriétaire me quitta pendant que nerveusement, je ramassai tous les papiers sur le bureau et chargé, je quittai rapidement l'appartement pour prendre congé du propriétaire qui téléphonait toujours dans le corridor. J'avais redouté un appel téléphonique de mon ami B. ou de la police. Il n'en était rien. Le propriétaire me pria de transmettre ses voeux et ses salutations à Z. et de le faire envoyer une petite lettre dès que son état de santé le permettrait Je poussais un Ouf de soulagement.

Quittant la maison je sautai dans un tramway en marche et allai déposer mon butin à la consigne de la gare du Nord.

L'esprit dégagé de tout souci, je rendis ensuite visite à ma famille.

Lorsque je revis Jef B. quelques semaines plus tard il me traita amicalement de " saligaud " ; pris de remords il avait lui aussi été rue de Brabant, mais seulement le mardi suivant ; le propriétaire lui avait dit qu'il venait trop tard et que son " collègue " était venu le dimanche.

Dans l'express de nuit qui me ramenait à Metz je fis l'inventaire des papiers: une lettre récente du SR allemand contenant des billets de banque belges, des épreuves nombreuses de photographies d'aérodromes français, les brouillons des rapports que Z. avait déjà fournis à son employeur allemand.

Ces documents, à l'exception de la lettre récente étaient enfermés dans la serviette que j'ai eu du mal à fracturer avec les contrôles douaniers Belgo-Luxembourgeois.

Entre temps, à Metz, François avait terminé l'interrogatoire et fait signer les procès-verbaux par Z. qui fut présenté le lundi matin au Tribunal Militaire.

La lecture des papiers personnels et surtout des brouillons manuscrits démontrait clairement que Z. n'avait pas dit toute la vérité.

Il n'avait pas mentionné sa visite, sous un prétexte fallacieux au centre de recherche aéronautique de Meudon : il avait " oublié " de signaler un adjudant d'aviation de Reims qui lui avait complaisamment fourni des renseignements intéressants ; le nom de cet adjudant était inscrit dans un rapport transmis à Dusseldorf et ce sous-officier risquait de devenir une proie du SR allemand.

Z. avait surtout oublié de parler de la case postale d'Amsterdam et du pli qu'il y avait envoyé de Lille. Il reconnut ces faits devant le Juge d'Instruction.

Ayant manqué de franchise et ne méritant pas la confiance exigée d'un agent " retourné " Z. fut abandonné à la justice.

Le Capitaine Paillole reçut à SCR un nouveau coup de téléphone de Metz: " Nous avons aussi l'expéditeur du pli "...

Tout fier j'allai soumettre la documentation originale de Z. au colonel B., Juge d'instruction.

Je reçus une douche froide :" Mon pauvre ami ! que voulez-vous que je fasse avec ces paperasses ? Le tribunal n'admettra certainement pas que Z. les ait apportées lui-même.

L'avocat voudra savoir d'où viennent ces papiers.

Officiellement je ne peux pas joindre ces documents au dossier d'instruction de l'affaire. Je ne peux pas davantage les conserver dans un dossier annexe, car je ne pourrais pas dans ce cas, les utiliser comme pièces à charge.

Finalement la bonne solution fut trouvée avec le Capitaine Paillole.

Comme il était d'usage dans les procédures pour espionnage le Juge d'instruction devait par écrit demander au Ministère de la Guerre Deuxième Bureau, SCR, si l'inculpé était déjà connu des Services français.

Le lendemain je portai toute la documentation à Paris et avec la réponse officielle au Juge d'instruction le Capitaine Paillole qui avait traité l'affaire de Paris joignit tous les papiers... provenant d'une " source secrète du Service... ".

Ils furent dès lors versés au dossier.

Z. fut fusillé le 20 janvier 1940 à Chalons-sur-Marne.

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 46

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