La strategie defensive de l’Allemagne a l’ouest (2)-Vision d’historiens allemands-bulletin n 181-1999

Suite d’extraits d’une étude réalisée par des historiens allemands en collaboration avec des officiers supérieurs de la Wehrmacht et en utilisant les ressources inédites des archives allemandes.




La Liberation de la FRANCE et la defaite allemande de 1944 selon des historiens allemands

Extraits d’une étude réalisée par des historiens allemands en collaboration avec des officiers supérieurs de la Wehrmacht et en utilisant les ressources inédites des archives allemandes.

Ce document dresse un tableau sévère et objectif des conditions dans lesquelles l’Allemagne dut affronter les débarquements à l’Ouest et les problèmes posés par la Résistance française. Le lecteur sera surpris de constater le prix qu’attachait le “visionnaire” Hitler, dès 1942, au maintien de l’occupation allemande en France.




Commentaires de l’ouvrage du General Navarre” Le Service de renseignement 1871-1944″ par L PAPELEUX

Le professeur Léon PAPELEUX de l’Université de Liège a publié dans une revue spécialisée belge une critique de l’ouvrage d’Henri Navarre et d’un groupe d’anciens du SR : Le Service de Renseignements, 1871-1944 .Parmi les succès obtenus par le S.R. français, un certain nombre – et des plus importants – furent dus à des sources allemandes. L’une de celles-ci que Churchill appelait « la source miracle » et dont Eisenhower a dit que son rôle avait été décisif, a été la reconstitution et l’utilisation de la machine allemande à chiffrer mécaniquement qui est connue sous le nom d’Enigma. Les plus grands cryptologues du camp adverse avaient conclu à l’herméticité des documents chiffrés par cet engin.

La paternité de la reconstruction d’Enigma est encore aujourd’hui un sujet de polémiques entre les anciens Alliés. Navarre apporte, à ce propos, le son de cloche français. Le S.R. français a obtenu d’un fonctionnaire de la Chiffrierstelle les éléments nécessaires au déchiffrement : manière d’utilisation et de déchiffrement, tableau mensuel des clés changeant quotidiennement, etc. Partant de ces données, le S.R. polonais reconstitua Enigma et ses modèles successifs. Ce qui permit aux Alliés de lire presque toute la guerre à livre ouvert dans les intentions stratégiques allemandes




La preparation et le debarquement des equipes SM dans le Sud de la France

Depuis 1943, le chef du C.E. français multipliait ses démarches auprès des alliés pour que la préparation du débarquement dans le domaine de la sécurité fut entreprise en commun. Il y avait de bonnes raisons de croire qu’Anglais et Américains, invoquant les rivalités entre Français, prépareraient, seuls, l’action C.E. à entreprendre sur le territoire métropolitain libéré et imposeraient l’A.M.G.O.T. La masse impressionnante de renseignements C.E. recueillis sur la France par T.R., l’organisation méthodique et complète du S.S.M. clandestin, la préparation minutieuse en A.F.N. et à Londres du S.S.M. de débarquement (1) furent, avec la fusion des Services Spéciaux dans le sein de la D.G.S.S. les facteurs essentiels qui amenèrent le S.H.A.E.F. (2) à déléguer à Alger les Lieutenants-Colonels Dick White (3) et Jarvis pour étudier avec le Commandant Paillole la participation des Français à la sécurité des opérations de débarquement et des territoires libérés.

Plusieurs conférences et visites, en mars 1944, convainquirent le représentant du commandement allié de la part prépondérante que devait prendre le S.S.M. dans cette tâche.

Au cours de plusieurs semaines de travail en commun à partir du 5 mai 1944 à Londres, des accords définitifs furent établis. Ils eurent l’approbation du Général Koenig, Commandant en chef F.F.I. et furent signés du côté allié par le Colonel Scheen, du S.H.A.E.F., et par le Commandant Paillole, mandaté à cet effet par le Général de Gaulle.

Les opérations de débarquement dans le Sud de la France donnèrent lieu à des préparatifs analogues sur des accords aussi précis.

Au préalable, et pour préserver au mieux le secret des opérations en Corse et en Italie, où était stationnée l’armée française, le S.S.M. avait renforcé son dispositif de sécurité territoriale.

Sous les ordres du Commandant Tupinier, accolé à l’État-major de la 7ème armée (Général Patch) les services de C.E. de débarquement comprenaient :

– Le S.S.M./600 (Commandant Alet) destiné à suivre les opérations des grandes unités alliées.

– Le S.S.M./60 (Commandant Gacon) qui assurait la sécurité des armées françaises depuis les opérations d’Italie.

– Une équipe S.M. de réserve (Capitaine Bruel) destinée à implanter le S.M. Territorial dans la zone de débarquement Sud.

– Un élément T.R. (Capitaine Bertrand) jumelé avec les éléments alliés ana­logues, chargé du Contre-Espionnage offensif au sein de la 1ère armée française.

Des éléments S.M./Air (Capitaine Tamisier), Marine (Commandant Labarère), de la Sûreté aux Armées (M. Koenig), complétaient le service de C.E. de débarquement dans la zone Sud, le tout coordonné par le Commandant Tupinier.

Le Commandant Paillole s’était rendu à Naples, Rome et Ajaccio entre le 1er et le 15 août pour présider à cette organisation dont le fonctionnement fut satisfai­sant dès le débarquement, en dépit des moyens matériels réduits.

Il était à prévoir que les opérations de Normandie et de Provence créeraient dans le Sud-Ouest de la France une zone confuse ou les armées franco-alliées ne pourraient intervenir qu’avec retard.

C’est la raison pour laquelle le chef du S.S.M. donna en mars 1944 au Capitaine Dumont, chef du service de C.E. à Madrid, la mission de préparer des équipes S.M. destinées à assurer à travers les Pyrénées les liaisons avec les S.M. précurseurs méridionaux et les réseaux T.R.

Ainsi fut effectuée, avant même le départ des Allemands, la mise en route des B.S.M. précurseurs de Bordeaux, Toulouse et Montpellier. A plusieurs reprises, souvent dans des conditions pénibles et dangereuses, Dumont et ses excellents collaborateurs franchirent clandestinement la frontière, assurant le transport d’archives et des instructions du S.S.M., veillant à la bonne marche des dispositifs de sécurité territoriaux.

Les extraits ci-après de la lettre du 21 août 1944 adressée par le Commandant Tupinier au Commandant Paillole, donnent une idée de l’ambiance dans laquel­le le S.S.M. participe à la libération :

” Mon cher Commandant,

Vous dire mon émotion et ma joie devant la réussite de notre opération est inutile…

… Vie intense d’action et d’organisation. Résultats déjà excellents.

… Avons trouvé à Draguignan S.M. précurseur destiné à Toulon, Capitaine Girardet, Capitaine Boffy (4) également après très bon travail sans casse. Capitaine Girardet nous a donné toutes indications sur S.M. précurseurs des régions et départements voisins. Nous mettons en place avec les moyens locaux (bons) ces B.S.M. territoriaux. … Tout ceci se fait encore sans véhicules. Ceux-ci sont attendus avec impatience ; mais chacun est tellement gonflé qu’un seul officier rempla­ce les 5 roues d’une jeep.

… J’ai déjà une masse de documents inexploitables par nous. Il est indis­pensable que le ler échelon de la D.S.M. arrive (5) .

Actuellement une force S.M. – S.R. que j’ai organisée sous le commandement d’Ales (je dois le rejoindre demain) est prête à bondir sur Toulon. Digne, Aix-en-Provence reçoivent notre visite dès maintenant par S.M. divisionnaire.

Cassagnou doit vous parler du problème F.F.I. A mon avis il se résume à ceci :

a) Organisation après contrôle et par enrôlement en ” Force spéciale ” de ces jeunes résistants dont trop sont de la dernière heure.

b) Contrôle très strict des arrestations innombrables qu’ils opèrent eux-mêmes, avant l’arrivée de la troupe. Le S.S.M. se trouve dans chaque village devant le fait accompli… petites vengeances locales, politiques, méridionales, etc. Il faut du tact, on y arrive, mais quelle perte de temps !

En résumé, situation excellente, moral magnifique de tous : comment pourrait-il en être autrement devant l’accueil enthousiaste de la population… La France n’était vraiment pas morte et nous ne sommes qu’en provence !…”

Les noyaux des équipes de débarquement et d’Espagne, groupés à Paris en novembre 1944, reçurent mission du Commandant Paillole, de poursuivre en Allemagne, sous les ordres du Colonel Gérard-Dubot leur action de C.E. en liaison avec les alliés et dans le cadre d’un Bureau Interallié de C.E. (B.I.C.E.)

(1) Les résultats remarquables obtenus par les équipes S.S.M. sur les théâtres d’opérations d’Italie avaient fortement impressionné le Commandant allié.

(2) Supreme Headquarter Allied Expeditionary Forces.

(3) Après le départ à la retraite du Général Menzies, le Colonel Dick White devint le chef de l’I.S.

(4) Après une excellente mission de liaison en France en 1943, le Capitaine Boffy avait été parachuté le 15 août 1944 en avant des troupes débarquées, pour préparer avec le S.M. précurseur la sécurité des opérations dans la région de Draguignan et de Toulon.

(5) Il avait été prévu que, pour éviter l’encombrement des équipes S.M. de débarquement, les documents saisis dans les postes de l’Abwehr et de la Gestapo, seraient exploités par un échelon de la D.S.M. à Londres pour le débarquement Nord et à Marseille pour le Sud.




La naissance de la mission PEARL HARBOUR le role decisif du Colonel Ronin

Le 8 novembre 1942 les Alliés ont débarqué à Alger et au Maroc avec les péripéties que l’on sait. A Vichy, les Colonels Rivet et Ronin, certains que l’Armée de l’Armistice ne s’opposerait pas à l’entrée des Allemands dans la zone Sud (dite « libre »), s’envolent de Marignane le 10 novembre 1942 à 4 h 30, accompagnés de quelques officiers. Ils atterrissent à Biskra trois heures plus tard.

Situation confuse. Ordres contradictoires. Grâce à la maîtrise de la Direction de la S.M. en A.F.N. et au sang-froid de son chef, le Lieutenant-Colonel Chrétien, les deux colonels peuvent gagner Alger le 13 novembre 1942. Les nouvelles du Maroc demeurent contradictoires. L’organisation du Commandement est ambigu Seul le Général Juin leur exprime ses inquiétudes devant la menace que représente la Wehrmacht qui débarque en force en Tunisie, tandis que les Alliés poursuivent leur débarquement et que les forces françaises d’A.F.N. sont toujours choquées par les incertitudes et l’absence de directives.

Le 14 novembre Rivet et Ronin sont reçus par le Général Giraud dont les attributions sont encore mal définies. Le Général est soucieux lui aussi de la pression allemande en Tunisie et réclame des renseignements. Avec l’aide de la D.S.M. et du Commandant Michel de l’Armée de l’Air, les deux colonels installent leur P.C. à Alger, rue Charras (ex-local de la délégation d’armistice pour l’Air). Les jours qui suivent sont consacrés à l’élaboration d’un projet de « Direction S.R.- S.M. » — Il sera approuvé le 18 novembre 1942 par Darlan.

Les contacts sont rétablis avec Tunis, Rabat et Dakar — la liaison radio avec nos réseaux clandestins métropolitains est recherchée. Le 22 novembre, réunion sous la présidence du Général Bergeret, nommé Haut-commissaire adjoint. Camarade de promotion et ami de Ronin, Bergeret qui a une vision nette de la situation intérieure et extérieure, exprime les besoins en renseignements, immédiats et à court terme. L’objectif prioritaire demeure la libération du territoire, en A.F.N. puis en métropole, la Corse devant être la première étape à franchir. Le 26 novembre, Bergeret reconvoque Ronin et insiste sur les besoins en renseignements sur la Tunisie et la France en particulier sur la Corse.

Le 26 novembre, les représentants de l’I.S. et le Colonel Eddy de l’O.S.S., se mettent d’accord avec Rivet et Ronin pour la coordination des efforts de recherches. La Corse est placée en tête des objectifs à atteindre. Ronin est chargé de la préparation de l’opération. Le 27 novembre, c’est le sabordage de la flotte à Toulon. L’I.S. délègue auprès de Rivet et Ronin, les Colonels Craxfort et Winterbotham.

Le 1er décembre 1942, la liaison avec nos réseaux métropolitains est rétablie. Le 4 décembre 1942, Ronin, Winter-Botham, Crawfort et Eddy mettent au point la constitution de la mission à lancer sur la Corse. Ronin, familiarisé dans le travail en zone occupée, décide de confier la direction du Commando à mettre sur pieds, à l’un de ses agents confirmés en métropole et replié à Alger, le Belge de Saule. Le Colonel Chrétien recherchera des volontaires d’origine Corse et connaissant bien l’île. Il est convenu que l’opération sera exclusivement française avec l’appui logistique des Alliés. Le Commandant L’herminier, évadé de Toulon avec le sous-marin ” Casabianca ” et volontaire pour effectuer des missions sur les côtes françaises, sera chargé de la préparation et de l’exécution du débarquement du Commando (que Ronin baptise Pearl-Harbour) sur la côte corse.

Un secret absolu sera de rigueur. Le 5 décembre 1942, Chrétien a recruté des volontaires. Eddy propose un électricien nommé Brown, spécialiste des appareils radio, pour représenter l’O.S.S. dans la préparation technique du commando. Le Commandant L’herminier prend contact avec Ronin. Le 7 décembre 1942, réunion au P.C. de la D.S.M. à El Biar, des participants à l’opération Pearl-Harbour, sous la présidence du Colonel Ronin et en présence de L’herminier. Présentation du Commando : Le Commandant de Saule, son adjoint le Lieutenant Toussaint Griffi, le radio Pierre Griffi et Preziosi. La mission est définie recherche de renseignements sur l’occupation italo-allemande en Corse, recrutement et constitution de réseaux de résistance qui seront ultérieurement armés. Les conditions du débarquement clandestin sur les côtes corses sont précisées par L’herminier. Des conseils et des instructions de détails sont donnés pour la bonne exécution de la mission. Le 9 décembre 1942, l’équipe du Commando réunie à El Biar pour un dernier briefing est amené à bord du ” Casabianca ” où l’accueille L’herminier et ses seconds Belley et Chaillet. La journée du 10 décembre est passée dans le sous-marin. Ce n’est que le 11 décembre 1942 à 19 heures que le ” Casabianca ” se met en route vers la Corse où, le 14 décembre 1942 à une heure du matin, la mission Pearl-Harbour est déposée sur la plage de Tofiti, commune de Cargèse.

Note de la Rédaction : Ce qui précède est le résumé du journal de marche du Général Rivet ainsi que des souvenirs du Colonel Chrétien (déposés au SHAT de Vincennes dans le fonds particulier du Colonel Paillole).




L’aide de la marine nationale aux services speciaus temoignage du Captaine Paumier Actions du commandant LHerminier

A la gloire du Sous-Marin ” PERLE ” disparu corps et biens le 8 Juillet 1944

Avec l’autorisation de l’Amirauté, nous publions le récit du Capitaine de Frégate PAUMIER, qui commandait le Sous-Marin “PERLE” lors de sa mission sur les côtes de Provence en Octobre 1943. Cette mission sous-marine fut la dernière au Cap Camarat. Elle fut aussi l’une des plus risquées, car l’ennemi venait précisément d’y renforcer ses défenses côtières et ses moyens de guet. L’expédition ratée le mois suivant – Novembre 1943 – devait, hélas, démontrer la difficulté de l’entreprise. Pourtant le récit en est simple, discret, bien dans les traditions de la MARINE. A chaque ligne apparaît l’ex­traordinaire maîtrise, l’exceptionnel courage, la foi patriotique de l’équipage et de son Chef.

“LA PERLE” n’a pas connu la Victoire : disparue en mer le 8 Juillet 1944, elle symbolise l’héroïque abnégation de notre Marine Nationale.

C’est à cet héroïsme et à cette abnégation que nous rendons aujourd’hui hommage. Nous les perpétuerons demain en édifiant à Ramatuelle le MEMORIAL des SERVICES SPECIAUX.

UN DÉBARQUEMENT des SSM/TR

Sur les côtes de Provence (Octobre 1943)

Si la grande presse a beaucoup parlé des opérations de parachutage destinées à organiser les forces de la Résistance, un voile discret, par contre, semble avoir été jeté sur les opérations de débarquement, peut-être plus modestes, exécutées au cours des années 1943 et 1944 sur les côtes méditerranéennes, par le Groupe des Sous-marins d’Algérie.

A cette époque, la création de liaisons directes et françaises avec la Métropole et le maintien de ces liaisons étaient un problème vital. Très rapidement le sous-marin s’avèrera l’engin idéal pour ce travail, ayant sur l’avion l’énorme avantage d’une discrétion à peu près totale. Le Capitaine de Corvette L’HERMINIER, Commandant du “CASABIANCA”, fut le premier à tenter et à réussir, en Février 1943, un débarquement d’agents du SSM/TR sur les côtes de Provence (les BULLETINS 7 et 8 ont relaté cet exploit). Devenu notre chef de file, il ne cessera de nous recommander de toujours opérer avec la plus grande discrétion.

Le point de débarquement devant être impérativement isolé des grandes voies de communication, facilement identifiable de nuit, d’accès possible pour un sous-marin navigant en immersion profonde. Le choix du Commandant L’HERMINIER s’était porté sur la Baie de Bon-Porte, entre les Caps Taillat et Camarat, non loin de la Baie de Saint-Tropez, et pratiquement le seul endroit acceptable entre Toulon et la frontière italienne.

Le nombre d’agents que nous transportions variait généralement entre cinq et dix et se composait des éléments les plus divers, les uns Officiers de Marine en service aussi bien en Afrique du Nord qu’en France, se pliaient aisément aux pénibles conditions de vie des sous-marins, les autres ignoraient tout de la vie maritime et se trouvaient quelque peu perdus sur nos bateaux où les mètres carrés leur étaient distribués avec parcimonie.

Ainsi, chaque mois, à la nouvelle lune, un sous-marin d’Alger vint en Baie de Bon-Porte. Mais, tout a une fin; l’activité des Résistants ne pouvait à la longue rester inaperçue et, en Novembre 1943, l’ennemi interrompait brutalement les opérations poursuivies.(1)

Et c’est “LA PERLE” qui, en Octobre 1943, se trouve avoir réalisé le dernier débarquement sur ces côtes.

LE RAPPORT DE MER

Le départ d’Alger se fait au petit matin du Samedi 23 Octobre.

“LA PERLE” plonge dès la sortie du chenal dragué et se dirige vers la zone que l’Amirauté alliée réserve aux sous-marins en transit vers les côtes de Provence ou le Golfe de Gênes. Tenir l’horaire est absolument vital, au surplus l’un de nos passagers – Officier de Marine en service à Toulon, venu à Alger au voyage précédent – doit être impérativement rentré à l’issue d’une permission d’un mois qu’il est censé avoir passé.. quelque part dans le Sud-Ouest de la France. Heureusement les Dieux de la Mer et de la Guerre seront avec nous, aucun incident ne retardera notre marche. Dans la matinée du 26 Octobre, après avoir reconnu la terre, nous prenons l’immersion de 40 mètres pour rester invisible des bateaux de surveillance et des postes de guet, puis, délicatement, nous nous posons sur le fond en Baie de Bon-Porte.

Pendant la journée le silence le plus complet règne à bord, l’équipage, les passagers, tous se reposent dans l’attente du débarquement que nous tenterons au cours de la prochaine nuit. Seuls sont armés les appareils d’écoute. Le passage dans notre voisinage de quelques vedettes ou torpilleurs nous fait craindre la fuite d’air ou de gas-oil qui indiquerait d’une manière très précise notre position.

Le repas du soir nous réunit au “carré”, gais en apparence, mais cependant anxieux. Les derniers détails de l’opération sont mis au point, tout se passera par nuit noire, il est donc impératif que chacun connaisse ses consignes et les exécute en suivant un plan parfaitement minuté.

Vingt-trois heures : La nuit est entièrement tombée, lentement nous décollons du fond et faisons surface laissant le pont au ras de l’eau pour n’offrir qu’une très faible silhouette. Le plus silencieusement possible nous nous approchons de la côte essayant de découvrir la ROCHE ESCUDELIER, très remarquable et bien connue des sous-marins d’Alger.

Après quelques longues minutes d’attente, grâce aux petits appareils radios de transmission (2) dont les Services Spéciaux sont dotés, le contact s’établit avec le Comité d’accueil du SSM/TR chargé d’assurer la réception et la protection des camarades débarqués. Mais alors que la terre est à peine à trois cents mètres, quelle n’est pas notre stupéfaction d’apprendre l’installation toute récente d’un poste de garde allemand près de la roche Escudelier, à quelques mètres de nous. Il nous est demandé de remettre l’opération au lendemain et de tenter le débarquement huit cents mètres plus au nord dans la baie. Sans hésitation, mais avec regrets, nous acceptons ces conseils. Celui de nos hôtes – le marin – toujours préoccupé de rallier son poste, marque une certaine déception et se promet de partir seul à la nage le lendemain si un obstacle se manifeste à nouveau.

Lentement, sans bruit, nous “battons arrière” pour nous sortir de cette souricière.

Après avoir réussi à nous “éviter” cap au large, nous repartons vers la haute mer. Il est grand temps de recharger nos batteries d’accumulateurs si nous voulons revenir la nuit prochaine.

______________

La chance nous sourit encore et, lorsque le jour parait, les batteries sont bien chargées. Nouvelle marche d’approche comme la journée précédente.

Vers neuf heures du matin le 27 Octobre, nous reposons de nouveau sur le fond en Baie de Bon-Porte. Quelques bâtiments ennemis se manifestent dans l’après-midi. Avons-nous été repérés la nuit précédente ? Question bien angoissante pour la suite de l’opération.

Le même scénario continue à se dérouler. Nuit noire; surface vers vingt-trois heures, puis nous nous dirigeons vers le Nord de la Baie … avec la prudence du serpent. Les liaisons radios avec le Comité d’accueil SSM/TR s’établissent facilement et, lorsque la quille est prête à toucher le fond, nous nous immobilisons tout près de terre.

Le spectacle des montagnes environnantes est impressionnant, quelques lueurs sur la falaise montrent que les alentours du phare de Camarat ne sont pas inhabités, les faisceaux d’énormes projecteurs installés aux Caps Nègre et Lardier tournent sans arrêt découpant le Cap Taillat en ombre chinoise.

Les équipes du bord, en hâte, mais sans bruit, mettent à l’eau le youyou, les embarcations en caoutchouc sont hissées par le “sas” du scaphandrier. Nos hôtes montent sur la passerelle avec leurs précieuses valises et nous font leurs adieux. Minute particulièrement émouvante. Nous les envions de pouvoir fouler dans quelques minutes le sol de notre Patrie où tous, sans aucune exception, avons laissé nos familles.

En silence, le petit convoi pousse du bord, le youyou remorquant les radeaux pneumatiques.

La progression se fait lentement tant que les signaux discrets du Comité d’accueil n’ont pas été aperçus. L’opération se fera ce soir comme à l’entraînement, néanmoins, il s’écoulera près d’une heure avant que les embarcations ne rallient le bord. Les minutes d’attente paraissent interminables. Nous scrutons la côte sans interruption pendant que les projecteurs continuent à se manifester régulièrement. Le petit clapotis qui frappe la coque est d’une indiscrétion rare. L’angoisse nous étreint. L’arrivée d’une vedette ou d’une patrouille nous mettrait en fâcheuse position ainsi que nos camarades de combat.

Enfin, le youyou sort de l’ombre, l’accostage se fait doucement. Aucun nouveau passager ne nous est confié, mais nous rapportons un volumineux courrier où se trouvent les renseignements nécessaires à l’établissement des plans d’opération du débarquement en Normandie et du fonctionnement des Services de Contre-Espionnage.

En quelques minutes les sacs sont embarqués, le youyou est saisi, les radeaux sont descendus par le “sas” et, comme à regret, à petite vitesse, sans aucun bruit, nous gagnons le large. Une plongée trop rapide serait bruyante et donnerait l’alerte dans le secteur. Il faut être discret, d’autant plus que nos camarades débarqués ne sont sans doute pas encore à l’abri. Peut-être même n’ont-ils pas encore réussi à atteindre la ferme hospitalière d’ACHILLE (3) , première halte pour eux avant les rudes tâches de demain.

_________________ Pour nous, la patrouille continue. Un renseignement particulièrement intéressant reçu du Commandant de la Huitième Flottille de Sous Marins Britanniques à laquelle nous sommes attachés, nous avertit de la traversée probable de notre secteur par un sous-marin allemand ralliant Toulon.

L’atmosphère du bord restera lourde cette nuit. Nos familles trop proches … les équipages qui ont assuré le débarquement ont touché le sol de France. Peut-être quelques-uns ont-ils le pressentiment qu’ils ne reviendront jamais ? Peu d’entre nous connaîtrons les joies du débarquement de la Victoire, la plupart disparaîtront le 8 Juillet 1944 en plein Atlantique.

Le sacrifice de mes camarades de la “PERLE” rejoint celui de nos camarades de la Résistance.

Puissions-nous ne jamais l’oublier !

Capitaine de Frégate PAUMIER Groupe Bertin – Suffren TOULON

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Le souvenir du Commandant L’HERMINIER

Il y a quinze ans, le sous-marin “Casabianca”, sous le commandement du capitaine de corvette L’HERMINIER, s’évadait de Toulon envahi par les troupes allemandes.Fidèles au souvenir de leur ancien chef, les anciens du Casabianca ont déposé le 23 novembre à 11h30, au cimetière de Clichy, une gerbe de fleurs sur la tombe du Commandant L’HERMINIER.

Ils ont donné le même soir au profit des “Invalides de la Flotte” une soirée placée sous la présidence d’honneur de Mme L’HERMINIER et du vice-amiral d’escadre ORTOLI.




Au service de TR recit du capitaine Guillaume a la recherche de la sacree verite

Il faut que ce récit soit lu et relu par tous nos camarades, et le plus grand nombre de Français. Il est la preuve, combien évidente pour nous, que la technique du C.E. ne s’improvise pas et que le SSM/TR, fidèle à sa mission tutélaire, sût faire face à toutes les situations, pour continuer son oeuvre de salubrité et participer à la Libération de la France. Au terme de ces études et récits dont le point de départ fût l’AFN et son rôle dans nos combats, nous remercions encore tous ceux qui, comme G., nous ont aidés à situer dans l’Histoire une partie importante du rôle du SSM/TR. A vous, lecteurs, de faire maintenant votre Devoir en diffusant ces pages et en montrant ainsi le vrai visage de ceux qui furent parmi les meilleurs serviteurs de la France. A vous de nous aider par vos écrits à poursuivre notre campagne pour la VERITE.
D’ALGER à ALGER via Ramatuelle, Paris, Marseille et Londres
(Nous sommes en 1943; la Zone dite ” libre ” est, elle aussi, maintenant occupée et les côtes sont aux mains de l’ennemi.

Pourtant, le ” CASABIANCA ” de l’héroique Commandant LHERMINIER a réussi le tour de force de débarquer au cap Camarat, près de Ramatuelle, le T.R. GUILLAUME, l’ ” As ” des transmissions, CAILLOT et l’américain BROWN que nous avait confié les Services Spéciaux de nos Alliés.

Les 3 hommes viennent de toucher terre; ils sont à pied d’oeuvre mais en plein ” cirage ” .
Nuit du 6 au 7 Février 1943.

Oui, notre mission commençait seulement. Le ” CASABIANCA ” pour nous n’avait été qu’un moyen de transport, un peu particulier sans doute.

Il y a maintenant plus d’une 1/2 heure que nous sommes allongés sur le sol. Nos yeux commencent à s’habituer à l’obscurité et nous nous concertons à voix basse. A part les feux des caps Lardier et Camarat qui nous encadrent, tout paraît calme.

Précédant mes deux camarades CAILLOT et BROWN, et après avoir arrimé aussi solidement que possible nos bagages, nous commençons l’ascension de la calanque… Il eut été sans doute plus facile de la tourner, mais nous préférons la difficulté et les obstacles naturels aux pistes trop surveillées.

Nous peinons. Des rochers, des arbustes, des buissons épineux s’opposent à notre avance. Il faut surtout progresser en silence avec la souplesse et la sûreté de Sioux sur le sentier de la guerre… Nous suons maintenant à grosses gouttes… Enfin, nous arrivons au sommet et nous nous étendons autant par prudence que pour récupérer. Nous consultons nos boussoles et essayons de déterminer notre position. Ce n’est pas chose facile car non seulement nous n’avons aucune carte de la région, mais celle du bord ne concernait que les fonds sous-marins et ne portait aucune indication sur l’intérieur.

Notre premier souci est de nous éloigner de la mer car toute la zone côtière est surveillée…

En colonne par un, toujours dans le même ordre et en nous tenant à quelques mètres de distance, nous continuons notre marche. La nuit noire, le sol rocailleux, toujours ces arbustes sauvages qui grippent à nos vêtements; des trous nous font trébucher et nous avons du mal à éviter la chute de nos valises.

Maintenant, tout n’est plus aussi calme et une vie, qui parait intense à nos yeux inquiets, se dessine à l’horizon. Lumières qui s’allument et qui s’éteignent, aboiements, bruits de moteur… Nous redoublons de prudence et faisons de temps à autre une pose. Conférence nocturne où l’humour, malgré la gravité de la situation, n’est pas exclu : Nous sommes tous trois d’accord pour éviter les zones découvertes, plates et bien entendu tout ce qui ressemble à un chemin…

Mais voilà le premier Incident. Je disparais tout à coup dans une sorte d’entonnoir profond de deux mètres, après une chute douloureuse, amortie par un fond sablonneux… Je sens une vive douleur à ma cheville droite. Mes camarades ont beaucoup de mal à contourner cette excavation pour venir me prêter main forte.. Aidé par CAILLOT et BROWN, j’essaie de me relever, mais ma cheville enfle rapidement et m’empêche de me tenir droit. Stupide accident qui risque de compromettre notre mission.,. Enfin, après des massages énergiques, je parviens, soutenu par mes amis, à avancer péniblement.

Nous nous arrêtons souvent. Je souffre beaucoup. A l’aube, après plus de cinq heures d’efforts, nous atteignons une clairière au milieu d’un bois d’oliviers. Nous saurons plus tard que nous avons fait à peine 3 kilomètres. Plus de temps à perdre. Il faut, avant le lever du jour, camoufler tout notre matériel et prendre l’aspect d’aimables citadins à la recherche de provisions.

Nous creusons un trou assez profond sous la broussaille et nous enfouissons nos valises après les avoir délestées de quelques vivres et cigarettes. Nous recouvrons nos précieux bagages de toiles imperméables sur lesquelles nous déversons de la terre, des broussailles et des branches.

Quelques marques discrètes sur des arbres afin de faciliter la récupération du matériel plus tard.

Nous nous éloignons et trouvons un coin touffu où nous pouvons nous étendre …. Nous éprouvons un grand soulagement d’être délivrés de nos bagages compromettants. C’est vraiment le premier moment de détente depuis notre débarquement.., L’immobilité dans cette aube de Février nous glace et nous éprouvons le besoin de nous restaurer. CAILLOT nous passe quelques biscuits et tablettes de chocolat. En prenant les précautions d’usage, nous allons fumer notre première cigarette … C’est alors un juron ironique de CAILLOT qui nous tend un paquet de cigarettes … Devant notre ébahissement, il se contente de nous faire lire la mention ” Provision de bord, débarquement interdit “. Nous goûtons avec lui ce gag savoureux : D’autant plus savoureux que ces cigarettes nous avaient été remises par les officiers du “CASABIANCA” en échange de nos cigarettes américaines jugées compromettantes…
7 Février.

De joyeux “Cocorico” précèdent le lever du jour. Nous distinguons maintenant assez bien, malgré une brume légère, le paysage environnant. Une ferme se détache à quelques centaines de mètres. Nous nous mettons d’accord sur le plan à appliquer.

Laissant CAILLOT et BROWN à l’abri, je me présentai à la ferme sous le prétexte d’acheter des provisions. Une brave femme dont le mari était prisonnier, me céda pain, vin et charcuterie. En bavardant, j’appris que nous étions à une douzaine de kilomètres de St-TROPEZ et à quatre ou cinq kilomètres de RAMATUELLE … pas de contrôle sur cette route si ce n’est un poste italien dans ce dernier village.

De retour auprès de mes camarades et après un substantiel casse-croûte, nous décidâmes de nous rendre à St-TROPEZ. Il était indispensable de nous séparer afin de limiter les dégâts… éventuels ; nous devions nous retrouver un kilomètre environ avant d’atteindre cette ville, à droite sur le bord de la route. Ma cheville enflée ne me permettant pas de marcher rapidement, je partis en tête, suivi une demi-heure après par CAILLOT et BROWN. Il n’était pas prudent, en effet, de laisser BROWN isolé; il parlait français avec un accent effroyable et son allure athlétique, décidée, son visage énergique aux yeux bleus perçants, son habillement, évoquaient plus sûrement un cow-boy du TEXAS qu’un voyageur de commerce de CHATEAUROUX ; et avec cela un esprit de bagarre que l’ami CAILLOT avait beaucoup de mal à réfréner…

Ma première rencontre sur la route fut un soldat italien qui, perché sur une ligne téléphonique, chantait “Santa Lucia” à tue-tête et me gratifia d’un geste amical… “Va bene”… “va bene” : La fatigue de la nuit et ma cheville rendirent mon parcours particulièrement pénible. Au crépuscule, le trio se reconstituait comme prévu.

CAILLOT et BROWN voulaient passer la nuit cachés dans les bois. Personnellement je n’étais pas de cet avis. Ce risque me paraissait inutile. Nous nous trouvions dans une région qui semblait calme, peu de troupes, je jugeai qu’il valait mieux, individuellement, aller coucher tout simplement à l’hôtel… J’avais passé des vacances à ” l’Hôtel de Paris ” à l’entrée de St-TROPEZ quelques années avant, je connaissais les patrons et j’avais une identité. Nous nous séparâmes en nous fixant un rendez-vous le lendemain vers 9 heures à proximité de ” l’Hôtel de Paris “.

Sans révéler ma véritable personnalité, je pris une chambre, aimablement accueilli. En remplissant ma fiche d’hôtel, j’imaginais la tête du préposé à la réception si j’avais inscrit les lignes suivantes: – Nom et prénom : CLAUDE DE MORANGIS – Profession : AGENT SECRET – Vient de : ALGER – Destination . LONDRES VIA PARIS – Moyens de transport : SOUS-MARIN + LYSANDER – But du Voyage : RÉSISTANCE, CONTRE-ESPIONNAGE, SABOTAGE, TERRORISME.

8 Février.

Après une bonne nuit malgré ma cheville endolorie, je quittai l’hôtel non sans qu’une surprise de taille me soit réservée. La patronne, qui me voyait marcher péniblement, me demanda où j’allai ? Lui ayant indiqué : MARSEILLE, elle me proposa tout simplement de monter dans la voiture d’un Amiral allemand qui venait de visiter l’usine de torpilles de St-TROPEZ et qui avait passé la nuit dans la chambre voisine. J’avoue regretter encore que la présence de mes complices ne m’ait pas permis cette cocasse aventure.

A mon grand étonnement, j’appris par CAILLOT et BROWN qu’ils avaient, après réflexion, passé, eux aussi, la nuit dans le même hôtel, près de moi et de l’Amiral.

Nous nous réunissons dans un café et mettons au point la dernière partie de notre voyage.

Toujours séparés, nous prenons le ” tortillard ” St-Tropez – St-Raphaël où nous arrivons vers midi. Nous avons un train pour MARSEILLE à 15 heures. Sans tickets de pain, nous nous contentons de déguster des quantités considérables de coquillages arrosés d’un bon rosé du pays.

Un petit tour à la gare en promeneur pour s’assurer qu’il n’y a pas de contrôle d’identité…

Nous arrivons enfin à MARSEILLE vers 18 heures et nous nous retrouvons sans incident dans un petit bar du Bd. d’Athènes. Notre joie est maintenant complète. Nous savourons, sans fausse modestie, la satisfaction du devoir accompli. Il n’est plus question de chercher des appuis, un hôtel : je suis dans le fief de T.R. 115 presque le mien et où j’ai des amis sûrs.

Notre estomac crie famine et les trois mousquetaires se retrouvent dans un restaurant ne payant pas de mine mais où l’arrière salle recèle des trésors gastronomiques.

Nous faisons honneur à un menu pantagruélique : qu’importe l’addition, « M. PERRIER » (Pseudo du Chef du SSM/TR : P. PAILLOLE) ne nous chicanera pas…

Pendant le repas, je fais un vaste tour d’horizon avant de décider où nous passerons notre première nuit marseillaise… Mon choix s’arrête sur mon vieux camarade de Régiment, l’Inspecteur GROS des Renseignements Généraux qui habitait vers le quartier des Chûtes-Lavie, loin du Centre,.. J’étais absolument sûr de son patriotisme et de son amitié . Nous prenons un taxi pour la rue Jean Dussert… Il est 22 heures passées … Pas de lumière … CAILLOT et BROWN me laissent aller seul prendre contact avec mon ami… Je laisse imaginer la stupeur joyeuse de ce dernier qui savait que j’étais au Maroc : Sa femme partage sa joie. Je le mets rapidement au courant de notre situation. Je suis heureux d’avoir l’occasion de lui rendre ici l’hommage qu’il mérite. Pas une seconde d’hésitation : Cinq minutes après, nous sommes tous installés chez lui, les lits sont dédoublés et nous nous endormons réconfortés et reconnaissants de cet accueil qui, pour moi, ne faisait aucun doute.
9 Février.

Nuit excellente. Ma cheville va mieux. Encore 24 heures de repos et de soins et elle sera rétablie. Réveil dans la bonne humeur générale, copieux petits déjeuners. Bien entendu, nos amis sont avides de renseignements sur la situation en Afrique du Nord et sur notre équipée. Nous comblons leur curiosité si légitime et nous accueillons avec une modestie toute relative leurs félicitations.

GROS se met, bien entendu, à notre entière disposition avec enthousiasme. Ses fonctions d’Inspecteur aux Renseignements Généraux vont nous aider considérablement et aplanir bien des difficultés, Nous sommes dotés de nouvelles cartes d’alimentation et d’identité que GROS fait signer à son chef. Un recensement des cartes d’alimentation venait d’avoir lieu. Toutes les cartes devaient mentionner ce contrôle et être jointes à la carte d’identité à toute réquisition.
10 Février.

Je dois au plus tôt prendre contact avec le Chef du T.R. 115, mon ancien ” patron “, J’ai nommé ” GEORGES-HENRY “.

Laissant BROWN dans un café à proximité du Bd. Perrier et accompagné seulement de CAILLOT. Je me dirige vers la ” Société d’Entreprise des Travaux Ruraux du Sud ” (T.R.).

“GEORGES-HENRY” est soucieux. Depuis le 8 Novembre 1942, certaines mesures ont été prises : les archives transportées en Lozère; le personnel, les agents et les H.C. munis de nouvelles identités, Des éléments de choix, le Capitaine M. et le Lieutenant L. sont venus renforcer le poste; de nouveaux agents et H.C. ont été recrutés, des bureaux clandestins sont utilisés.

Dès l’occupation de la zone Sud, le S.D. à MARSEILLE et l’OVRA dans la région de NICE, ont procédé à de nombreuses arrestations, mais T.R. 115 a pu passer au travers. L’outil est au point et tous les membres du Poste sont impatients de donner leur mesure … Des reconnaissances de points de débarquement ont été effectuées entre St-TROPEZ et CAGNES-SUR-MER.

Les liaisons radio avec LONDRES et ALGER ne sont pas normalement établies. Le Poste ne dispose pas d’appareils radio modernes et peut difficilement transmettre les renseignements qu’il recueille.

Par la fenêtre de son bureau ” GEORGES-HENRY ” aperçoit les nouveaux locataires de l’immeuble voisin, le 51 Bd. Perrier où la FELDGENDARMERIE vient de s’installer … Ce voisinage compromettant pourra-t-il se prolonger longtemps ?

Un coup de sonnette violent vient interrompre ces méditations ………………………………………………..

Deux messieurs qui n’ont pas voulu indiquer leurs noms demandent à être reçus par ” M. GEORGES-HENRY ” qui, après avoir hésité, décide de recevoir ses inquiétants visiteurs… Va-t-il se trouver en présence d’agents du S.D. ou de l’OVRA ?

Et c’est ” GILBERT ” (pseudo de GUILLAUME lorsqu’il travaillait en 1940 au T.R. 115) qui fait son apparition avec ” LA CAILLE ” (pseudo de CAILLOT).

J’ai un magnifique feutre, une petite moustache fine, un charmant noeud papillon et des lunettes teintées… Mais ma voix est familière aux oreilles de ” GEORGES-HENRY ” et dans une joie éclatante nous nous donnons l’accolade.

Je présente CAILLOT et après un bref récit de nos aventures, écouté avec avidité, nous rendons compte de notre mission. ” GEORGES-HENRY ” accueille avec une joie débordante l’annoncé de ce que nous apportons – Postes émetteurs – Codes – Fonds – Instructions, etc. et, ce qui est plus particulièrement précieux, les encouragements du Colonel RIVET et de ” M. PERRIER “, ainsi que l’assurance que T.R., désormais directement rattaché au Commandement en chef français, continuera jusqu’à la Victoire.

Des heures durant, ” GEORGES-HENRY ” ne se lasse pas de nous interroger. CAILLOT avec qui il a sympathisé tout de suite, lui apporte les éléments techniques indispensables au rétablissement immédiat des liaisons radio.

Nous prenons rendez-vous l’après-midi au café Saillard où nous présentons BROWN, troisième passager clandestin du ” CASABIANCA “.
11 et 12 Février.

Le problème le plus urgent à résoudre est la récupération des précieuses valises.

L’indispensable GROS nous établit un magnifique ordre de mission à en-tête des Renseignements Généraux prescrivant des recherches sur les menées anti-nationales du sieur Yves MORANDAT, route de Belle- Isnard, et de perquisitionner en tous endroits utiles… Le choix du véhicule est vite arrêté. Avec la complicité de PFISTER, ” GEORGES-HENRY ” réquisitionne la voiture personnelle de… ” PERRIER ” qui avait été camouflée dans un garage de MARSEILLE; un magnifique cabriolet Citroën.

” GEORGES-HENRY “, accompagné de BROWN, se charge de l’opération pendant que GROS et moi commençons le recrutement d’amis sûrs pour camoufler les postes, héberger le trio qui doit se dissocier, établir les liaisons, etc.

Le voyage aller s’effectue sans incident : à la sortie de MARSEILLE, sur la route de TOULON, un Feldgendarme bonhomme laisse passer les voyageurs sans les arrêter. Il en sera de même pour la traversée de TOULON. Fausse alerte après avoir dépassé HYERES, sur la route de St-TROPEZ, à la limite de la zone d’occupation italienne. Un carabinier arrête la voiture. Contrôle des pièces d’identité par le Chef de Poste. Tout parait en règle.

” GEORGES-HENRY ” présente son ordre de mission et explique qu’il se rend à St-TROPEZ pour perquisitionner chez des ” Gaullistes “. Il prévient qu’il repassera dans le courant de l’après-midi. Il espère, dit-il, qu’il pourra présenter le matériel et les documents saisis.

Par COGOLIN, St-TROPEZ et RAMATUELLE, ” GEORGES-HENRY ” et BROWN arrivent au Cap CAMARAT. BROWN retrouve assez vite l’endroit où le matériel a été camouflé. Pendant que ” GEORGES-HENRY ” fait le guet, BROWN récupère les valises qui sont aussitôt stockées dans le coffre de la voiture; le chargement est si important qu’il est impossible de refermer le coffre.

” GEORGES-HENRY ” et BROWN, toujours dans la voiture de ” PERRIER ” – PAILLOLE ” reprennent la route de MARSEILLE; ils croisent quelques soldats ennemis sans éveiller leur méfiance et c’est l’arrivée au Poste de Contrôle Italien.

BROWN serait d’avis (toujours l’esprit ” commando “) de brûler la politesse aux carabiniers… ” GEORGES-HENRY ” l’en dissuade et c’est tout joyeux qu’il annonce au Chef de Poste le résultat brillant de la perquisition en désignant d’un coup d’oeil complice le matériel… saisi (?) Félicitations … échange de propos aimables sur l’amitié franco-italienne, cigarettes (pas celles du “Casabianca “) et c’est la dernière étape pour MARSEILLE où, à l’entrée de la ville, GROS, à bord d’une voiture des Renseignements Généraux, assure la Sécurité et fait une escorte d’honneur à la voiture du Chef du C.E. Français.

Le soir même, un poste émetteur est installé au domicile de GROS et après quelques essais, notre technicien CAILLOT établit la première liaison T.R. , 100% française, avec l’Afrique. Ce poste fonctionnera une dizaine de jours encore chez lui, R. ayant succédé à CAILLOT pour les émissions. Le poste fut ensuite transféré à l’autre bout de la ville, au quartier Vauban, chez P. ami de GROS. Les voitures goniométriques allemandes sillonnaient les environs, et les voisins commençaient à trouver drôle cette activité insolite.

Il n’est pas sans intérêt de connaître comment a fini ce poste … De Vauban, le poste fut transféré à la Place St-Michel, au n° 15, le fils du Pasteur ROUX… Surpris par une perquisition des Allemands, le fils ROUX n’eut que le temps de ” balancer le piano ” par la fenêtre du 3ème étage … ROUX pût s’évader, mais son père et sa mère furent déportés, le premier n’est jamais revenu.

BROWN ayant récupéré son poste, je le mis en contact avec des amis, IMBERT, PERPERE, GEORGES, etc.

Par mesure de prudence et pour que chaque service garde son autonomie, nous établîmes des cloisons étanches avec l’ O.S.S.

De multiples imprudences de BROWN (liaison avec une fille du milieu, bavardages, coups de revolver en plein restaurant, etc.) justifièrent amplement mes précautions et BROWN dût rentrer précipitamment en A.F.N. par ses propres moyens pour éviter le pire.
13 au 19 Février.

Je me sépare à mon grand regret de CAILLOT qui doit se multiplier pour mettre en service les postes et instruire les radios et chiffreurs. Nous nous retrouverons une première fois sur la côte en Mars, puis à LYON en Avril, et enfin à ALGER en Mai.

Je vais à LANGEAC rendre compte de ma mission à VERNEUIL (Adjoint de ” PERRIER ” et Chef du T.R. en France). J’ai le plaisir de retrouver avec lui des connaissances du vieux service : CHALLAN-BELVAL et Mlle MOREL, les collaborateurs fidèles de ” PERRIER “. Je lui communique les instructions du “PATRON “.

J’ai un contact très important à prendre à PARIS et avant de regagner MARSEILLE, je passe dire un rapide bonjour à mon ex-complice du 2 bis et de T.R. 115, COLLARD, réfugié à CASTRES. Il ignore encore tout, et mon arrivée est saluée avec joie.
MISSION A PARIS

Du 20 au 25 Février.

Pour aller à PARIS, il me faut un ausweis. Pas question de faire un faux, nous ne sommes pas encore organisés pour cela et il n’est pas bon que je serve de cobaye… Moyennant 14.000 Frs, j’obtiens un superbe ausweis au nom de Claude de MORANGIS. Expert (?), qui va parfaitement bien avec ma carte d’identité et ma carte d’alimentation… Voyage sans histoire. Tout de même j’ai le coeur serré en arrivant à la Gare de Lyon … C’est mon premier contact avec la capitale depuis l’Armistice et la vue de la croix gammée sur nos édifices me fait crisper les poings. Je conserve l’image du drapeau tricolore et celui de nos alliés flottant sur l’Afrique du Nord et je sens que l’humiliation sera de courte durée. Cette crise sentimentale est fugitive et comme le taureau, le rouge du disque germanique me stimule. Je fonce …

Quelques lignes sont nécessaires pour situer le personnage que d’ordre de ” M. PERRIER “, je vais ” contacter ” : FREDERKING, alias “YOUNG”, était un yougoslave recruté en 1938 par le S.R. allemand par la voie des petites annonces commerciales de PARIS-SOIR.

Le texte de l’annonce n’ayant pas échappé à ” l’équipe PASQUALI ” (autre pseudo du Chef du SSM/TR : P. PAILLOLE) du C.E. de l’Avenue de Tourville;

toute la correspondance relative à cette affaire était systématiquement cueillie et remise au C.E. Et … après photocopie, les plis étaient acheminés sur leur destinataire.

Suivait un échange de deux ou trois lettres puis, le S.R. allemand (camouflé sous l’étiquette commerciale d’une firme suisse) convoquait le candidat dans une ville neutre, lui payait le voyage, le traitait princièrement et pour tâter le terrain lui confiait une enquête sur l’établissement commercial. Le doigt était ainsi pris dans l’engrenage… Parfois le candidat flairait le boche, alors, ” il laissait tomber ” ou, plus rarement, il rendait compte aux autorités françaises. Quelques uns attirés par l’appât du gain donnaient suite à ces premiers contact et devenaient des agents du S.R. allemand : traîtres, espions.

Grâce aux dispositions prises par le C.E. ce système de recrutement fut rapidement neutralisé, des arrestations opérées et, résultat plus substantiel, des agents de pénétration introduits au sein du S.R. allemand.

C’est ainsi que ” YOUNG “, sous le contrôle de ” PASQUALI “, commença une étonnante carrière. Il n’est pas exagéré de dire qu’il fut l’un de nos meilleurs agents. Décapité à la hache, il a hélas, en fin de compte, payé de sa vie son amour pour la France et la Liberté.
” Croix de Fer ” et … Agent T.R. Bien avant la guerre, il avait été muni d’un des premiers poste émetteurs allemands dont l’indicatif variait suivant la première lettre des pages d’un roman à la mode.

Après l’armistice de 1940, ses employeurs allemands, satisfait de ses services, lui octroyèrent une prime importante et la Croix de Fer !

Dès Octobre 1940, j’avais repris le contact avec lui par carte interzones et il était ainsi resté l’un des informateurs du T.R. et c’est sans aucune appréhension que je lui téléphonai dès mon arrivée à PARIS.
Notre rencontre fut d’une chaleureuse cordialité. A la vérité, il était un peu effrayé de mon audace, et pourtant il croyait que je venais tout simplement de MARSEILLE …
Au cours d’un repas excellent à son domicile personnel rue de Verdun, il me précisa la position importante qui était maintenant la sienne : il occupait plusieurs bureaux à l’Hôtel LUTETIA (P.C. de l’ABWEHR en France), avait trois voitures avec des numéros minéralogiques interchangeables et un fil direct avec son Chef le Colonel KLEIN à WIESBADEN … Je fis une ample moisson de renseignements, de documents qu’il n’y a pas lieu d’énumérer ici .

Nous mîmes au point un plan qui nous permettrait de nous retrouver à MADRID au cours de l’année… Pour doubler les boîtes-aux-lettres toujours aléatoires, nous convînmes d’échanger des messages personnels par ” Radio-Alger “, la ” B.B.C. ” et.., ” Radio-Paris ” … C’est ainsi que notre rencontre de MADRID en Décembre 1943 fut convenue par le message suivant : ” Le Prado est en fleurs “.

La partie la plus importante de ma documentation était l’organisation d’un réseau de postes-émetteurs allemands maniés par des agents de nationalité française que le S.R. allemand avait l’intention de laisser derrière les lignes alliées en cas de débarquement …

Je possédais les noms de sept villes déjà pourvues d’Agents contrôlés par nous et dont certains n’étaient autres que nos propres Agents de pénétration dans le dispositif ennemi.

Je peux dévoiler aujourd’hui le nom de la première agente qui se présenta ainsi aux lignes américaines, les tous premiers jours du débarquement : Madame BERNARD, membre de l’Amicale… C’est grâce à elle, transportée d’urgence par voie aérienne à LONDRES, que je fus un des premiers Officiers T.R. à être débarqué en Normandie par vedette rapide

. Mais il fallait songer à regagner la zone Sud, le ” CASABiANCA ” devant venir nous rechercher entre le 3 et le 5 Mars … Catastrophe : la ligne de démarcation ayant été supprimée, les agences de voyages et gares avaient été envahies … Je n’avais pas de place pour MARSEILLE avant trois semaines. Sur ma demande ” YOUNG ” après quelques hésitations – bien compréhensives – me rédigea un Ordre de Mission et m’accompagna à la Gare de Lyon… Il s’adressa à un Officier allemand, Commissaire Militaire, qui nous fit escorter par un Feldgendarme.

Les wagons réservés à la Wermacht étaient tous occupés. Le Feldgendarme s’adressa à une s souris grise s qui occupait un compartiment de 1ère classe avec 4 Officiers et une autre souris grise …

A ma grande stupéfaction, cette dernière, tout en maugréant, me céda sa place après avoir enlevé sa valise et quitta le wagon … Le Feldgendarme me salua militairement pendant que ” YOUNG “, pas très rassuré, prenait congé de moi …

Je plaçais ma valise dans le filet et pris place dans le compartiment …

Je ne voudrais pas paraître fanfaron rétrospectivement, mais j’avoue très sincèrement que, de cette situation, je ne sentais que le côté cocasse, sportif. Aucune crainte, et si mon coeur battait un peu plus vite, c’est d’un orgueil un peu puéril à la pensée de la bonne histoire à raconter aux copains … ce que je fais aujourd’hui…

L’AFAT allemande, qui me fait face, m’adresse quelques mots en allemand … il fallait bien s’y attendre et je ne suis pas pris au dépourvu… Je ne peux que lui répondre « Franzoze » et quelque chose d’inintelligible qui signifie pour moi ” je ne comprends pas l’allemand “; Les Officiers allemands, jusque-là assez indifférents, tendent l’oreille.

Mais mon interlocutrice parle un français très approximatif et je peux lui expliquer ma présence dans ce compartiment : je prends la personnalité de mon brave ” YOUNG ” qui, comme façade de son activité secrète, vendait du champagne et des liqueurs, et approvisionnait les cercles et cabarets réservés aux Officiers du REICH.

Mes explications ont l’air d’être satisfaisantes. Je sens nettement chez les deux Officiers allemands, qui me font face, une sorte de mépris pour ce Français trafiquant et collaborateur. Qu’importe : je ne suis pas vexé et me plonge dans la lecture de tous les journaux collaborateurs dont j’ai fait ample provision.

Vers minuit, ces messieurs sortent de leurs sacs un appétissant assortiment : pain blanc, charcuterie, fromage …Il m’est difficile de rester impassible, ma dignité me fait refouler la salive qui monte à ma gorge … Mais la collaboration n’est pas un vain mot et quelques minutes après, je suis muni d’un kolossal sandwich que je dévore sans remords … Une politesse en vaut une autre; je mets ma valise sur mes genoux, j’en extrais une bouteille de champagne, – échantillon non sans valeur – et j’offre une tournée générale … Sous les autres échantillons de mes produits et les paperasses publicitaires, le ” courrier d’Alger ” n’a jamais été autant en sécurité et je savoure pleinement ces moments délicieux …

A l’ancienne ligne de démarcation, arrêt. Notre compartiment n’est pas contrôlé… Malgré tout, je ne dors pas et mes yeux ne quittent pas ma précieuse cargaison … A TARASCON, les Officiers allemands changent de train pour la direction de MONTPELLIER ou NIMES, après m’avoir serré cordialement la main.

RETOUR en ZONE SUD
Enfin MARSEILLE : La valise est mise en lieu sûr, après avoir rendu compte à ” GEORGES-HENRY ” de mon séjour à PARIS.
Du 20 au 28 Février.

Je revois ” GEORGES-HENRY ” qui est particulièrement satisfait : grâce à CAILLOT, tous les postes marchent parfaitement bien et le recrutement de techniciens, de chiffreurs et d’agents de liaison s’est accentué; GROS ne se contente pas d’apporter les ressources de sa situation officielle aux Renseignements Généraux, il ” débauche ” encore des inspecteurs dont l’un, GAUDE, rendra des services éminents.

Madame GROS est mise à contribution et s’acquittera de ses fonctions un peu spéciales avec un sang-froid et un courage bien tardivement récompensés … C’est encore GROS qui recrutera l’ami GRAVA que j’ai eu le grand plaisir de revoir le 2 Juillet 1955 dans la cour de la ferme d’OTTOU, devant une bouillabaisse dont la renommée a déjà franchi les limites de la Provence.

Citons encore PERPERE, chemisier rue de Rome, dont la cave abrita nos postes émetteurs, M. et Mme IMBERT, qui se dévouèrent sans restriction, combien d’autres, tels le petit GEORGES, jeune titi marseillais à la bonne humeur communicative, infatigable agent de liaison et providentiel porteur de bagages pour les passagers du ” tube “( Ndlr : le sous-marin ). Sa modestie et son désintéressement font que, plus de dix ans après ses aventures, sa boutonnière demeure toujours vierge du moindre ruban…
Fin Février. Il faut songer au départ.
CAILLOT, après ses pérégrinations à travers la France, a rejoint, lui aussi, MARSEILLE.
” GEORGES-HENRY ” nous met au courant des messages échangés avec ALGER. C’est maintenant officiel : le ” CASABIANCA ” doit venir nous prendre le 3 Mars à 22 heures à l’emplacement même où nous avons débarqué.

Des reconnaissances ont eu lieu à plusieurs reprises pour s’assurer que cette zone était toujours praticable … Le Capitaine B., pêcheur assidu, sinon habile, s’est multiplié entre le Cap LARDIER et le Cap CAMARAT, avec St-TROPEZ comme P.C.

1er et 2 Mars.

Activité intense au P.C. de T.R. 115. Le courrier émanant des autres postes et glané par les soins de ” VERNEUIL “, est arrivé classé, trié, emballé. Celui de ” GEORGES-HENRY ” est prêt. L’ensemble est réparti entre plusieurs valises ou sacs tyroliens. Quelques documents, particulièrement secrets, sont camouflés dans des tubes dentifrices ou crème à raser, dans de banales trousses de toilette, à l’intérieur de semelles de souliers, etc…

3 Mars.

Veillée d’armes : Les passagers seront, en dehors de CAILLOT et de moi-même : – le Colonel BONOTEAU, ancien collaborateur du Colonel d’ALES et délégué du Général FRERE, commandant l’ORA. – Le Capitaine B. du T.R., – réclamé par ” PERRIER – PAILLOLE “.
Le “Docteur” (qui n’est autre que le Général ARLABOSSE) devait faire partie du voyage, mais, retardé, ne pourra être rendu à temps au rendez-vous.

Nous serons accompagnés sur les lieux d’embarquement par PIROULAS, le dévouement personnifié, Jacques IMBERT, dont l’audace frise la témérité, et notre ange gardien, le petit GEORGES.

Isolément, par le train, nous nous rendons à St-TROPEZ d’abord, puis nous nous rassemblons avec nos bagages à 3 kilomètres du lieu d’embarquement … dans un endroit convenu, couvert, où la nuit nous assure sa complicité. Il est 20 heures environ. Un groupe de deux hommes armés part en avant-garde … L’un d’eux doit revenir sur ses pas après reconnaissance favorable.

DANS L’ ATTENTE DU ” CASABIANCA “
Tout va bien, mais le temps jusqu’ici incertain s’aggrave et un fort vent commence à souffler … Nous sommes anxieux de découvrir l’état de la mer.

Par deux (un passager et un homme d’escorte) nous rejoignons le détachement précurseur et nous organisons la sécurité : un guetteur armé à droite et à gauche de notre emplacement. Le reste du groupe se camoufle dans les rochers et les arbustes à quelques dizaines de mètres seulement du bord de la mer, avec comme point de repère, la roche Escudelier dont la masse sombre, frangée de blanc est à peine visible.

Il fait très noir et les nuages assombrissent encore le ciel … le vent redouble de violence et la mer est maintenant très mauvaise … Nous commençons à avoir des doutes sur la possibilité de l’opération, … L’un de nous se détache à 22 heures, face à la mer et en profitant de l’abri précaire d’un rocher, commence avec sa lampe électrique les signaux prévus dans les messages d’ALGER … Il faut masquer, autant que faire se peut, ces signaux latéralement, car il ne faut pas oublier que nous sommes encadrés par les Caps LARDIER et CAMARAT occupés par l`ennemi qui patrouille entre ses deux bases…
La Mer reste déserte

Nos yeux sont grands ouverts sur le large cherchant anxieusement le kiosque du sous-marin. Les minutes passent … Nous guettons le signal lumineux, cette petite étoile filante surgie des profondeurs de la mer … Rien, toujours rien … Des vagues de plus en plus violentes viennent fouetter les pieds des signaleurs … Il est près de 24 heures … Plus d’espoir pour ce soir… Un dernier signal, il faut abandonner.

Déçus, mais nullement démoralisés, nous nous organisons pour passer la nuit à la belle étoile (si l’on peut dire). Nous rejoignons notre emplacement de départ à l’abri protecteur d’un bois. Nous nous camouflons en assurant à tour de rôle la garde de notre repos.
4 Mars .

Nuit sans incident. Au lever du jour, nous centralisons les vivres, boissons, cigarettes, afin d’en faire une répartition équitable. Un rationnement s’avère indispensable si notre situation doit se prolonger… L’inventaire de nos ressources est plutôt décevant.

Le dispositif de sécurité de jour est mis en place : il ne reste plus qu’à attendre avec philosophie et silence la nuit prochaine … Nous pensons que notre sous-marin croise au large, l`état de la mer l’ayant empêché de s’approcher de la côte…

Avec le grand jour, nous distinguons des marins allemands et des soldats italiens se déplaçant autour du phare du Cap CAMARAT, cependant rien ne vient troubler notre quiétude. Nous sommeillons et prenons des forces pour la nuit.

A 22 heures, le dispositif est en place dans les mêmes conditions que la veille. Le temps est meilleur, sans qu’il soit pour cela très satisfaisant. Une assez forte houle frange les rochers. L’espoir nous habite; IL VIENDRA…

Pendant une heure, toutes les cinq minutes, les signaux lumineux sont répétés inlassablement,.. Pas de réponse …
Fausse joie :

Soudain, vers 23 heures, un cri de joie vite réprimé… Une masse sombre vient de surgir brusquement à moins de 300 mètres de la côte … pas de doute, c’est lui … Un des guetteurs accourt, il a aperçu un signal lumineux … Branle-bas, rassemblement des bagages et adieux aux deux guetteurs qui assurent la sécurité … Nous rendons nos vivres qui seront bientôt avantageusement remplacés, pensons-nous, au carré des Officiers …

Les quatre partants sont au bord de l’eau, nous voyons maintenant nettement le youyou se diriger vers nous.
Une émotion joyeuse nous étreints …. J’embrasse PIROULAS … et … en quelques secondes tous nos espoirs s’envolent. Avec une soudaineté inconcevable, un grain se déchaîne …Eclairs, tonnerre, pluie diluvienne nous enveloppent; le vent souffle en bourrasque et CAILLOT manque presque d’être emporté par une lame …. Il faut l’aider à reprendre pied … Nos bagages sont mouillés, nous reculons pour nous mettre à l’abri combien précaire des rochers et arbustes pendant que l’un de nous, resté sur le bord, cherche à distinguer le youyou qui a disparu…

Quelques minutes après, la rage et l’angoisse au coeur, nous voyons disparaître la silhouette du ” CASABIANCA “.

Trempés, transis de froid, déçus et à vrai dire démoralisés, nous nous regroupons et pour nous préserver si peu soit-il de la pluie, nous nous serrons les uns contre les autres comme des moutons sous l’orage. Nous restons longtemps silencieux. Nos premiers échanges sont moroses, mais après cette défaillance, nous reprenons notre sérénité et c’est calmement que nous envisageons la situation.

Il n’est pas question de rester plusieurs jours ici en attendant le retour problématique du “tube”… Mais il est nécessaire que le groupe se disperse prêt à répondre au premier signal. Nous enverrons un agent de liaison à MARSEILLE prendre contact avec ” GEORGES-HENRY ” qui doit être informé par la radio de la D.S.M. d’ALGER, elle-même en liaison avec le « CASABIANCA », des possibilités dans un avenir relativement court.

En attendant, il faut laisser passer l’orage et avant l’aube quitter ces lieux malsains.
5 et 6 Mars.

La caravane, scindée en plusieurs tronçons, s’éloigne de la côte. Avec précautions, un détachement d’avant-garde se présente à une ferme, discrètement. Accueil sympathique, café. Après, une conversation à bâtons rompus avec le maître des lieux, M. Achille OTTOU, la glace est rompue.

Le fermier, jeune, sympathique, patriote ardent, connaît le pays comme sa poche. Il se met à notre entière disposition. Bientôt les autres camarades arrivent et les sept hommes sont camouflés après s’être restaurés.

Cette ferme servira désormais de ” gare maritime ” pour les passagers du SSM/TR, et la tentative avortée d’embarquement du 26 Novembre 1943 où notre camarade ALSFASSER trouva une mort glorieuse, n’a pas troublé la quiétude apparente de l’héroïque maison du ” Père tranquille “.

Aujourd’hui, une plaque commémorant ce Haut-Lieu de la Résistance, est en dépôt dans ce petit coin de Provence. Elle attend sa pose prochaine à son emplacement définitif, sur la roche Escudelier.

Qu’il soit permis ici, à ceux qui ont inauguré la ” Ligne ” de rendre un hommage particulier à M. OTTOU et à sa famille, pour leur accueil chaleureux et surtout pour la part immense qu’ils ont prise au succès des opérations suivantes.

Dans le but de limiter les risques, je décidai de nous dédoubler.

Tandis que nos camarades restaient sur place, avec PIROULAS et le petit GEORGES, je gagnais St-TROPEZ.

J’établis mon P.C. dans une villa dominant la baie mise à ma disposition par R. FOREST, compagnon du C.E. à PARIS en 1939-1940. Cet emplacement avait l’avantage d’être discret et de servir de relais entre MARSEILLE et la ferme d’ACHILLE. Le petit GEORGES établit la liaison avec ” GEORGES-HENRY ” et nous apprîmes ainsi que le ” CASABIANCA ” à la suite de sa tentative avortée du 4 Mars, était parti en CORSE déposer des passagers pour revenir nous prendre deux ou trois jours après.

FOREST nous mit en rapport avec un Directeur d’Agence Immobilière -motorisé- de St-TROPEZ, qui nous rendit de grands services.

Pour accélérer les liaisons avec MARSEILLE, Madame IMBERT, avec sa Simca, se mit à notre disposition. FOREST lui-même se multiplie, il connaît bien le pays et assure notre ravitaillement. Nous l’en récompensons en faisant largement honneur à sa cave …
7 Mars.

R.A.S. … Nous attendons dans l’ennui. Enfin, Jacques IMBERT arrive de MARSEILLE avec un message de ” GEORGES-HENRY ” : le ” CASABIANCA “, si le temps le permet, croisera au large de la roche Escudelier, le 8 Mars et éventuellement le lendemain. Se tenir prêt à partir de 22 heures dans les conditions prévues.

Je fais prévenir CAILLOT par le petit GEORGES. Nous rejoindrons nous-mêmes la ferme d’ACHILLE le 8 Mars vers 20 heures 30.
Nouvelle tentative, second échec

Dès le réveil, nous scrutons le ciel … Temps maussade, le vent n’est pas trop fort. La chance nous sourirait-elle enfin ?

Pour passer le contrôle italien de RAMATUELLE, nous avons décidé de profiter du camion de J. IMBERT, un véhicule de la Brasserie des « Bières de France », sa maison marseillaise.

Il a disposé ingénieusement de lourds fûts de bière tout autour de la plate-forme du camion bâché, laissant au centre un espace suffisant pour que nous puissions nous accroupir.

Vers 20 heures, nous faisons nos adieux à l’ami FOREST et le remercions de sa cordiale hospitalité … Nous nous camouflons comme prévu. La cachette se révèle excellente, bien qu’un peu inconfortable, J. IMBERT est au volant.

Au contrôle de RAMATUELLE, les Italiens doivent être à table car aucune autorité ne se manifeste. Mais J. IMBERT, qui aurait pu facilement brûler ce passage, arrête calmement son camion à hauteur du poste, descend et hurle : ” Il n’y a personne là-dedans ? “… Tapis dans notre ” Cheval de Troie “, nous n’apprécions pas du tout cette plaisanterie et nous maudissons cette initiative qui met nos nerfs à rude épreuve…

Un Italien sort du poste, IMBERT, avec une faconde bien marseillaise, entame une conversation très amicale avec l’Italien à qui il offre une cigarette …. Les minutes nous paraissent des heures et c’est avec soulagement que nous entendons démarrer notre lourd véhicule.

Dés la descente de RAMATUELLE terminée, par la petite lucarne qui correspond à la cabine avant, j’adresse à voix sourde des reproches véhéments à IMBERT … imperturbable. Il chantonne un air d’opéra italien … Il m’explique que c’était la seule façon d’inspirer confiance, car si nous avions brûlé le poste, nous risquions d’avoir un motocycliste aux trousses qui, rendu méfiant, n’aurait pas manqué d’inspecter sérieusement le chargement … Rétrospectivement, je pense qu’il a eu raison, mais nous nous souviendrons longtemps de ces quelques minutes, sensation intolérable d’impuissance du gibier traqué …

Nous atteignons la ferme d’ACHILLE. Le camion est bien camouflé. Nous descendons et retrouvons avec joie nos camarades. Grâce à ACHILLE, le déplacement vers la côte s’effectue beaucoup mieux car il connaît la région à fond et nous fait passer par des pistes hors de la vue des postes de guet ennemis.

Nous commençons à être ” rodés ” maintenant, et chacun prend son poste comme à la parade, sans bruit, calmement …. Le temps, sans être aussi mauvais qu’au cours de notre dernière tentative, est bouché. Le vent s’est levé et la mer est agitée.

A partir de 22 heures, nous fixons intensément la mer : plusieurs fois, nous croyons voir émerger le kiosque du sous-marin, mais ce n’est que la roche Escudelier. Nous faisons quelques signaux lumineux, en vain … Peu après minuit, nous regagnons avec tristesse notre ” cantonnement “.
9 Mars.

Journée à la ferme. Nous prenons l’air à tour de rôle. Discussions animées sur les chances de succès … Il y a le parti optimiste et le parti pessimiste… A défaut de Pythonisse, la belote tranche nos différends : Même scénario que la veille, le temps ne s’est guère amélioré. Nous sommes maussades … A minuit, retour désenchanté, la période favorable est maintenant passée, plus d’espoir pour ce mois-ci. La dispersion est décidée pour le lendemain avec les précautions d’usage.
10 Mars.

De retour à MARSEILLE, CAILLOT et moi prenons contact avec ” GEORGES-HENRY “. Nous apprendrons plus tard par message d’ALGER que le sous-marin est bien revenu croiser à son retour de Corse, mais que l’état de la mer ne lui a pas permis de tenter le débarquement du youyou. LHERMINIER est allé à l’extréme limite de ses possibilités et a dû rentrer, la mort dans l’âme.

Au service du T.R. 115. , avec IMBERT et PERPERE, nous prospectons des propriétés amies en Haute-Provence, pouvant servir à des parachutages de personnel et de matériel, accessoirement d’emplacements de postes émetteurs et de refuges pour des camarades traqués.

J’effectue quelques déplacements dans les Alpes-Maritimes, notamment à NICE où M. JANNING, propriétaire du ” Château de l’Anglais ” au Mont Boron, nous apporte son précieux concours et un refuge idéal, sa vaste propriété étant truffée de souterrains qui serviront maintes fois… A TOULON, je vois le Commissaire HACQ.

D’autres missions m’amènent en Haute-Garonne. A Toulouse, je suis heureux d’apporter à Madame PAILLOLE, la maman de ” PERRlER “, le réconfort d’un message filial. CAILLOT est parti à LYON, installer d’autres postes-radio.

LA ROUTE DU ” TUBE ” EST COUPEE
A MARSEILLE, l’activité bat son plein. On espère que le ” CASABIANCA ” pourra venir faire sa tournée mensuelle au début d’Avril, mais un message d’ALGER nous enlève toute illusion.

Si la route du ” tube ” est momentanément coupée, il reste le vaste domaine de l’Air … J’apprends avec joie que ” PERRIER “- PAILLOLE ” a décidé d’organiser avec les Anglais, l’envoi d’un avion d’Angleterre pour nous enlever avec le courrier. Un ” Lysander ” viendra nous chercher, le Colonel BONOTEAU et moi, à la lune d`Avril dans le Puy-de Dôme. I1 est nécessaire que je gagne CLERMONT-FERRAND où T.R. 115 assurera cette opération, en liaison avec le poste SSM/TR de LONDRES que dirige BONNEFOUS.
Du 6 au 7 Avril.

Adieux à ” GEORGES-HENRY ” et à ses collaborateurs sans oublier GROS. Je réunis mes amis pour un dernier repas.., sans tickets, ” GEORGES-HENRY ” me confie le courrier. GROS m’établit un congé de convalescence d’un mois pour VICHY et CLERMONT-FERRAND ainsi qu’une attestation d’identité.

Je me rends à LYON où je rencontre l’ami CAILLOT. Nous passons une journée agréable de travail, d’information et nous nous séparons.
8 et 9 Avril.

Séjour à CLERMONT. Rapports extrêmement sympathiques avec le Capitaine JOHANNES, Chef de T.R. 113. Je fais connaissance de Michel THORAVAL qui a déjà été parachuté deux fois pour le T.R. Il assure la liaison avec la R.A.F. par l’intermédiaire d’un poste radio de T.R,113, manié par L’ Adjudant SIMONIN qui trouvera une mort légendaire, surpris en pleine émission. Je revois avec joie HERRMANN, robuste protecteur, dont la mine défie le rationnement.

A DEFAUT DE SOUS-MARIN : L’AVION
Le « Lysander » doit venir à la prochaine lune, à partir du 15 Avril. La B.B.C. fixera le jour ” J ” par les messages suivants : ” Les voyages forment la jeunesse, a dit Mme de Sévigné ” , et ” Les bains de mer sont agréables en été ” (cette dernière déclaration est d’un humour certain quand on sait que le ” channel ” doit être survolé et que nous venons de patauger à la roche Escudelier).

Le lieu choisi après homologation par la R.A.F. est situé aux environs du hameau de PARDINES.

Je laisse le courrier au Capitaine JOHANNES et, d’accord avec lui, je m’installe à l’Hôtel Molière à VICHY, pour commencer ma… Convalescence… Je ne rejoindrai CLERMONT que 24 heures avant le début de la nouvelle lune.
10 au 15 Avril.

Séjour à VICHY très discret. Seul incident, j’évite de justesse de me trouver nez à nez avec le Commandant B…, ex-officier du S.R. ” Tourville ” qui a ” mal tourné ” et préside aux Contrôles Techniques.
16 Avril.

Dans la matinée, je reçois le coup de téléphone attendu. HERRMANN vient me prendre en voiture et nous filons pour CLERMONT-FERRAND où le Capitaine JOHANNES me donne une charmante hospitalité dans son pavillon. Le Colonel BONOTEAU est sur place, tout est paré. Les messages de la B.B.C, ont été entendus. ” L’opération PARDIES ” est prévue pour le 17 Avril à partir de minuit.
17 Avril.

Toute la journée est consacrée à la préparation du courrier d’ALGER, via LONDRES, et à l’organisation de l’ ” opération PARDINES “. Le Capitaine MERCIER de T.R. 113 accompagnera les passagers, secondé par MICHEL, SIMONIN et HERRMANN.

A l’heure prévue, la B.B.C, confirme l’opération.
Nous disposons de deux voitures pour nous rendre au terrain. Dans la première. HERRMANN dans sa tenue de gendarme assure notre sécurité.

Nous arrivons vers 11 heures sans encombre. Le paysage est sauvage, dénudé, pas la moindre ferme à l’horizon ; Si l’endroit est propice au point de vue sécurité, il ne semble pas présenter un terrain idéal pour atterrir en pleine nuit. Le sol est inégal, caillouteux, plein de trous et la surface utilisable est limitée par un ravin.

Le Colonel BONOTEAU et moi-même, avec nos précieux bagages, sommes à l’abri d’un couvert en bordure du plateau. MICHEL, SIMONIN et HERRMANN mettent en place le dispositif de balisage prévu : 4 lumières blanches en ligne et une lumière rouge à l’extrémité de la piste. MICHEL se tient prêt à émettre la lettre convenue avec la R.A.F.

Le ” Lysander ” doit être là à partir de minuit. Le temps est couvert et la lune, bien pâle, ne se montre que par intermittence … Nous sommes tous à l’écoute du bruit du moteur et allongés sur l’herbe sur le dos, nos yeux fixent le ciel pour essayer d’y trouver l’étoile filante gage de notre évasion.
Une demi-heure … Une heure … Une heure et demie … Toujours rien … Nous sommes à la limite des possibilités car l’avion devra regagner la Grande-Bretagne avant le lever du jour.

Il est un peu moins de deux heures quand un ronronnement se fait entendre, léger d’abord et très rapidement assourdissant. L’avion vient de frôler nos camarades et au moment où nous le voyons immanquablement rouler dans le précipice, le pilote réussit acrobatiquement à reprendre de la hauteur.

HERRMANN, porteur de la lampe rouge, a failli être scalpé par le train d’atterrissage.

MERCIER prend l’heureuse initiative de faire déplacer rapidement les lampes de quelques dizaines de mètres. Quelques minutes plus tard, le ” Lysander ” au mépris de toute prudence, atterrit tous phares allumés et le Colonel BONOTEAU n’a que le temps de se déplacer rapidement pour éviter l’accrochage… l’avion freine à fond et s’immobilise quelques secondes avant de rouler pour gagner l’extrémité du terrain, prêt au décollage.
Un coup de feu Inquiétant.

Nous nous précipitons en même temps qu’un coup de feu nous fait sursauter … Nous nous écrasons au sol, l’arme à la main, quand le pilote anglais, flegmatique, une cigarette dans une main, un revolver dans l’autre, nous montre le pneu de son avion qu’il vient de crever. MICHEL faisant l’interprète nous indique qu’un silex a crevé un pneu en prenant contact avec le sol et que l’avion déséquilibré risquant de capoter au décollage , le pilote n’avait pas d’autre solution pour rétablir l’équilibre… Le départ sera acrobatique…

Les valises sont rapidement chargées et nous prenons place, le Colonel BONOTEAU et moi, dans un étroit habitacle. Nous faisons glisser sur nos têtes une sorte de toiture en plexiglas.

VERS ALGER… AVEC ESCALE A LONDRES
Le temps n’est pas aux effusions et il faut repartir. Le moteur n’a pas arrêté de tourner. Dans un vacarme Infernal, il donne son plein régime et nous avançons. Nous sommes secoués comme dans une machine à laver et nous sentons le moindre caillou du terrain .. Nous éprouvons la sensation pénible que nous n’arriverons jamais à décoller …. Enfin, après une secousse que nous percevons avec acuité, nous ressentons soudain l’ivresse de voler presque silencieusement … Nous prenons de la hauteur, pas suffisamment à notre gré, car il nous paraît d’une folle témérité de survoler un territoire occupé à une altitude qui ne dépassera jamais 800 mètres, sauf à l’approche de la Manche …

Nous sommes reliés avec le pilote par une sorte de petit téléphone … Nous devons lui communiquer toutes nos observations : avion ennemi, tirs de D.C.A… Il nous indique que nous avons des bouteilles thermos à bord, contenant thé et café … La deuxième boisson a notre préférence, nous aurons toujours le temps à LONDRES de la sacrifier au breuvage national.

Nous arrivons, le Colonel BONOTEAU et moi, à échanger quelques paroles, mais il faut crier … Nous sommes en pleine euphorie, sans pour cela oublier nos camarades qui ont assuré notre départ et qui, à l’heure où nous volons vers la Liberté, sont au danger … Le bruit des détonations (moteur et coup de feu) a peut-être alerté l’ennemi ?

Notre vol se poursuit… La terre de France se déroule sous nos yeux; nous distinguons très bien des hameaux, des rivières, des forêts. L’itinéraire minutieusement choisi évite les grands centres et nous survolons presque constamment la campagne; quelquefois à très basse altitude.

Vers 5 heures, après avoir pris de l’altitude, nous survolons la MANCHE. Pendant quelques instants, la lune perce les nuages et l’eau scintillante nous offre un spectacle de toute beauté.

Encore une demi-heure et nous apercevons le rivage de la GRANDE-BRETAGNE . Nous perdons de l’altitude et tout à coup nous avons la surprise de survoler quelques secondes un magnifique terrain illuminé par des projecteurs…

Nous saurons plus tard que le pilote avait averti Portsmouth que ses deux pneus étaient crevés, ce qui avait motivé cet éclairage proscrit en temps de guerre … Une ambulance et les pompiers étaient prêts à intervenir … Fort heureusement, le pilote, très habile, pose son engin au sol sans autre dommage que de brutales secousses.

Nous aurions eu autrement peur si nous avions su que notre train d’atterrissage était entouré de plus de trois mètres de fil à haute tension que nous avions arrachés au départ …

Et c’est dans un hangar de la R.A.F. qu’un whisky à la main, nous remercions notre pilote.

Quarante-huit heures plus tard, restaurés, habillés, nous arrivions à ALGER. , heureux de notre réussite. Nous remettions au Cdt. PAILLOLE, l’abondant et précieux courrier du T.R. de France : ” Mission remplie, mon Commandant “.

Article paru dans le Bulletin N° 8

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Un heros du CE francais raconte le capitaine MORANGE du T.R. 115 (2)

Vous chercherez à vous évader, j’y veillerai et vous ne vous évaderez pas! »… Ainsi DUNKER-DELAGE du S.I.P.O.-S.D. de MARSEILLE prévenait notre camarade MORANGE, chef du poste T.R.115 (GLAÏEUL) qu’il avait arrêté le 11 décembre 1943, grâce à la trahison d’un important membre du groupe « COMBAT », Jean MULTON alias LUNEL. Après avoir été blessé et abominablement torturé, MORANGE est finalement incarcéré à la prison des BAUMETTES à MARSEILLE. Une seule idée le hante : s’évader, rejoindre ses camarades, reprendre le combat.

par Roger MORANGE

I – TRANSFERT DE MARSEILLE A COMPIÈGNE : VELLÉITÉ D’ÉVASION

Le 30 mai 1944, grand branle-bas dans les couloirs des Baumettes : galopade de bottes ferrées, vociférations de S.S., portes qui claquent. C’est un transfert qui se prépare. Attachés deux par deux à la même menotte, nous sommes poussés sans ménagement dans des camions militaires, qui stationnent, moteur en marche, dans la cour de la prison.

Le jour se lève à peine. La traversée de MARSEILLE jusqu’à la gare Saint-Charles n’attire pas l’attention des civils malgré l’importance du convoi, une vingtaine de camions, plus des voitures d’escorte. L’installation dans les wagons de 3° classe se fait avec ordre, sans hurlements et dans un confort inespéré puisque tout le monde est assis.

Dans chaque compartiment, stationne un Feldgendarme, la mitraillette suspendue en travers de la poitrine; le nôtre a l’air bonasse et somnolent. Je me suis assis près de la portière, à tout hasard. Je sais qu’on peut faire glisser les menottes, si elles ne sont pas trop serrées, en enduisant le poignet de mousse de savon. Une fois détaché, il faudra profiter de l’assoupissement du gardien pour ouvrir brusquement la portière et sauter en marche à l’occasion d’un ralentissement du train.

Le savon, je l’ai dans la poche. Il y a deux difficultés d’une part ma menotte est très serrée, et, d’autre part, mon compagnon d’attache n’est guère tenté par l’aventure. Je demande au gardien l’autorisation d’aller aux toilettes. Il me détache sans objection. Quand je reviens à ma place, je rattache ma menotte sous ses yeux, en prenant bien soin de la laisser peu serrée. A cagnarder sur le côté, je fais mousser le savon avec un peu de salive. Je frotte discrètement mon poignet. Au premier essai, la menotte glisse le long de ma main et me libère de mon compagnon.

Ce dernier me regarde avec inquiétude, mais nous finissons par convenir qu’il jouera l’innocente surprise du dormeur qui ne s’est rendu compte de rien. Il ne reste plus qu’à guetter un ralentissement du train, car le gardien s’est assoupi, comme je l’espérais. Hélas, le convoi prend de la vitesse, 80, 90, 100 km/h : sauter à cette allure me paraît insensé. Puis, il ralentit à nouveau. Je reprends espoir. Le ralentissement devient freinage et le train s’arrête en gare de Valence. Nouveaux hurlements de S.S. : c’est un contrôle.

Tous les prisonniers sont comptés, les menottes vérifiées et uniformément resserrées. De moi-même et au grand soulagement de mon compagnon de chaîne, j’ai dû replacer ma menotte avant d’être vérifié, et soigneusement la resserrer. Inutile de recommencer mon savonnage.

Arrivé vers la fin de l’après-midi à PARIS, gare de Lyon, où, sous les yeux de centaines de voyageurs de banlieue, notre défilé misérable, ne donne lieu à aucune sorte de compassion. Pour des civils méfiants, nourris de propagande nazie, notre mauvaise mine nous assimile à ces terroristes redoutés de tout honnête citoyen.

Pour marquer la couleur, quelques-uns d’entre nous amorcent une « Marseillaise », qui sombre immédiatement sous les coups des gardiens. Embarquement en camion, traversée de Paris, Le Bourget, Senlis, Compiègne. Vers la fin de cette belle journée de printemps, nous sommes déposés sans nouvelles brutalités au camp de concentration de ROYALLIEU

II. — CINQ JOURS DE VACANCES A ROYALLIEU

Quel changement pour des détenus qui étaient depuis des mois entassés dans le noir à cinq ou six par cellule.

Le camp de Royallieu, à la sortie sud de Compiègne, offre de l’air, de l’espace et même des distractions. En dehors des petites corvées journalières, chacun peut se déplacer librement, d’une baraque à l’autre, pour bavarder, jouer au ballon, faire de la gymnastique, assister à des matchs de boxe amateurs, ou simplement s’allonger au soleil.

Cette colonie de vacances d’un nouveau genre n’était qu’un piège. Royallieu était un centre de tri et de transit d’où partaient chaque semaine plusieurs convois de déportation vers l’Allemagne. Les Sybarites étaient d’ailleurs troublés dans leur euphorie par de grosses punaises qui infestaient les paillasses. Leurs frôlements insidieux désolaient notre sommeil. Nombre de détenus avaient « la gale du pain », plus ou moins infectieuse, et contre laquelle, des infirmiers improvisés luttaient de façon radicale.

Le patient, préalablement « mis à poil », était « raclé » des pieds à la tête avec des brosses à chiendent ; ces boutons mis à vif saignaient suffisamment pour évacuer les petits insectes, et une généreuse application de mercurochrome sur tout le corps complétait ce spectacle granguignolesque. L’opération était, paraît-il, moins douloureuse que spectaculaire.

Je n’ai pas pu vérifier cette affirmation. Avec quelques volontaires, nous avions fondé une chorale qui régalait notre baraquement de chants scouts alternant avec des chansons paillardes : « la digue du cul » ou « le bal de l’hôtel Dieu » succédaient sans transition au « vieux chalet » ou au « Montagnards ». Cette insouciante frivolité avait pour arrière-plan deux questions lancinantes : « que va-t-on faire de nous? », « pourra-t-on s’évader de Royallieu ou en cours de transfert vers l’Allemagne ? »

III. — PREPARATIFS D’ÉVASION

J’en étais là de mes réflexions, quand je fus abordé par un gaillard à carrure massive, au visage large éclairé par des yeux au regard direct, au poil noir et à l’allure un peu raide d’Eric VON STROHEIM, avec sa mentonnière.

Dans le cas de BIAGGI, — c’est son nom — il ne s’agit pas d’une mentonnière mais d’un corset, pour soutenir son bassin fracassé. Le 25 mai 1940, en effet, le sous-lieutenant BIAGGI, avec une pièce antichars et quelques hommes récupérés sur les fuyards, tenait tête à lui tout seul à une attaque de blindés allemands près de la BASSEE. Il reçoit dans le ventre une balle qui ravage les intestins et fait éclater l’articulation sacro-iliaque. L’ambulance d’une antenne chirurgicale légère le ramasse et le transporte à l’hôpital Saint- Sauveur de Lille, où les chirurgiens, surchargés par l’afflux des blessés, sont contraints de négliger les cas graves pour se consacrer aux urgences simples et récupérables (garrots et attelles par exemple).

Par hasard, un jeune médecin qui connaissait BIAGGI, le repère, prostré sur sa civière. Il le signale au médecin-chef, le célèbre professeur GAUDARD D’ALLENES : celui-ci décide l’opération immédiate, d’où le jeune officier sort débarrassé des principales esquilles et doté d’un anus artificiel. Il traîne ainsi douloureusement six semaines de grabataire, jusqu’à ce que les Allemands, qui occupent l’hôpital, le libèrent avec un lot d’éclopés considérés comme définitivement inaptes à tout service militaire.

Avec le respect dû au courage malheureux, le poste de garde de la Wehrmacht leur présente les armes, le jour du départ. BIAGGI est évacué sur CLERMONT-FERRAND, où il subira, pendant un an, une trentaine d’interventions chirurgicales pour récupérer, au fur et à mesure qu’elles se manifestent, les esquilles dispersées de son bassin éclaté. Le voici à peu près sur pied en octobre 1941. Il rentre à PARIS pour continuer ses études de droit. En 1942, son professeur M. LEBALLE le fait entrer à l’O.C.M. où il monte, avec quelques camarades de faculté, une filière d’évasion par l’Espagne.

Le 13 décembre 1943, BIAGGI et plusieurs autres sont arrêtés sur dénonciation d’un traître infiltré dans le réseau. Ce traître se distinguera encore au moment des combats de la libération de PARIS, en attirant dans le guet-apens du bois de Boulogne des jeunes gens qui y furent massacrés. Quant à BIAGGI, après avoir été détenu à Fresnes pendant trois mois, il avait été transféré au camp de Royallieu le 19 mars 1944, où il prône la lutte contre les nazis. Le révérend père RIQUET a pu dire : « Royallieu c’était le congrès permanent de la Résistance. » Effectivement, BIAGGI retrouve des camarades de la faculté et des compagnons de réseau. Il forme un petit groupe d’une quinzaine d’amis, décidés à s’évader au plus tôt pour rejoindre la Résistance. Ils sont aidés par les trois médecins français permanents du Camp qui veillent à ce qu’ils ne soient pas dispersés par les départs en convois vers l’Allemagne. Ils sont deux à prendre en main les préparatifs d’évasion: l’Abbé LE MEUR et BIAGGI. Chacun monte une filière différente, afin de doubler les chances.

L’Abbé LE MEUR, qui vient du réseau « LIBÉRATION NORD » a pu faire contacter, par un détenu alsacien, l’un des S.S. de garde à Royallieu. Ce dernier a très mauvais moral : depuis plusieurs semaines, il est sans nouvelles de sa famille qui habite BRÊME alors que les bombardements massifs des Alliés s’acharnent sur cette ville.

Elle sera anéantie par des tempêtes de feu : phénomène effroyable dû au tirage de l’air chaud des incendies. Ce tirage crée des flammes géantes de plusieurs dizaines de mètres de haut. Elles sont accompagnées d’un souffle irrésistible vers le centre du foyer. Il aspire pêle-mêle, des voitures, des autobus, et, bien entendu, des dizaines de survivants mêlés aux sauveteurs. Le S.S. ignore ce comble d’horreur, mais il en sait assez pour être sensible aux propositions de l’envoyé de l’abbé LE MEUR. Le détenu alsacien feint de le plaindre. Il lui décrit le triste sort qui attend les gardiens de Camp de concentration lorsque les Alliés envahiront l’Allemagne. Le S.S. accepte l’issue proposée : aider une équipe de détenus à s’évader déserter avec eux et, abandonnant son uniforme, se planquer en civil dans un appartement où ses nouveaux « amis » le cacheront jusqu’à la Libération Pour prouver sa bonne foi, son interlocuteur lui propose de se rendre à une adresse à PARIS avec un petit mot pour la femme d’un détenu. Elle lui remettra de l’argent et un colis de ravitaillement; il pourra garder l’argent et lui rapporter le colis. Le S.S. accepte de faire cet essai et s’en trouve fort bien, car cette première mission lui rapporte cinq mille francs

Il récidive sur instruction de LE MEUR quelques jours plus tard; le nouveau colis contient cette fois une scie à métaux dans une baguette de pain. De son côté, BIA s’est entendu avec un homme de confiance des S.S. c’est un détenu français chargé de réceptionner les colis et de les distribuer à leurs destinataires. Il accepte d’établir une liaison avec l’extérieur, par le jeu des retours d’emballages.

Par ce canal, BIAGGI constitue un petit outillage utile (scies à métaux, tournevis). En réunissant leurs moyens, LE MEUR et BIAGGI se trouvent, au début de juin 1944, à la tête de trois scies à métaux. Ils décident alors de tenter « la belle » au prochain convoi, qui, d’après le SS, doit vider presque complètement le camp.

A remarquer que, lorsque BIAGGI m’a abordé pour la première fois, j’ignorais tout de ces projets. Il s’était renseigné il savait que j’étais un authentique officier d’active, artilleur et candidat à l’évasion. Lui se présenta comme un officier de réserve, cavalier et résistant.

Il me propose de me joindre au groupe qu’il a formé, en vue de nous échapper du train qui doit nous déporter prochainement en Allemagne. Avec les scies à métaux, on sciera dans la nuit le pêne de la porte coulissante du wagon et on sautera du train en marche. Naturellement, ça m’intéressait.

Mais qui est-il? Le premier jour nous avions échangé quelques propos sur nos relations respectives dans l’armée. Chose surprenante, car les officiers se reconnaissent plus ou moins entre eux.

Nous n’avons pu établir aucun repère commun, ce qui me laissa songeur. Nous nous quittâmes sur de bonnes paroles, nous promettant de nous revoir le lendemain.

Si c’était un provocateur? Je confie ma perplexité à un camarade et nous décidons d’en parler à l’abbé LE MEUR. Tout le camp le connaît et le respecte. On ne pouvait mieux tomber. Il nous engage vivement à participer à la tentative d’évasion collective « montée par BIAGGI ».

Comme il se doit, notre ecclésiastique se garde de révéler tous les détails. Il se contente de m’indiquer que le projet est sérieux, que l’équipe des candidats à l’évasion est formée et que lui-même en fait partie.

Plein d’espoir, je préviens aussitôt quelques camarades Philippe, Marchal et les deux radios, Cordogli et Bertrand. Ils sont volontaires pour ce saut dans, l’inconnu.

Nous n’avons guère le temps d’approfondir la question. Dès le lendemain, un pointage général du camp sélectionne environ deux mille détenus pour le convoi qui partira de COMPIÈGNE le 14 juin 1944. Quand je me présente devant le prisonnier, qui tient le registre d’inscription des partants, je vois que de nombreux noms, dont le mien, portent la mention N.N. Qu’est-ce que ça veut dire? Le prisonnier hausse les épaules avec indifférence.

Après la Libération, nous apprendrons que « Nacht und Nebel » signifie l’extermination en Allemagne, sans donner des nouvelles et sans laisser de traces.

Le 4 juin 1944, jour du départ, nous sommes réveillés à l’aube. On nous rend nos valises et la plupart des objets confisqués à l’arrivée. Une épaisse colonne par rangs de six se forme dans la cour. C’est alors un jeu vital pour nous de glisser à travers les rangs, malgré les récriminations des autres tenus et les hurlements des S.S., pour coller à BIAGGI et monter dans le même wagon que lui.

IV. — LE TRAIN DES DEPORTES

Les candidats à l’évasion étaient nombreux. Ce n’est pas sans inquiétude pour le secret de l’opération que nous les voyions, par dizaines se presser autour de nous. A la gare de COMPIÈGNE, une file de S.S. assez dense fait face à l’alignement des wagons de marchandises. Nous sommes poussés violemment à coups de gourdins dans chacun d’eux. Au fur et à mesure qu’il se remplit, les S.S. y entassent de nouveaux détenus.

Nous voici serrés, debout, les uns contre les autres. Avant de fermer la porte à glissière, un jeune S.S. vient nous haranguer dans le meilleur français : « Ceux qui ont des couteaux ou des outils quelconques, doivent les remettre immédiatement; sinon, ils seront sévèrement punis. Vous serez fouillés à l’arrivée.

Il y a, dans chaque convoi des “ cons “ qui se croient plus forts que les autres. Ils cherchent à s’évader et sont toujours repris. Au dernier convoi, il y en a eu quatre qui ont été fusillés. » Après cet exposé limpide, il nous fait distribuer un casse-croûte (pain, fromage, saucisson) et ferme la porte avec fracas.

BIAGGI relève aussitôt « le moral des troupes » « Vous avez entendu le SS : que pouvait-il dire d’autre? en réalité, au dernier convoi, ceux qui ont bénéficié de l’organisation d’évasion que nous avions constituée à Royallieu, s’en sont tirés admirablement. Ce sont eux qui nous ont fait parvenir les scies à métaux que nous avons avec nous. Celles-ci sortent alors de leur cachette l’une a remplacé une baleine du corset orthopédique de BIAGGI, l’autre a été fixée dans une semelle de soulier, la troisième préalablement entourée de sparadrap était logée dans l’anus du porteur.

Le train s’est mis en marche; il fait horriblement chaud dans l’atmosphère confinée du wagon. Sur ordre de l’abbé LE MEUR, on essaie de se caser en deux bordées, la moitié d’entre nous assis sur le plancher, l’autre moitié debout. L’espace manque. Finalement, tout le monde doit se tenir debout comprimé par les voisins.

L’aération devient vite insuffisante; elle provient de petites lucarnes en bout du wagon. Mais surtout, les besoins naturels se manifestent rapidement pour une centaine de personnes, nous ne disposons que d’une boîte de fer blanc à laquelle il est bien difficile d’accéder à travers cette foule compacte. La boîte est bientôt pleine; il faut alors se résoudre à tout faire en dessous de soi. Nous pataugeons dans l’ordure et la puanteur !

Dans un coin, un petit vieillard s’est effondré. Il délire en injuriant ses voisins. Pas d’eau à boire. Aux arrêts, quelques employés compatissants de la S.N.C.F. nous jettent des seaux d’eau à la volée, à travers les lucarnes. C’est une bataille pour accéder à ces quelques gouttes et l’abbé LE MEUR a fort à faire pour établir une maigre distribution au milieu des cris, des jurons, de la sueur et de la poussière. Le petit vieillard de soixante-dix-sept ans a été pris comme otage à la place de ses petits-fils réfractaires au S.T.O. A la fin d’une journée épuisante, il s’affale sur le côté. Il mourra le soir même. Notre convoi durant ces heures interminables a roulé lentement, s’est arrêté à plusieurs reprises. Il a effectué des manoeuvres diverses, en avant, en arrière. Il a stationné pendant de longs moments en plein soleil.

Nous n’avons aucune idée de l’endroit où nous sommes, lorsque vers minuit, BIAGGI veut organiser l’évasion proprement dite.

Auparavant, il lui faut « mâter » une mutinerie. Le wagon n’est pas uniquement peuplé de candidats à l’évasion. Il comporte deux parties à peu près égales, l’une formée de résistants prêts à tout pour s’évader, l’autre d’une horde de malfaisants, voleurs, maquereaux, faux policiers, pilleurs de Juifs et racaille en tout genre, sans compter des otages inconsolables.

Tout ce monde est fort peu disposé à subir des représailles quand nous aurons disparu « dans la nature ». Ils clament qu’ils ne nous laisseront pas faire, qu’au prochain arrêt, ils alerteront les S.S. Cet « os » imprévu crée un flottement. BIAGGI pourtant domine la situation. Il se faufile tant bien que mal au milieu de notre foule et « s’engueule » violemment avec les « rebelles » ; puis il revient vers nous et nous dit « On va leur faire le coup de la poussée. » En effet, notre « bloc » serré et déterminé « pousse » brutalement contre « les salopards », qui, au bord de l’étouffement crient grâce et jurent qu’ils vont « la boucler ». Effectivement, ils se tiendront cois.

V. — L’ÉVASION

C’est alors un mécanicien auto, MARTIN, qui manoeuvre la scie à métaux. Nous en avions trois, heureusement, car l’une s’est cassée, l’autre est tombée entre les rails, seule la troisième a fait le travail il s’agit de scier la targette en acier qui ferme la porte à glissière; la scie est tenue du bout des doigts. Il fait chaud, la sueur la fait glisser. Le travail est pénible; enfin, vers trois heures du matin, la targette est rompue.

MARTIN pousse légèrement la porte qui glisse sans effort. L’air pur et un rayon de lune pénètrent sur notre foule misérablement tassée. Il s’agit maintenant de fixer l’ordre des sauts. L’abbé LE MEUR fait office d’Agence Cook, la liste est délicate à dresser. Les premiers partants prennent le risque de l’innovation, les autres n’auront plus qu’à copier. Qui s’apercevra le premier de notre fuite? La sentinelle postée dans la cabine du serre-frein, sur le toit du wagon ou l’un des S.S. qui remplissent le wagon de voyageurs, en queue du train? Il y a en outre, une plateforme, avec mitrailleuse pour « fermer » le convoi. L’ancienneté et l’activité dans le « complot » finissent par déterminer les priorités. Il y a soixante volontaires, car, finalement, une dizaine d’opposants à l’évasion se sont ralliés en voyant la porte s’ouvrir vers la Liberté.

Nous sommes répartis en une quinzaine de groupes de quatre, afin d’être moins repérable qu’une grande bande, mais aussi afin d’être suffisamment nombreux pour secourir les blessés. Le saut s’effectuera à une vitesse moyenne, entre 60 et 70 km/h. C’est dangereux!

Élevant la voix, BIAGGI nous explique la technique « Tu commences par te couvrir le plus possible (manteau, pull-over) pour te matelasser contre le choc. Il faut surtout t’enturbanner la tête, le mieux possible, pour te protéger contre une fracture du crâne. Tu t’allonges ensuite sur le marche pied qui court le long du wagon la tête tournée vers l’arrière du train. » En somme, on va partir les pieds en avant » a murmuré un humoriste. « Tu te mets sur le flanc droit, la poitrine face à la paroi du wagon. Tu pousses violemment sur les mains et les genoux pour ne pas rouler sous le wagon. Tu tombes sur le cul et tu es redressé par la vitesse qui te remet sur tes pieds »… C’est tout simple.

Nous l’écoutons avec respect et appréhension, la même appréhension que celle du para qui se lance dans le vide pour la première fois. Par la portière à demi entrouverte, nous voyons défiler le ballast à une allure peu attrayante. BIAGGI, désinvolte, ranime les coeurs tièdes : « C’est pas sorcier, c’est ce que font, tous les dimanches soir, bon nombre de Saint-Cyriens revenant de permission. Ils sont si bien entraînés que, lorsque le train passe en gare de Saint-Cyr sans s’arrêter, ils sont une dizaine à sauter. Ils n’abîment même pas leur capote d’uniforme. De toute façon, le premier groupe va sauter et vous n’aurez qu’à faire comme nous. »

L’ordre est donné par l’abbé LE MEUR — « Groupe n° 1, rapprochez-vous de la porte! » — « Groupe n° 2, préparez-vous! — « Capitaine MORANGE, voici la liste. Vous veillerez à l’ordre jusqu’à votre tour! » Le groupe n° 1 est formé de MARTIN, BIAGGI et de l’abbé LE MEUR.

MARTIN saute le premier. Il saute mal : il saute debout, oubliant les consignes de BIAGGI. Fauché par la vitesse il tombe la tête en avant sur le ballast et reste immobile. Mauvaise impression générale. L’abbé Le MEUR enlève sa soutane et la « baluchonne » autour de sa tête. Il se couche sur le marchepied comme indiqué, se tourne une dernière fois vers nous et cabriole sur le sol pendant quelques mètres, puis reste immobile. Est-il évanoui?

BIAGGI se présente alors, exécute impeccablement la manoeuvre. Il roule lourdement sur le sol et reste recroquevillé, les genoux au ventre. Cependant les observateurs notent avec soulagement que les trois chutes n’ont fait que peu de bruit couvertes par le roulement du train. Les S.S. n’ont pas tiré. Les sauts se succèdent alors à cadence à peu près régulière toutes les 30 secondes, soit tous les 500 mètres, si nous évaluons bien la vitesse à 60 km/h. Mais voici que le train ralentit. Il entre dans la gare de CHALONS-SUR-MARNE. La porte est refermée avec précaution.

Les S.S. n’inspectent le train qu’avec négligence, à moitié endormis. Il est trois heures du matin et ils ne découvrent rien. Lorsque le train repart, nous constatons qu’une vingtaine de prisonniers se sont déjà évadés. Il y a un peu plus d’espace dans le wagon. Les sauts reprennent sans ardeur. Ils finissent par se bloquer devant le refus de quelques-uns, impressionnés par l’immobilité qui fige chaque évadé dès qu’il a terminé sa culbute d’atterrissage.

Pour relancer le rythme, je répète les recommandations de BIAGGI sans autre résultat que de m’entendre crier : « Eh bien, vas-y donc, connard. » Me voilà moniteur d’un saut que je n’ai jamais pratiqué. Il n’y a pas de temps à perdre en parlottes. Le jour va se lever. J’ai pu m’emmitoufler dans un chandail épais. J’ai enfilé mon pardessus d’hiver. Autour de la tête, j’ai enroulé un autre chandail.La technique BIAGGI fait merveille. Après un formidable coup de pied au cul, suivi d’une cabriole assez longue, je me retrouve à plat ventre, face contre terre, tandis que le train défile à mes côtés. Tacata… tacata… Son rythme s’éloigne et la plateforme avec mitrailleuse tant redoutée disparaît dans un tournant. Je comprends alors cette immobilité qui inquiétait ceux qui allaient partir : elle était une réaction instinctive et salutaire pour ne pas attirer l’attention d’un S.S. moins somnolent que les autres. L’inspection démontre que je n’ai pas une égratignure; seul mon pantalon est déchiré. Quelle merveille de se sentir libre dans cette belle nature. Il est 4 heures, c’est le 5 juin 1944.




Un heros due CE francais raconte.. Le Capitaine Morange du T.R. 115 (1)

Avant de nous quitter, il y a déjà plus d’un an, Roger Morange avait entrepris, dans le cadre d’une étude générale sur « les X. dans la Résistance » la préparation d’une thèse de doctorat d’État sur les activités du Contre- Espionnage français clandestin dans le Sud-Est de la France occupée.

Lui-même avait été en 1943 le chef de notre poste T.R. de Marseille : T.R. 115, puis Glaïeul.

Il avait bien voulu m’associer à ce vaste projet. Avec la méthode et la précision qui étaient dans sa nature, il fouillait les archives, les livres, creusait dans sa riche mémoire, appelait les témoignages. En dépit d’une santé qui chancelait, son travail avançait, toujours remis sur le chantier avec une obstination d’autant plus émouvante que nous sentions ses forces l’abandonner.

Hélas, il laisse une oeuvre inachevée mais d’une exceptionnelle valeur pour l’Histoire de nos Services. D’accord avec son épouse qui le secondait avec autant de dévouement que de compétence, nous n’avons pas voulu qu’elle tombe dans l’oubli. Avec elle nous avons pensé que ces souvenirs de Morange, ses observations, ses réflexions pouvaient non seulement enrichir notre patrimoine, mais encore — et peut-être surtout — servir utilement nos successeurs tant cet esprit curieux savait tirer les conséquences et les enseignements des événements et des faits dont il était l’acteur ou le témoin lucide.

Ainsi a été constitué un comité d’études chargé d’extraire à l’intention de notre Bulletin et des diverses instances nationales chargées de veiller à « cette sacrée Vérité », les bonnes feuilles de ce que l’on peut appeler les Mémoires de Roger Morange alias Mordant. Pour commencer nous présentons le récit de son arrestation par la Gestapo de Marseille à la fin de 1943. Il sera suivi par celui de son interrogatoire et de son évasion. Cette publication vient à son heure, au lendemain du procès de Lyon et à la veille de la nouvelle procédure intentée à l’encontre de Klaus Barbie à propos de l’affaire Jean Moulin. On va retrouver dans le récit de notre camarade cet expert en trahison qu’était Jean Multon, alias Lunel, transfuge du groupe « Combat » arrêté le 28 avril 1943 par la Gestapo de Marseille et « retourné » sans grande difficulté par elle. C’est Multon qui est à l’origine des catastrophes qui se sont abattues sur la Résistance en 1943 : arrestations de Bertie Albrecht, collaboratrice d’Henri Frenay (fin mai 1943), du Général Delestraint, chef de l’armée secrète (9 juin 1943), de René Hardy (7 juin 1943) enfin, dont les conséquences furent si funestes. J’en passe. On va retrouver, face à Morange, le célèbre Dunker, dit Delage, homologue de Barbie à Marseille. Aussi cruel et prétentieux que le S.S. lyonnais — Lui aussi mentionné en 1944 dans nos listes de criminels nazis remises aux services français et alliés de sécurité, accolés aux grandes unités de débarquement. Il eut bien le sort qu’il méritait : il fut fusillé le 28 septembre 1947.

Situation du C.E. à Marseille en 1943 Avant de laisser la parole à Morange, il m’apparaît nécessaire de rappeler la situation générale de nos services en 1943. Depuis mai 1942 le commandant Laffont, alias Verneuil, a pris ma place à Marseille à la tête de notre organisation clandestine de C.E. offensif : le T.R. Je suis moi-même en charge de l’ensemble de nos services de sécurité offensifs (T.R.) et défensifs (S.M.). Ils sont en pleine évolution en raison de la répression allemande et des entraves de la police de Vichy.

L’activité croissante de l’Abwehr, celle de plus en plus envahissante du S.D. et de la Gestapo, l’imminence du débarquement allié en A.F.N., m’ont conduit à étoffer le T.R., en particulier en donnant à Verneuil deux collaborateurs supplémentaires d’une qualité exceptionnelle les capitaines Paul Bernard et Roger Morange. A Marseille, précisément, le poste T.R.115 qui a compétence sur la Provence-Côte-d’Azur, est dirigé de mains de maître par le capitaine Guiraud (alias Georges-Henri), un ancien du poste S.R. de Marseille dont le colonel Gallizia vient de retracer l’existence dans nos Bulletins. Le 11 novembre 1942, conséquence du débarquement allié du 8 novembre en A.F.N., la Wehrmacht a occupé la Zone Sud. Entre le 12 et le 26 novembre 1942, Verneuil et moi nous décidons du devenir de notre CE, métropolitain. Je me propose de le renforcer et surtout d’organiser ses liaisons avec Londres et Alger.

La Direction du T.R. éclate. Verneuil quitte Marseille et installe son P.C. en Auvergne. Morange, alias Mordant, est affecté sur place au poste T.R.115.

Après un bref moment de flottement, l’activité du C.E. clandestin reprend de plus belle, encouragée, stimulée par deux faits essentiels : — le parachutage près d’Issoire de Michel Thoraval le 19 janvier 1943, venu de Londres, — l’arrivée en sous-marin, le 5 février 1943, de l’équipe Caillot-Guillaume, venue d’Alger… Porteurs de directives, de fonds et de postes radios, mes messagers donnent à leurs camarades métropolitains la certitude que désormais ils ne seront plus seuls, qu’ils seront entendus, écoutés, et que leurs efforts sont indispensables au succès de nos armes. Hélas, en juin 1943, l’organisation ancienne de T.R. est fortement ébranlée par une série de graves arrestations Gatard et Chotin à Limoges, Johanès et Simonin à Clermont-Ferrand, Garnier, Saint-Jean avec nos vieilles archives près de Nîmes, etc. Il faut réorganiser la maison décentraliser davantage, adapter d’autres méthodes, doubler les précautions… Guiraud (alias Georges-Henri) devenu « Soleil » prend la responsabilité de la Zone Sud., Son secteur s’étend des Alpes-Maritimes aux Pyrénées Atlantiques. Son ex-poste T.R.115, désormais baptisé « Glaïeul », passe sous la direction de Morange. Dans le même temps la Sécurité Militaire clandestine s’organise sous l’impulsion du futur Général Henri Navarre (alias Augusta). La région de Marseille est confiée au Commandant Jonglez de Ligne. Un Seigneur! En face, le poste S.D.-Gestapo de Marseille s’est considérablement renforcé, conscient de l’importance croissante de nos services dans cette région et de leur travail intensif. Il est installé confortablement rue Paradis. En janvier 1943, le S.S. Scharfiihrer Ernst Dunker, alias Delage, est adjoint au S.S. Haupt-sturmführer Günter Hellwing, Chef de la Section IV de ce poste. Il a 31 ans. C’est déjà un vieux professionnel de l’espionnage. En 1940, en Tunisie, il fut « accroché » par nos Services et relâché sous la pression des autorités occupantes. Il vient de Paris où il servait d’interprète à la Gestapo de la rue des Saussaies. …« ses yeux bleus verts, durs et vides, clairs et faux, sournois par habitude séculaire d’obéissance servile, cruels par nature »…. telle est la description qu’en fait Pierre Nord. Dunker connaît Marseille. Il sait que pour réussir il faut travailler avec « le milieu », selon ses méthodes et disposer de gangs. En trois mois, il montera son affaire et les coups vont s’abattre. Le 28 avril 1943, c’est Jean Multon, alias Lunel qui tombe entre ses griffes et cède à la peur et à la tentation. Après l’hécatombe dans le groupe « COMBAT » et la catastrophe de Caluire, c’est Morange qui va être la victime de l’infernal duo Multon-Dunker. Écoutons Morange :

par Roger MORANGE

Multon était le secrétaire, l’homme de confiance de Chevance, l’adjoint d’Henri Frenay, créateur et chef de « COMBAT ». Il savait tout sur ce groupe de résistance.

LE GUET-APENS Mon rendez-vous avec Stefan Frederkind était très important. Depuis l’occupation de la Zone Sud en novembre 1942, notre poste de Marseille, T.R.115, avait mis en sommeil ses agents de pénétration dans l’Abwehr; tous, sauf Frederkind, homme de confiance de l’Abwehr qui, en sa qualité de fournisseur des mess des officiers avait ses entrées non seulement dans les bureaux de l’Hôtel Lutétia mais aussi dans les principaux États-majors allemands de Paris. Je désirais, grâce à lui, posséder un informateur d’autant plus utile que l’Abwehr l’avait prié de constituer un réseau d’agents français en Zone Sud. Rendez-vous avait été pris pour le samedi 11 décembre 1943 à 17 heures à la Brasserie du Parc au Rond-point du Prado. Notre camarade Lomnitz devait y amener son ami Stefan. A peine rentré dans le Bar, j’ai une mauvaise impression pas de barman, deux hommes au comptoir me tournent le dos. A une table isolée, Bernard Lomnitz est assis à côté d’un inconnu. Tous les personnages sont immobiles et silencieux. Lomnitz ne fait pas un mouvement, je m’approche de lui et je vois alors son visage tuméfié avec une barbe hirsute. Avant d’avoir ouvert la bouche, les deux consommateurs du bar m’encadrent, tandis que le compagnon de Lomnitz sort un pistolet, démasquant les menottes qui les relient ensemble. — Police, vos papiers! Sans même les regarder, ils les confisquent, tandis qu’un quatrième « policier » entre dans le bar. Je l’identifie, c’est Lunel, ancien secrétaire régional des M.U.R., qui, depuis son arrestation, le 23 avril 1943, est passé au Service de la Gestapo. Barrioz, chef régional de « COMBAT » me l’avait présenté au début de l’année comme étant son secrétaire personnel et son « homme de confiance» (!!!).

— Suivez-nous! Toute résistance est impossible. Un petit cortège se forme. En tête, Lomnitz enchaîné à son gardien. Je suis derrière et les trois autres ferment la marche. On ne m’a pas mis les menottes, circonstance favorable… J’en profite pour me retourner et demander : « Vous êtes de la Police? Mais quelle Police ? — Police allemande !… Une violente poussée sur les deux personnages les plus proches et je détale éperdument. Les policiers commencent par s’assurer de Lomnitz, puis sortent leurs pistolets. C’est une belle « schieserei » sur le Prado. Deux Feldgendarmes, la plaque autour du cou, attendent le tramway. Ils aperçoivent ces civils suspects qui tirent des coups de feu. Ils dégainent à leur tour et menacent les hommes de la Gestapo. Ce quiproquo me permet de gagner de précieuses secondes. A l’Ecole d’Artillerie de Fontainebleau, j’étais champion du 1.000 mètres c’est le moment de le prouver… Je cours de mon mieux en zig-zag. Les balles commencent par me rater, mais un coup heureux de Lunel m’atteint à la cuisse. Je ressens un choc brutal, ma jambe gauche s’alourdit, je dois m’arrêter. Je m’effondre sur un banc où Lunel, haletant, me rejoint son pistolet à la main. Triomphant, il crie : « Salaud, je t’ai eu! » Cette fois, on me passe les menottes et je suis poussé vers la traction avant des Policiers dont les coussins sont bientôt inondés de mon sang. Le trajet est bref jusqu’au siège de la Gestapo qui est à quelques centaines de mètres dans le haut de la rue Paradis. C’est le premier contact avec Dunker. Soutenu par mes gardiens, je me traîne jusqu’à l’ascenseur. Mon cas est mauvais dès le départ. Pris dans une souricière après une tentative de fuite, je suis éminemment suspect. Le pire, c’est Lunel ! Le misérable me connaît comme officier résistant et ami de son ex-patron Chevance. Il est inutile de faire l’innocent. Je suis affalé sur une chaise. Mon pantalon poisseux est lourd de sang et les gouttes commencent à tomber sur le plancher. Il me reste pourtant assez de vitalité pour apostropher violemment les tristes sires qui sont devant moi : – Vous êtes des salauds et des traîtres, vous collaborez avec la Gestapo. Vous ne perdez rien pour attendre, les alliés vont débarquer, l’Allemagne est perdue et vous serez tous arrêtés et fusillés. Vous, Lunel, le premier qui avez trahi le Mouvement « COMBAT ». Vous savez que celui-ci vous a condamné à mort. Une seule chose m’étonne, c’est que vous soyez là encore vivant! Lunel blêmit, les autres ne disent mot, mais un homme vient d’entrer dans la pièce. Il s’emporte en entendant ces anathèmes : — ” Quoi? un prisonnier qui profère des menaces? Comment osez-vous parler sur ce ton? Vous parlerez quand je vous questionnerai. D’ici là, taisez vous ou je vous ferme la gueule à coup de cravache.” De taille moyenne, vigoureusement bâti, ses yeux gris bleus ont une lumière dure. Son ton de commandement est sans réplique. Je suis entre les mains de Dunker, alias Delage, l’un des chefs de la Gestapo de Marseille. Par une porte entrebâillée, j’aperçois dans la pièce voisine, Lomnitz et Frederkind enchaînés sur leurs chaises et prostrés, le menton tombant sur la poitrine. J’apprendrai plus tard qu’ils ont été cruellement battus pour leur faire avouer l’identité du personnage qui avait rendez-vous avec eux. Aucun d’eux ne révélera mon nom. Pour eux, je suis seulement « Monsieur René ». Après avoir renvoyé ses acolytes, l’Allemand reste seul avec Lunel et moi. Après avoir pris la précaution de m’attacher les mains dans le dos avec les menottes, l’interrogatoire commence.

L’INTERROGATOIRE DU CHEF DE T.R.115 — Quel est votre nom? votre vrai nom, bien sûr! ne perdons pas de temps. Nous saurons vous faire avouer rapidement. Une simple piqûre et votre tête devient grosse comme un ballon. Alors racontez gentiment votre histoire. Choisissez, et vite ! Je suis à demi évanoui, mon cerveau tourne à toute allure : nier mon identité et mon activité en bloc, c’est peine perdue devant Lunel. Le traître m’observe avec des yeux froids, derrière de grosses lunettes. Il faut lâcher un morceau et gagner du temps — Je suis le Capitaine Mordant de l’État-Major de l’Armée. Les papiers que je porte au nom de Martigny sont faux et m’ont été remis par le Bureau M.A. de Marseille avec lequel je travaillais jusqu’à la dissolution de l’Armée d’Armistice. Mon rôle consiste à chercher des terrains de parachutage pour recevoir des émissaires d’Alger. Dunker essaie de me faire préciser certains points. Je perds opportunément connaissance. Alors seulement on songe à arrêter mon hémorragie et je suis transporté rapidement dans une clinique de la Kriegsmarine, près d’Endoume. Je reçois les soins éclairés de deux jeunes médecins allemands, fort sympathiques. — Vous avez beaucoup de chance! dira l’un d’eux. La balle est entrée et sortie en frôlant l’artère fémorale qui n’a pas été lésée, heureusement. Un sondage récupère divers morceaux de tissu restés en chemin. Injection antitétanique et puis piqûre de morphine. Je m’endors benoîtement… Vers 22 heures, tel un cauchemar, Dunker me réveille. Cette fois, il me parle de Frederkind. — Qu’est-ce que vous faites avec lui? — Je connais Frederkind comme un officier allemand de Paris qui voyage beaucoup et fait un peu de marché noir. A ce titre, il me vendait du whisky. — Ce n’est pas vrai! Frederkind n’est pas officier. C’est un agent des Services Allemands. Il a trahi notre cause. Aujourd’hui je n’ai pas le temps d’en parler davantage. Je veux seulement savoir ce que représentent ces clés. — Ce sont celles de mon appartement, rue de Suez. — Et celles-ci ? Ce sont celles d’un deuxième appartement que j’ai loué 46, boulevard Rabateau pour loger les éventuels arrivants d’Alger. Dunker perquisitionnera aussitôt rue de Suez. Evidemment il ne trouvera rien. Boulevard Rabateau, par une malchance extraordinaire (cet appartement est en principe vide), il tombe sur mon chef de Secrétariat, l’Adjudant-Chef Marchal qui était venu, à tout hasard, m’apporter des télégrammes d’Alger. Vers 22 heures de ce même funeste samedi, Marchal est, hélas, arrêté dans l’appartement par la même équipe qui m’avait capturé à 17 heures. Il est horriblement battu à plusieurs reprises dans la journée du dimanche. Il réussit à gagner du temps et ce n’est que le lundi 13 décembre, à bout de forces, qu’il avoue l’adresse de notre Bureau. La Gestapo perquisitionne sur le champ. Elle trouve les locaux vides… Il s’est passé près de deux jours depuis ma disparition et mes camarades ont appliqué ma consigne très stricte : « Si l’un de ceux qui connaissent le bureau ne donne pas signe de vie pendant vingt-quatre heures, il faut le présumer arrêté, tout déménager immédiatement et disparaître. » Or, j’avais pris rendez-vous pour le samedi 17 heures avec mon adjoint, le Lieutenant Laffitte. A cette heure, j’étais sur la table d’opération de la clinique de la Kriegsmarine d’Endoume. Laffitte laisse passer la nuit. Il se présente le dimanche à midi au rendez-vous de rattrapage prévu dans les cas analogues. Toujours pas de Mordant! Inquiet, Laffitte alerte les camarades du Poste. Il déménage lui-même le bureau et tout le monde s’évanouit dans la nature. Quand la Gestapo a fouillé le bureau le lundi, elle est arrivée avec un jour de retard… tout est vide!

L’INTERROGATOIRE MUSCLE — LA BAIGNOIRE Le lundi soir, 13 décembre 1943, on me transfère de la clinique militaire allemande à la prison des Baumettes où je fais une entrée très remarquée appuyé sur mes béquilles. Dans la cellule 17, je retrouve l’Adjudant Marchal et Bernard Lomnitz tous deux fort mal en point. Curieusement, aucune confrontation n’a eu lieu avec Frederkind que je n’ai plus revu de ma vie. Nous apprendrons, plus tard, que la Gestapo de Marseille l’a mis à la disposition du B.D.S. de Paris. Il a dû exploiter avec allégresse ce camouflet infligé à l’Abwehr, son rival détesté. Quel scandale! L’homme de confiance de l’Hôtel Lutetia. Frederkind était en fait un homme de confiance des Français depuis plus de cinq ans!

Nous voici au Secret rigoureux. Plus de soins médicaux pendant huit jours. Par bonheur, les sulfamides allemandes reçues à la clinique de la Kriegsmarine étaient de première qualité et ma blessure, sans jamais s’infecter se cicatrisa en quelques semaines, grâce aux soins diligents de l’infirmière française de la Croix-Rouge, Mlle Guérin. Elle pansait tous les jours les éclopés revenant d’interrogatoires dans des états pitoyables.

Le 22 décembre 1943, on vient me chercher pour un interrogatoire qui doit aller au fond des choses. Dunker est tout miel et s’exprime en un français excellent. — Nous n’en voulons pas aux officiers français qui font leur service. Nous punissons les traîtres comme Frederkind qui s’appelle en réalité Friedmann. Il est juif comme Lomnitz et n’est pas un officier. C’est un agent allemand qui a trahi notre Service. Qu’avez-vous à me dire sur lui? Si vous avouez la vérité, vous ne serez plus inquiété et envoyé dans un Oflag jusqu’à la fin de la guerre.

Je réponds par des généralités. Je mets en avant ma qualité fragile de « prisonnier de guerre ». Impatienté, il s’écrie — Vous allez parler! Oh, nous ne toucherons pas un cheveu de votre tête, mais c’est vous qui m’appellerez lorsque vous le déciderez vous-même.

Sur un signe, Lunel et un autre agent français de la Gestapo, Charles R…, me conduisent dans la salle de bains. Ils me donnent l’ordre de me déshabiller. Une fois nu, ils me mettent les menottes aux poignets et aux chevilles et je suis basculé dans la baignoire pleine d’eau glacée.

Nous sommes le 22 décembre. Le traitement de la baignoire est inspiré d’un supplice, qui, en Chine, est pratiqué en liant le patient à un poteau planté dans le lit d’un torrent glacé, le courant rafraîchit sans arrêt le corps. Celui-ci se contracte en crampes douloureuses, avec des troubles oculaires et une agression violente du système vaso-constricteur, génératrice de crises cardiaques. Avec la Gestapo, le refroidissement est l’oeuvre de la température basse qui entre par la fenêtre et par des blocs de glace qui flottent dans la baignoire. C’est, si l’on peut dire, un supplice « propre » qui ne laisse pas de traces sur le corps, il évite toute fatigue aux tortionnaires. Assis sur des chaises, ils se contentent de me surveiller, confortablement emmitouflés dans de bons manteaux. Des camarades me raconteront plus tard comment certains tortionnaires accélèrent l’effet du froid en plongeant la tête du détenu sous l’eau jusqu’à suffocation. Je n’ai pas subi cette variante. J’avoue que la réfrigération à elle seule est déjà très convaincante! Affaibli par ma blessure, je m’efforce de tenir bon. L’épuisement finit par me gagner. Je sens que je vais céder en me souvenant de ce que recommandait notre Chef, le Commandant Verneuil : « Si vous vous obstinez à vous taire, ils s’obstineront à vous faire parler. La partie est inégale, ne les bravez pas, ne faites pas le malin, n’attendez jamais le dernier moment où vos forces vous abandonnent. Faites semblant de céder, essayez de « les avoir à la Chansonnette », vous y gagnerez au moins un répit. Occupez vos insomnies à préparer vos aveux, ceux qui ne compromettent rien ni personne, si ce n’est que vous-même. Parlez d’organisation générale, de pseudos brûlés, de lieux de rendez-vous périmés, de boîtes aux lettres abandonnées, de camarades hors d’atteinte. Lâchez tout « cela par tranches, car eux, s’y reprendront à plusieurs fois avec vous. » Mes forces m’abandonnent. Je n’ai plus qu’à crier « Grâce » ! Je suis toujours sous la surveillance de R… et surtout de Lunel. Il lit un journal mais paraît mal à l’aise en me regardant. -Arrêtez, je vais parler! Ils se dressent tous les deux. Me retirent de la baignoire à demi gelé, incapable de remuer. Je suis porté à nouveau devant Dunker. Des soins énergiques me redonnent chaleur et vie : frictions vigoureuses, claques, peignoir chaud, café brûlant… Je remis! En avant pour la « Chansonnette ».

« LA CHANSONNETTE » D’une façon générale, mon activité depuis le Maroc était suffisamment variée pour que « la Chansonnette » fut garnie d’adresses vérifiables mais périmées et d’événements intéressants, mais dépassés. C’était un jeu très professionnel et routinier pour tout Officier de Contre-espionnage que d’alimenter astucieusement les réponses aux questionnaires allemands apportés par nos agents de pénétration dans l’Abwehr. Selon un plan approuvé, nous « révélions » des renseignements rigoureusement exacts, mais déjà connus ou sans conséquence. Aux questions posées par Dunker, je réponds donc en me référant au passé. Je décris l’organisation générale du T.R. métropolitain avec sa tête à Marseille alors que la « Villa Eole » est abandonnée depuis plus d’un an et que Paillole lui-même siège en Algérie, hors de portée. Une mention spéciale fut accordée aux liaisons avec Alger par le « tube » sous-marin « Casabianca ». Je ne risquais guère de commettre des indiscrétions étant donné l’anonymat absolu des officiers qui transitaient et du fait que depuis novembre 1943 la liaison par tube Métropole-Alger est interrompue. Aux questions relatives à l’organisation interne de T.R. 115, j’oppose les cloisonnements rigoureux entre les hommes. Chacun de mes subordonnés ne rencontrait que l’échelon immédiatement supérieur et l’échelon immédiatement inférieur. Ainsi, le chef radio ne rencontrait que le chiffreur (échelon supérieur) et ses propres « pianistes » (sous-officiers radio) à l’échelon inférieur. L’un est spécialisé dans l’écoute d’Alger, les deux autres émettent alternativement, l’un à la campagne, dans une voiture dont les accumulateurs alimentent le poste, l’autre à Marseille sur le courant de la ville. J’ignore tout des emplacements d’émission et des détails techniques. Ils sont du ressort exclusif du chef radio dont je ne connais pas l’adresse. Les appareils sont au nombre de Trois. La voiture utilisée est garée à une adresse que je donne. La Gestapo se précipite et met la main sur une 203 Peugeot restée au garage ce qui confirme la véracité de mes « aveux ». J’ajoute, toujours en veine de « confidences » : « le tableau journalier des émissions radios se trouve dans les papiers que vous avez saisis à mon bureau ». Cette déclaration laisse Dunker impassible. J’en conclus qu’il n’avait rien saisi et que le bureau avait été déménagé en temps utile. Il se contente de demander — Comment assuriez-vous la sécurité de vos émissions? — Par les soins d’un surveillant. Il reste dehors et guette l’arrivée des voitures goniométriques. Celles-ci sont très reconnaissables. Elles se déplacent lentement en tâtonnant, selon l’audition plus ou moins claire de leurs écoutes. Dunker reste pensif. Il passe à un autre sujet — Quelle était votre activité? — Nous ne faisions pas d’espionnage, mais du contre-espionnage. Nous recherchions les traîtres français, les réseaux de la Collaboration et notamment ceux de la Gestapo. Nous nous intéressons aussi à la situation intérieure française : S.T.O.-P.P.F., réfractaires, terrorismes. Nous voulons que soient réduits au minimum les désordres inévitables qui suivront l’effondrement de Pétain et de Vichy.

A cet appel du pied, Dunker réagit : Il me fait un discours sur la lutte commune contre le bolchevisme. — Pourquoi un officier patriote comme vous est-il notre adversaire? Nous devrions lutter ensemble comme le demande le Maréchal Pétain. Je ne résiste pas à lui lancer — Bravo pour votre collaboration qui torture un officier blessé! Sans répondre, il me demande pour qui je travaille à Alger. — Pour le Général Giraud. Cette réponse le fait rire. Il estime que pour les Français il n’y a qu’un choix Pétain ou de Gaulle. — Mais continuons! Quels sont vos réseaux d’agents? — Je n’en ai pas. Nos agents d’avant-guerre ont été mis en sommeil après l’Armistice, puis liquidés définitivement lorsque vos Services ont saisi nos archives en 1943. Notre rôle était surtout de recevoir les informations recueillies auprès des autres organismes de résistance et de les transmettre à Alger soit par radio, soit par sous-marin. Il est vrai que je voulais utiliser Frederkind. En l’arrêtant, vous avez supprimé notre unique agent allemand que je ne connaissais pas encore moi-même. Dunker hoche la tête. Par bonheur il n’insiste pas. — Quelles sont vos liaisons avec Alger? — Il existe à Marseille depuis six mois environ un réseau T.R. bis qui double le nôtre. Il a, en particulier, la mission d’organiser les liaisons avec Alger par le sous-marin « Casabianca » et il rembarque les personnalités de la Résistance qui viennent rendre compte au Gouvernement Provisoire de l’activité de leurs réseaux. Du printemps à l’automne, ces liaisons ont marché chaque mois en un point différent de la côte méditerranéenne. Mais la liaison du 26 novembre a été interceptée par une patrouille allemande qui, en tirant dans la nuit, a tué un agent de la Résistance de Toulouse. Les autres personnes ont pu se disperser dans la nature. Dunker ricane méchamment. — Oui, si j’avais été là, tout le monde aurait été pris. — D’ailleurs, je sais tout ce qui se passe dans le réseau de votre ami Jean-Marie, je les laisse s’agiter. Quand je le déciderai, j’arrêterai tout le monde. « La Chansonnette » s’étala ainsi sur plusieurs jours. Elle fut souvent interrompue du fait des absences de Dunker appelé dans d’autres affaires… Pendant ses absences, je restais menottes aux mains sous la garde de R… qui en profite pour me glisser qu’il travaille sous la contrainte. Pour prouver sa bonne foi, il me dit qu’ils n’ont rien trouvé en perquisitionnant dans notre bureau. Précieux renseignement qui simplifiera mon interrogatoire. Toutefois, je reste sur mes gardes car le sympathique R… a plus de chances d’être un mouton qu’un allié. C’est sur la base de ces « aveux chansonnettes » que Dunker put rédiger un magnifique Procès-Verbal. Il ne pouvait entraîner aucune arrestation. Le seul butin fut la 203 Peugeot dont s’emparèrent les gestapistes pour leur usage personnel. De son côté, Dunker confisqua divers objets saisis dans mon logement tels que disques, livres et tapis.

°°° Au cours des séances d’interrogatoire qui ont suivi l’épisode de la baignoire, le détenu ne fut plus maltraité. Il s’était établie entre lui et Dunker une atmosphère relativement courtoise. Dunker veillait même à ce que mon pansement fût changé tous les jours, m’offrait café et cigarettes. Un jour, il me posa calmement la question — Pour le moment, c’est moi qui vous garde. Qui dit qu’après le débarquement américain les rôles ne seront pas inversés. Vous êtes un officier qui ne s’incline plus. Vous chercherez à vous évader, j’y veillerai et vous ne vous évaderez pas




Comment est ne le TR jeune . Les Missions du ” Petit MICHEL” (1)

J’ai déjà dit dans les précédents BULLETINS, et notamment dans notre premier numéro (1) pourquoi j’avais la hantise des liaisons directes entre le Service métropolitain et mon P.C. d’ALGER.

J’avais quitté la France inquiet de la rupture quasi-totale de nos contacts radios entre l’A.F.N. et nos postes de FRANCE.

A quoi pouvaient servir l’effort de si longs mois, le sacrifice de tant des nôtres, si au milieu de l’épreuve, le SSM/TR restait sourd et muet ?

Comment assurer la sécurité des Armées de la Libération sans pouvoir bénéficier du travail de nos Services clandestins de C.E. ?

Parvenu à LONDRES le 24 Décembre 1942, je m’ouvrais de mon inquiétude à mes amis de l’I.S.; Bill DUNDERDALE, ” l’Oncle TOM “, avec l’amabilité et le tact qui les caractérisaient, m’offrirent leurs mo­yens, tout leur appui.

… “Nous vous enverrons plus tard la facture…, et nous avons votre homme !”

Quelques jours plus tard, j’avais en face de moi Michel THORAVAL, un adolescent blond, mince, timide, aux yeux étonnants de vivacité et d’intelligence.

Il ne savait pas grand chose de notre technique du renseignement, mais il avait des qualités supérieures; son courage, sa volonté, sa foi, son en­thousiasme. Son apparente jeunesse était sa meilleure protection, son ignorance du SERVICE, la garantie de sa discrétion et de son mépris de la routine.

Je lui situais le problème à résoudre – raccrocher au plus vite le SSM/TR à la “FRANCE LIBRE” – sans intermédiaire..” en toute souveraineté”.. lui porter les moyens de vivre et d’oeuvrer pour la Délivrance.

Sans hésiter, il m’affirma qu’il avait compris, qu’il réussirait.

Sa simplicité, sa lucidité, m’assuraient qu’il ne “bluffait” pas.

Pourtant, j’hésitai encore. Il était si jeune …

– “Monsieur – me dit-il, ayant deviné ma réserve – rien ne m’empêchera de servir la France, et je serai si heureux, si fier de faire mon Devoir sous les ordres d’officiers français, dans un Service aussi prestigieux que le vôtre”.

Il implorait mon regard. J’acceptai.

Jamais, sans doute, mon intuition ne m’a mieux servi.

Avec une maîtrise étonnante, Michel THORAVAL accomplit sa mission.

Ses missions.

Ce sont elles qu’il nous conte aujourd’hui:

Son récit est aussi simple que lui. A chaque ligne comme à chacun de ses gestes, perce sa modestie, son dévouement, son ardeur patriotique.

C’est une leçon d’énergie et de discipline. C’est la preuve que l’audace au service de l’intelligence se joue des obstacles et reste dans les heures de crise le meilleur facteur de la réussite.

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Par Michel THORAVAL

L’ARRIVÉE en ANGLETERRE

Bon accueil mais . . . après ” criblage “

Après l’armistice franco-allemand de Juin 1940, le premier contact avec l’Angleterre d’un évadé de France, était un château; plus exactement une prison aimable, courtoise :”PATRIOTIC SCHOOL”.

C’était, gardé par une compagnie britannique, un château situé au milieu d’un grand parc bordé par une route où nous avions comme seule distraction, le plaisir devoir passer quelques “Bus”. En y arrivant, nous étions dirigés vers de grands dortoirs où nous vivions une vie semblable à celles des casernes françaises. Par contre, la nourriture, quoique britannique, y était bonne.

A la suite de multiples interrogatoires, on nous y laissait libres de choisir, soit un avancement rapide, en rejoignant la jeune armée de la FRANCE LIBRE, soit le combat anonyme, mais plus immédiat, au sein de l’Organisme puissant et rodé des Services Spéciaux Britanniques.

Ces interrogatoires, dirigés par des Officiers anglais parlant parfaitement notre langue, portaient surtout sur les contacts que nous avions eu en France occupée avec les différents organismes de Résistance. Nous devions, entre autre, préciser les noms et adresses des personnes que nous avions rencontrées au sein de ces organismes.

Les Britanniques cherchaient ainsi non seulement à se faire une opinion sur les évadés mais aussi à recouper à l’aide des multiples interrogatoires les différents renseignements qu’ils possédaient sur la résistance française. Cela les aidait également à détecter les agents ennemis qui pouvaient essayer de s’introduire, sous un prétexte patriotique, en territoire britannique.

Les journées, en dehors de ces interrogatoires fastidieux, se passaient dans le calme et nous pouvions consacrer une part de notre temps à la détente physique. J’ai ainsi le souvenir de 2 ou 3 matches de football disputés entre les “Invités” français et les éléments de la Cie Britannique qui les gardaient.

Pour moi, arrivé au cours du printemps 1942 en Angleterre, ces interrogatoires eurent au moins un résultat bénéfique. A la suite des renseignements que j’avais donnés, les dirigeants britanniques de l’organisation de Résistance à laquelle j’avais appartenu en France depuis l’Armistice, purent me joindre.

Alors que j’étais venu pour combattre dans les rangs de la FRANCE LIBRE, ils me proposèrent de continuer à servir dans les rangs de l’I.S. dont dépendait mon réseau. J’avais quitté la France avec la volonté de combattre rapidement. Il me sembla que l’occasion m’en serait donnée ainsi plus vite et plus sûrement.

Après quelques jours d’hésitation et de réflexion, je fis savoir que j’acceptais. J’allais pouvoir enfin quitter “PATRIOTIC SCHOOL”

Le lendemain, un chauffeur vint me chercher. Il m’emmena dans un immeuble situé dans les environs de Victoria Street où je fus accueilli par une manière de géant : “l’Oncle TOM”. Il s’exprimait bien en français avec un fort accent irlandais. Sa première préoccupation fut de me transformer en un civil décent.

Le complet que je portais avait supporté les différentes épreuves que constituaient le passage de la frontière des Pyrénées, le long séjour dans 5 prisons espagnoles, le transit à Madrid, puis à Gibraltar, les 5 jours de traversée pour arriver en Ecosse, le voyage jusqu’à Londres. Je n’étais plus présentable.

“L’Oncle TOM” me donna de l’argent et les points de textiles sans lesquels il était absolument impossible à cette époque de s’habiller en Angleterre. J’allais dans un grand magasin et quelques instants après j’étais un gentleman.

Ce côté matériel réglé, je pus me consacrer à des études techniques en usage dans les Services Spéciaux.

ELEVE PARACHUTISTE

Il était prévu, en effet, qu’après les stages nécessaires, il me serait confié une mission sur les côtes sud de la France avec un débarquement par sous-marin ou par avion. Cette dernière éventualité m’obligea à faire mes classes de parachutiste dans un camp qui ne me laissa que des bons souvenirs.

A Ringway, nous étions un petit nombre d’élèves parachutistes dont en particulier une jeune femme radio qui devait, par la suite, être parachutée en France. Nous étions guidés par un Officier Franco-anglais servant un peu de nurse et par un capitaine instructeur ne connaissant que quelques mots de français. Tous les deux étaient secondés par d’élégantes A.T.S. peu farouches.Nous étions logés par chambre individuelle. L’entraînement sportif était intense. Je reçus le baptême de l’air puis ce fut mon premier saut en parachute qui s’accompagna d’une peur intense. Je dois dire que les risques passés, ce saut me procura une fierté que je n’arrivais pas à dissimuler.

A la fin de ce stage qui avait duré huit à dix jours, je revins à Londres préparer ma mission et fixer la date possible de mon départ.J’étais prêt. Du moins, je le pensais, et l’Aventure pouvait commencer.les Britanniques étudièrent mon point de débarquement, les premiers contacts que je pourrais avoir en France sur la côte sud. Ils m’enseignèrent les différentes manières de m’installer pour envoyer les messages radio, la façon d’utiliser les codes, etc. Hélas ! malgré mon impatience et ma bonne volonté, ma mission n’arrivait pas à prendre corps. Elle était sans cesse retardée. J’en profitais pour compléter ma formation technique et mes connaissances en matière de recherches du Renseignement.La patience n’étant pas ma qualité dominante, je commençais à piaffer sérieusement quand un matin apparut le sauveur.