logofb

 

 
 
line decor
Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
line decor
 

 


 
 
 

 
 
PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
SOUVENIRS SUR LE GENERAL WEYGAND
 

Témoignages par le Général de C.A. Henri NAVARRE



Mon premier contact personnel avec le Général WEYGAND remonte aux premiers jours de la guerre de 1939.


J'étais alors Chef de la Section allemande du S.R. , et j'avais comme adjoint le Capitaine GASSER.

Or celui-ci m'avait prévenu la veille de ce que le Général WEYGAND, nommé Commandant en Chef au Moyen Orient lui avait demandé de l'accompagner à Beyrouth comme chef de Cabinet.

La porte de son bureau s'ouvre et je vois entrer le Général WEYGAND. Venu au « 2 bis » pour y prendre connaissance des dossiers, renseignements sur le théâtre d’opérations qu’il allait commander, il s'était donné la peine d'entrer chez moi pour dire au modeste Chef d'Escadron que j'étais, ses respects, et au moment où son travail allait beaucoup s'amplifier, d'être obligé de me priver de mon principal collaborateur.

Ce geste d'extrême courtoisie m'avait beaucoup touché et je me le suis souvent rappelé, à une époque où la muflerie semble devenir la règle.

Puis, ce furent les huit mois de la « drôle de guerre », les revers, la nomination du Général WEYGAND au Commandement en Chef, son immense effort pour redresser la situation désespérée qui lui avait été léguée, l'Armistice et l'installation à Vichy, en qualité de Ministre de la Défense Nationale du Maréchal PETAIN.

Pendant toute cette période si je n'ai pas eu de contacts personnels avec le Général WEYGAND, j'ai été, par GASSER, au courant de sa pensée.

Je savais qu'il n’avait pas accepté la défaite et ne vivait que pour la rentrée en guerre de la France - mais pour gagner, cette fois ! De cette revanche, j'étais persuadé que le tremplin ne pouvait être que l'Afrique du Nord.

Aussi fut-ce avec joie que j'acceptai quand le Général WEYGAND me proposa de faire partie de l'équipe qu'il enverrait à Alger où il allait prendre les fonctions de Délégué Général pour l'Afrique française.

Dès le premier contact avec lui, à Alger, notre équipe savait dans quel esprit elle devrait travailler : l'Allemand restait l'ennemi.

La répartition des tâches était également fixée sans ambiguïté. Pour ma part, désigné comme Chef du 2 ème Bureau, je serais responsable de toute la « partie secrète » - tout au moins de celle que le Général ne se réservait pas personnellement.

Je dirigerais, à son échelon, le Renseignement, le C.E., la répression des activités anti-nationales, la propagande et la contre-propagande.

J'aurais à couvrir tous les camouflages qui s'organisaient : effectifs, armement, matériel.

Je devrais contrôler l'activité et lutter contre les empiècements des Commissions d'armistice allemandes et italiennes.

Il me faudrait un volume pour écrire l'histoire de cette « partie secrète » de l'action du Général WEYGAND d'octobre 1940 à fin 1941.

Je me bornerai donc ici à retracer quelques épisodes qui me semblent caractéristiques de l'état d'esprit qui était alors celui de notre Chef.

Le premier de ces épisodes se situe dans le cadre de la guerre du Renseignement.

Pendant que nous étions à Alger, la guerre opposait en Libye et en Tripolitaine l'armée anglaise d'Egypte et les Armées Germano-Italiennes.

La victoire ou la défaite de ces dernières dépendaient du rendement de leur ligne de communications maritimes qui, partant d'Italie, doublait la pointe occidentale de la Sicile, traversait le détroit de Sicile, contournait le Cap Bon et longeait les côtes orientales de la Tunisie pour aboutir à Tripoli.

Une force navale anglaise, basée à Malte, avait mission d'opérer contre cette ligne de communications. Mais, pour qu'elle pût intercepter les convois, il fallait que ceux-ci lui soient signalés au moment où ils doublaient le Cap Bon. Or, le franchissement du détroit de Sicile se faisait de nuit et les convois se glissaient ensuite - malgré nos protestations - dans les eaux territoriales tunisiennes, ce qui rendait difficile leur repérage par les patrouilles aériennes de Malte.

L'un de nos postes. S.R. était en contact avec les Anglais et, cherchait à les aider en entretenant un réseau clandestin d'observateurs au Cap Bon et en leur transmettant les renseignements recueillis. Mais le système était d'un faible rendement.

Le chef du poste S.R. intéressé s'en ouvrit à moi et me demanda de l'aider. Connaissant les sentiments du Général WEYGAND, je n'hésitai pas. Le meilleur procédé était de transmettre rapidement aux Anglais les renseignements très précis qu'avait la Marine de Tunisie, soit par ses observateurs à terre, soit par ses patrouilles. Mais il n'était pas question de mettre au courant nos marins, rendus très hostiles aux Anglais par le drame de Mers-el-Kebir.

Je rédigeai donc une note de service prescrivant à la Marine sous prétexte d'établir une statistique des violations de nos eaux territoriales - de signaler sans délai tout passage de convois au large du Cap Bon. Le renseignement devait être transmis de toute urgence au 2 ème Bureau Air-Tunisie - soi-disant chargé de les recouper - mais qui, lui, était « dans le coup ».

Par radio, la force navale anglaise de Malte était aussitôt prévenue.

Le système donna de bons résultats et amena, notamment, la destruction presque complète d'un important convoi transportant une division blindée allemande.

Je n'avais pas voulu engager directement dans cette affaire le Général WEYGAND, car, découverte, elle eut pu avoir, à son échelon, de très graves conséquences.

Cependant, pour que ma note ait, sur la Marine, l'autorité suffisante, il fallait qu'elle soit signée de lui. Je n'étais pas sans inquiétude en la lui présentant car mon prétexte était vraiment « tiré par les cheveux ». Notamment la rigueur des prescriptions concernant la rapidité de transmission des renseignements n'était guère compatible avec le simple établissement d'une statistique.

Le Général lut ma note attentivement, puis leva la tête, me jeta un regard plein d'ironie me montrant qu'il n'était pas dupe - puis signa en me disant simplement : « Une bonne idée, cette statistique !».


***


Le second épisode a trait à la lutte contre les empiètements des Commissions d'Armistice italiennes.

Certains membres de ces Commissions - qui avaient en Tunisie et en Afrique des Missions politiques - prenaient fréquemment des contacts clandestins avec des personnalités musulmanes anti-françaises.

Ces contacts avaient lieu soit dans des bleds écartés, soit de nuit, dans la Casbah d'Alger. Pour les empêcher il fallait trouver moyen d'imposer aux Italiens, dans leurs moindres déplacements, des « escortes de sécurité » qui seraient en réalité des surveillances.

La meilleure façon d'obtenir ce résultat était de simuler contre ceux d'entre eux qui circulaient isolément de soi-disant attentats dont nous prendrions ensuite prétexte pour les « protéger ».

Avant d'agir, je crus devoir demander au Général WEYGAND une autorisation qui me fut donnée avec les seules réserves « qu'il n'y ait pas mort d'homme » et « qu'on ne s'attaque pas à des personnalités trop voyantes ».

La victime de l'un de ces attentats fut malheureusement, du fait d'exécutants trop zélés, le Grand Chef des Commissions italiennes, l'amiral Boselli, qui fut sérieusement blessé.

D'où protestations et menaces des Italiens auprès du Gouvernement de Vichy, ordre donné par celui-ci d'ouvrir une enquête approfondie et de sanctionner durement les coupables : en bref, un très gros incident.

Je regrettai vivement alors d'avoir demandé au Général WEYGAND son autorisation.

Il me déclara en effet qu'au cas où l'enquête aboutirait à moi, il me couvrirait en prenant la responsabilité de l'affaire. J'eus beau essayer de lui expliquer qu'il était normal qu'un Chef de Services Secrets soit désavoué dans un cas de ce genre, ce fut en vain. « Je n'ai jamais lâché mes subordonnés, me dit-il, et ce n'est pas aujourd'hui que je commencerai ».

Heureusement, l'enquête n'aboutit pas. Il y avait à cela, il est vrai, une bonne raison ; c'est qu'elle était dirigée par notre ami le Commissaire ACHIARY qui se trouvait être l'un des organisateurs de l'attentat.

Tout se termina par des « regrets » que, d'ordre de Vichy, le Général WEYGAND dût exprimer à l'Amiral BOSELLI.


Avec humour il me chargea de porter à l'Amiral BOSELLI une très sèche lettre d'excuses à laquelle il me prescrivit d'ajouter verbalement l'assurance que « tout serait fait pour trouver les coupables ». Ce que je fis avec le plus grand sérieux.


***


L'épisode que je raconterai pour terminer, montre bien qu'elle était alors la pensée profonde du Général WEYGAND, mais combien sa position était difficile.

Un matin, il me convoque d'urgence et me met au courant d'une affaire particulièrement délicate.

Un émissaire de Londres, qu'il connaît personnellement, est en ce moment à Tanger et demande à être reçu par lui pour avoir sa réponse à deux lettres qu'il lui a fait parvenir la veille et qui émanent, si mes souvenirs sont exacts, l'une de Winston CHURCHILL, l'autre du Général CATROUX.

Toutes deux l'exhortent à remettre immédiatement l'Afrique française dans la guerre. Il est impossible au Général WEYGAND de recevoir cet émissaire car, à Alger, tout se sait.

« Vous allez partir immédiatement pour Tanger, me dit-il et vous lui donnerez ma réponse « officielle » : je suis aux ordres du Maréchal PÉTAIN et je ne puis que lui faire tenir sans commentaires les lettres qui m'ont été remises ».

Mais le général WEYGAND ajoute :« Vous pourrez ensuite avoir avec ce Monsieur une conversation personnelle et rien ne vous empêche de lui dire alors ce que vous « croyez être ma pensée » et de me dire alors ce que je « pouvais croire être cette pensée ».

Depuis, j'ai lu que le Général WEYGAND avait un jour répondu à un émissaire de Londres qui lui demandait de remettre l'Afrique dans la guerre : « Si vous venez avec six divisions, je vous embrasse. Si vous venez avec six bataillons, je vous tire dessus ».

J'ignore s'il a ou non jamais prononcé cette phrase, mais elle est le résumé très exact de ce qu'il m'a dit ce jour-là et que j'ai répété.

Je compris très vite combien était justifiée la prudence dont il fit preuve en cette affaire. Quelques jours après, en effet, les Allemands étaient au courant des termes exacts de ma conversation avec l'envoyé de Londres.

Celui-ci, de Tanger, s'était rendu au Caire et il avait parlé. Or, il y avait beaucoup d'oreilles en Egypte.

Mais il ne s'agissait heureusement que des propos inconsidérés d'un officier d'Etat-Major qui avait mal interprété la pensée de son Chef !


***


Je tiens à dire ici la très grande fierté que je garde d'avoir servi sous les ordres directs du Général WEYGAND, et surtout à cette époque.

L'Histoire - le jour où elle pourra être impartiale - dira, en effet, quel grand rôle fut alors le sien.

Sans lui, sans sa volonté de reconstituer en Afrique une forte armée française, et, plus encore peut-être, sans la fermeté et sans l'abnégation avec lesquelles il sût résister à la tentation de s'engager dans une action prématurée qui n'eut pu être que désastreuse, l'Histoire eut été changée.

L'Allemand aurait pu réparer la faute capitale qu'il avait commise au moment de l'Armistice en n'occupant pas l'Afrique du Nord.

Il eut probablement gagné la bataille de Libye et occupé l'Égypte. Il n'y aurait pas eu la campagne d'Italie. Il n'y aurait pas eu le débarquement en Provence. Il n'y aurait pas eu de participation importante française à la libération de la Patrie et à la Victoire.

 

 

 
Haut de page
 

 

Article paru dans le Bulletin N° 45

Dépot légal - Copyright

Enregistrer pour lecture hors connexion.

Toute exploitation, de toute nature, sans accords préalables, pourra faire l'objet de poursuites.

Lire l'Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle. - Code non exclusif des autres Droits et dispositions légales....