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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
COMMENT EST Né LE T.R. JEUNE : Les Missions du " Petit MICHEL" (2)
 

Par Michel THORAVAL.

Ma première mission s'était terminée fin février 1943. Après quelques semaines de repos à ALGER, il me fallut penser au retour. C'est alors que je fis la connaissance du Capitaine de PEICH (alias LA PRUNE)  qui devait partir en même temps que moi. C'était un Saint-Cyrien plein de flamme et de courage; très précis dans son travail. Depuis plusieurs semaines, il accomplissait stages sur stages dans les diverses sections de la DSM à EL BIAR et dans les écoles de parachutage. Affecté en Afrique du Nord depuis l'Armistice, il adorait son nouveau métier et attendait avec impatience son départ pour la France.

Il avait pour mission de fixer, avec VERNEUIL et NAVARRE, les bases du TR  JEUNE, et du SSM précurseur; il devait aussi établir des contacts avec des personnalités amies du "Patron" MM. Guy PERRIER de FERAL, Yves CAZAUX, SERIGNAN, CORVISY, etc.. Quant à moi, je devais poursuivre mon rôle d'agent de liaison et de technicien avec le TR ANCIEN. Je devais, en outre, organiser l'évasion du Général GEORGES dont la présence était réclamée à Alger par M. CHURCHILL et par le Général GIRAUD.

Comme d'habitude la préparation de notre mission fut très soignée, mais pour moi, cette mission ne représentait plus les mêmes dangers que la première.

C'était presque un voyage touristique organisé, un "comité de réception" devait m'attendre sur le terrain choisi. J'allais aussi retrouver des amis : JOHANNES, HERRMANN et SIMONIN, et je m'en ré­jouissais.

Le parachutage organisé d'Alger fut fixé en accord avec les Britanniques à la mi-avril. Il nous fallut rejoindre Londres par avion et attendre les conditions favorables à notre opération.

Je passe sur les préparatifs : ils furent ceux de ma première mission. Les Britanniques nous entourèrent une fois encore de soins vigilants et j'eus à nouveau l'occasion de constater en quelle estime ils tenaient le service dirigé par le Commandant PAILLOLE.

Après un premier essai infructueux où nous fumes pris dans une tempête terrible nous interdisant de sauter, le parachutage eut lieu à une seconde tentative.

C'était le 23 Avril 1943, vers 3 heures du matin.

Nous avions choisi comme point de chute les pentes du Mont-Vernet aux environs d'ISSOIRE.

La nuit était claire, le pilote repéra assez facilement son objectif et, à l'heure prévue, nous étions au rendez-vous. Malheureusement, une légère erreur d'altitude me fit sauter d'environ 80 mètres au lieu des 150 nécessaires.

Le Capitaine de PEICH qui sautait après moi eut plus de chance, il réussit à tomber plus bas dans la vallée. Personnellement. Je fus littéralement assommé par ma chute. Je m'évanouis et ne me réveillai qu'au moment où, autour de moi, JOHANNES, HERRMANN et SIMONIN se demandaient avec consternation ..., comment ils allaient m'enterrer. J'entendais dans un rêve sourd leurs lamentations : ils se reprochaient mutuellement de n'avoir pas songé à prendre une pelle et une pioche .

Sorti de mon évanouissement, je les rassurai; ils étaient ébahis et joyeux. Pour me remonter, le bon Papa JOHANNES m'offrit une mirabelle 1918 que je dégustai avec plaisir et qui me remit complètement sur pieds.

Malheureusement, de PEICH avait une cheville foulée qui allait le condamner à exécuter une partie de sa mission en "sédentaire", HERRMANN avec précaution, l'aida à se relever et à marcher; le malheureux gémissait de douleur.

J'apportai à mes camarades des directives et des messages du Cdt. PAILLOLE destinés aux différents chefs TR des fonds, des postes radio, du ravitaillement, entre autre du chocolat Meunier et des vraies "gauloises". J'avais, en outre, à transmettre un certain nombre de consignes verbales; enfin, je distribuai le courrier personnel.

Après avoir embarqué tout notre matériel dans les deux voitures qui étaient venues nous chercher, j'allais avec de PEICH finir la nuit à Saint-Nectaire, chez un des "honorables correspondants" d'HERRMANN, où nous étions attendus. JOHANNES, lui, tous feux éteints, partait en direction de Royat dans une autre voiture avec SIMONIN, et le matériel.

Les liaisons Radio fonctionnent remarquablement

J'étais frappé par l'excellente organisation de la réception, la précision de la méthode employée par nos camarades métropolitains pour nous accueillir, nous héberger, évacuer le matériel, m'avait frappé.

L'expérience première avait servi aussi, sur le plan purement technique des liaisons radios. Nos lieux d'émission changeaient tous les jours. rendant ainsi notre recherche très difficile par la gonio allemande. Ces déplacements perpétuels, qu'ils percevaient à l'écoute, sans pouvoir les situer, les étonnaient. Ils ne pouvaient évidemment pas supposer que nous avions : voitures, bons d'essence et tous papiers nécessaires pour circuler avec une telle sécurité.

"Sécurité", c'est là un bien grand mot, car sans le courage, sans l'imagination et l'initiative de tous, bien des fois cette serait mal terminée.

Qu'il me soit permis à ce sujet de conter quelques anecdotes :

Notre émission venait de se terminer dans un coin perdu et broussailleux des environs de SAINT-NECTAIRE; nous nous dirigions discrètement vers notre voiture, garée sur un chemin de terre, lorsque nous aperçûmes que nous étions entourés de.. trois voitures gonio allemandes facilement reconnaissables à leurs "antennes-parapluies".

Il fallait sortir de là.

Nous décidâmes de remonter en voiture, après avoir soigneusement caché notre matériel dans d'épais buissons. "Antoine" conduisait, je m'assis à côté de lui et "Georges" s'installa à l'arrière.

Notre projet n'était pas sans danger, mais moins hasardeux que l'inaction.

Avions-nous été repérés ?

Je pris dans mes bras un bouquet de fleurs des champs cueillies rapidement et, dans ce bouquet, je cachais, à tout hasard, mon revolver Notre voiture se mit en marche; il fallait, à 200 mètres de là, croiser une des voitures ennemies.

A la vérité nous étions morts de peur, sans voix. Les Allemands, plongés dans leurs écoutes, lancèrent à peine un oeil sur cette voiture qui, pourtant, renfermait les techniciens radio, qu'ils tentaient de découvrir.

Nous pûmes ainsi passer.

A quelques kilomètres de là, cachés dans un village, nous attendîmes le passage des voitures allemandes et .. nous allâmes récupérer nos précieux colis.

Un autre épisode mettra mieux en lumière le sang-froid extraordinaire d'Antoine HERRMANN.

Herrmann terrorise un barrage allemand

Nous revenions un soir vers Clermont, notre travail accompli, quand, au-dessus de CEYRAT, nous fûmes stoppés par un barrage allemand composé de 5 militaires et d'un civil.

Juste avant le barrage "Antoine" ordonna "pas un mot, je m'en occupe".

Arrivés au barrage, notre voiture s'arréta. Les Allemands demandèrent les papiers. "Antoine", imperturbable, les tendit, et sortit en même temps une carte du S.D. ! Une fois de plus nous n'étions pas fiers mais HERRMANN -le gendarme HERRMANN- restait calme. Puis tout à coup il explosa ! Avec son accent lorrain très caractéristique, il demanda, furieux, pour quelle raison on se permettait d'arrêter, aussi près de Clermont, un véhicule comprenant de tels passagers; sa voix dominait le dialogue.

Les Allemands s'excusèrent et nous laissèrent passer.

Nos nerfs devaient cependant encore être mis à l'épreuve.

200 mètres plus loin, "Antoine" s'aperçut que dans sa précipitation, il avait laissé tomber son stylo; il fit demi-tour avec la voiture et revint, auprès du barrage, où le récupérer tout tranquillement.

Dans une autre circonstance et toujours à l'issue d'une émission, nous eûmes l'occasion de constater tout l'appui que les Services de la GENDARMERIE NATIONALE pouvaient nous apporter.

Nous fûmes contrôlés sur la route par des gendarmes français et nos noms furent notés. "Antoine", cette fois était en "famille". Pourtant, il saisit tout le risque que comportait ce contrôle qui pouvait faire l'objet d'une vérification aux fichiers afin de s'assurer de l'exactitude de nos identités. Nos papiers étaient faux, (bien entendu) il fallait donc stopper cette vérification à la base.

Le soir nous allâmes rendre visite au Commandant de Gendarmerie FONFRED, qu'HERRMANN avait "affranchi" depuis longtemps; nous lui expliquâmes notre cas. Très simplement, il appela le service du fichier, retira les trois fiches compromettantes et nous dit : "Partez tranquilles, s'il vous arrive à nouveau quelque chose de semblable, revenez me voir". Nous le quittâmes pleins de reconnaissance et l'esprit plus léger.

Parfois le courage, l'initiative ou la camaraderie ne pouvaient pallier à nos ennuis. Il fallait aussi être prudents et faire preuve de flair.

On dînera ... plus tard

Un jour, nous nous trouvions dans les gorges du Tarn, non pas pour admirer le site qui est ma foi fort joli, mais parce que nous venions de procéder à l'envoi de messages.

En route depuis fort longtemps, nous avions absolument besoin de nous restaurer. Nous décidâmes de nous arrêter dans un petit hôtel restaurant. L'instinct toujours en éveil, je m'aperçus que l'un des consommateurs s'éloignait pendant quelques minutes pour aller téléphoner. Il pouvait s'agir d'un fait banal, mais il fallait tout de même se méfier. Je fis part à HERRMANN de mes doutes et lui suggérait, malgré ma faim inassouvie, un départ rapide pour éviter tout contrôle, superflu pour nous et surtout pour notre voiture.

Bien nous en prit, car nous étions cachés dans une grange voisine de l'hôtel, nous eûmes la confirmation de nos soupçons en voyant quelques minutes après apparaître les képis des gendarmes venant effectuer une vérification dans la salle du restaurant.

Étrangers à la localité, nous avions dû être soupçonnés de trafic et de marché noir par les consommateurs trop zélés, et trop bien avec la police.

Mais revenons à ma mission proprement dite.

Nous transmettions ainsi, presque quotidiennement, nos messages des environs de CLERMONT, de CEYRAT, de SAINTE ENIMIE, du PUY, de LYON, de VICHY et même de certains points de la CORREZE.

Les heures de nos émissions avaient été fixées par CAILLOT au départ de notre mission. La durée dépendait évidemment du nombre de télégrammes que nous avions à expédier. ll était pourtant indispensable, afin de gêner le repérage, qu'elles fussent aussi brèves que possible.

Les messages nous étaient remis en clair par notre Chef de poste JOHANNES et j'avais à les chiffrer. Travail minutieux, ingrat.

Nos longueurs d'onde d'émissions étaient déterminées de façon absolument rigoureuse par un quartz qu'il suffisait de brancher sur le poste émetteur. Nous avions ainsi à l'aide de différents quartz deux ou trois longueurs d'onde d'émissions différentes.

Outre ma mission technique,  j'avais dû réaliser deux opérations "pick-up". La première eut lieu deux jours après mon arrivée sur un terrain aux environs d'ISSOIRE.

Elle ne se passa pas sans incidents.

Une « réception » peu discrète

GUILLAUME, alias GILBERT (dont nos bulletins ont retracé les héroïques aventures) et le Colonel BONOTAUX devaient tous deux prendre ce "premier service". Le Colonel, ancien de la "Maison", devait assurer à Londres et à Alger une des premières missions au bénéfice de l'O.R.A. C'était un homme calme, bienveillant, prudent et courageux.

L'atterrissage se passa mal, un pneu éclata. Pour arriver à équilibrer l'avion il fallait donc crever l'autre, nous n'avions évidemment pas de roue de rechange sur place.

Le pilote, le Capitaine BRIDGER, descendit et essaya en vain avec son 7,65 de crever la deuxième roue. J'essayai à mon tour avec mon pistolet, mais je n'eus pas plus de chance. Enfin HERRMANN, toujours lui   arriva avec son "artillerie lourde" et du premier coup réussit, mais dans un bruit d'enfer. L'écho le prolongea longtemps dans la nuit. Une fois encore nous n'étions pas rassurés. Il fallait faire vite.

Le décollage fut évidemment pénible. Le pilote accrocha une ligne à haute tension qui passait à proximité et arracha quelques mètres de fil. Notre angoisse était extrême. Nous prévînmes Londres par radio. Ambulances et pompiers attendirent l'avion à l'atterrissage. J'appris plus tard que tout s'était passé normalement, mais je frémis encore.

Pour nous, après le décollage, la mission était terminée; il n'y avait plus qu'à rentrer, cependant notre mitraillade avait bien pu alerter les gens des environs.

Effectivement nous eûmes la désagréable surprise de voir arriver dans l'ombre un militaire casqué, tout essoufflé. HERRMANN le mit tout simplement en joue et lui demanda "ce qu'il faisait là".

Il était, répondit-il, de garde sur le terrain et devait, encas d’incidents, avertir par téléphone les autorités.

Nous essayâmes de rassurer ce brave homme en lui disant que l'avion était parti à destination de VICHY. Il n'en crut rien et nous fit le reproche de ne pas l'avoir prévenu et surtout , de ne pas l'avoir mis dans l'avion.

Nous l'avertîmes gentiment qu'à la prochaine liaison nous penserions à lui, à  condition, toutefois, qu'il ne signale en aucun cas l'atterrissage de l'avion sur cette partie du terrain. Pour plus de précautions, nous ne lui fîmes pas mystère que tout message passé par lui pour alerter les autorités nous serait communiqué et signifierait son arrêt de mort.

Le terrain était isolé. Il semblait bien que ce militaire seul s’était rendu compte de ce qui venait de se passer. Nous pûmes donc rentrer sans autres incidents à Clermont. Une fois encore, nous en fûmes quitte pour la peur. Nous étions tombé sur un brave homme qui sut se taire.

Le second "pick-up" eut lieu quelques jours après pour profiter de la lune, sur le CAUSSE MEJEAN (entre Florac et Sainte-Enimie). Nous avions reconnu et fait agréer par Londres un terrain splendide et bien dégagé.

Cette opération difficile nous imposa des liaisons radio - aux environs de Florac - dans de très mauvaises conditions. La gonio allemande, plus heureuse, réussit même à situer approximativement nos émissions et signala à la Gendarmerie française les lieux suspects.

Nos gendarmes furent assez intelligents pour deviner quels étaient les responsables et ne commencèrent en fait leurs recherches qu'après notre départ.

Un pick-up réalisé de justesse

Au cours de ce Pick-up, devaient prendre place dans l'avion Philippe MICHELIN (- qui, semble-t-il, a bien oublié le TR-), le Commissaire de Police KOENIG, -fidèle ami de nos Services- et son fils, le Colonel GUENIN, aide de camp du Général GEORGES, le Chef de la Section de Liaisons de la DSM Alger, le Capitaine CAILLOT, alias "CARNE" (ce pseudo lui vient sûrement de la cavalerie) et CHAMPION, un radio travaillant magnifiquement avec les Anglais et nous,  dont l'épouse qui venait d'être arrêtée par la Gestapo avait fait avec moi son entraînement de parachutiste en Grande-Bretagne.

Le soir du pick-up, une mauvaise surprise nous attendait sur le terrain. La Préfecture l’avait fait labourer sur l’injonction des autorités allemandes. M. LUDWIG, frère d'un des officiers du SERVICE qui travaillait à cette Préfecture, nous avait bien avisé de cette décision mais nous ne pensions pas qu'elle fut déjà exécutée.

Nous pûmes néanmoins repérer une bande de terrain intacte,et malgré le risque nous maintînmes le rendez-vous. La piste, encore utilisable, s'avéra suffisante grâce à la virtuosité du pilote anglais: le Group Captain PICKARD, dont j'ai déjà parlé. Son atterrissage fut impeccable et aussitôt l'avion arrêté, les passagers se ruèrent pour embarquer.

PICKARD et son aide-pilote BRIDGER qui avaient réalisé le premier  pick-up en Lysander vinrent me dire bonjour et fumer une cigarette avec moi. J'admirai leur bonne humeur, leur calme; ils me donnaient des nouvelles des amis de Londres à voix basse, tandis que nos  camarades s’installaient.

Après avoir visité le terrain en voiture avec PICKARD pour étudier les meilleures conditions de décollage, nous décidâmes que le vent étant assez réduit, le départ se ferait dans le sens du vent. Il y avait en effet dans l'autre sens une hauteur importante à franchir au décollage, ce qui paraissait difficile avec le peu de distance dispo­nible que laissait le terrain non labouré; en fait, l'opération était acrobatique.

Il fallut refaire très vite tout le balisage. Comme toujours, je craignais que le bruit de l'avion eut été perçu par des oreilles hostiles. Les voitures allumées en code nous servirent de balises. Une fois encore nous serrâmes des mains.  Le coeur un peu serré nous écoutâmes le grondement des 2 moteurs s'amplifier. Une grande ombre effleura le toit de notre voiture ..

Cette fois encore tout se passa bien et l'avion enfoncé dans la nuit, nous partîmes chacun de notre côté. Personnellement, je repartis avec Antoine HERRMANN.

Une semaine bien remplie

Un grand silence s'était fait tout à coup dans la campagne; nous sentions bien que nous n'étions pas en sécurité. Avant d'arriver à SAINTE-ENIMIE nous aperçûmes sur la route un barrage de deux gendarmes. Après une courte hésitation, nous décidâmes de le franchir en vitesse, tous feux éteints. Les militaires s'écartèrent pour éviter d'être happés par notre bolide, et nous pûmes enfin rejoindre Clermont et y trouver un sommeil réparateur. Nous étions épuisés, sales, mal rasés.

Ces trois opérations, notre parachutage et les 2 pick-up s'étaient passés en huit jours. Pendant ce temps-là, malgré les nuits blanches, nous avions continué à assurer nos émissions de jour et de nuit. Nous dormions à la sauvette, rarement dans un lit.

Pendant ce séjour à Clermont, j'eus l'occasion de revoir à plusieurs reprises le Capitaine de PEICH qui séjournait chez un sous-officier de MERCIER (notre " von Klück ") . La cheville allait mieux, mais son immobilité lui donnait une humeur massacrante; pour le calmer, je lui contais nos aventures. Peu de temps après de PEICH devait " prendre la route " et assurer les missions qui lui avaient été confiées.

Mon repos avait été de courte durée; il fallut reprendre les liaisons qui, grâce à Georges SIMONIN (dont j'ai déjà dit les extraordinaires  qualités techniques et le sens du Devoir) se passèrent toujours normalement. Il fallait aussi préparer (pour la prochaine période  de lune, le mois suivant) la deuxième partie de ma mission et penser au retour.

" L'enlèvement " du Général Georges nous est confié

Il s'agissait là de l'opération la plus importante, en raison de la personnalité que nous avions à "enlever" : le Général GEORGES attendu impatiemment par CHURCHILL et le Général GIRAUD. JOHANNES s'était chargé de joindre le Général et lui avait fait part du désir de ses éminents amis. Il s'était déclaré d'accord pour rejoindre Alger.

A la suite des incidents du Causse-Méjean survenus au cours du dernier pick-up, nous songeâmes à trouver un autre terrain d'opération. Nos recherches restèrent longtemps infructueuses : les terrains que nous prospections étaient insuffisants,  - mal dégagés, parfois, comme à USSEL-. Quand nous en trouvions un, les Anglais nous faisaient savoir qu'il était déjà réservé pour d'autres opérations. Ces recherches étaient épuisantes; elles nous imposaient de longs et dangereux déplacements pour lesquels il fallait des voitures, de l'essence, des permis de circuler. Il fallait en même temps assurer, presque quotidiennement, nos émissions.

En désespoir de cause, nous décidâmes de nous servir à nouveau du terrain du Causse-Méjean qui, malgré tout, offrait une garantie de sécurité presque absolue pour l'opération aérienne, ce qui, en raison de la personnalité de notre passager, était une raison suffisante pour l'adopter.

Pour mieux protéger notre expédition nous décidâmes d'effectuer pendant un certain temps nos émissions des "Gorges du Tarn". Nous pensions détourner ainsi l'attention de l'ennemi et des autorités françaises de la région du CAUSSE-MEJEAN.

I1 ne restait plus qu'à attendre les instructions de Londres.

Le contact était établi en permanence avec le Général GEORGES par  " von KLÜCK ", JOHANNES et HERRMANN. Le Général avait décidé d'amener avec lui le Colonel DUVAL, son collaborateur.

La liaison avec Londres fut difficile et la mise en place de l'opération rencontra un certain nombre de difficultés techniques qui nous obligèrent à la repousser pendant de longs jours. Les conditions atmosphériques, le travail considérable des équipes d'aviateurs spécialisés, étaient à l'origine de ce retard qui mettaient nos nerfs à l'épreuve. Nous sentions l'ennemi aux aguets.

Épreuve supplémentaire : à la date fixée, les Anglais nous firent encore attendre sur le terrain tous les soirs pendant près d'une semaine. Les dangers s'accumulaient. Le Général GEORGES et le Colonel DUVAL avaient dû être hébergés â Roquefort, à l'Hôtel "Casino", après avoir été expulsés comme suspects d'un Hôtel de Balsiège (près de Mende), tous deux s'impatientaient et nous accablaient de questions pendant que « von KLUCK » et JOHANNES veillaient sur eux.

Attente interminable

Quant au "groupe d'action" composé de : HERRMANN, de SIMONIN et de moi-même, il couchait (?) dans les voitures aux environs du terrain que deux gendarmes complices observaient et gardaient; nos barbes s'allongeaient, nos yeux se cernaient.

Enfin, le 16 Mai 1943, l'avion fut annoncé. Malheureusement à la première tentative, l’avion perdit de vue la piste que nous balisions de notre mieux.

A la deuxième, la malchance était encore avec nous. Un moteur flancha. L'avion fit demi-tour. Nous commencions à désespérer de pouvoir terminer l'opération pendant cette période de lune. Déjà les nuits étaient moins claires. Ces bruits, ces va et vient, notre présence dans cette région, risquaient de plus en plus de faire échouer nos projets.

La nervosité nous gagnait. C'est alors que le Général GEORGES rédigea, à l'intention de CHURCHILL, un télégramme vigoureux dans lequel il exposait la situation critique de l'équipe. Nous chiffrâmes ce télégramme après en avoir arrondi les angles et SIMONIN le transmit à la première vacation.

Le résultat ne se fit pas attendre : 24 heures après, un nouveau message de la B,B,C, nous fixait rendez-vous le soir même.

 

L'heure du départ était arrivée. Entre temps, de PEICH, qui avait achevé sa mission en boitillant, nous avait rejoint.

En plus du Général GEORGES, du Colonel DUVAL, de de PEICH, devaient prendre place avec moi dans cet avion le Commandant GIGOT et trois autres résistants dont j'ai oublié les pseudonymes et qui, sans doute, eux-mêmes, ont oublié aujourd'hui le TR.

A l'heure convenue, nous avions pris position une fois de plus dans les environs du terrain balisé avec toujours les mêmes soins.

Le dispositif de garde et de protection, plus vigilant que jamais fut mis en place .. avec nos gendarmes :

L'attente recommença; les heures passaient; le désespoir commençait à nous étreindre. Ce ne fut qu’à l’aube que nous entendîmes le bruit sympathique des moteurs. L’avion, encore un bi-moteur, se présenta. L'atterrissage fut parfait.

Le Général GEORGES donna à ce moment un magnifique exemple de calme et d'obéissance. Afin de dégager l'équipe de réception de tous soucis, il " prit en mains " les passagers, les obligea au respect des consignes de silence et d'ordre.

Les uns arrivent ... les autres repartent

Le débarquement se fit rapide. Il s'agissait d'une équipe du "TR JEUNE" qui apportait avec elle pas moins de 16 valises. (elle devait nous prendre pour une succursale de l’agence COOK !) HERRMANN levait les bras au ciel; " von KLÜCK " grommelait.

Le débarquement des passagers et des bagages terminé, nous eûmes l’explication du retard. Le pilote, le Group Captain FIELDEN, pilote du Roi, nous indiqua que ne connaissant pas le terrain et quoique ayant pris avec lui le navigateur PICKARD qui avait effectué les précédentes opérations, il n'avait pu faire son point qu'en descendant jusqu'à la Méditerranée !

Nous embarquâmes, après avoir dit au revoir avec effusion à nos amis.

Le jour se levait et déjà la campagne s'animait.

Le décollage se passa très bien; nous repartions de PEICH et moi avec un volumineux courrier de Contre-Espionnage, à destination d'Alger. C'était le 18 Mai 1943.

Quelques instants après le décollage, le Group Captain FIELDEN me fit appeler. Il m'expliqua qu'en raison de la nuit très avancée, il n'était plus question de rejoindre LONDRES comme prévu. Il fallait se diriger soit vers GIBRALTAR, soit directement vers ALGER.

En raison des détours qu'avait dû faire l'avion pour retrouver sa route, la réserve de carburant s'était épuisée et le risque était grand de tomber en panne d'essence; au-dessus de la Méditerranée, il nous serait sans doute possible de donner l'alerte et d'obtenir des secours. Nous n'avions pas d'autre choix.

Nous décidâmes en conséquence de virer "bord pour bord", sans toutefois tenir les passagers au courant de ce changement de cap. Nous appellerions Gibraltar et Alger dès que cela serait possible et nous aviserions ces bases de notre tragique situation.

Je repris ma place, imperturbable ., du moins, je le croyais ; mais c'était ne pas compter avec la vieille expérience du Général GEORGES. Il me demanda bientôt la raison pour laquelle nous volions vers le Sud pour aller vers l'Angleterre. Je lui exposai loyalement notre situation : il l'accepta avec beaucoup de tranquillité et de sang-froid.

Le voyage se poursuivit, heureusement agrémenté par les plaisanteries des passagers heureux de retrouver la liberté; les boissons chaudes et le whisky faisaient le reste …

Au-dessus de la Méditerranée, nous pûmes nous servir de la radio. Seul Alger nous répondit pour nous diriger vers le terrain de BLIDA.

Le temps passait. L'essence s'épuisait. Enfin la terre apparut. Nous étions sauvés :

A l'atterrissage, il restait à peine DIX LITRES d'essence dans les réservoirs : un vrai miracle.

Un Officier supérieur anglais reçut sur le terrain le Général GEORGES et le Colonel DUVAL. Tous deux furent rapidement acheminés vers le Palais d'Été où les accueillit le Général GIRAUD.

Pour nous, des voitures de la Direction de la Sécurité Militaire avec BERTRAND et GERMAIN, je crois, nous ramenaient à ALGER-EL-BIAR, où le Commandant PAILLOLE nous attendait et nous félicitait. Après l'anxiété des derniers jours et surtout des dernières heures, c'est avec un véritable soulagement que je retrouvai la merveilleuse ambiance de camaraderie d'EL BIAR.

Déjà un radio de SIMONIN avait avisé le "Patron" de la réussite du pick-up. Une chaude réception avait été préparée dès que le SERVICE avait été avisé de l'atterrissage à Blida de notre avion. Les questions se croisaient. Nous distribuions les lettres. Nous donnions des nouvelles.

Tout à coup, l'engourdissement nous prit; la fatigue, les émotions avaient raison de nous.

Je n'entendis plus rien; je souriais en fermant les yeux.

"Mission accomplie :

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 14

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