Vidéo. Comprendre le déclin géopolitique de la France : Analyse et perspectives avec Alain Juillet

La France est désormais devenue inaudible dans le concert des nations. Comment expliquer que le pays qui disait non aux Etats -Unis en 2003 à ce point perdu pied en deux décennies ? Alain Juillet ancien Directeur du renseignement à la DGSE et président d’honneur de l’Académie de l’Intelligence Économique est venu nous livrer son analyse.

Source : Compte YouTube de Front Populaire

Date de mise en ligne : 23/04/2025
Durée : 00:43:54
Compte YouTube : Front Populaire




Vidéo. Trump au pied du mur des BRICS

Composé de puissances aux profils variés, ce bloc cherche à proposer une alternative à l’ordre mondial dominé par l’Occident, en mettant en avant une logique multipolaire. Quid des relations entre les États-Unis et les BRICS depuis les prises de parole du président Trump et ses postures de fermeté, visant à limiter l’influence croissante de ces dernières ?

Date de mise en ligne : 18/04/2025
Durée : 00:34:47
Compte YouTube : Open Box TV

00 :00 : Introduction
02 :15 : Le Sud global
04 :20 : Des valeurs dîtes « universelles »
07 :40 : Violation du droit internationnal
10 :48 : Composition des BRICS
13 :00 : De nouvelles normes économiques et politiques
14 :50 : Retour sur la mondialisation
16 :10 : Un effet d’annonce des BRICS
19 :40 : Couple de pays antagonistes
23 :05 : Essor des pays intermédiaires
25 :00 : Manaces du président Donald Trump
26 :00 : Une organisation rivale de celle prévue par les Etats- Unis
31 :25 : Union européenne : le paradoxe de la défense européenne
34 :00 : Conclusion




Décryptage : L’Europe face aux nouvelles logiques d’empire

L’Europe a vécu en première ligne un vingtième siècle qui fut d’abord celui de la fin tumultueuse des Empires – coloniaux, soviétique, austro-hongrois, ottoman, Reich allemand etc.. – et elle se défie aujourd’hui, trop sans doute, des rapports de force, au risque de se transformer en cette Europe « déplorante » qui ne peut, à longueur de communiqués, que constater et regretter les écarts de ceux qui ne respectent pas le jus gentium ou les règles communes aux nations civilisées.

A partir de 1989, la chute du mur de Berlin avait vu fleurir nombre de concepts qualifiant ce que l’on croyait à l’époque percevoir comme définissant la nouvelle architecture du monde : multipolaire, apolaire, fin de l’histoire, choc des civilisations entre l’Occident et le monde arabo-musulman. Aujourd’hui, Washington rejoue, avec Trump 47e président, une variante de la guerre froide avec la Chine – course aux armements, frictions militaires, guerre économique et containment inclus. Prévaut de ce fait l’impression, en cette année 2025, que derrière le paravent d’une pandémie qui avait monopolisé les attentions, s’est épanoui de façon sournoise et décomplexée un cynisme – que l’on se hasarde à qualifier de régressif – propre à justifier les entreprises les plus périlleuses.

Un contexte international « régressif »

Il est des correspondances, notamment celles qui associent évolutions politiques nationales et internationales, qu’on hésite – en dehors des schémas classiques de l’impact des démagogies électorales sur les politiques étrangères – à évoquer. Il arrive pourtant que certaines coïncidences s’imposent. La revue Le Débat, née en 1980, a disparu en 2020 et, dans sa dernière livraison, Pierre Nora nous a livré une série d’explications pertinentes de cet effacement discret d’un outil de décryptage de la « complexité généralisée » du monde.

[…]

***

Pour lire l’article “L’Europe face aux nouvelles logiques d’empire” écrit par Alain MEININGER et extrait du Bulletin de l’Amicale des Anciens des services spéciaux de la défense national n° 270 de mars 2025, cliquez ICI




Vidéo. Commémoration de Camerone à la Légion étrangère à Aubagne.

Commentaire AASSDN : Camerone est, avec Noël mais dans un autre registre, la grande fête de la Légion étrangère. A Aubagne, lors de la cérémonie annuelle commémorant le combat de Camerone qui s’est déroulé le 30 avril 1863 au Mexique, et selon un rite immuable, la Légion étrangère réaffirme les deux vertus si exigeantes qui fondent son identité et son excellence :
– le caractère sacré de la mission : C’est son honneur.
On ne choisit pas sa mission, on la reçoit et on la remplit au prix de sa vie si le succès de la mission l’exige. Camerone est l’exemple d’une mission banale parfaitement et héroïquement remplie. Le convoi français a pu rejoindre Puebla. En outre, les pertes mexicaines furent sévères, près de 10 fois supérieures à celles de la Légion.
– la fidélité à la parole donnée.
Les légionnaires renouvellent le serment de de se battre jusqu’à la mort après celle de leur chef le capitaine Danjou, à qui la mission a été confiée. Servir jusqu’à la mort, derrière leurs chefs à l’instar du Lieutenant-colonel Dimitri Amilakvari, chef de corps de la 13e demi-brigade de Légion étrangère,  tué en Libye lors des combats de  El-Alamein en octobre 1942 qui déclarait :
« Nous, étrangers, n’avons qu’une seule façon de prouver à la France notre gratitude pour l’accueil qu’elle nous a réservé : nous faire tuer pour elle ».

Découvrez la vidéo de la cérémonie commémorant la fête de Camerone à la Légion étrangère à Aubagne

Date de mise en ligne : 30/04/2025
Durée : 01:25:00
Compte YouTube : Elysée




Guerre en Ukraine : Origines, enjeux, manœuvres et illusions

En 1989, lors de la chute du Mur de Berlin, l’optimisme régnait. Le politologue américain Francis Fukuyama publiait un article retentissant, « La fin de l’Histoire ». La démocratie libérale, l’économie de marché, les valeurs occidentales, avaient triomphé du nazisme en 1945 et du communisme soviétique
en 1989, et étaient donc désormais définitivement établies et indépassables pour l’ensemble de la Planète.

Après la victoire en Irak, en 1991, de la coalition conduite par les états-Unis (mais avec un mandat de l’ONU), le président George Bush Sr. proclama le « Nouvel ordre mondial ». Désormais les affaires mondiales seraient réglées conformément à un ordre international fondé sur des règles, dans le cadre de l’ONU et sous la bienveillante hégémonie américaine, celle de l’unique super-puissance désormais.

Cet optimisme, en gros partagé par les opinions publiques occidentales jusque vers la fin de la première décennie du XXIe siècle, fut sans doute l’une des causes de l’absence d’une réelle étude objective, de la part des Occidentaux, des problèmes qui se posaient, de la Russie à la Chine en passant par l’Europe ex-communiste et le Moyen-Orient. En particulier deux problèmes ne furent pas perçus, qui pourtant constituent l’origine profonde du conflit actuel. Tout d’abord, contrairement à ce que pensaient les idéologues libéraux, on ne sort pas aussi facilement que cela du communisme, qui n’était pas un simple paravent mais qui avait engendré un système politique, une économie et une société qui avaient leur propre logique.

Et d’autre part les problèmes de nationalités, grande question européenne depuis le XIXe siècle, mal réglés par les traités de paix de 1919-1923, que l’on pensait avoir disparu après 1945 à la suite de la politique stalinienne (expulsion des Allemands d’Europe orientale, redéfinition des frontières polonaises) et de la réorganisation de la Yougoslavie par Tito, explosèrent tous à partir de 1991.

[…]

***

Pour lire l’article “La guerre d’Ukraine : Origines, enjeux, manœuvres et illusions” écrit par Georges-Henri SOUTOU et extrait du Bulletin de l’Amicale des Anciens des services spéciaux de la défense national n° 270 de mars 2025, cliquez ICI




Autonomie stratégique : La France doit réapprendre à dominer le ciel

Depuis trente ans, l’aviation occidentale règne en maître incontesté sur le ciel. Mais le conflit en Ukraine a brutalement mis fin à cette certitude. Pour la France, conserver sa liberté d’action aérienne exige désormais une véritable révolution stratégique et technologique. Comment adapter ses doctrines, repenser ses choix technologiques et industriels, et trouver les compromis nécessaires à une autonomie stratégique durable ?

Depuis la guerre du Golfe en 1991, les forces aériennes occidentales ont fait du ciel un territoire conquis d’avance. En Irak, en Afghanistan ou en Libye, les avions de l’OTAN volaient sans réelle opposition, appuyant au sol des troupes à l’abri de toute menace aérienne. Cette suprématie, construite sur la destruction rapide des défenses ennemies et sur une supériorité technologique incontestable, a façonné les doctrines militaires occidentales. « L’ennemi ne volera pas. » Cela relevait de l’évidence.

Mais l’invasion russe en Ukraine a marqué la fin de cette époque. Depuis deux ans, ni Moscou ni Kiev ne sont capables d’établir une supériorité aérienne durable. Défenses sol-air sophistiquées, drones par centaines, brouillage électronique permanent : l’espace aérien s’est transformé en champ d’affrontement complexe, saturé et dangereux. Comme le souligne Adrien Gorremans dans une récente étude de l’Ifri[1], l’espace aérien devient un espace de plus en plus fermé. Face à cette réalité, la France doit réagir vite. Son modèle aérien, performant mais limité, ne suffit plus à garantir son autonomie stratégique.

La fin de la supériorité aérienne occidentale

La supériorité aérienne a longtemps été une évidence stratégique pour l’Occident. Dès les années 1920, Giulio Douhet posait une idée fondamentale : « Conquérir la maîtrise de l’air, c’est assurer la victoire ; être battu dans les airs, c’est accepter la défaite et se soumettre aux conditions que l’ennemi voudra bien imposer. ».

Cette conception a structuré l’ensemble des doctrines militaires aériennes pendant un siècle. Durant la guerre du Golfe en 1991, elle s’est concrétisée de manière spectaculaire : en quelques jours, les forces aériennes occidentales ont anéanti les défenses irakiennes, paralysant toute capacité de riposte de l’adversaire. La coalition menée par les États-Unis avait alors démontré qu’une guerre pouvait être gagnée d’abord et avant tout dans les airs. Depuis, les opérations aériennes occidentales, que ce soit au Kosovo, en Afghanistan ou en Libye, ont systématiquement suivi ce modèle : établir une maîtrise absolue de l’espace aérien avant d’engager des troupes au sol. L’aviation est devenue un préalable à toute opération militaire sérieuse, un multiplicateur de force incontestable.

Mais aujourd’hui ce modèle est obsolète. La guerre en Ukraine a démontré qu’une supériorité aérienne totale n’est plus garantie face à des adversaires disposant de technologies modernes. On lit ainsi, dans le rapport de l’Ifri : « En deux ans et demi de guerre, les armées de l’air russes comme ukrainiennes se sont retrouvées réciproquement neutralisées par la densité et la performance des systèmes intégrés de défense aérienne ». Face à la saturation des défenses anti-aériennes, à l’omniprésence des drones et à la guerre électronique permanente, le ciel redevient un espace contesté, dangereux et opaque.

Nouvelles menaces

La supériorité aérienne, longtemps assurée par l’avance technologique occidentale, est aujourd’hui confrontée à des menaces diversifiées et complexes. Les adversaires potentiels, comme la Russie, la Chine ou l’Iran, ont développé des stratégies et technologies capables de neutraliser ou d’épuiser les capacités aériennes occidentales.

Ainsi, les systèmes IADS (défense sol-air intégrée) combinent radars, missiles sol-air et guerre électronique pour créer des zones d’interdiction aérienne efficaces. La Russie avec ses systèmes S-400 et S-500, la Chine avec ses missiles HQ-9 et HQ-22, ou encore l’Iran avec les batteries Bavar-373, illustrent cette capacité à restreindre drastiquement la liberté d’action aérienne des forces occidentales. Ces systèmes obligent les avions à adopter des tactiques spécifiques telles que la furtivité et la suppression des défenses ennemies (SEAD).

Les missiles hypersoniques, capables d’atteindre des vitesses supérieures à Mach 5, représentent une autre menace stratégique majeure. La Russie a ainsi déployé les missiles hypersoniques Kinzhal et Avangard, tandis que la Chine a rendu opérationnel son missile DF-17, équipé d’un planeur hypersonique. Ces armes réduisent considérablement le temps de réaction des défenses aériennes et augmentent la vulnérabilité des bases militaires occidentales, imposant ainsi le développement rapide de systèmes d’interception sophistiqués et de nouvelles stratégies de dissuasion.

L’utilisation généralisée des drones transforme radicalement le champ de bataille aérien. Dans le conflit ukrainien, les drones kamikazes comme les Shahed-136 (de conception iranienne) ou les drones ISR tels que le Bayraktar TB2 (de conception turque) ont démontré leur efficacité, saturant et épuisant les défenses adverses. De leur côté, les États-Unis développent le concept de « Loyal Wingman », des drones collaborant directement avec des avions habités. Face à ces nouvelles menaces, les systèmes de défense traditionnels deviennent vite dépassés, obligeant à repenser entièrement les stratégies défensives.

La guerre électronique constitue une menace invisible mais redoutable. Les systèmes comme le Krasukha-4 russe peuvent brouiller radars et satellites, perturbant profondément les opérations aériennes ennemies. De même, les cyberattaques menées par des pays comme l’Iran ou la Chine ciblent directement les infrastructures militaires. Cette dimension électronique impose aux forces occidentales d’investir massivement dans des contre-mesures sophistiquées pour préserver leurs capacités opérationnelles.

Enfin, la très haute altitude devient un espace stratégique crucial. Les récentes incursions de ballons de surveillance chinois aux États-Unis ou le développement de drones stratosphériques comme le Zephyr d’Airbus démontrent l’importance croissante de cette nouvelle frontière aérienne. Ces capacités offrent des possibilités inédites en matière de renseignement mais créent également des vulnérabilités pour les nations qui négligeraient ce nouvel espace opérationnel.

Face à ces menaces émergentes, il est impératif pour les forces aériennes occidentales d’adapter rapidement leurs doctrines, leurs tactiques et leurs technologies afin de maintenir ou de reconquérir leur supériorité dans les airs.

Les limites de l’aviation française

L’aviation française dispose d’un outil militaire performant : le mythique Rafale. Avion polyvalent, il est mondialement reconnu pour ses capacités techniques et opérationnelles. Pourtant, à l’épreuve d’un conflit de haute intensité, ce modèle montre ses limites.

Sa première faiblesse est d’ordre stratégique : la France ne possède pas de capacités dédiées à la suppression des défenses aériennes ennemies (SEAD). Contrairement aux États-Unis, elle dépendrait en cas de conflit de haute intensité des moyens d’alliés pour ouvrir et sécuriser le ciel. Cette lacune limite fortement son autonomie stratégique.

La deuxième vulnérabilité est technologique. Le Rafale, malgré ses nombreuses qualités, n’est pas furtif face aux radars modernes. En conséquence, les aéronefs français se retrouveraient particulièrement exposés dans des environnements saturés de systèmes anti-aériens avancés. Le programme SCAF (Système de Combat Aérien du Futur), prévu pour combler ce déficit, ne verra pas le jour avant plusieurs années. D’ici là, l’armée française devra évoluer dans des conditions très contraignantes.

Enfin, la troisième limite concerne le volume et la logistique. La flotte aérienne française, qui a un objectif à 185 Rafale en 2030, manque de profondeur pour soutenir une guerre prolongée face à un adversaire bien équipé. Les stocks de munitions sont insuffisants pour soutenir un rythme opérationnel soutenu comme observé récemment dans des conflits prolongés. La disponibilité opérationnelle et le nombre limité de pilotes qualifiés aggravent encore ce problème, réduisant considérablement la capacité d’endurance des forces aériennes françaises.

Ces contraintes placent la France dans une position ambiguë : elle dispose d’une aviation efficace mais insuffisamment robuste pour faire face seule aux nouveaux défis du combat aérien. Il est donc urgent de repenser le modèle français, en intégrant de nouvelles approches pour renforcer durablement sa résilience technologique et capacitaire.

De la qualité à la quantité

Depuis plusieurs décennies, la France, comme la plupart des puissances occidentales, mise sur des plateformes militaires toujours plus sophistiquées mais toujours plus rares et coûteuses. Cette logique, décrite par Adrien Gorremans comme la « spirale augustinienne », consiste à concentrer un maximum de capacités sur un nombre limité d’appareils très performants. Ce modèle est aujourd’hui remis en question par la réalité des conflits modernes, où la masse et la résilience redeviennent indispensables.

Le conflit ukrainien montre clairement les limites d’un tel modèle. Aujourd’hui, ce n’est plus seulement la qualité d’une plateforme qui importe, mais le nombre d’appareils disponibles, leur capacité à être sacrifiés si nécessaire, et leur intégration dans des réseaux complexes et flexibles. On le voit en Ukraine : les drones occidentaux sont parfois trop coûteux pour être sacrifiés, et ne sont donc pas engagés.

Une voie stratégique s’impose donc à la France : adopter une logique de mix. Celle-ci implique une complémentarité entre des plateformes de haute valeur (comme les chasseurs Rafale et les futurs appareils du programme SCAF) et une multitude d’appareils moins coûteux, spécialisés, faciles à produire et à déployer en nombre. Cette approche permettrait à l’armée française de saturer les défenses adverses tout en préservant ses vecteurs précieux pour des missions décisives. Par ailleurs, il s’agit également d’intégrer une multitude de systèmes plus simples, connectés et capables de collaborer en réseau. En multipliant les points d’action et en répartissant les capacités offensives et défensives, cette stratégie accroît considérablement la résilience et la flexibilité des opérations aériennes, tout en réduisant la dépendance à l’égard de plateformes uniques, coûteuses et aisément ciblées par l’ennemi. Ce revirement stratégique doit se faire dans l’optique d’un regain de masse, et non de performance individuelle de chaque système d’arme.

Le développement massif de drones peu coûteux, capables de reconnaissance, d’attaque et de brouillage, apparaît comme une solution pragmatique et réaliste. Ces drones, utilisés en essaims, pourraient saturer les systèmes anti-aériens adverses, protégeant ainsi les aéronefs habités, plus coûteux et stratégiquement critiques. Aussi la France doit-elle repenser son industrie de défense afin de favoriser la production en grande série, en rupture avec le modèle actuel basé sur des productions limitées et extrêmement sophistiquées. L’enjeu est stratégique autant qu’industriel : accepter une certaine rusticité technologique pour regagner en masse, en flexibilité et en autonomie stratégique.

Quels scénarios envisageables ?

Scénario 1 : Une force aérienne hybride et progressive

Ce premier scénario consiste à maintenir le Rafale, en continuant son amélioration progressive vers une version F5, tout en développant rapidement des drones de combat autonomes et des essaims de drones. Cette approche privilégie une aviation distribuée, où avions habités, drones autonomes et missiles à longue portée collaborent étroitement. Ce modèle offre une grande flexibilité opérationnelle, réduit les risques technologiques, et renforce rapidement la masse et la résilience des forces aériennes européennes.

Scénario 2 : Tout miser sur le SCAF avec le risque du retard

Le second scénario privilégie l’investissement massif dans le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF), un projet européen d’un ensemble de systèmes d’armes aériens interconnectés. Cette option mise sur une rupture technologique majeure pour assurer la supériorité aérienne à long terme. Toutefois, cette stratégie ne prévoit aucune alternative en cas de retard ou d’échec technologique, créant ainsi un risque sérieux de décrochage face aux progrès rapides des États-Unis et de la Chine. Par ailleurs, Adrien Gorremans* préconise de « sortir l’aviation de chasse de la spirale augustinienne en ne payant le prix de la furtivité que là où elle est indispensable ».

Scénario 3 : Complémentarité avec le F-35 et limitation du SCAF

Enfin, le troisième scénario, déjà adopté par des pays comme l’Allemagne et l’Italie, consiste à acheter des avions américains F-35 pour garantir une compatibilité maximale avec l’OTAN tout en réduisant les ambitions initiales du SCAF. Si ce choix permet de maintenir une capacité opérationnelle immédiate, il implique cependant un risque significatif en termes de dépendance technologique et de perte d’indépendance stratégique face aux États-Unis.

Conclusion

La maîtrise du ciel n’est plus acquise : elle doit désormais être conquise à nouveau, avec détermination et pragmatisme. L’expérience ukrainienne rappelle à la France et à l’Europe que leur supériorité aérienne repose aujourd’hui sur un équilibre fragile, menacé par la montée en puissance de technologies adverses toujours plus performantes. Face à ces nouvelles réalités, il est urgent d’opérer des choix stratégiques forts : diversifier les capacités aériennes, investir dans des plateformes à la fois robustes et sacrifiables, et construire une industrie de défense capable de produire rapidement et en grand nombre. À défaut d’adopter rapidement une stratégie claire et ambitieuse, la France risque de perdre définitivement sa liberté d’action aérienne, avec des conséquences lourdes pour son autonomie stratégique et son influence internationale. Le temps des compromis et des choix est venu, car dominer le ciel demeure une nécessité absolue dans un monde qui voit le retour des conflits de haute intensité.

Paulin de ROSNY
Revue Conflits
31 mars 2025

*Adrien Gorremans, « L’avenir de la supériorité aérienne : maîtriser le ciel en haute intensité », Ifri – Focus stratégique n°122 – janvier 2025.




Espace. Spatial Militaire français : Attention au déclassement

La France veut se doter d’une stratégie spatiale nationale. Il y a urgence tant le pays risque le déclassement

François Bayrou a annoncé jeudi 6 mars le lancement d’une mission gouvernementale afin d’établir d’ici à juin une « stratégie spatiale nationale » devant permettre à la France de «rester une puissance de premier rang mondial ».

Cette mission n’est pas inutile, tant le secteur spatial français a souffert des deux révolutions spatiales portées par SpaceX : les lanceurs, dits réutilisables, et la constellation télécom en orbite basse Starlink. La viabilité économique du programme Ariane 6 est désormais fortement remise en cause à moyen terme et malgré les 18 lancements commerciaux signés avec Amazon, Arianespace reste une société commerciale déficitaire. Les autres pays européens n’ont pas souhaité contribuer à la viabilité du lanceur européen et l’Allemagne développe même un lanceur concurrent d’Ariane 6.

Le Commandement de l’Espace pousse vers un changement de stratégie, mais il se heurte au conservatisme de la DGA et des industriels TAS et ADS.

Outre le développement du programme Ariane 6, la France a beaucoup investi dans l’accès à l’Espace : 5 programmes de micro-lanceurs (dont la viabilité technologique et commerciale reste hypothétique), 2 démonstrateurs de lanceurs réutilisables et 5 nouveaux pas de tirs en Guyane. L’urgence est désormais clairement de passer de systèmes à deux ou trois satellites – télécoms, observation ou écoute- à des systèmes de constellations de plusieurs dizaines de satellites. Les grandes puissances spatiales militaires (USA, Chine, Russie) possèdent toutes des constellations qui leur assurent une revisite importante des zones d’intérêt pour les satellites de renseignement et une couverture beaucoup plus large pour les satellites de télécom.
Par ailleurs, nos satellites militaires sont aujourd’hui de « big juicy target » et la perte de l’un d’entre eux a des conséquences majeures. Les constellations permettent donc d’assurer la redondance du service, une meilleure revisite et complexifient les actes hostiles. Le Commandement de l’Espace pousse vers ce changement de stratégie, mais il se heurte au conservatisme de la DGA et des industriels TAS et ADS. L’État devrait pour le moins exiger, en contrepartie, qu’ils aient la capacité de répondre aux nouveaux besoins des forces, et ce à des prix raisonnables.

L’augmentation du nombre de satellites de renseignement optique et écoute doit s’accompagner d’une montée en puissance de notre capacité d’analyse et de valorisation de la donnée, une donnée acquise et non traitée est une donnée perdue. Cet effort sur l’analyse des données spatiales permettra d’accentuer notre effort vers des zones géographiques aujourd’hui moins prioritaires, comme le Pacifique, où nos intérêts sont primordiaux. Il faut encourager des sociétés de surveillance de l’espace (SSA) à y implanter des capteurs radars et optiques pour surveiller les parties d’orbites invisibles depuis la métropole. Aujourd’hui les satellites militaires et civils français et européens dépendent des données américaines pour assurer leur sécurité en orbite. Paradoxalement la France dépense énormément pour garantir sa souveraineté d’accès à l’Espace, mais peu d’argent pour assurer sa souveraineté en surveillance de l’Espace.

Augmenter nos capacités de renseignement de façon massive pour obtenir une utilisation tactique et opérationnelle des données spatiales, assurer la redondance de nos communications par la mise en orbite de constellations télécoms en orbite basse et assurer l’autonomie de la surveillance de l’Espace va nécessiter d’engager de gros budgets militaires.

Le spatial militaire français a été pendant des années une grande réussite, mais aujourd’hui, il doit se réinventer, car il risque sinon le déclassement par les autres puissances militaires spatiales.

Ces engagements devront tout d’abord être compensés par des économies sur d’autres domaines moins essentiels du spatial militaire. Les déclarations du Président Macron visant un budget de la défense jusqu’à 5% du PIB relevant encore du vœu pieux, la prudence doit donc nous pousser à proposer une stratégie pour le spatial de défense dans une enveloppe seulement légèrement supérieure à l’actuelle. Des économies sont possibles en arrêtant les développements peu pertinents ou peu prometteurs, comme ceux d’action dans l’Espace, les missions d’observation hyperspectrale ou tout simplement en utilisant davantage les talents des agents de l’État du CNES plutôt que de payer des ingénieurs de TAS ou ADS !

Le spatial militaire français a été pendant des années une grande réussite, mais aujourd’hui, il doit se réinventer, car il risque sinon le déclassement par les autres puissances militaires spatiales. À cet égard, la priorité à accorder au lancement de constellations spatiales est une nécessité tant pour le renseignement que pour les communications de nos forces déployées sur les futurs champs d’opérations.

Les missions spatiales pour 2030-2035 se décident aujourd’hui, il faut aujourd’hui des actes forts et courageux, pour reprendre la devise du Commandement de l’Espace : Res non verba !

André ROUGE
au nom du groupe Défense des Horaces.
Revue Conflits
27 mars 2025

Pour lire l’article “Loi de programmation militaire (Lpm) : entre La construction budgétaire et L’exécution budgétaire” écrit par Jacques HELIOT et extrait du Bulletin de l’Amicale des Anciens des services spéciaux de la défense national n° 270 de mars 2025, cliquez ICI




Conflit : Sept Drones Reaper abattus au Yémen

Les rebelles houthis ont abattu sept drones Reaper américains ces dernières semaines. (Extrait)
Au Yémen, les rebelles houthis ont abattu sept drones Reaper américains (30 M$ pièce) en moins de six semaines, soit une perte d’appareils estimée à plus de 200 millions de dollars. Ce qui constitue le coût le plus important pour le Pentagone de la campagne militaire contre les militants soutenus par l’Iran.

Selon des responsables de la Défense, trois des drones ont été abattus la semaine dernière, – le 31 mars et les 3, 9, 13, 18, 19 et 22 avril -, ce qui suggère que le ciblage des drones survolant le Yémen par les militants s’est amélioré. Les drones effectuaient des missions d’attaque ou de surveillance et se sont écrasés dans l’eau et sur terre, ont déclaré les responsables, qui ont requis l’anonymat pour discuter des opérations militaires.(…)

De novembre 2023 à janvier dernier, les Houthis ont ciblé plus de 100 navires marchands avec des missiles et des drones, coulant deux d’entre eux et tuant quatre marins civils. Cela a considérablement réduit le flux commercial dans le corridor de la mer Rouge, qui voit généralement transiter 1 000 milliards de dollars de marchandises chaque année.

Lolita C. BALDOR
Chroniqueuse à l’Associated Press
Military Times (extraits)
26 avril 2025

Légende photo : Le drone Reaper en appui de la Task Force Takuba
Source photo : Ministère de Armées




Vidéo. Géopolitique : Négociations secrètes d’hier et d’aujourd’hui

Dans cette émission, Alain Juillet et Claude Medori font le parallèle entre les accords de Yalta qui ont entériné le partage de l’Europe entre les Etats- Unis et l’Union soviétique à la fin de la Seconde Guerre mondiale et les négociations en cours entre les Etats Unis et la Russie sur l’Ukraine. Ils montrent comment certains dirigeants prennent, parfois, des décisions majeures sans réel consensus populaire, au nom d’une légitimité qui varie selon les intérêts et les visions du monde.

À travers des exemples historiques et actuels, ils explorent les accords entre puissances, qui avant étaient secrets et qui aujourd’hui se déroulent en mondiovision.

Sur quelles bases construire un ordre international stable quand les principes de légitimité ne sont pas partagés ?

Titre : Négociations secrètes d’hier et d’aujourd’hui
Date de mise en ligne : 11 avril 2025
Durée : 00 :40:03
Intervenants : Alain Juillet et Claude Medori
Compte YouTube : Open Box TV

Pou accéder à la chaine Open Box TV, cliquez ICI




Economie : L’Europe face à la réalité de la prédation économique

Information AASSDN

L’Europe est aujourd’hui la proie d’États prédateurs en quête d’autonomie stratégique, de domination géopolitique et de suprématie économique. Cette prédation se manifeste notamment par la prise de contrôle d’infrastructures critiques ou de fleurons industriels ou technologiques. Depuis quand assiste-t-on à ce type de prédation en Europe ?

F.-X. Carayon  : La prédation économique est un phénomène ancien qui est intimement lié au mouvement de la mondialisation. Cela s’est accéléré en parallèle de l’augmentation des échanges économiques au cours des années 1980-1990. La particularité de la dernière vague d’investissements internationaux que j’analyse dans mon ouvrage est que ces investissements sont effectués par des acteurs publics. Il ne s’agit plus d’achats d’entreprises privées par des entreprises privées mais de rachats d’actifs ou d’entreprises européennes privées par des investisseurs publics étrangers, à savoir des fonds souverains et des entreprises publiques. Or, l’origine publique de ces investissements peut entrainer les conséquences politiques que vous avez mentionnées.

Vous expliquez que les entreprises publiques et les fonds souverains sont donc les deux principaux outils de cette prédation. Pourquoi et comment cela se traduit-il ?

Auparavant, les fonds souverains constituaient les outils classiques des pays bénéficiant d’une rente énergétique, notamment au Moyen-Orient. C’était un moyen de créer une épargne intergénérationnelle ou de lisser les fluctuations de revenus lors de l’évolution du cours des matières premières. En parallèle, les entreprises publiques ont longtemps joué leur rôle qui était simplement d’opérer des services publics. Puis, peu à peu, ces deux acteurs ont été perçus par les puissances émergentes du monde en développement — la Chine, la Corée du Sud, la Malaisie, Singapour, les pays du Moyen-Orient, etc. — comme des vecteurs au service des objectifs industriels et géostratégiques de leur pays. La proximité de ces deux acteurs avec le gouvernement favorisait un alignement naturel avec les intérêts publics. Le gouvernement avait donc le moyen de s’assurer que ces investissements étaient en capacité de satisfaire leurs intérêts.

Pour prendre un exemple, la Chine — que l’on peut considérer comme l’État prédateur par excellence — a déployé une stratégie d’investissement massif dans les semi-conducteurs dans les années 2010. En 2014, Pékin a créé un fonds souverain dédié juste après avoir établi une feuille de route. Puis la Chine s’est lancée dans le rachat d’entreprises de tailles significatives aux États-Unis en 2016 et 2017, jusqu’à ce que le dispositif américain du CFIUS (Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis) commence à s’alerter. Ce fut le cas également en France lorsque l’entreprise d’État chinoise Tsinghua Unigroup a racheté en 2018 l’entreprise Linxens, fabricant de composants pour cartes à puces, pour 2,2 milliards d’euros (1). Cet exemple se situe à mi-chemin entre les prédations de nature géostratégique et celles plus économiques qui contribuent à la prospérité nationale.

Les prédations géostratégiques ciblent tout particulièrement les infrastructures critiques. On pensera notamment aux 14 ports européens qui sont passés sous contrôle chinois et qui ne constituent pas des investissements seulement financiers mais aussi stratégiques et opérationnels. On peut aussi mentionner le cas des réseaux électriques et gaziers européens qui sont passés en partie sous contrôle chinois (2), notamment en Italie, au Portugal, en Grèce et au Royaume-Uni. Outre le cas chinois, celui de Singapour est également intéressant car, dans le domaine maritime, la cité-État s’est emparée d’un certain nombre d’actifs à travers le monde, y compris en Europe, comme en Belgique, aux Pays-Bas ou en Italie.

Cette menace géostratégique peut aussi se développer lorsqu’un État prédateur a pris trop d’importance dans un secteur donné. Ainsi, par le jeu des investissements, il acquiert une capacité de menace, qui n’est pas un outil sans faille, mais qui contribue à peser dans les rapports stratégiques entre États.

Outre la Chine, quels sont les autres principaux États prédateurs vis-à-vis de l’Europe ?

On peut avoir tendance à regarder surtout du côté américain ou chinois et à isoler ce phénomène de capitalisme d’État conquérant. Mais le modèle chinois est en train d’essaimer à travers le monde, d’autres États le pratiquent également. On peut revenir sur le cas de Singapour, considéré comme l’un des États les plus libéraux au monde, qui réplique la stratégie de Pékin grâce à ses deux grands fonds souverains, GIC et Temasek (3), qui investissent de façon tout à fait traditionnelle en prenant des participations financières minoritaires dans un grand nombre d’entreprises mais qui, en parallèle, commencent à multiplier les investissements stratégiques dans les secteurs les plus importants pour Singapour, à savoir le maritime, la logistique et les nouvelles énergies. Ce modèle se diffuse également en Corée du Sud, un peu moins en Inde, et bien évidemment dans les pays du golfe Arabo-Persique.

Est-ce que des États européens sont plus ciblés que d’autres ?

C’est assez triste à dire, mais la France ne fait pas nécessairement partie des pays les plus ciblés en raison du fait que son industrie est déjà fortement affaiblie. L’Allemagne est donc au contraire une cible de choix pour nombre d’investisseurs étrangers qui convoitent sa puissance industrielle. Le rachat du constructeur de robots industriels Kuka par le chinois Midea en 2016 a sonné comme un réveil pour l’Allemagne (4). Mais cette dernière continue néanmoins à avoir du mal à protéger ses fleurons industriels avec la perte de nombreuses ETI (entreprises de taille intermédiaire) régionales. À la fin des années 2000 et début 2010, l’Allemagne a d’ailleurs perdu la plupart de ses technologies de pointe dans le secteur des énergies renouvelables qui ont été ravies par des concurrents essentiellement chinois.

Quels sont les secteurs les plus ciblés et quels en sont les risques ?

Ce sont bien évidemment les secteurs stratégiques qui sont les plus ciblés, sachant que la liste de ces secteurs ne fait que s’allonger : robotique, numérique, technologies de l’information, biotechnologies… Paradoxalement, depuis la Covid-19, alors que ces derniers devraient être mieux protégés, de nombreux investissements ont continué d’être réalisés dans le domaine des biotechnologies par des Chinois, des Sud-Coréens, des Taïwanais ou des Japonais. Malgré l’importance de ce secteur, les entreprises de biotechnologie européenne ont un accès difficile aux financements issus des fonds capitalistiques européens (5).

On peut constater que le phénomène ne s’enraie pas, même après un choc aussi important que celui de la pandémie qui nous a pourtant démontré que notre dépendance à l’égard de l’étranger constituait une réelle fragilité.

Un rapport intéressant de la Commission européenne avait été commandé (6), sous la pression des États membres. Il devait faire le point sur l’influence des investisseurs étrangers au sein des économies européennes. Ce rapport a été plus ou moins mis sous le tapis en raison du constat inquiétant qu’il dressait. Il montrait notamment qu’une partie importante des secteurs stratégiques était détenue par des investisseurs étrangers. Ce rapport montrait ainsi que les secteurs stratégiques étaient deux à trois fois plus ciblés que les secteurs classiques. Il dessinait une trajectoire inquiétante montrant qu’entre 2013 et 2017, le nombre d’entreprises passées sous actionnariat étranger, notamment dans les secteurs stratégiques, était en croissance extrêmement forte. La question était de savoir si cette tendance continuait ou si le renforcement de nos dispositifs de protection avait pu infléchir cette trajectoire. Mais il n’y a pas eu de suite à ce rapport qui constitue un aveu d’échec de la Commission européenne sur ce sujet.

Quelle est concrètement l’ampleur de la désindustrialisation ou l’état de l’influence sur les pouvoirs publics européens générées par cette prédation ?

Il est important de réaliser que les investissements étrangers ne sont pas la raison de notre désindustrialisation. Ils viennent d’abord profiter d’un affaiblissement structurel de notre industrie et de notre tissu économique au sens large. C’est parce qu’un grand nombre d’acteurs économiques sont en difficulté que ces investisseurs étrangers sont en capacité de les acquérir. Et c’est parce que notre écosystème financier n’est pas suffisamment développé et robuste qu’il ne peut pas non plus venir en contrepoids pour proposer des alternatives d’investissement.

En France, le cadre fiscal et administratif a généré un désavantage compétitif certain. Mais avec un peu de recul, on réalise que dans le reste de l’Europe occidentale la désindustrialisation va moins vite mais progresse néanmoins. Il y a donc un problème structurel européen qui a trait à notre capacité d’innovation, notre capacité d’éducation et de formation et qui ne semble plus suffisant (7) pour préparer l’avenir et lutter à armes égales face à des nations comme l’Inde (8).

Est-ce que l’Europe a pris conscience de ce danger ?

L’Union européenne (UE) en a pris conscience en partie et s’est dotée d’un dispositif de filtrage (9), qui n’en est pas vraiment un, mais plutôt un outil de coopération entre les États membres et qui permet de partager l’information. Pour l’essentiel, il n’est pas en capacité de bloquer des investissements étrangers en Europe. À ce stade, il s’agit plutôt d’un dispositif cosmétique que d’un outil véritablement efficace.

Du côté des États européens, ces derniers commencent à réagir et les dispositifs de filtrage se musclent dans chaque pays. Il y a cinq ans, seul un quart des pays européens avait un tel dispositif, alors qu’aujourd’hui cela concerne les deux tiers des États membres. Malheureusement, les moyens mis en œuvre ne sont pas à la hauteur. À titre de comparaison, le budget du CFIUS américain est environ trente fois supérieur à son équivalent français. Si l’on compare le nombre de dossiers filtrés par les pouvoirs publics allemands, italiens ou espagnols, ils sont environ cinq à sept fois inférieurs au nombre de dossiers traités par les Canadiens ou les Australiens.

Alors que les problèmes de souveraineté ne se vivent pas de la même façon d’un État à l’autre et qu’il faut bien accepter que nous sommes dans un contexte de guerre économique permanente, y compris au sein même de l’Europe, que peut faire l’UE ou chacun des États membres pour se prémunir face à cette prédation économique ?

Instinctivement, on aimerait que les dispositifs de filtrage se concentrent sur les pays qui nous apparaissent les plus menaçants, comme la Chine ou les États-Unis. Mais effectivement, un certain nombre de menaces émanent de nos voisins les plus proches, comme l’Allemagne. Il s’agit donc de faire un véritable choix politique. Est-ce qu’il faut pousser le fédéralisme à un niveau plus avancé pour permettre de transférer la capacité de filtrage au niveau communautaire ? Mais si nous considérons que les intérêts continuent d’être divergents, ce qui est le cas en pratique, il faut peut-être en tirer des leçons pragmatiques et savoir se protéger de la même manière contre les investissements allemands ou chinois. Sur cette question, il faut avant tout faire preuve de pragmatisme et se dire que tant que nos partenaires se positionneront en concurrents agressifs — comme a notamment pu se comporter l’Allemagne à l’égard de la France ces dernières années dans le nucléaire (10) —, alors il va falloir les traiter à la fois comme des partenaires et des menaces.

Bernard CARAYON
Propos recueillis par Thomas DELAGE
le 8 octobre 2024
dans le cadre des Rencontres stratégiques de la Méditerranée

(1) Frédéric Schaeffer, Raphaël Balenieri, « Semi-conducteurs : un groupe chinois rachète Linxens », Les Échos, 26 juillet 2018 (https://​rebrand​.ly/​j​d​u​q​mpk).

(2) Clémence Pèlegrin, Hugo Marciot, « La Chine aux portes du réseau électrique européen », Groupe d’études géopolitiques, septembre 2021 (https://​rebrand​.ly/​o​0​o​p​t6r).

(3) Nessim Aït-Kacimi, « Proche des 300 milliards d’euros, le fonds singapourien Temasek renoue avec la croissance », Les Echos, 10 juillet 2024 (https://​rebrand​.ly/​n​0​h​u​n5o).

(4) Alexandre Souchet, « Guerre de l’information autour de la prise de contrôle de l’entreprise allemande Kuka Robotique », École de guerre économique, 24 février 2020 (https://​rebrand​.ly/​a​l​r​5​gzi).

(5) Coface, « Biotechnologies : une Europe à la peine face au duel sino-américain », 27 mai 2024 (https://​rebrand​.ly/​e​2​r​e​m8m).

(6) Commission européenne, « Rapport sur les investissements directs étrangers : augmentation continue de la propriété étrangère d’entreprises européennes dans des secteurs clés », 13 mars 2019 (https://​rebrand​.ly/​2​y​f​r​283).

(7) En 2024, la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) affiche 46 500 nouveaux diplômés en 2022-2023, alors que les entreprises en réclament 20 000 de plus : Jeanne Bigot, « Le nombre d’ingénieurs diplômés en France reste insuffisant face aux besoins des entreprises », L’Usine Nouvelle, 17 juin 2024 (https://​rebrand​.ly/​5​3​u​9​bkn).

(8) Geetha Ganapathy-Doré, « L’Inde, une puissance scientifique et technologique depuis plus longtemps qu’on le croit », Université Sorbonne Paris Nord, article republié à partir de The Conversation, 5 juin 2024 (https://​rebrand​.ly/​l​l​a​q​9cm).

(9) Marie Guitton, « Filtrage des investissements étrangers : à quoi sert le “système d’alerte” de l’UE ? », Toute l’Europe, 11 février 2022 (https://​rebrand​.ly/​s​u​b​1​vrn).

(10) École de guerre économique, « Ingérence des fondations politiques allemandes & sabotage de la filière nucléaire française », rapport d’alerte, juin 2023 (https://​rebrand​.ly/​o​y​u​7​e3n).