L’actualité remet périodiquement en évidence le rôle néfaste et trop souvent coupable de certains fonctionnaires, civils ou militaires, durant l’occupation. Avec tristesse sinon écoeurement, nos Services ont dû remettre à la Justice le sort de ceux de nos compatriotes coupables d’avoir servi l’ennemi en utilisant les moyens que leur conférait leur situation. Attitude d’autant plus condamnable qu’elle était celle de fonctionnaire parfois haut placés. Des faits aussi répréhensibles que la trahison ou le crime contre l’humanité révoltent aujourd’hui une opinion, sensibilisée – sans grandes nuances – par des médias avides de scandales.

Cinquante ans après, ils apparaissent comme la conséquence inéluctable et généralisée de la politique de collaboration de Vichy. Dès lors ils entraînent, souvent et trop vite, l’opprobre sur l’ensemble de ceux qui, à des titres divers, ressortissaient de la fonction publique de 1940 à 1944.

Un sentiment d’équité, face à l’Histoire, nous fait un devoir d’en appeler à de tels jugements. Trop rapides, trop brutaux, maladroitement répandus, ils ne peuvent que nuire à l’image d’une France qui, malgré sa défaite et les tortures de l’occupation, sut trouver dans tous ses milieux sociaux et professionnels la force de résister et de défendre son honneur.

Ainsi, allant de la complicité prudente à la volonté affirmée de lutter contre l’ennemi, de nombreux fonctionnaires et militaires furent associés au combat clandestin : actions ponctuelles, isolées, parfois anonymes, actions organisées, permanentes, avec le double risque de la répression impitoyable et de l’incompréhension par l’opinion ignorante des réalités. Plus les responsabilités étaient élevées dans la hiérarchie vichysoise, plus le ” jeu ” était délicat, ambigu…

 

Pour illustrer notre propos, nous avons fait appel à deux témoignages :

– l’un posthume, celui du grand Français que fut dans les échelons les plus élevés de la Police de Vichy, notre regretté ami, Pierre Mondanel ;

– l’autre de notre camarade Guy de Saint-Hilaire. Fonctionnaire à un rang plus modeste, il retrace avec sincérité ce que fut son existence de résistant, puis de Chef de Réseau des Forces Françaises Combattantes, Kléber-Marco ». Nous lui sommes reconnaissants de sa contribution à notre effort de VERITE.

Avant de livrer à nos lecteurs ces témoignages, je voudrais, en guise de conclusion de cette introduction, rappeler deux faits :

1) Les Réseaux de résistance militaires (1), tous homologués aux Forces Françaises combattantes entre Juillet et septembre 1940 furent, quoiqu’en pensent les falsificateurs de l’Histoire, les premiers réseaux français à se lancer dans la lutte clandestine contre l’Axe et à renseigner les Alliés.

Ils durent leur rapide efficacité aux concours spontanés qu’ils trouvèrent dans l’Armée de l’Armistice, sa Gendarmerie, la Justice Militaire, l’Administration, les Affaires Étrangères, et la Police.

2) Les deux principaux groupes de Résistance Français existant à la fin de 1940, n’ont vu le jour et n’ont pu s’épanouir qu’avec les initiatives et l’apport des militaires de l’Armée de l’Armistice :

– ” Combat ” du Capitaine Henri Frenay.

– ” Alliance ” des Commandants Loustaunau-Lacau et Faye, avec Marie-Madeleine épouse du Capitaine Meric.

Une abondante littérature (2) parfois stupidement qualifiée d’hagiographique par les détracteurs habituels de l’Armée, , authentifie ce qui précède. J’en conseille la lecture.

 

PIERRE MONDANEL, UN GRAND FONCTIONNAIRE DE VICHY DANS LA RÉSISTANCE

Entouré du respect de tous et de notre affection, Pierre Mondanel s’est éteint à quatre-vingt-seize ans le 1er septembre 1986 à Clermont-Ferrand.

Tout a été dit sur sa prestigieuse carrière de grand policier, sur ses éminentes qualités humaines, sur son érudition et bien entendu sur son attachement à l’Armée et plus particulièrement à nos anciens Services. Il fut de 1955 à 1986 le délégué régional exemplaire de notre Association en Auvergne.

Pour témoigner de son action résistante dans le cadre de ses attributions de haut-fonctionnaire de police à Vichy de 1940 à son arrestation par les Allemands et à sa déportation en 1943, nous avons extrait des archives du Réseau des Forces Françaises Combattantes S.S.M./F./T.R. dont Mondanel était un honorable correspondant, deux attestations d’authentiques ” résistants “.

 

MONDANEL ET LE C.E. RÉPRESSIF

M. Sauvanet, Préfet du Puy-de-Dôme, Officier de la Légion d’Honneur, atteste en date du 21 mai 1945 ce qui suit :

J’atteste que M. Mondanel m’a tout spécialement prié d’aller le rencontrer à Pont-du-Château au début d’août 1943 pour une communication importante. Il m’a signalé qu’un grave et imminent danger menaçait les membres de l’Armée secrète et les résistants de la région de Toulouse.

De ses renseignements, il se dégageait que l’Intendant de Police B… avait déclaré quelques jours plus tôt à Vichy qu’il avait introduit des informateurs dans les rangs de la Résistance et qu’avec de puissants moyens, il allait déclencher avant la fin de l’année une série d’opérations de Police en vue de procéder à l’arrestation des cadres et des principaux membres des organisations de résistance de la région toulousaine.

M. Mondanel a vivement insisté pour qu’un homme de confiance fut immédiatement dépêché à Toulouse pour aviser et mettre en garde les responsables de la Résistance de cette Région. Ce qui fut fait.

Signé SAUVANET

 

L’HÉROÏSME D’ALSFASSER

Le renseignement capital de Mondanel parvient à la D.S.M. d’Alger vers le 20 août 1943. Il confirme ce que nos Services de C.E. savaient déjà de l’attitude coupable de B…, notamment dans ses activités de Commissaire de police à Lyon, véritable auxiliaire du S.D. et de Barbie (3). Il faut agir.

La décision est prise en accord avec Londres de mettre un terme aux tristes exploits de ce dangereux personnage et de donner ainsi un coup d’arrêt au zèle répressif.

Ce fut la mission de l’envoyé d’Alger, Alphonse Alsfasser.

Avec l’aide du groupe ” Morhange “, le 23 octobre 1943 à 20 h 15 le traître B… était exécuté. Le retentissement en fut considérable.

Hélas, dans la nuit du 26 au 27 octobre 1943, une patrouille allemande surprenait le commando du Réseau S.S.M./F./T.R. sur le point de s’embarquer pour Alger à bord du sous-marin Casabianca.

Un homme fit face pour protéger le repli de ses camarades et sauver le courrier destiné à la D.S.M.

C’était Alphonse Alsfasser qui, mission accomplie, rejoignait son Chef. Il repose dans le cimetière de Ramatuelle où, chaque année l’A.S.S.D.N. et la commune lui rendent hommage.

 

MONDANEL ET LE C.E. PRÉVENTIF

M. René Vallet, du Cabinet du Ministre des Armées, officier de la Légion d’Honneur atteste le 24 août 1946 ce qui suit :

Ministère des Armées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Cabinet Civil

Paris, le 24 août 1946.

Je soussigné René Vallet, Attaché au Ministère des Armées -Cabinet Civil, Service d’Information- Officier de la Légion d’Honneur au titre de la Résistance, atteste ce qui suit :

J’ai reçu de Georges Mandel, dont j’étais l’ami personnel, après avoir été son éditorialiste de politique étrangère à l’ ” Ami du Peuple ” – le 7 juin 1940 à 23 heures, au Ministère de l’Intérieur – des Instructions qui m’ont amené à me rendre à Vichy le 1er juillet.

En novembre et décembre, j’ai pris contact avec le Commissaire Jacques Coutant collaborateur de M. Mondanel, Inspecteur général des Services de Police. J’ai apprécié aussitôt la position anti-allemande et anti-collaborationniste de M. Coutant.

En janvier 1941, M. Coutant m’offrit d’entrer sous la direction générale de M. Mondanel, dans une section spéciale chargée de recueillir et de transmettre au mieux des intérêts français des renseignement secrets sur les milieux allemands, journalistes, diplomates, policiers, de Vichy, sur les agissements des membres du gouvernement Pétain, Laval et sur ceux des collaborationnistes français en général.

J’acceptai aussitôt. Je m’étais déjà préparé à ce travail. Il m’était facilité par les relations que j’avais établies dans les milieux français et étrangers au cours des vingt-cinq années de journalisme politique. Enfin, Georges Mandel m’avait parlé de M. Mondanel en des termes élogieux.

M. Coutant me le fit rencontrer et, dès lors, s’établit entre nous la collaboration quotidienne la plus intime, en prenant bien entendu , les précautions nécessaires.

Guidé par un patriotisme ardent, M. Mondanel était un Chef exigeant et clairvoyant autant qu’un soutien incomparable. Grâce à ses instructions précises, riches d’expérience, j’ai pu mener à bien pendant quinze mois des enquêtes délicates et fournir de longs rapports sur les divers objectifs cités plus haut, sur Krug von Nida, Lequerica, Geissler, Deloncle et leurs acolytes. J’ai pu déceler plusieurs missions secrètes d’émissaires de Von Ribbentrop., comme ” Lenz “, ou de Goebbels, comme ” Mercier “, surprendre des entretiens diplomatiques, dérober une méthode allemande applicable aux Services de Renseignements dans la presse, etc…

C’est sur les ordres de M. Mondanel que je suis entré à l’agence ” Inter-France ” dont nous avons pu connaître la plupart des rouages et des objectifs et les détails de sa collaboration étroite avec les Services Officiels allemands et l’agence ” Transocean “.

C’est, guidé par lui, que j’ai pu réussir à faire échouer avec l’aide du S.R. français prévenu par mes soins, une gigantesque entreprise de propagande et d’espionnage montée par l’ami de Von Ribbentrop, ” Lenz “, qui avait pris contact avec Tremoulet de ” Radio-Andorre “.

D’accord avec M. Mondanel, j’ai tenu l’Ambassade des États-unis au courant des résultats de notre action.

Après la révocation de M. Mondanel, en avril 1942, je suis resté à Vichy suivant ses instructions.

J’ai continué de mon mieux jusqu’à la Libération l’œuvre largement amorcée. J’allais le voir aussi souvent que possible, chez lui à Pont-du-Château. Nous confrontions nos informations. Il m’apporta toujours un puissant réconfort moral et m’évita maints dangers. En juillet 1942, il me signala que j’étais l’objet d’une étroite surveillance, en raison de mes visites à l’Ambassade Américaine.

A Vichy, par les conversations recueillies dans les milieux allemands, j’avais acquis la certitude qu’il était considéré aussi bien par les diplomates que par la Gestapo, comme l’un de leurs principaux ennemis en raison de ses sentiments et de son expérience professionnelle.

Nous avions en conséquence préparé notre départ pour l’Afrique du Nord par l’Espagne avec M. Coutant quand il fut arrêté en décembre 1943 et déporté en Allemagne. J’étais allé le voir quelques jours auparavant. Mon passage à Pont-du-Château avait été signalé à la Gestapo sans que l’on eut pu, toutefois, m’identifier. Interrogé à ce sujet sous la menace du revolver et malmené, M. Mondanel n’a pas révélé mon nom.

Je lui dois la vie. Si j’ai pu rendre à notre Pays quelques services, c’est à Georges Mandel et à lui que je le dois.

signé René VALLET

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