| Mise au point concernant l'ouvrage "   	Legacy of ashes" - Tim WEINER –   Voir la   	présentation de cet ouvrage sur notre site par      Pierre de Villemarest  Signé Tim Weiner, un ouvrage : Legacy of ashes - ce qu'on   	peut traduire par "Des cendres en héritage" - a paru en juillet 2007 aux   	États-Unis (Ed. Double Day - New York). Il a bénéficié de la   	déclassification de milliers de documents jusqu'à présent tenus sous le   	coude. Sa lecture laisse en effet un goût de cendres dans la bouche. Tel est   	peut-être le but recherché par l'auteur, qui consacre plus de 600 pages à   	l'énumération des seuls échecs de la CIA, et qualifie d'inutilité, voire de   	nullité, la vie et l'histoire du Renseignement américain, de sa naissance en   	1941 à aujourd'hui.  Tim Weiner n'évoque jamais les conséquences de la pénétration   	des agents soviétiques dans les rouages de ce qu'on appelle communément la   	communauté du Renseignement, dont la CIA n'est d'ailleurs qu'un élément   	parmi quatorze autres, dont la DIA, le renseignement du Pentagone ; la NSA   	ou Agence de Sécurité nationale, plus spécialisée dans le chiffre et les   	écoutes internationales, tandis que le FBI a longtemps été confiné dans le   	contre-espionnage intérieur, comme l'a été la DST en France ou le MI-5 en   	Grande-Bretagne.  L'auteur survole les années 1941 à 1945, lorsque, sous   	l'impulsion de Bill Donovan, l'OSS parachuta en Europe occupée ses premières   	missions. L'ironie dont il fait montre est mal placée lorsqu'il insiste sur   	l'amateurisme de la majorité des volontaires qui venaient nous tendre la   	main, et nous apportaient des armes. Nulle part, il ne signale la disparité   	de ces missions. Il est trop jeune pour avoir vécu ces temps et pu constater   	la diversité de ces équipes. Les unes se composaient d'hommes décidés, mais   	sans qu'on leur ait expliqué la mentalité des gens qu'ils allaient   	rencontrer, très différente de celle des cow-boys américains. D'autres,   	comme ceux que j'ai reçus dans les maquis d'Isère et de la Drôme, étaient   	convaincus avoir pour mission non seulement de chasser l'occupant, mais de   	conquérir l'Europe sous prétexte de la libérer. D'autres étaient d'origine   	communiste, recrutés parmi ceux qui, à la fin des années 1930, avaient   	émigré aux États-Unis ou au Canada. Nombre d'entre eux demeuraient ou   	redevenaient fidèles à leur idéologie, momentanément troublés par l'idylle   	germano-soviétique d'août 1939 à juin 1941.  Autre remarque : leur "patron", Bill Donovan, confondait   	volontiers le Renseignement et l'Action. Il rêvait de "coups" d'audace   	plutôt que du travail lent et persévérant de ceux qui sont chargés de   	s'infiltrer et de faire leur nid dans le camp adverse. Même si en 1947,   	lorsque naquit la CIA, la distinction entre ces deux spécialisations se   	manifestait, au moins dans les organigrammes de l'Agence, il n'empêche que   	beaucoup d'officiers, éduqués dans la précédente période, continuaient de   	confondre la nature de leur tâche, et que des drames se produisirent à   	partir de 1944, dont je tiens à souligner la réalité en évoquant la   	disparition en mission en Allemagne de 42 volontaires de l'OSS.  Selon Weiner, ils ont disparu, victimes de leur   	impréparation, sans doute tués ou jugés et exécutés. C’est inexact. J'en ai   	retrouvé deux, et leur histoire est autre que celle insinuée par Weiner :   	tous étaient d'anciens communistes allemands qui, au lieu de s'insérer dans   	les derniers sursauts des nazis, s'arrangèrent pour rejoindre les   	avant-gardes de l'Armée rouge. Ils arguèrent de leur ancienne attache avec   	le parti communiste, mais plusieurs furent pris pour des provocateurs par   	certains officiers soviétiques. Ils le payèrent de plusieurs semaines ou   	mois de captivité fort éprouvants. Les deux Allemands que j'ai rencontrés en   	1946 revenaient à l'Ouest, car ils avaient compris que, dans la zone occupée   	par Moscou, la réalité communiste ne correspondait en rien à leurs rêves. Ce   	commando de 42 agents n'a donc pas été victime de l'impréparation de leur   	formation, et n'a donc pas disparu au combat...     Les directives de George Kennan  En fait la CIA a été victime, comme tous les services secrets   	américains pendant un demi-siècle, des conseils prodigués à leurs chefs   	successifs par le diplomate George Kennan. Dès le début de la "guerre   	froide", celui-ci devint le prétendu grand stratège des Américains, face à   	l'Union soviétique. Aujourd'hui encore, il est considéré comme tel.  George Kennan avait été en poste à Moscou avant de briller   	dans l'élitisme dominant auprès de la Maison-Blanche. D'origine, il baignait   	dans l'ambiance de la Société fabienne née en GrandeBretagne, puis épanouie   	aux États-Unis au début des années 1900. Ses maîtres connus, G.B. Shaw, le   	couple Webb, Aldous Huxley, etc. rêvaient d'un monde pacifiste dans lequel   	il n'y aurait plus d'affrontements entre les nations par la seule vertu d'un   	dialogue perpétuel entretenu par des "Tables rondes" ou des concertations   	diplomatiques. Selon la règle fabienne, il ne fallait pas s'opposer de front   	à un adversaire, mais le contourner ou le "contenir".  "Contenir" fut la panacée préconisée par Kennan pour   	s'opposer au déferlement et à la prise de pouvoir des armées soviétiques, de   	1944 à 1947, dans les pays Baltes et en Europe Centrale. Contenir voulait   	dire que les États-Unis s'opposeraient à l'extension de ces armées sur   	l'ouest européen. Les Accords de Yalta avaient abandonné la moitié de   	l'Europe au joug soviétique, l'URSS devrait s'en contenter, tandis que   	l'Ouest s'habituerait à vivre sous la protection de l'Otan.  Cette doctrine satisfaisait les gouvernements occidentaux,   	trop heureux de pouvoir reconstruire tranquillement leur économie, sans se   	préoccuper de ce qui se passait à l'Est. Née au début des années Vingt aux   	États-Unis, une école de pensée de cet ordre se manifestait. Elle se   	dénommait le Conseil en Relations étrangères, ou CFR. Elle n'était que   	l'aspect visible de la Société fabienne, dont Kennan devenait, déjà sous   	Roosevelt, le stratège, avec pour support ses quelque 700 affiliés, tous   	brillants universitaires, économistes, chercheurs, journalistes que le   	président avait conviés à s'intégrer dans les rouages de l'administration du   	pays, et qui, une fois Truman au pouvoir, étaient devenus l'encadrement de   	fait de la politique de la Maison-Blanche.  Société discrète, le CFR se gardait alors d'apparaître comme   	étant l'inspiratrice et la gardienne du pouvoir. A pointer ses activités,   	grâce aux listes de ses membres, on constate qu'après 1945 pas un seul   	président des États-Unis, pas un seul Secrétaire au Département d'État,   	Secrétaire au Trésor, à la Défense, au Commerce extérieur, ou directeur de   	la CIA, n'ait été désigné ou promu qu'il n'appartienne au CFR, ou ne soit   	entouré de cadres du CFR. Et cela jusqu'à nos jours.  C'est dans ce contexte qu'il faut examiner le rôle de George   	Kennan qui, à l'abri du CFR, devint l'inspirateur et parfois le rédacteur,   	entre 1945 et 1950, de la plupart des Directives du Conseil de Sécurité   	américain en matière de politique étrangère. J'ai pu l'apprendre grâce aux   	informations de mes amis, dont un élu de la Chambre des Représentants, John   	Rarick, ou encore de membres de l'équipe qui a entouré durant vingt ans le   	sénateur Jesse Helms, le président de la Commission des Affaires étrangères,   	ou encore du membre du Congrès Larry MacDonald, dont l'avion sud-coréen fut   	délibérément abattu par la chasse soviétique dans le sud-est asiatique, en   	1983.  La confirmation la plus éclatante de la puissance du CFR me   	fut donnée en novembre 1972 à New-York.  Un historien, très connu du "club", m'avait invité   	avec cinq ou six autres Français à suivre l'ultime soirée des élections   	présidentielles, en ma qualité de membre d'une commission de travail de   	l'Alliance atlantique. Dans l'esprit de mon hôte, cela signifiait sans doute   	que j'étais soumis aux Américains de cette organisation. Au fur et à mesure   	des résultats affichés sur l'écran de télévision, il s'exaspérait de   	l'inéluctable progression de Richard Nixon. Pour finir, il ne put contenir   	sa rage, jusqu'à s'écrier : « Il va donc entreprendre son second mandat.   	Mais nous avons les moyens de l'interrompre s'il continue de dériver,   	notamment au Vietnam, de la ligne que nous avons fixée !» Ce propos eût été   	sibyllin si je n'avais su son appartenance au CFR. Son "nous" la confirmait.   	Un banquier français, mon voisin durant cette soirée, me dit d'ailleurs   	tandis que nous regagnions notre hôtel : « Ils sont donc aussi puissants que   	nous l'imaginions à lire ce que vous publiez dans vos Lettres d'information   	!»  Quelques semaines plus tard, le scandale du Watergate   	éclatait. Les pressions du CFR aboutirent à la suspension du mandat de   	Richard Nixon, qui, à propos du Vietnam, avait donné des ordres pour en   	finir avec la guerre en la gagnant au lieu de freiner les efforts des   	Sud-Vietnamiens et de l'armée US. Ordres qui ne furent pas appliqués...  En 2006 d'ailleurs la Secrétaire au Département d'État,   	Condoleezza Rice a tenu ce propos, une fois mais pas deux, devant un   	parterre de sympathisants :« Notre échec au Vietnam est dû au fait que nous   	ne nous y sommes pas engagés dans le désir de vaincre, mais avec, au mieux,   	la volonté d'en limiter les dégâts. .. »  En effet, contrairement à la doctrine Kennan, Nixon voulait   	gagner cette guerre. Il avait décidé de mettre en oeuvre la puissance   	militaire américaine en interrompant avec ses bombardiers et sa Marine de   	guerre le ravitaillement en armes et munitions par l'URSS et la Chine dans   	les ports nord-vietnamiens. La CIA savait que quatorze cargos (fournis par   	les chantiers navals occidentaux) participaient à ces livraisons   	ininterrompues. Entre autres mesures, qui furent "suspendues" par les   	initiés du CFR, donc de la doctrine Kennan, Nixon voulait en finir avec   	l'interdiction d'attaquer ces cargos.     La Directive NSC 58, du 14 septembre 1948  Je suis redevable à un haut transfuge roumain, qui réussit à   	fuir Bucarest durant les années 1950, d'avoir eu connaissance d'une   	directive du Conseil national de Sécurité. Celle-ci est la clef de tous les   	échecs de la stratégie américaine dans le monde, trop facilement imputés à   	la CIA par Weiner.  Datée du 14 septembre 1948, ignorée des analystes car elle   	est ensevelie dans les archives nationales américaines, sans qu'aucun   	chercheur ait osé l'en extirper, je l'ai publiée en 1984 et de nouveau en   	1991 (°) dans des ouvrages qui ne sont pourtant pas inconnus puisque vendus   	à plus de 20.000 exemplaires, sans parler de ses versions en langues   	étrangères. Aucun démenti n'est venu de quiconque. Fuyant toute polémique,   	les intéressés ont préféré le silence à une publicité, qui se serait   	retournée contre eux.  Cette Directive n'a été distribuée en 1948 qu'à deux ou trois   	douzaines de très hauts fonctionnaires en poste auprès de Truman, puis de   	son successeur, le président Eisenhower.  Elle expose en 45 points ses "conseils" quant à « la   	politique à suivre à l'égard des pays satellites de l'URSS et en Europe de   	l'Est ».  Dans son avant-propos, elle affirme que l'Amérique n'a que   	deux options à opposer au déferlement soviétique en Europe de l'Est : soit   	la guerre, soit des mesures appropriées pour éviter l'affrontement. La   	seconde option est la règle choisie par le ou les auteurs, encore qu'on   	devine ici la main de George Kennan. Il s'agit de tout faire « pour   	remplacer les gouvernements actuels (imposés par l'URSS) par d'autres   	gouvernements, qu'ils nous soient favorables ou non, même s'ils doivent être   	communistes, à condition qu'ils ne soient pas sous le contrôle de Moscou. »  Le point 33 précise : « Pour l'instant, le moyen le plus   	commode est d'encourager les dissidences idéologiques. » Développement avec   	le point 38 :« Nous pouvons exercer notre influence sur le terrain politique   	et sur celui de l'économie. Il est clair que ce dernier domaine est celui   	dans lequel nous avons le plus de chances de réussir. » Plus loin, on lit   	qu'il s'agit « de déclencher une offensive massive contre la doctrine   	stalinienne et pour la promotion d'un communisme national, avec utilisation   	totale de notre puissance économique ».  On voit le moment où cette Directive est diffusée : c'est   	celui où le Maréchal Tito rompt avec Moscou et, grâce aux renseignements   	américains et anglais, déjoue au moins deux attentats. Il faut d'ailleurs   	savoir qu'activement mêlé à l'appui logistique des Brigades rouges   	espagnoles en 1937, il se réfugia en URSS, mais que, marginalisé par le   	Pacte germano-soviétique dont il refusait le compagnonnage, Tito dut son   	salut à un faux passeport. Ce passeport, n° 32.829, qui le disait mécanicien   	de profession, lui fut délivré à Ottawa en tant que réfugié politique ayant   	obtenu la nationalité canadienne. Il permit à Tito de réintégrer la   	Yougoslavie en 1940. L'année d'après, en mars 1941 selon les Mémoires du   	prince Sturza, ancien ministre des Affaires étrangères de Roumanie, il   	rencontra à plusieurs reprises à Belgrade Bill Donovan, qui séjournait alors   	dans les Balkans en tant qu'envoyé spécial du président Roosevelt. Cet   	épisode Tito n'est pas traité dans l'ouvrage de Weiner. Il est pourtant   	l'illustration directe, fin 1948, de l'application de la doctrine Kennan,   	telle que décrite dans la Directive NSC 58. Mais cet exemple d'un communisme   	national, encouragé par les services américains, n'eut aucune répercussion   	dans les pays déjà occupés par les Soviétiques. Sinon celle d'inciter Moscou   	à renforcer ses moyens policiers dans le glacis de l'Est européen où des   	purges ravagèrent les partis communistes au pouvoir.     Le mensonge par omission ou désinformation des faits   Politisée de l'intérieur par l'intrusion dans ses rangs   	d'officiers qui appartenaient au CFR, et qui obéissaient à la Directive 58,   	la CIA ne pouvait être efficace dans son combat contre l'influence   	soviétique. Elle ne "contenait" rien du fait de la pénétration constante   	dans ses rangs d'agents de l'URSS avertis des consignes Kennan.  Weiner ironise sur "l'alarmisme" du commandement américain de   	Berlin qui, quelques jours avant le déclenchement du blocus soviétique,   	alerte ses instances supérieures :« Dans les trois ou quatre jours", les   	armées de Joukov pourraient bien déferler sur l'Allemagne et toute l'Europe   	de l'Ouest. Or, selon Weiner, il ne se passe rien... Sauf que le blocus de   	Berlin est déclaré, au risque d'affamer la population... sauf que,   	parallèlement, Moscou tentait déjà d'asphyxier l'économie ouest-allemande en   	inondant de faux billets de marks les zones alliées. En forçant le blocus de   	Berlin, le commandement de l'aviation américaine "violait" les consignes de   	la NSC 58.  Durant cette période, des élections générales ont eu lieu en   	Italie. Sans les mesures prises par James Angleton, responsable du   	contre-espionnage américain dans le pays, les communistes s'apprêtaient à   	prendre le pouvoir, n'eussent-ils obtenu que 22 ou 25% des voix, comme ils   	l'ont fait à Prague en 1947. Mais James Angleton est déjà catalogué   	"paranoïaque", obsédé d'anticommunisme par ses ennemis politiques. Weiner   	semble ignorer (?) quelle était à l'époque la puissance des appareils   	secrets soviéto-communistes implantés en Europe occidentale, et que si les   	Américains avaient cédé au blocus de Berlin, à la soviétisation de l'Italie,   	les armées de l'URSS auraient atteint Berlin en trois jours, tandis que des   	grèves générales auraient paralysé les administrations belges,   	néerlandaises, françaises.  Weiner déforme la réalité géopolitique et sociale du moment   	pour se braquer sur les manques du renseignement américain. Certes la CIA   	n'a pas prévu que, dans les années 1950, un coup d'État bouleverserait au   	Caire le régime corrompu du roi Farouk, au profit du colonel Nasser et des   	dix personnalités civiles et militaires qui l'entouraient. Mais il omet de   	fouiller la question. Il ne sait manifestement pas que sur la douzaine de   	nassériens, deux étaient des agents de Moscou, tels les frères Mohieddine   	et, hors ce noyau particulier, tel général égyptien.  Certes la CIA s'est perdue dans les marais du Vietnam, mais   	elle n'y accompagnait la guerre que "sous condition", puisque les généraux   	ne voulaient pas la gagner, mais seulement persuader le Vietnam du Nord de   	composer avec le Sud. Un processus qui fut négocié de 1967 à 1972 par   	Kissinger avec Hanoï, dans le dos des unités américaines et vietnamiennes.   	Grâce à quoi, en 1975, les communistes ont "soviétisé" non seulement ce   	pays, mais aussi ses voisins du Laos et du Cambodge.  Sur le front européen, Weiner assure que les chefs   	d'orchestre de la lutte contre le communisme s'appelaient Jay Lovestone et   	Irving Brown. C'est vrai, mais avec une nuance de taille. Lovestone avait   	été un des cinq fondateurs du parti communiste américain au début des années   	Vingt. Puis, faute de s'entendre avec Earl Browder, le n° l du parti, il   	avait été un dissident parmi d'autres, mais pour reprendre l'idée du   	"communisme national" préconisé par la Directive NSC 58. Même remarque   	concernant Irving Brown, d'origine trotskiste. En France, tous deux ont   	provoqué une scission dans la CGT qui a donné la CGT-Force-Ouvrière   	d'orientation socialiste, également prête à souscrire à un communisme   	détaché de Moscou. Nombre de ces nouveaux militants de la CGT-FO feignaient   	d'épouser ce point de vue, mais n'en demeuraient pas moins fidèles à   	l'appareil moscovite.  De même, aux États-Unis, les "progressistes" au sein de la   	CIA se retrouvaient derrière d'anciens de l'OSS comme Cord Meyer ou encore   	le Révérend William Sloane Coffin et Arthur M. Schlesinger qui estimait «   	qu'il fallait déborder le communisme sur sa gauche, pour en capter le   	dynamisme ». Un dynamisme dont une bonne dizaine d'affaires d'espionnage a   	émaillé la chronique des services britanniques et américains durant les   	années 1970 à 1980. Elles ne sont pas évoquées par Tim Weiner, hormis celle   	de l'espion William Wolf Weisband, dont il ne donne aucune précision sur son   	rôle et son passé, mais en incrimine la CIA.  Or il s'agit d'un décrypteur qui, de 1946 à 1950, tint le GRU   	au courant de ce que savait la CIA des intentions et du travail des services   	soviétiques, moyennant de confortables "compensations" financières.  Weisband, né en Égypte en 1908, parlait plusieurs langues,   	dont le russe et l'arabe. Il avait été recruté par l'OSS en 1942, avait   	travaillé pour elle en Italie et en Europe, et servait Moscou depuis 1946.   	Une fois arrêté et étant passé aux aveux, il réussit à distiller dans ses   	récits de quoi semer le trouble dans les services alliés. Par exemple, il   	soutint que Jacques Soustelle, qui avait été directeur de la DGSS (devenue   	DGER, aujourd'hui DGSE) en 1944-1945, était un agent soviétique.  Soustelle m'a raconté combien il avait souffert de la   	suspicion qu'il sentait alors rôder autour de lui, sans en connaître   	l'origine. Certes, entre 1937 et 1939, il avait fréquenté des scientifiques   	et des chercheurs qui en majorité soutenaient le Front populaire, mais,   	hostile au pacte germano-soviétique, il profita d'une mission au Mexique   	pour échapper à cette mouvance, et passa au service de Charles De Gaulle en   	1940. Douze ans plus tard, gouverneur provisoire en Algérie, il avait montré   	qu'il n'avait pas de leçons à recevoir en matière de "colonialisme", mais   	restait attaché au maintien d'un Empire qui déplaisait autant à Washington   	qu'au Kremlin. Il n'en demeure pas moins que Weisband avait su semer le   	doute à son sujet dans le milieu du renseignement, et qu'il lui faudra des   	années pour se débarrasser de cette étiquette accrochée dans son dos.  Durant un demi-siècle, les "Organes" ont toujours su placer   	au bon endroit et au bon moment des agents dévoués à leur cause. Ainsi   	durant la guerre, à Berne, une des secrétaires de Dulles. Aux États-Unis, la   	secrétaire du chroniqueur de renom Walter Lippman. Mais lorsque ce dernier   	en fut averti, il éclata de rire comme s'il s'agissait d'une farce. La   	secrétaire en question ne fut pas poursuivie. S'il existait dans les rangs   	de la CIA des spécialistes compétents, ils n'étaient pas écoutés des   	politiciens chargés de les surveiller au nom du CFR et des fameuses   	Directives de George Kennan.     L'ultime rapport de l'inspecteur général de la CIA  Aujourd'hui, tout le monde sait ce qu'avec plusieurs amis   	nous révélions dans un opuscule paru en français et en anglais au début de   	l'année 2003, lorsque Bush a lancé ses armées contre l'Irak : Saddam Hussein   	ne possédait pas d'armes de destruction massive. Il est admis dans l'ultime   	rapport de l'Inspecteur général de la CIA, paru fin août 2007 et préfigurant   	celui publié le 11 septembre, que le directeur de l'Agence, George Tenet,   	aux commandes de 1997 à sa démission en 2004, avait annoncé, plusieurs mois   	avant le 11 septembre 2001, que le terrorisme arabe allait frapper aux   	États-Unis. Tim Weiner est de ceux qui lui reprochent de n'avoir pas pris à   	temps des "mesures appropriées". Mais si Tenet connaissait avec des preuves   	les desseins d'Al Qaïda ou d'autres organisations, il ignorait quand, où et   	comment l'action se déclencherait.  A notre avis, les services secrets israéliens l'ont appris   	quelques heures avant l'attaque des tours de Manhattan. Il était de toute   	façon trop tard puisque les enquêtes du FBI n'étaient pas systématiquement   	transmises à la CIA ni à aucun autre organisme de renseignement. Ni   	d'ailleurs celles du Mossad, au point que fut soulevée l'hypothèse que ces   	attentats étaient souhaités par certains afin de créer un choc salutaire et   	réveiller l'opinion américaine.  Nous ne trancherons pas, mais tout est possible dans la   	guerre secrète, et l'ironie veut que le président G.W. Bush ait décoré Tenet   	en 2005 de la Médaille de la Liberté, en raison de son rôle crucial "dans le   	combat contre A1 Qaïda". Une autre ironie fait que le New York Times et   	d'autres medias du camp "libéral" aient salué commme une "bonne nouvelle",   	le 24 août 2007, la désignation de Jay Rockefeller, démocrate élu en West   	Virginia, à la présidence de la puissante commission sénatoriale des   	Affaires de renseignement. C'est la preuve directe que les fidèles de George   	Kennan au sein du CFR continuent de superviser les services d'espionnage et   	de contreespionnage des États-Unis.  On ne peut donc attendre d'eux qu'ils violent les règles du   	jeu édictées le 14 septembre 1948 avec la Directive NSC 58, qui déterminent   	le rôle de la CIA et des autres agences face à l'adversaire, qu'ils soient   	russes ou émanant des mouvements révolutionnaires arabes.  La publication éventuelle du rapport de l'Inspection générale   	de la CIA, pas davantage que la parution du 11 septembre 2007, n'apprendront   	rien de nouveau, sinon quelques points de détails qui serviront aux   	Démocrates à renvoyer dans ses foyers le président G.W. Bush, et à mettre en   	route "les moyens de limiter les dégâts", comme disait C. Rice à propos de   	la fin de la guerre du V ietnam.  Mais les limiter où et comment ? Tandis que les Américains   	ont transformé des quartiers privilégiés de Bagdad en bunkers inviolables,   	le reste du pays éclate en fractions rivales. Les stratèges qui ont inspiré   	Bush, tels Richard Perle, Paul Wolfowitz, n'ont imposé la démocratie ni en   	Irak ni dans les États alentour. Tributaire des pétroles saoudiens et des   	Émirats du Golfe Persique, l'Amérique plonge dans un drame politique sans   	fin, si elle ne rompt pas avec la méthode Kennan, tandis que Pékin et Moscou   	se bornent à constater les ravages d'une doctrine qui n'a pas voulu battre   	l'adversaire, mais composer avec lui.  On ne compose pas avec la Révolution qui, elle, n'hésite pas   	à dévorer ses propres enfants s'ils composent avec le monde qu'elle veut   	détruire.       |