| Par le Colonel Paul       PAILLOLE J'ai déjà dit dans les       précédents BULLETINS, et notamment dans notre premier numéro (1) pourquoi j'avais la hantise       des liaisons directes entre le Service métropolitain et mon P.C. d'ALGER.  J'avais quitté la France       inquiet de la rupture quasi-totale de nos contacts radios entre l'A.F.N. et       nos postes de FRANCE. A quoi pouvaient servir       l'effort de si longs mois, le sacrifice de tant des nôtres, si au milieu de       l'épreuve, le SSM/TR restait sourd et muet ?  Comment assurer la       sécurité des Armées de la Libération sans pouvoir bénéficier du travail de       nos Services clandestins de C.E. ? Parvenu à LONDRES le 24       Décembre 1942, je m'ouvrais de mon inquiétude à mes amis de l'I.S.;  Bill       DUNDERDALE, " l'Oncle TOM ", avec l'amabilité et le tact qui les       caractérisaient, m’offrirent leurs moyens, tout leur appui.  ... "Nous vous enverrons       plus tard la facture..., et nous avons votre homme !" Quelques jours plus       tard, j'avais en face de moi Michel THORAVAL, un adolescent blond, mince,       timide, aux yeux étonnants de vivacité et d'intelligence. Il ne savait pas grand       chose de notre technique du renseignement, mais il avait des qualités       supérieures; son courage, sa volonté, sa foi, son enthousiasme. Son       apparente jeunesse était sa meilleure protection, son ignorance du SERVICE,       la garantie de sa discrétion et de son mépris de la routine. Je lui situais le       problème à résoudre - raccrocher au plus vite le SSM/TR à la "FRANCE LIBRE"       - sans intermédiaire.." en toute souveraineté".. lui porter les moyens de       vivre et d'oeuvrer pour la Délivrance. Sans hésiter, il       m'affirma qu'il avait compris, qu'il réussirait. Sa simplicité, sa       lucidité, m'assuraient qu'il ne "bluffait" pas. Pourtant, j'hésitai       encore. Il était si jeune …          - "Monsieur - me dit-il,       ayant deviné ma réserve - rien ne m'empêchera de servir la France, et je       serai si heureux, si fier de faire mon Devoir sous les ordres d'officiers       français, dans un Service aussi prestigieux que le vôtre". Il implorait mon regard.       J'acceptai. Jamais, sans doute, mon       intuition ne m'a mieux servi. Avec une maîtrise       étonnante, Michel THORAVAL accomplit sa mission. Ses missions.  Ce sont elles qu'il nous       conte aujourd'hui: Son récit est aussi       simple que lui. A chaque ligne comme à chacun de ses gestes, perce sa       modestie, son dévouement, son ardeur patriotique. C'est une leçon       d'énergie et de discipline. C'est la preuve que l'audace au service de       l'intelligence se joue des obstacles et reste dans les heures de crise le       meilleur facteur de la réussite. ---------------------------------------   Par   	Michel THORAVAL L'ARRIVÉE en ANGLETERRE Bon accueil mais . . . après " criblage "  Après l'armistice       franco-allemand de Juin 1940, le premier contact avec l'Angleterre d'un       évadé de France, était un château; plus exactement une prison aimable,       courtoise :"PATRIOTIC SCHOOL". C'était, gardé par une       compagnie britannique, un château situé au milieu d'un grand parc bordé par       une route où nous avions comme seule distraction, le plaisir devoir passer       quelques "Bus". En y arrivant, nous étions dirigés vers de grands dortoirs       où nous vivions une vie semblable à celles des casernes françaises. Par       contre, la nourriture, quoique britannique, y était bonne. A la suite  de multiples       interrogatoires, on nous y laissait libres de choisir, soit un avancement       rapide, en rejoignant la jeune armée de la FRANCE LIBRE, soit le combat       anonyme, mais plus immédiat, au sein de l'Organisme puissant et rodé des       Services Spéciaux Britanniques. Ces interrogatoires,       dirigés par des Officiers anglais parlant parfaitement notre langue,       portaient surtout sur les contacts que nous avions eu en France occupée avec       les différents organismes de Résistance. Nous devions, entre autre,       préciser les noms et adresses des personnes que nous avions rencontrées au       sein de ces organismes. Les Britanniques       cherchaient ainsi non seulement à se faire une opinion sur les évadés mais       aussi à recouper à l'aide des multiples interrogatoires les différents       renseignements qu'ils possédaient sur la résistance française. Cela les       aidait également à détecter les agents ennemis qui pouvaient essayer de       s'introduire, sous un prétexte patriotique, en territoire britannique. Les journées, en dehors       de ces interrogatoires fastidieux, se passaient dans le calme et nous       pouvions consacrer une part de notre temps à la détente physique. J'ai ainsi       le souvenir de 2 ou 3 matches de football disputés entre les "Invités"       français et les éléments de la Cie Britannique qui les gardaient. Pour moi, arrivé au       cours du printemps 1942 en Angleterre, ces interrogatoires eurent au moins       un résultat bénéfique. A la suite des renseignements que j'avais donnés, les       dirigeants britanniques de l'organisation de Résistance à laquelle j'avais       appartenu en France depuis l'Armistice, purent me joindre. Alors que j'étais venu       pour combattre dans les rangs de la FRANCE LIBRE, ils me proposèrent de       continuer à servir dans les rangs de l'I.S. dont dépendait mon réseau.       J'avais quitté la France avec la volonté de combattre rapidement. Il me       sembla que l'occasion m'en serait donnée ainsi plus vite et plus sûrement. Après quelques jours       d'hésitation et de réflexion, je fis savoir que j'acceptais. J'allais       pouvoir enfin quitter "PATRIOTIC SCHOOL"        Le lendemain, un       chauffeur vint me chercher. Il m'emmena dans un immeuble situé dans les       environs de Victoria Street où je fus accueilli par une manière de géant       : "l'Oncle TOM". Il s'exprimait bien en français avec un fort accent       irlandais. Sa première préoccupation fut de me transformer en un civil       décent. Le complet que je       portais avait supporté les différentes épreuves que constituaient le passage       de la frontière des Pyrénées, le long séjour dans 5 prisons espagnoles, le       transit à Madrid, puis à Gibraltar, les 5 jours de traversée pour arriver en Ecosse, le voyage jusqu'à Londres. Je n'étais plus présentable. "L'Oncle       TOM" me donna de l'argent et les points de textiles sans lesquels il était       absolument impossible à cette époque de s'habiller en Angleterre. J'allais       dans un grand magasin et quelques instants après j'étais un gentleman. Ce côté matériel réglé,       je pus me consacrer à des études techniques en usage dans les Services       Spéciaux. ELEVE PARACHUTISTE Il était prévu, en       effet, qu'après les stages nécessaires, il me serait confié une mission sur       les côtes sud de la France avec un débarquement par sous-marin ou par       avion. Cette dernière éventualité m'obligea à faire mes classes de       parachutiste dans un camp qui ne me laissa que des bons souvenirs. A Ringway, nous étions       un petit nombre d'élèves parachutistes dont en particulier une jeune femme       radio qui devait, par la suite, être parachutée en France. Nous étions       guidés par un Officier Franco-anglais servant un peu de nurse et par un       capitaine instructeur ne connaissant que quelques mots de français. Tous       les deux étaient secondés par d'élégantes A.T.S. peu farouches. Nous étions logés par       chambre individuelle. L'entraînement sportif était intense. Je reçus le       baptême de l'air puis ce fut mon premier saut en parachute qui s'accompagna       d'une peur intense. Je dois dire que les risques passés, ce saut me procura       une fierté que je n'arrivais pas à dissimuler. A la fin de ce stage qui       avait duré huit à dix jours, je revins à Londres préparer ma mission et       fixer la date possible de mon départ.  J'étais prêt. Du moins,       je le pensais, et l'Aventure pouvait commencer. Les Britanniques       étudièrent mon point de débarquement, les premiers contacts que je pourrais       avoir en France sur la côte sud. Ils  m'enseignèrent les différentes       manières de m'installer pour envoyer les messages radio, la façon d'utiliser       les codes, etc.          Hélas ! malgré mon       impatience et ma bonne volonté, ma mission n'arrivait pas à prendre corps.       Elle était sans cesse retardée. J'en profitais pour compléter ma formation       technique et mes connaissances en matière de recherches du Renseignement. La patience n'étant pas       ma qualité dominante, je commençais à piaffer sérieusement quand un matin       apparut le sauveur. ----------------- Jeune homme, j'avais       rêvé des prouesses des agents du "2ème Bureau". Je fus donc invité, ce       matin-là, par un Chef de l'I.S. à rencontrer un "Monsieur", qui, me dit-on,       appartenant à ce Service. C'était le 26 Décembre       1942. Présentation brève dans le bureau de ce Chef de l'I.S. ; j'étais très       intimidé, car on ne m'avait donné aucun détail sur cet Officier. Pourtant,       je me rendais très bien compte de la haute estime que tous les Chefs       britanniques lui témoignaient. A peine osais-je le regarder. Je vis dans un       éclair une grande silhouette; des yeux clairs me dévisageaient; un sourire,       un mot aimable, et je fus congédié. Je ne vivais pas. Tel un       jeune candidat dans l'incertitude du résultat d'un examen capital, j'étais       inquiet de l'impression que j'avais pu produire. Allait-on me trouver trop       jeune ou imaginer que je ne connaissais pas suffisamment les bases du métier       auquel je me destinais ? Maintenant, j'en suis convaincu, faire du       contre-espionnage, rechercher des renseignements, est un vrai métier qui       doit faire l'objet d'une préparation minutieuse. En 1942, j'étais un       novice; ce premier et fugitif contact avec un homme de métier me faisait       déjà comprendre mon inexpérience et mon audace. APPARITION de "MONSIEUR PERRIER" L'après-midi de ce même       jour, impatient et timide, je rencontrai à nouveau "Monsieur PERRIER", dans       un petit local mis à sa disposition. Avec gentillesse, il me mit à l'aise,       me fit asseoir. Il me fit d'abord ressortir toutes les difficultés de ces       missions secrètes. Je crois qu'il cherchait à éprouver mes sentiments et à       me détourner de l'Aventure si ma volonté et mon audace ne suppléaient point       à mon inexpérience. Je tenais bon. Convaincu de ma détermination, il décida       alors de m'instruire rapidement sur les problèmes particuliers du       Contre-Espionnage qu'il dirigeait et sur les difficultés que rencontrait en       France son SERVICE. Je le rencontrai       plusieurs fois. Il me parla longuement de la France, du TR, de ses missions,       de l'esprit de camaraderie régnant entre tous. Puis, un jour, il traça       les grandes lignes de ma mission qui m'apparut assez complexe :  Le but essentiel était       d'établir des liaisons plus fréquentes avec Londres et Alger. Surtout avec       Alger où il devait s’installer. Je devais aussi porter       un message personnel de Monsieur PERRIER à son adjoint, M. VERNEUIL, Chef du       TR, clandestin en France Occupée; je devais encore prendre contact avec       l'O.R.A, les généraux OLLERIS et FRERE, apporter au SERVICE des fonds et       enfin revenir rapidement en rapportant les renseignements de       contre-espionnage recueillis par le Réseau depuis le départ de France de "M.       PERRIER". J'étais comblé et       inquiet par de telles responsabilités. J'acceptai avec enthousiasme cette       mission, trop fier de servir, à la fois, dans une organisation purement       française et surtout dans le traditionnel et prestigieux "2ème Bureau" de       l'Armée. La TECHNIQUE du "PICK-UP" Mais, si j'avais       jusqu'alors étudié le moyen d'arriver en France, il me fallait en raison       même de ma mission acquérir la formation nécessaire pour en revenir       rapidement et sûrement. Il fut convenu que je suivrai un stage "Pick-up",       technique apparemment simple puisqu'elle consiste à faire atterrir et       décoller de nuit un avion sur un terrain de fortune, reconnu à l'avance et       faiblement balisé. Cet avion étant bien entendu destiné à la fois au       transport des passagers "clandestins" et du courrier. Deux types d'avion       étaient utilisés par les Britanniques pour ce genre de liaison : d'abord, le       fameux petit Lysander, monomoteur pouvant amener 2 passagers avec un seul       pilote; ensuite, le Hudson, bi-moteur , permettant de transporter 8 à 10       passagers avec 2 à 3 hommes d'équipage. Les données du terrain à choisir       étaient assez strictes, il fallait pour le monomoteur une longueur de       dégagement d'environ 700 mètres et pour le bi-moteur de 1200 mètres avec 600       mètres de piste très roulable.  Je laisse imaginer le       courage et la virtuosité dont les pilotes spécialistes de ces missions       nocturnes devaient faire preuve. Par priorité tout à fait       spéciale, je fis un stage "Pick-up" à Tungmere. J'eus le plaisir d'y       rencontrer le Group Captain PICKARD, un des héros de la R.A.F. Ce fut un       séjour enchanteur, j'étais d'ailleurs le seul élève, choyé, couvé. J'y reçus       également quelques leçons de pilotage. L'atmosphère était excessivement       sympathique et j'avais à ma disposition, pour effectuer quelques promenades       dans la campagne anglaise, une "chaufferette" fort souriante. L’entraînement fut très       rapide. On peut s'étonner, connaissant les Anglais, de la rapidité et du       soin avec lesquels cette mission fut organisée, rien ne fut laissé au hasard       et je sentis, dans l'accomplissement de ce programme autant la haute main       de M. PERRIER que l'effet du prestige dont jouissait son Service auprès de       l'I.S. Ce nouveau stage       accompli, je rentrai à Londres et préparai fiévreusement les derniers       détails de ma mission. "M. PERRIER" était parti pour Alger. Ses derniers       mots avaient été plein d'encouragement; il avait su me donner confiance en       moi-même, en ma mission. Il restait maintenant à préparer les papiers       d'identité, à choisir le lieu d'atterrissage pas trop loin de       Clermont-Ferrand où se trouvait le centre du TR-Ancien. "M. PERRIER" avait       recommandé un terrain aux environs d'Issoire : nous le repérâmes sur les       cartes. Après un premier voyage       infructueux, dans la nuit du 17 au 18 janvier 1943, (le Halifax dans lequel       j'avais pris place, s'étant perdu en raison de la tempête au-dessus de la       France) ce fut le 19 janvier 1943, à 2h. 30 du matin, que j'effectuais le       saut tant attendu. ---------------- La nuit était claire. Je       survolai enfin avec une joie immense la France que j'avais quittée quelques       mois auparavant. J'avoue pourtant que ce fut avec un serrement de coeur que       je quittai cet avion britannique pour rejoindre la terre française. J'étais       tenaillé par la crainte intense de ne pouvoir remplir correctement ma       mission. Si le terrain choisi       était idéal pour un parachutiste, il s'avérait, par contre, assez dangereux       pour l'agent spécial que j'étais. Il était bordé au Nord par une ligne de       chemin de fer gardée de jour et de nuit, au Sud par un château réquisitionné       par les Allemands et enfin par une route fréquentée.  J'atterris sans mal. PREMIERE NUIT en FRANCE Aussitôt relevé, je       pliai mon parachute et le dissimulai dans une rivière proche. Je ne gardai ,       sur moi, que le quartz nécessaire à l'établissement de la liaison radio,       ainsi qu'un poignard dont j'avais appris à me servir au cours de ma       formation de parachutiste. (Je crois d'ailleurs que M. JANSEN a encore ce       poignard sur son bureau). En attendant le lever du jour, j'essayai de       dormir. Le champ était bordé en contre bas de la route par de hautes herbes.       Je m'y blottis mais n`arrivai pas à trouver le sommeil. J'avais froid.       J'étais impatient de me mettre à l'épreuve. Vers huit heures, le       jour levé, je partis en direction d'Issoire. Mon but était d'y rencontrer le       Capitaine KERHERVE qui commandait alors la section de gendarmerie de cette       ville. C’était le premier contact   que "M. PERRIER" m'avait       ordonné pour retrouver VERNEUIL et le réseau TR. Le Capitaine KERHERVE me       reçut très gentiment. Il me demanda des nouvelles de Paris d'où j'étais       supposé venir; il me fit remarquer, en passant, qu'un brin de paille sur mon       manteau paraissait contredire mes propos de citadin … je rougis. Cette       remarque fut pour moi la meilleure leçon. Je me rendis compte que le plus       petit détail pouvait me trahir et compromettre le succès de ma mission. Sans       insister davantage, le Capitaine KERHERVE m'indiqua le moyen de rencontrer à       Clermont-Ferrand MARECHAL, l'adjoint de VERNEUIL. Je sautai dans le       premier train. A la sortie de la gare       de Clermont, j'eus l'amère surprise de me trouver entre une double haie de       soldats allemands. Après un moment d'hésitation, l'air innocent, je passai       sans encombre mais le dos trempé de sueurs froides. Ainsi que cela m'avait       été indiqué, je me rendis à l'Aéro-Club du Puy-de-Dôme où la Secrétaire,       Mademoiselle VERGNE, me fit attendre en maugréant. Pour me faire patienter,       elle eut la "gentillesse" de me montrer un exemplaire des tracts dont le       Halifax qui m'avait transporté avait inondé la région de Clermont-Ferrand       pour masquer sa mission réelle. Enfin MARECHAL arriva. Jovial, trapu. Je me       fis reconnaître avec la prudence que "M. PERRIER" m'avait recommandée. Mon       interlocuteur se détendit tout à fait. Le CONTACT est ETABLI avec le T.R.- " Ancien " A partir de ce moment,       je respirai plus librement, le contact avec le TR-Ancien était bien établi.       La première partie de ma mission allait pouvoir s'accomplir. MARECHAL me demanda       quelques détails sur mon voyage, sur le "Patron", je les lui donnai       volontiers ainsi que les nouvelles d'Angleterre que je pouvais lui apporter. Nous décidâmes de retourner à Issoire pour y récupérer le parachute       et le matériel que j'y avais laissés. Nous y fûmes reçus très       gentiment par le Docteur ROUBILLE, "honorable correspondant" de MARECHAL. Il       se mit à notre disposition et nous pûmes ainsi , dans la voiture du médecin,       récupérer les objets que j’avais été obligé de cacher à mon arrivée. Le Docteur ROUBILLE nous       fut d'un grand secours car si sa voiture pouvait circuler sans attirer       l'attention, il n'en était pas celle de MARECHAL, étrangère à la région. Nous rentrâmes ainsi à       Clermont, MARECHAL, par des       chemins compliqués, me conduisit dans une sorte de pavillon de banlieue. Un       homme d'une cinquantaine d'années, grand, légèrement grisonnant, nous       accueillit avec bonhomie et simplicité. Il parlait lentement avec un petit       accent alsacien : c'était "JANSEN", le Chef du Poste TR. local. Chez lui,       j'allais rencontrer les deux autres camarades qui allaient devenir les       compagnons intimes de ma première mission : Antoine HERRMANN, gendarme       solide et ardent, qui devait jouer auprès de moi le rôle d'un garde du corps       vigilant et le blond et serviable Georges SIMONIN, dit le "Frisé",       technicien étonnant, qui devait établir au moment voulu tous nos contacts       radio. Du reste ce furent là       nos soucis majeurs. Nous tentâmes sur place, immédiatement, la liaison avec       Londres afin d'annoncer mon arrivée et le contact établi avec le réseau TR.       Nous eûmes la chance inouïe de réussir au premier essai. Jamais le SERVICE       n'aura assez de reconnaissance pour Georges SIMONIN qui, grâce à son       dévouement, à sa valeur, se jouait de toutes les difficultés. L'équipe était formée.       Ce fut à partir de ce moment, sous l'autorité bienveillante de "JANSEN",       l'exécution méthodique de toutes les consignes que "M. PERRIER" m'avait       données. L'ensemble des messages à transmettre à Alger était centralisé au       poste TR. de Clermont et chaque jour, nous prenions contact avec Alger,       contacts rapides qui permettaient cependant l'envoi de plusieurs       télégrammes.  Afin d'éviter le       repérage de la gonio allemande, nous étions obligés de changer chaque fois       notre lieu d'émission ce qui nous valait avec des promenades nombreuses dans       la campagne le choix de lieux d'émission inattendus et aussi certaines       aventures qui, grâce à Antoine HERRMANN, furent toujours pleines d'humour. C'est ainsi qu'il nous       arriva à plusieurs reprises d'émettre du clocher de l'Eglise de Tarnac dont       Antoine HERRMANN connaissait le sacristain, un réfugié lorrain. Pendant nos       heures de repos à Tarnac le sacristain nous faisait déguster sa salade au       pissenlit accompagnée de lardons. J'en ai un souvenir ému bien que parfois       la salade fut amère et coriace              Un SPECIALISTE du "SYSTEME D" Un jour, nous fûmes       bloqués par la neige sur le plateau de Millevaches; impossible d'avancer       alors que l'heure du contact approchait; pas de pelle. Dans une ferme       proche, nous pûmes trouver les outils qu'il nous fallait mais le temps       passait et il nous était impossible d'arriver à l'heure prévue au lieu       d'émission que nous avions choisi. Antoine HERRMANN décida       avec beaucoup de cran de réquisitionner l'atelier d'un sabotier. Les       télégrammes que nous avions à passer étaient importants et fort longs.       HERRMANN se présenta au sabotier comme « fonctionnaire du Gouvernement de       Vichy » : Il indiqua que nous avions à prendre contact immédiatement avec       les organismes de cette ville et nous eûmes la chance de pouvoir émettre       avec l'appui de la municipalité : Tandis que nous échangions nos messages       avec Londres, Antoine HERRMANN       discutait des difficultés du Gouvernement du Maréchal devant le sabotier et       une dizaine de villageois émerveillés des moyens techniques déployés par       Vichy.  Un des messages reçu ce       jour-là de "M. PERRIER", m'ordonnait de rentrer à Londres et de ramener avec       moi, par ordre du Général GIRAUD, le Général REVERS; je devais pour cela       prendre contact avec ce dernier. Il me restait encore à       remplir deux parties essentielles de ma mission initiale : prendre contact       personnellement avec le Chef du TR.-Clandestin, VERNEUIL, et rencontrer les       Généraux OLLERIS et FRERE, Chefs de l'O.R.A. . DECOUVERTE de VERNEUIL Ma prise de contact avec       VERNEUIL fut difficile. Ce fut le Capitaine MERCIER que je rencontrais à       Clermont qui la mit sur pied. VERNEUIL, emmitouflé dans sa clandestinité,       était difficile à joindre. Malgré les difficultés journalières, il ne       dédaignait pas la bonne chère. C'est ainsi que je le rencontrai à       Clermont-Ferrand dans un restaurant de marché noir où je pus apprécier avec       lui la bonne cuisine française que je n'avais plus goûtée depuis bien       longtemps. Affable, tout en       rondeurs, VERNEUIL me donna un tas de renseignements, de détails       passionnants. Il me fit aussi des reproches, des récriminations que je       devais transmettre à Alger. Il avait l'impression - c'est ce qu'il me       chargeait de dire à "M, PERRIER" - que le SERVICE, installé en A.F.N., ne se       rendait plus compte des difficultés rencontrées par les camarades       travaillant en France et réclamait trop de leur activité. Peut-être sa       prudence et sa réserve, que personnellement je jugeais excessives,       furent-elles parmi les raisons qui, à mon retour à Alger, incitèrent "M.       PERRIER" à créer au plus vite le réseau TR.-Jeune. Je me rendis ensuite à       Vichy pour rencontrer les Chefs de l'O,R.A, et ramasser le courrier qu'ils       pouvaient avoir à transmettre. Le rendez vous avec les Généraux OLLERIS et       FRERE eut lieu dans un petit appartement. J'avoue que mon premier contact       avec ces Officiers généraux dût être décevant pour eux. J'étais, une fois       encore, tellement intimidé, que je ne sus rien leur dire de précis.       J'emportai toutefois, à destination d'Alger, leurs instructions et leur       courrier. Quelques jours après, je       pus être enfin reçu dans son appartement de Vichy, par le Général REVERS. Je       lui transmis l'invitation du Général GIRAUD à rejoindre Alger.       Malheureusement une maladie de coeur, qui apparemment n'a pas fait de       ravages sérieux, l'empêcha de prendre l'avion que je lui proposais. J'en       rendis compte immédiatement à "M. PERRIER" par radio. Je reçus de lui de       nouvelles instructions. Je devais cette fois "enlever" le Capitaine       BONNEFOUS qui se trouvait alors à Bourg et avec qui je devais prendre       contact. "JANSEN", avec son calme olympien, se préoccupa d'établir ce       contact et de faire connaître au Capitaine BONNEFOUS les ordres du "Patron".       BONNEFOUS fit savoir qu'il rejoindrait au plus tôt Clermont et se tiendrait       à notre disposition. ------------------ Pendant ce temps, il       nous fallait trouver le terrain propice à notre opération "Pick-up". Après       de multiples recherches, nous arrêtâmes notre choix sur le terrain       d'aviation de Boen-Feurs dans la Loire. Ce terrain immense présentait les       conditions idéales pour réaliser une telle opération aérienne, mais,       inconvénient majeur, il était gardé. Heureusement, au lieu de la garde       allemande habituelle, il s'agissait ici d'une garde française, non       permanente et relativement débonnaire. Le terrain présentait d'autre part       l'avantage d'être assez isolé, et la circulation dans la région était       réduite. Nous en envoyâmes les       coordonnées à Londres qui aussitôt  « l’homologua ». Il restait à choisir       le jour et l'heure de l'opération en fonction de la pleine lune et des       conditions atmosphériques. Ces indications devaient nous être données par       un message personnel diffusé le soir même de l'opération par la B.B.C.       Autant qu'il m'en souvienne, le texte de ce message était : "les eaux de       l'Atlantique sont plus bleues que celles de la Méditerranée". Nous nous mimes à       l'écoute dès le premier jour de la pleine lune. BONNEFOUS était arrivé.       Pâle, souriant, avec des moustaches qui surprirent ceux qui le       connaissaient, il avait un air de ressemblance avec Fernand Gravey. Le       message conventionnel fut reçu dès le lendemain; l'opération était prête. En       vérité nous étions assez nombreux et il nous fallut quitter Clermont-Ferrand       avec deux voitures. Je pris place dans la première en compagnie des       Capitaines BONNEFOUS, MERCIER et d'Antoine HERRMANN. Quant à BONNEFOUS,       peut-être rendu nerveux par l'opération, il conduisait vite et nous valut       l'éclatement d'un pneu sur le bas côté de la route. J'étais fâché de cet       incident et me demandais si un deuxième éclatement n'allait pas       compromettre la réussite de toute cette affaire mais rendu prudent,       BONNEFOUS acheva le parcours avec calme et nous arrivâmes sans nouvel       incident aux abords du terrain choisi. Il était 23 heures. Les voitures       furent cachées dans un petit chemin de campagne, le balisage mis en place       par HERRMANN, SIMONIN et moi-même; puis nous primes nos positions       respectives : HERRMANN et SIMONIN à un bout de piste, BONNEFOUS et moi à       l'autre bout. L'attente commença. La       nuit était claire. Il faisait froid. C'était le 18 Février 1943. Notre avion       n'avait pas l'air pressé d'arriver. Muets, immobiles, nous sentions nos       membres s'engourdir. Enfin, vers 1 heure 1/2 du matin, le bruit sympathique       du petit monomoteur Lysander se fit entendre; nous respirâmes. Depuis un       long moment les aboiements continuels des chiens de la campagne qui       sentaient des présences insolites s'ajoutaient à nos angoisses. Antoine HERRMANN, (notre Providence) avait pensé à la goutte de cognac qui nous       remonterait et tandis que le ronflement du moteur se précisait, il nous       ragaillardissait avec sa fiole. Nos yeux brillaient de joie. RETOUR à LONDRES L'avion fit un       atterrissage remarquable, 5 ou 6 mètres après nos premières balises. Il alla       tourner rapidement en bout de piste, et vint se placer moteur ronflant en       position de départ. J'ouvris rapidement le cockpit, poussais BONNEFOUS       hésitant dans la carlingue, montai à mon tour et donnais l'ordre de départ au       pilote. Tout ceci avait pris exactement 2 minutes et demi et ce fut, je       crois, un record. Le voyage de retour se       fit sans histoire, nous étions à l'arrière avec BONNEFOUS, chargés de       guetter les lumières anormales, les éclatements de D.C.A. et éventuellement,       les avions qui eussent pu nous prendre en chasse. Rien ne se passa, nous       nous offrîmes même le luxe d'une descente rapide pour saluer un cycliste       noctambule qui circulait dans la campagne. Depuis le décollage,       nous avions ressenti une détente totale. Pour créer  une atmosphère plus       confiante, j'avais fixé le parachute de BONNEFOUS et le mien quoique sachant       fort bien qu'il est presque impossible de sortir en vol d'un Lysander. La       satisfaction que j'avais d'avoir rempli ma mission, le confort anglais que       nous avions retrouvé dans l'appareil où avaient été prévus des boissons       chaudes et du whisky, complétèrent heureusement cette détente. L'atterrissage à       Tungmeere en Angleterre se passa bien. Nous fûmes très bien accueillis. Le       pilote qui nous avait ramené était un des camarades avec lequel j'avais       effectué mon stage "Pick-up" et pris quelques leçons de pilotage. Pendant       plusieurs minutes, nous pûmes échanger nos impressions. Je le remerciai. Les       pilotes de la Base, pour nous réconforter, nous offrirent une légère       collation dont j'ai gardé un curieux souvenir car elle était composée de       sardines à l'huile …  et de whisky. Au P.C. "EL BIAR" d'ALGER Nous ramenions des       documents importants que BONNEFOUS et moi-même devions remettre au plus tôt       en mains propres au Chef du Contre-Espionnage à Alger : "M. PERRIER". J'en       exprimais le désir â l' "Oncle TOM" que nous vîmes dès le lendemain et       quarante-huit heures plus tard nous prîmes l'avion à destination de cette       ville où nous arrivâmes le 23 Février 1943, "M. PERRIER" nous attendait sur       le terrain. Redevenu le Commandant PAILLOLE, Chef des Services de Sécurité       des Armées, son accueil fut réconfortant de cordialité. J'eus droit à ses       éloges, tandis qu'à son tour il taquinait affectueusement BONNEFOUS à propos       de ses moustaches et de sa ressemblance avec Fernand Gravey. Après un compte-rendu       détaillé de ma mission, j'eus droit à une permission. J'en fus heureux. Car       si je connaissais et appréciais déjà les chefs de service de la D.S.M., je       n'avais aucune idée d'Alger ni de l'ambiance de la "Maison" à EL BIAR. La       villa occupée par le SERVICE était de style mauresque, située au milieu d'un       parc, dans un cadre charmant dominant la rade d'Alger. La camaraderie, la       franchise qui existaient entre les membres du SERVICE, la confiance que tous       avaient dans leur CHEF et son adjoint, le Colonel SEROT, me procurèrent       encore plus de courage et de foi dans les missions difficiles qu'il me       restait à remplir et que je souhaitais aussi prochaines que possible. (1) "De l'Armistice à       la Victoire" - Bulletin N° 1.     |