Par le Général Louis RIVET
Tome II des Mémoires de guerre du Général de GAULLE
Quelques mémorialistes d'après-guerre ont évoqué une querelle qui a aggravé le désaccord fondamental entre le Général GIRAUD et le Général de GAULLE: c'est celle des SERVICES SPECIAUX.
Ils se sont hâtés d'en donner une explication qui a provoqué en son temps une brève polémique, prolongement regrettable des acides colloques d'Alger. Sollicité par une actualité autrement passionnante, le grand public l’a ignorée, tout au plus lui a-t-il accordé une attention "lasse et lointaine. Cela valait sans doute mieux.
Mais voici que l'Histoire, celle qui nous survit, nous y ramène sous la plume prestigieuse du Général de GAULLE. La postérité est, cette fois, appelée à juger du débat.
Le Général de GAULLE, il faut l'en louer, entend ne laisser dans l'ombre aucune des difficultés qu'il eut à surmonter pour assurer le regroupement et l'organisation des forces françaises avides de rentrer en lice. Les "SERVICES SPECIAUX" constituaient une de ces forces, non la moindre.
Mais une dualité s'était instituée quand le Chef de la France combattante avait dû, à Londres, mettre sur pied ses Etats-Majors et Services : il avait créé un "Service de renseignements et d'action" (B.C.R.A.) qui, à l'heure où l'unité des forces armées se réaliserait, allait faire double emploi avec le Service des renseignements classique (S.R.), dont les activités n'avaient jamais cessé en dépit de l'Armistice et de l'Occupation...
La Direction du S.R. se trouvait à Alger depuis le 10 Novembre 1942, quand les Services du Général de GAULLE, y compris le B.C.R.A., y firent leur apparition (Mai-Juin 1943).
Le principe de l'unification des deux organes fut immédiatement abordé : un Service de Renseignements bicéphale eût été un non-sens.
Mais le désaccord éclata dès les premiers contacts, quand il s'agit de définir l'autorité à laquelle seraient rattachés les Services Spéciaux unifiés.
Le Général GIRAUD les réclama au nom d'une tradition qui avait fait ses preuves, et qui les plaçait sous les ordres du Chef de l'Armée.
Le Général de GAULLE les voulut à sa disposition en tant qu'organe d'essence gouvernementale, dont le Commandant en Chef n'aurait que l'utilisation conditionnelle et limitée.
De part et d'autre, les positions se raidirent rapidement. Et quand le Général de GAULLE se vit attribuer tous les pouvoirs, il prit des décisions comminatoires, élimina GIRAUD, décapita le S.R. et l'intégra dans une "Direction générale des Services Spéciaux" (D.G.S.S.) confiée à Mr. SOUSTELLE.
En inscrivant, même en raccourci, ce conflit parmi tant d'autres qui ne lui rendirent pas la tâche facile, le Général de GAULLE, souligne toute l’importance qu'il attachait à son objet. Il fait oeuvre d'historien scrupuleux en précisant les mesures qu'il fut amené à prescrire afin de réaliser, selon ses vues et contre la résistance de GIRAUD, l’unité des Services Spéciaux.
Il apparaît cependant à ceux qui, rangés derrière le Général GIRAUD leur chef direct, s'efforcèrent pendant des mois, par des arguments de bonne foi et de raison, d'amener l'équipe adverse à reconnaître leur supériorité professionnelle et à en tenir meilleur compte, que l'explication donnée par le Général de GAULLE ne justifie pas la solution qu'il imposa.
Elle passe notamment sous silence les raisons profondes et graves sur quoi se fondait l'opposition à la "fusion" projetée, et qui ne s’inspirait, est-il besoin de le dire, d'aucun esprit de fronde ou d'indiscipline.
Le Général de GAULLE n’a pas hésité, en plusieurs circonstances, à rendre aux ouvriers du S.R. un hommage discret, mais combien précieux.
Il appréciera sans doute qu'ils aient gardé, dans le silence, la meurtrissure d'une mesure dont ils savaient trop qu'elle atteignait la France en guerre. Mieux que personne, ils connaissaient la valeur de leur outil et les immenses services qu'il avait rendus...!
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