AASSDN Commentaire : Dans cette interview donnée à France Bleu/ici Roussillon, le général d’armée aérienne Manuel Avarez de l’armée de l’Air et de l’Espace française, décrit son parcours depuis son arrivée en France, étranger devenu Français, d’apprentis mécanicien à sa fonction d’inspecteur général des Armées.
A ceux qui sont travailleurs et reconnaissants envers la France qui les accueille, il affirme que tout étranger à la possibilité non seulement de s’assimiler à la Nation mais aussi à y développer ses talents.
Encore faut-il le vouloir et vouloir servir sa patrie d’adoption !
Ses propos rappellent ceux du lieutenant-colonel Amilakwary, alors qu’il commandait la 13e demi-brigade de Légion étrangère : « Nous, étrangers, n’avons qu’une seule façon de prouver à la France notre gratitude pour l’accueil qu’elle nous a réservé : nous faire tuer pour elle ». Il tombe mortellement blessé quelques mois plus tard.
Arrivé dans les Pyrénées-Orientales à l’âge de sept ans après avoir fui le franquisme avec sa mère, Manuel Alvarez s’est engagé dans l’armée à l’âge de 15 ans. Il est aujourd’hui l’un des plus haut-gradés de l’armée française. Interview avant sa venue ce vendredi à Perpignan.
C’est un parcours hors norme, l’histoire d’un enfant qui fuit l’Espagne franquiste avec sa mère. Manuel Alvarez arrive dans les Pyrénées-Orientales, au Boulou, au début des années 70. Il a alors sept ans et ne parle pas français. À quinze ans, il s’engage dans l’armée, devient mécanicien 2e classe de l’armée de l’air. Aujourd’hui, Manuel Alvarez est général cinq étoiles, l’un des plus haut-gradés de l’armée française, Inspecteur général des armées. Le général était l’invité de ici Roussillon ce vendredi matin avant sa venue à Perpignan dans le cadre de la campagne de recrutement de l’armée de l’Air et de l’Espace, organisée ce week-end dans les Pyrénées-Orientales.
ici Roussillon : Pouvez-vous commencer par nous raconter votre arrivée en France et dans les Pyrénées-Orientales ?
Général Manuel Alvarez : En fait, rien ne me prédestinait à vous parler ce matin. Moi, je suis né il y a bientôt 60 ans dans la région la plus pauvre d’Espagne et les circonstances de la vie ont fait que, à l’âge de deux ans, il ne me restait plus que ma mère et ma grand-mère maternelle. Nous vivions sous le franquisme dans des conditions très rustiques puisqu’on habitait dans une maison où il n’y avait pas d’eau courante, pas d’électricité. Et la première mission de ma grand-mère le matin était de prendre deux récipients sur ses hanches et d’aller chercher l’eau à la fontaine du village. À quatre ans, nous avons émigré vers la Catalogne qui à l’époque était l’une des deux régions d’Espagne où il y avait un peu de travail. Et là, on a rejoint ma tante, la sœur de ma mère. Et puis ma mère, qui était donc veuve avec moi, s’est mariée avec un ouvrier agricole, veuf avec cinq enfants, qui avait déjà franchi la frontière et qui travaillait en France entre le Boulou et Montesquieu.
Vous avez alors sept ans et vous ne parlez pas un mot de français !
Mais l’école de la République m’a pris sous son aile. Et l’intégration a été assez aisée, d’autant plus que j’étais bon élève. À la maison, les conditions étaient assez dures. Par exemple, on n’a jamais eu de cadeaux à Noël, ce n’était pas possible. Mais j’ai passé une enfance heureuse. On était jeunes, on était dans la nature et puis on était assez nombreux pour toujours pouvoir s’amuser. Donc je garde de cette période de mon enfance dans les Pyrénées-Orientales un souvenir très heureux.
Vous êtes donc à l’école au Boulou puis au collège de Céret. À quinze ans, vous rejoignez l’armée. Pour quelle raison ?
Parce que c’était l’engagement qui me semblait le plus fort. Parce que quand on s’engage dans l’armée, on est prêt à donner sa vie. Moi je suis arrivé au Boulou et, comme je dis souvent, j’ai goûté la viande de bœuf à la cantine de l’école. J’ai pris ma première douche en France. Cela ne veut pas dire que je ne me lavais pas avant mais, petit à petit, je me suis rendu compte des opportunités que m’offrait ce pays d’accueil, la France, par rapport à ce que j’aurais pu faire en Espagne. Et donc, petit à petit, a germé en moi l’idée de rendre à ce que mon pays d’accueil m’offrait. J’étais donc prêt à donner ma vie pour ce pays d’accueil. Je me suis renseigné et j’ai été plutôt attiré par l’aéronautique puisque je faisais des maquettes d’avions quand j’étais en quatrième et en troisième. Je me suis tout naturellement orienté vers l’armée de l’Air. Je me suis engagé dès que j’ai pu. A quinze ans, j’ai réussi le concours pour m’engager à l’école d’enseignement technique de l’armée de l’Air à Saintes, en Charente-Maritime où on forme les apprentis-mécaniciens.
Vous devenez donc technicien de l’armée de l’Air, vous êtes soldat de deuxième classe et vous allez alors ensuite gravir tous les échelons de l’armée française. Première classe, caporal, officier jusqu’à ce grade exceptionnel aujourd’hui de général cinq étoiles. Comment est- ce possible ?
Personnellement je ne savais pas que c’était possible de partir tout en bas de l’échelle, d’arriver tout en haut dans l’armée. Oui, c’est possible. Parce que les armées sont une des institutions qui offre le plus de perspectives. Ça s’appelle l’escalier social. Alors je sais bien que dans la langue française, l’expression consacrée, c’est l’ascenseur social. Mais bon, l’ascenseur, on appuie sur le bouton et ça monte tout seul. Là, l’armée vous offre des opportunités et c’est à vous de faire l’effort de gravir les marches. Ce n’est pas gratuit. Il faut le vouloir.
Mais comment avez-vous fait ? Il faut passer des concours, participer à des missions à l’étranger ?
Je suis arrivé à Saintes et, à l’époque, il y avait 600 jeunes qui rentraient tous les ans. Et parmi ces 600, il y avait un concours pour faire une classe de seconde scientifique. Si on n’avait pas le niveau, on retournait dans le tronc commun. J’ai franchi les paliers un à un. Je suis monté en grade : deuxième classe, première classe, caporal, caporal, chef. Et puis j’ai passé le concours de l’Ecole des officiers de l’armée de l’Air.
Aujourd’hui, vous êtes inspecteur général des armées. Vous êtes directement sous les ordres du ministre des Armées. Franchement, imaginiez-vous enfant atteindre un tel niveau de responsabilités ?
Non, non, jamais. D’autant plus que dans l’armée de l’Air, il y a trois corps d’officiers. Il y a les pilotes, ce qu’on appelle le personnel navigant. Ensuite, il y a le corps des officiers mécaniciens. C’était mon cas, j’étais ingénieur en télécommunication. Et puis ensuite il y a les officiers des bases de tous les autres métiers : contrôleurs aériens, administratifs, renseignements… Et jusqu’à présent, en 90 ans d’histoire de l’armée de l’Air, il n’y avait jamais eu un officier mécanicien général cinq étoiles. Je suis donc le premier donc c’était encore moins imaginable ! J’ai ouvert une voie. Comme je le dis souvent pour blaguer, ils ont fait ça par ordre alphabétique et comme je m’appelle Alvarez… Sérieusement, jamais je n’aurais pu imaginer en être là aujourd’hui.
Vous serez ce (vendredi) soir à Perpignan. Qu’est-ce que vous comptez dire, quel message voulez-vous envoyer à celles et ceux qui vont venir vous écouter ?
Le message c’est « osez, osez et encore osez ! » Si vous avez des rêves, allez-y et osez ! Aujourd’hui les jeunes vont changer plusieurs fois de métier dans leur vie. Donc il ne faut pas rester immobile. Il faut tenter des choses. Et puis parfois c’est la vie qui choisit pour vous.
Simon COLBOC
Ici Roussillon
7 février 2025
Source photo : Pixabay