Devoir de mémoire : Ravensbrück-Sachsenhausen

Le 80e anniversaire de la libération par l’armée rouge des camps de concentration emblématiques de Ravensbrück et de Sachsenhausen, au nord de Berlin, a été célébré le 4 mai avec ferveur et dignité par un millier de personnes de tous pays. Une dizaine de rescapés de l’enfer national-socialiste étaient là pour témoigner, sans doute pour la dernière fois.[1]

Le plus grand nombre de déportées à Ravensbrück venait d’Europe de l’Est, un tiers de Pologne, pays catalogué d’après l’idéologie raciale nazie dans la race des « sous-hommes slaves ! » Si le camp de Ravensbrück fut aussitôt transformé en caserne par les Soviétiques, celui de Sachsenhausen, comme Buchenwald, devint l’un de ces 10 « camps spéciaux » mis en place dès mai 1945 dans la zone d’occupation soviétique en Allemagne (SBZ). Officiellement pour « nettoyer l’arrière des troupes combattantes de l’Armée rouge des éléments ennemis », en fait pour y déporter, sans jugement, tout opposant considéré comme ennemi potentiel. Dans ces Spezlag les prisonniers étaient des esclaves coupés du monde. Dans ces « camps du silence » (Schweigelager), entre 1945 et 1951, plus de 1 100 000 personnes sont mortes et enterrées dans des fosses communes ou incinérées, avant que l’URSS ne transfère ces camps à la RDA, après sa création le 7 octobre 1949. Certains comme le camp de concentration de Bautzen, constitueront, jusqu’à la chute du mur « l’annexe carcérale de la STASI » (« Stasi-Knast »).

Les leçons de Ravensbrück

Les survivantes que j’ai pu rencontrer m’ont toutes dit deux choses : la première est qu’à leur retour, personne n’avait voulu les écouter pendant des années. La seconde est que si les hommes dans les camps avaient su « faire preuve de solidarité », les femmes avaient, elles, en plus « su faire preuve de tendresse et de dépassement », comme me l’a dit un jour Germaine Tillon à Rennes. Elle a été la seule Française à assister en tant que témoin à plusieurs de 7 procès « pour crimes de guerre » qui se tiendront devant un tribunal militaire britannique à Hambourg. Au total, 38 personnes seulement ont été reconnues coupables, dont 21 femmes. 18 condamnations à mort seront prononcées. Le regret de Germaine Tillon est que « la justice ne soit pas passée, la justice britannique était une justice individuelle qui n’était pas faite pour juger des crimes commis en bande organisée ». La plupart des accusés se sont mutuellement rejeté la faute les uns sur les autres, faute de preuves, six d’entre eux seulement seront condamnés à mort et exécutés !

850 bébés sont nés à Ravensbrück. Six ont survécu, dont trois français !

La règle pour les femmes était d’avorter avant le 8e mois ou de noyer le bébé quand il n’était pas étranglé d’une main par un gardien. Les autres étaient abattus aux pieds de leur mère, parfois lancés en l’air comme au tir au pigeon et fauchés par des tirs de mitraillette. Une récréation pour les gardiens. 25 enfants de mère française naîtront à Ravensbrück : trois survivront. C’est le cas de Jean-Claude Passerat, toujours combatif, qui était présent. Né dans le camp le 13 décembre 1944. Sa mère, Résistante avait 24 ans. Ne pouvant allaiter, c’est une Russe et une tzigane qui ont pris le relais…

La France était représentée par l’ambassadeur de France en Allemagne, François Delattre, dont des proches parents ont connu l’enfer des camps nazis. Il entourait les dernières survivantes venues avec leur amicale. Il y avait bien sûr le Souvenir Français et l’Union des Français de l’étranger, les deux plus anciennes associations patriotiques françaises et l’AASSDN venue rendre hommage à la mémoire de nos anciens, femmes et hommes déportés, Résistants arrêtés pour terrorisme, portant sur eux une lettre disant qu’ils pouvaient être exécutés à chaque instant.

Ravensbrück, l’enfer des femmes

A Ravensbrück, entre mai 1939 et mai 1945, 123 000 femmes ont été déportées provenant de 40 pays 30% étaient originaires de Pologne, 20% d’Allemagne et d’Autriche, 15% étaient, en majorité hongroise, 15% étaient françaises. Soit 6 000 femmes !

Le premier convoi de Françaises est arrivé en 1942 avec 237 détenues. Mais à partir de 1943, les convois se sont multipliés avec l’arrivée de femmes arrêtées pour fait de résistance. Au début, les Françaises étaient mal accueillies par les Polonaises qui reprochaient à la France de les avoir trahis, imaginant même compter des indics parmi elles, mais leur attitude va s’infléchir quand elles vont se rendre de l’esprit de résistance qui les animait.

Parmi elles, de nombreuses femmes, jeunes, qui avaient décidé de tout faire pour ne pas travailler dans des usines d’armement. Certaines comme Germaine Tillon et Geneviève De Gaulle se sont vite imposées comme des exemples.

Parmi les résistantes françaises à Ravensbrück, comment ne pas évoquer encore le nom de femmes d’exception, comme Marie-Berthe Sérot, épouse du commandant André Sérot, — figure emblématique du 2e Bureau français — ou encore Jeannette L’Herminier, déportée en février 1944. 

Jeannette L’Herminier armée de deux petits crayons mobilise ses camarades d’infortune

Marie-Altée « Jeannette » L’Herminier était la sœur du capitaine de corvette, Jean L’Herminier, commandant le sous-marin Casabianca, qui, refusant de se saborder, décide le 27 novembre 1942 de prendre la mer sous le feu de l’ennemi pour rejoindre la France-Libre… Jeannette s’engage dans la Résistance et cachera des pilotes alliés qui seront rapatriés en Angleterre via Plouha. Le 19 septembre 1943, elle sera arrêtée avec sa belle-mère à Paris par la Gestapo : les deux femmes cachaient un aviateur américain et transférées à Ravensbrück.

Les femmes sont appelées parfois à jouer un rôle exceptionnel pendant la guerre pour lequel la plupart n’ont pas été préparées. Les circonstances, le courage, la volonté, la foi les ont guidées.

A Ravensbrück, comme dans les autres camps, les personnes considérées comme inaptes au travail étaient exécutées dans la foulée. « Pas de bouches inutiles » !

Pour Hedy Belhassine, « cet hommage aux anciens est un devoir, mais comment ne pas avoir une pensée pour tous ces hommes et ces femmes de l’ombre, ces « honorables correspondants » qui n’ont jamais eu d’existence légale faisant sienne la phrase de Pierre Brossolette sur ces « soutiers de la gloire » … « ces combattants d’autant plus émouvants qu’ils n’ont point d’uniformes ni d’étendards

Parmi ces femmes de l’ombre en lutte contre la barbarie nazie, comment ne pas citer encore l’exemple d’Eugénie-Malika Djendi, de père algérien et de mère corse, qui s’est engagée le 11 janvier 1943 dans ce Corps féminin des transmissions. Après la campagne de Tunisie, elle rejoint à l’automne les services de contre-espionnage de l’armée dirigés par le commandant Paul Paillole. Formée à Staoueli, près d’Alger où se trouvent le centre d’entrainement du bataillon de choc et un centre de formation anglo-américain engagé dans la libération de la Corse (« Mission Massingham »).

Eugénie rejoint l’Angleterre le 20 mars 1943 où elle retrouve Marie-Louise Cloarec, Pierrette Louin et Suzanne Mertzizen. Le 9 avril 1944, elle s’embarque à bord d’un Halifax du 161st Squadron de la RAF à Tempsford pour être parachutée lors de la mission « Syringa » avec Georges Penchenier (alias Lafitte, alias Le Gorille, qui connaîtra la célébrité avec ses romans d’espionnage de la série noire) et Marcel Corbusier (alias Leblond) dans la région de Sully-sur-Loire, dans le Loiret.

Les Merlinettes françaises et leurs sœurs d’armes britanniques

Pas étonnant qu’un détachement britannique des FANY ait été envoyé à Ravensbrück. Des jeunes femmes volontaires, avec, comme les Merlinettes, un statut particulier d’auxiliaires. Le général Mermet a voulu voir dans la présence de ce détachement britannique « un clin d’œil british de l’histoire » avec nos Merlinettes… A l’origine, le FANY (First Aid Nursing Yeomanry) était un corps d’infirmières volontaires, considérées comme des auxiliaires d’élite. Pendant la 2e Guerre Mondiale, nombre d’entre elles serviront en France occupée comme radio ou agents de liaisons. Celles qui seront capturées seront fusillées ou transférées à Ravensbrück et exécutés à la veille de l’arrivée des troupes soviétiques.

L’enfer de Ravensbrück durera jusqu’au dernier jour. Plusieurs milliers de détenues furent éliminées juste avant la libération du camp. Les dernières exécutions eurent lieu le 25 avril : les onze détenues employées au crématorium furent empoisonnées par leurs gardiens.

Quand les équipes de la Croix Rouge danoise et suédoise sont arrivées sur place, il restait encore 3 500 femmes et 300 hommes. 20 000 personnes encore capables de marcher avaient été conduites la veille sur les routes pour une marche forcée, pour « la marche de la mort », en chantant ce chant des marais. Interceptées en route, fort heureusement, elles durent la vie sauve à un détachement soviétique.

À Sachsenhausen, les 20 et 21 avril 1945, plus de 33 000 détenus encore capables de marcher furent contraints de quitter le camp en direction du nord-ouest. Des milliers d’entre eux, trop faibles pour suivre le rythme, furent abattus sommairement par les gardes SS. Le plan initial des SS était de les parquer sur des navires en mer Baltique et de les couler.

« Lieux de mémoire au double passé »

A Sachsenhausen, l’après-midi du 4 mai, même si la cérémonie dans le camp s’est déroulée devant la porte de la station Z, le four crématoire, l’ambiance mais aussi le public étaient différents. A Ravensbrück, on célébrait le martyre de femmes appartenant à 40 pays. A Sachsenhausen on honorait à la fois des dizaines de milliers de victimes du IIIe Reich nazi et ceux des Soviétiques avant qu’ils ne passent le relai à la RDA dont la funeste STASI n’avait rien à envier au NKVD.

Joël-François DUMONT
Membre de l’AASSDN
25/08/2025

[1] Le système concentrationnaire nazi : https://european-security.com/le-systeme-concentrationnaire-nazi/




“Eric DENECE était mon ami” : Hommage du Préfet Yves Bonnet

Éric Denécé était mon ami. Il le reste au-delà de la mort. Pourtant, rien, ou presque, ne nous était commun : formation, parcours professionnel, âge, nous n’aurions  pas dû nous rencontrer, encore moins, partager centres d’intérêt, analyses, méthodes, pour un métier que je n‘ai abordé que par le choix que fit François Mitterrand de me confier la direction de la surveillance du territoire dans une période où l’espionnage soviétique et la subversion violente (communément et improprement dénommée terrorisme) menaçaient lourdement les intérêts et l’indépendance de la France.

J’en avais d’ailleurs fini avec mon parcours préfectoral et m’étais engagé en politique quand nos parcours se sont croisés, puis sont devenus parallèles, avec cet avantage que je possédais sur beaucoup d’être devenu disciple et ami de Pierre-Marie Gallois et de Paul-Marie de La Gorce, maîtres incontestés de la géopolitique française. C’est sur ce chemin qu’Eric Denécé et moi avons emprunté pratiquement ensemble qu’il nous a été donné de confronter nos analyses, avec des moyens différents mais en nous référant à, la même méthode et à la même déontologie. Éric m’a ainsi demandé de figurer au sein du jury de l’Université de Bordeaux qui a ratifié sa thèse et pris le « risque » de se soumettre à mon jugement.

Au fil de nos rencontres, je me suis rapproché du CF2R dont j’apprécie les collaborateurs, en particulier dans le domaine de la prospective stratégique et il m’a demandé de collaborer à son Histoire de renseignement qui, même inachevée, restera comme sa grande œuvre, en un domaine dont nous n’avons plus toujours les clés quand en disparaissent les pionniers et je pense à ce sujet au général Gallois.

J’avais, pour ma part, demandé à Éric de se joindre à la mission que nous avons faite en Libye quelques jours avant le renversement de Mouammar Khadafi avec, en particulier, Saïda Benhabilès et Roumiana Ougartchinska et que nous avons concrétisé par un rapport envoyé à tous les parlementaires dont deux seulement, Marine Le Pen et une députée communiste, ont bien voulu saluer l’honnêteté et la pertinence

Sans doute, les accusations et les anathèmes dont Éric a fait l’objet me sont-ils appliqués et c’est pourquoi je me sens investi de la mission, non pas de façon grandiloquente, mais avec le souci du professionnalisme et de la vérité, d’expliquer ce que fut son combat et de convaincre de le poursuivre ceux qui ne versent pas dans l’imprécation et le parti-pris.

Éric est précisément cela : il refuse les idées toutes faites, il s’attache aux faits, mesure les jugements. Sur tous les domaines où nous nous sommes concertés, je peux témoigner de son honnêteté et de sa capacité à se remettre en cause. Par exemple, sur la guerre qui déchire aujourd’hui l’Europe orientale et qui fut soigneusement fomentée de l’autre côté de l’Atlantique, je suis régulièrement preneur de ses informations, depuis février 2022 et je peux affirmer qu’elles sont toutes été corroborées par l’implacable déroulement des événements.

De mes propres positions sur l’Ukraine et la Syrie, je peux produire les articles parus sous ma signature dans la revue algérienne El Djazair. Elles se recoupent avec celles nous avions sur la Libye et dont les faits démontrent aujourd’hui combien elles furent prémonitoires. Assassiner Khadafi ne fut pas seulement ignominieux – et je ne voudrais pas être à la place de ses assassins – mais stupide. Le déferlement d’une immigration qui ne peut être contrôlée que de l’autre côté de la Méditerranée est là qui condamne Nicolas Sarkozy avant même Hollande et Macron, tous organisateurs, à des titres divers, d’une vraie guerre que nous sommes en train de perdre. Quand avec des trémolos dans une voix soigneusement travaillée, le président en titre agite la menace imaginaire d’un pays qui a payé pour tous le prix de la victoire sur le nazisme, il oublie qu’il nous a instillé la pire maladie qui soit, la perte de notre identité.

Éric n’a eu de cesse de dénoncer les vrais dangers que nous affrontons : notre déchristianisation, notre soumission à des dérives sociétales fatales, ou, simplement, notre capitulation devant l’impérialisme capitaliste. Karl Marx que je combattais derrière l’étendard de Raymond Aron avait finalement raison et nous l’ignorions. Les gouvernements qui ont expédié des millions de jeunes Français se battre contre le FLN des accords de la Soumam n’ont pas seulement ravagé des consciences. Ils ont creusé un fossé dans lequel deux peuples se noient à présent. Quand la classe politique française se réjouissait sous cape, dans les années noires, des malheurs de l’Algérie, à la notable exception du parti communiste, elle n’était pas seulement injuste mais stupide et nous en payons à présent le prix.

Eric m’écoutait quand je développais devant lui cette idée simple que, de part et d’autre de la Méditerranée, deux peuples, l’algérien et le français,  sont condamnés à la cohabitation ou, si l’on préfère, qu’il est trop tard pour les séparer. Autant organiser notre liaison puisque nous nous la sommes imposée. Autant restaurer la bonne entente que l’Église catholique avait su proposer et imposer entre chrétiens et musulmans et que juifs, hier, évangéliques, aujourd’hui, avaient installée pour faire de cette terre une société multireligieuse, comme il en est, à présent, de la nôtre. Je crois l’en avoir convaincu et il m’a, en tout cas, permis de m’exprimer sur ce point. Car, en toute chose, Éric avait pour méthode d’écouter, de parfaire sa connaissance du sujet ou de la situation, de confronter avec ses collaborateurs, puis de proposer la meilleure lecture.

Il pouvait y prétendre dans la mesure où il avait en lui ces deux qualités qui font le bon géopoliticien :  la connaissance et le recul. Il y ajoutait même l’honnêteté, denrée rare en des temps où l’argent et le parti pris imposent au monde des « narratifs » qui servent des intérêts rarement bienveillants. Il est, en effet, navrant de constater qu’en une époque où nous disposons de toutes les clés de la vérité, l’intrusion de personnages aussi détestables que les Soros, ou, à une échelle beaucoup plus modeste, Nicolas Tenzer ou d’organisations aussi perverses que l’OTAN, finissent par triompher de la Vérité jusqu’à mettre à bas des nations ou des États entiers.

Bien peu nombreux sont ceux qui osent s’élever contre ce viol des consciences qui nous tient lieu d’« opinion publique ». Comme cela fut le cas à propos du déchirement de la Yougoslavie et de la Serbie, de l’assassinat de l’Irak et, au passage de l’élimination de Saddam Hussein, de la dispersion de la Libye, et, au passage de l’ignoble exécution de Mouammar Khadafi, des brutales et cyniques interventions en Syrie, en Afghanistan, la liste est impressionnante des erreurs – pour être gentil – que, sous l’égide américaine, nous avons contribué à perpétrer, au risque de déstabiliser le monde.

Sur chacun de ces sujets, Éric était parvenu à placer un coin entre bêtise et suffisance. Il ne s’est jamais aventuré à pontifier dans un domaine simple et noble : celui d’informer et d’expliquer, sans parti pris, en se référant aux faits. Entouré de vrais chercheurs, il a fait du CF2R une maison où il était permis de travailler en toute indépendance et où, par son entregent, il avait réussi à attirer quelques-uns parmi les grands de la géopolitique.

J’étais un ami de Pierre-Marie Gallois, qui restera comme un des plus grands géopoliticiens contemporains. Sa fulgurante analyse Le Sang du pétrole avec ses deux tomes , Irak et Bosnie, a redonné aux conflits présents leur vraie dimension et situé la politique américaine – avec son bras armé de l’OTAN – comme la principale source de déstabilisation mondiale. Éric, comme Jacques Baud, Edouard Husson, Hervé Caresse, Alain Juillet, ou Luc Ferry ou encore l’historienne Annie Lacroix-Riz, représentent l’« école française du renseignement » qui ajoute aux grands courants de l’Histoire une finesse d’analyse et une précision factuelle qui nous rendent une vraie crédibilité. Il n’en est que plus navrant que s’éteigne pareille voix.

Rien n’est imputable au hasard et je suis de ceux qui ne craignent pas d’afficher leurs doutes d’un « suicide » qui fait les affaires des instigateurs d’une désinformation cyniquement propagée au nom de contorsions sémantiques et d’une désinformation qui n’a rien à envier au Propaganda staffel ou à l’Agitprop.

Sur le sujet de l’Ukraine comme sur celui de l’islamisme radical comme sur celui de l’Afghanistan, comme sur celui du printemps arabe, il n’avait de cesse d’écouter, d’écrire, d’informer. Lorsque nous avons rencontré Abdallah Senoussi à Tripoli, dans des conditions pittoresques, sous un parasol, au milieu d’une cour, j’avais apprécié la pertinence de ses questions et, au passage, la franchise de l’entretien, dont il avait fait le verbatim. Il prit la direction de la synthèse qui est intégrée dans la Face cachée des révolutions arabes fascicule passé inaperçu alors que s’y trouve l’explication prémonitoire de la crise syrienne qui n’a toujours pas effacé toutes ses conséquences. Il avait devant lui le vaste espace des deux crises majeures -mais non les seules – qui fracturent le monde et menacent d’en clore définitivement le cours. De qui ses prises de positions gênaient-elles les intérêts ? Poser la question, c’est y répondre.

Je l’avais appelé voici deux mois pour solliciter son avis sur l’idée qui m’est venue de traiter autrement le problème de Mayotte qu’en termes d’assistance mais, au contraire, dans la dynamique d’un positionnement géostratégique dans le canal du Mozambique et d’un retour à notre vocation maritime. Il l’avait dans un premier temps, écartée pour, dès le lendemain, revenir sur sa position et co-signer, comme nous l’avons fait tant de fois, un article qu’il avait fait paraître dans « Front populaire ». Ce sera sa dernière contribution au grand retour de la France sur la scène internationale qui se fait cruellement attendre.

J’en veux terriblement à ceux qui l’ont fait taire, à ceux qui n’ont pas salué son grand départ, ou qui s’en réjouissent, à tous les stipendiés du pouvoir qui pontifient, glosent, jugent, classent pour, en fin de compte, briser la démocratie. Je ne souris même plus des « philosophes » autoproclamés, minutieusement débraillés, ridicules acteurs d’une décadence en marche. Je plains tous ceux qui l’ont un peu assassiné faute d’honnêteté.

Je les quitterai bientôt, sans regret. Et sans avoir recours au suicide.

Préfet Yves BONNET

Source photo : Wikimedia Commons




Vidéo : Comprendre l’Italie de Giorgia MELONI

Dans le cadre d’un partenariat, TVLibertés a le plaisir de vous proposer cet été quelques programmes d’OPEN Box TV, la chaîne d’Alain Juillet, ancien patron du renseignement à la DGSE.

Dans cette émission, Alain Juillet et Claude Medori reçoivent Emmanuel Dupuy, géopolitologue et président de l’IPSE, pour revenir sur l’ascension de Giorgia Meloni et la transformation politique de l’Italie. En combinant stratégie économique, proximité avec les citoyens et diplomatie agile, Meloni s’est imposée comme une figure centrale en Europe. Elle réinvente son parti et redéfinit l’image de l’Italie, entre souveraineté nationale et coopération européenne. Sa vision méditerranéenne, son engagement envers l’Afrique et son positionnement mesuré sur l’OTAN témoignent d’un leadership équilibré. À travers elle, l’Italie devient un acteur moteur dans une Europe en recomposition.

Date de mise en ligne :  14/08/2025
Durée : 00:53:28
Compte YouTube : Open Box TV




Un indice pour identifier les risques de désindustrialisation des territoires

Face à une désindustrialisation persistante, le Centre de recherche appliquée de l’EGE propose un indice multicritère de risque pour détecter en amont les vulnérabilités industrielles. Une approche innovante d’intelligence économique au service de la puissance économique.

Désindustrialisation : un nouvel outil indispensable pour l’anticiper et l’éviter

Depuis trente ans, la France décroche. La part de l’industrie dans le PIB est passée de 17 % à 10 % entre 1995 et 2024, accompagnée de la perte de deux millions d’emplois (source : CR451, 2025). Malgré les signaux de reprise portés par France 2030, la dynamique globale reste fragile. Le CR451, centre de recherche appliquée de l’École de Guerre Économique, estime que les outils d’évaluation actuels, essentiellement descriptifs et « post mortem », sont inadaptés à l’anticipation des décrochages industriels.

Pour remédier à cette cécité stratégique, le CR451 développe un indice de risque de désindustrialisation, combinant neuf critères clé : positionnement stratégique, vulnérabilité technologique, politiques publiques, santé financière, fiscalité, gouvernance, emploi, ancrage territorial et image de marque.

Cette approche systémique vise à identifier les entreprises à risque avant qu’il ne soit trop tard — et à permettre une mobilisation coordonnée des acteurs concernés (État, collectivités, syndicats, investisseurs, experts, citoyens engagés).

Études de cas sur dix entreprises emblématiques représentatives des enjeux industriels actuels

La première phase d’analyse porte sur dix groupes industriels emblématiques : Alstom, Arkema, ArcelorMittal, Danone, Michelin, Renault, Sanofi, Seb, Schneider Electric, Valeo. L’objectif est d’identifier leurs fragilités structurelles sur la base d’un diagnostic multicritère. Ce travail préfigure un projet de mise en place d’un Observatoire national du risque de désindustrialisation, à horizon 2026.

Un indice de vigilance proactive et d’anticipation pour agir

Cet indice, dans sa conception, relève d’un changement de paradigme. Il rompt avec une logique d’intervention a posteriori pour inscrire la réindustrialisation dans une stratégie préventive. L’outil est aussi pensé comme un support d’aide à la décision pour les ministères concernés — Économie, Industrie, Transition écologique, Cohésion des territoires, Recherche. Il permettrait une meilleure allocation des aides publiques et une priorisation des actions en fonction de la criticité des signaux détectés.

Mais l’enjeu dépasse la simple planification industrielle. Il s’agit de réarmer la capacité française d’alerte face aux logiques de « désancrage » territorial, de délocalisation ou de fermeture et de dépendance stratégique. L’indice proposé devient ainsi un instrument d’intelligence économique, capable d’éclairer les rapports de force en amont, de détecter les fragilités d’un tissu productif et d’en informer les parties prenantes.

Le cas de Renault, qui a connu plusieurs vagues de restructuration, ou celui de Sanofi, régulièrement interpellé sur la relocalisation pharmaceutique, illustrent à quel point l’absence d’anticipation peut fragiliser la souveraineté industrielle. Dans ces situations, les signaux faibles — changement d’actionnaire, réduction de la R&D locale, cessions d’usines — étaient souvent visibles, mais n’ont pas déclenché de réponse coordonnée.

En lançant ce projet, le CR451 propose une lecture stratégique du risque industriel, croisant données économiques, signaux d’alerte et analyse des dynamiques territoriales. Il invite à une forme d’« hygiène de l’anticipation stratégique » face à la désindustrialisation, où l’information devient un levier d’action collective.

Malgré les discours volontaristes, la désindustrialisation risque fort de se poursuivre. Nous sommes là pour alerter et fournir des outils d’analyse concrets.

Élargissement de l’analyse à la rentrée 2025

À la rentrée 2025, le panel d’entreprises évaluées sera élargi et l’outil rendu davantage accessible aux acteurs économiques. Il pourrait alors devenir une référence dans les politiques de compétitivité, à l’instar des baromètres technologiques ou ESG. En France comme à Bruxelles, la désindustrialisation ne peut plus être traitée comme un simple symptôme économique : c’est un indicateur de vulnérabilité stratégique.

L’intégralité du rapport est accessible sur le site du CR451. Il est également présenté, avec ses études de cas, dans plusieurs vidéos disponibles sur la chaîne YouTube du CR451.

Arnaud de MORGNY
Directeur-adjoint du CR451
Centre de recherche appliquée de l’École de Guerre Économique
16 juillet 2025




Armement. MBDA continue d’accélérer la production des missiles Aster

  • MBDA a livré, à travers l’OCCAr (Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement), un premier lot de munitions Aster ayant bénéficié des mesures d’accélération mises en place dans le cadre de la montée en puissance de la production.
  • Cette première livraison intervient moins de deux ans et demi après la signature du contrat avec l’OCCAr, qui vise notamment à renforcer les capacités de défense anti-aérienne de la France et de l’Italie, et cinq mois après le contrat supplémentaire pour compléter les stocks et accélérer la production des missiles Aster, y compris pour le Royaume-Uni.
  • Cette livraison constitue une première étape vers les objectifs de réduction des délais de production annoncés. Elle témoigne des investissements réalisés par MBDA et ses partenaires industriels pour répondre aux besoins de ses clients et renforcer la résilience de l’Europe face aux nouvelles menaces.

Le 23 juillet 2025, MBDA a livré, en moins de deux ans et demi, le premier lot de missiles Aster, commandés en décembre 2022 dans le cadre d’une acquisition conjointe pilotée par l’OCCAr auprès d’Eurosam, le GIE franco-italien de MBDA et Thales. Cette acquisition, lancée en coopération entre la France et l’Italie et complétée par une nouvelle commande en février 2025, vise à renforcer les systèmes de défense anti-aérienne des pays européens avec la production de près de 1 000 missiles Aster pour les forces armées de l’Italie, du Royaume-Uni et de la France.

La production accélérée de ces missiles est une première étape vers les objectifs de réduction des délais de production annoncés. Elle résulte des investissements conséquents de MBDA ainsi que des actions mises en place par le Groupe avec ses clients et ses partenaires afin de répondre aux enjeux de montée en puissance de la production. Elle confirme la capacité de MBDA à tenir ses engagements pour réduire de plus de deux fois le cycle de production des missiles Aster en 2026, par rapport à 2022, et de livrer 5 fois plus de missiles Aster qu’initialement prévu en 2025.

Eric Béranger, CEO de MBDA, a déclaré : « La livraison des premiers missiles ASTER qui ont bénéficié de délais de production significativement réduits est un succès pour l’ensemble des équipes de MBDA, que je remercie pour leurs efforts continus, ses partenaires industriels et les acteurs étatiques impliqués. C’est une preuve de notre engagement aux côtés de nos clients pour assurer la montée en puissance de notre outil industriel et le renforcement de la base industrielle et technologique de défense. Cette accélération permet aux forces armées françaises, italiennes et britanniques de disposer de systèmes de défense antiaérienne essentiels pour protéger le ciel européen, comme le montre l’utilisation de l’Aster en Mer Rouge et en Ukraine, et d’accroître les capacités de défense de l’OTAN. »

Initiées dès 2024 par MBDA, ces mesures ont été formalisées en février 2025 à travers une commande de missiles Aster supplémentaires pour la France, l’Italie et le Royaume-Uni et l’accélération de la livraison des missiles déjà commandés. Elles reposent sur les efforts d’anticipation de MBDA, à travers des investissements dans l’outil de production, notamment sur les sites de Bourges et Selles-Saint-Denis en France et de Fusaro en Italie, des recrutements significatifs, la constitution de stocks de matière première et de composants, ainsi que l’accompagnement de toute la chaîne de valeur en Europe.

Entre 2023 et 2025, MBDA aura ainsi doublé la production de missiles neufs pour l’ensemble du Groupe et continuera à investir, entre 2025 et 2029, 2,4 Md€ pour assurer la montée en puissance de la production dans les prochaines années.

Site MBDA
30 juillet 2025

A propos de MBDA
MBDA est un groupe européen multinational unique, un leader mondial dans le domaine des systèmes d’armes complexes, jouant un rôle clé dans la protection des nations. Créé dans un esprit de coopération internationale, MBDA et ses plus de 18 000+ collaborateurs travaillent ensemble dans l’objectif de soutenir la souveraineté nationale de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne et du Royaume-Uni, ainsi que des pays alliés dans le monde entier. En tant qu’accélérateur d’innovation, MBDA est le seul groupe européen capable de concevoir et de fabriquer des armes complexes pour répondre à toutes les exigences opérationnelles, actuelles et futures, des trois forces armées (Terre, Mer et Air). MBDA est détenu par Airbus (37,5 %), BAE Systems (37,5 %) et Leonardo (25 %).

Source photo : MBDA




Espace : Cinq satellites d’observation en orbite grâce la fusée Vega-C

« Bravo aux équipes ! » 
Mission réussie pour la fusée Vega-C qui place cinq satellites d’observation en orbite

A Kourou, la petite fusée européenne Vega-C a décollé dans la nuit de vendredi à samedi pour un vol important pour l’Europe spatiale. Un succès pour le CNES. Un nouveau vol d’Ariane 6 doit avoir lieu en août.

Mission réussie. L’opération était importante, à la fois pour l’accès européen à l’espace et pour la capacité d’observation des scientifiques et militaires du Vieux Continent. Le petit lanceur européen Vega-C a décollé vendredi soir à l’horaire prévu, à 23 h 03 heure locale (02 h 03 GMT), depuis le centre spatial de Kourou en Guyane française.

Peu après, la mise en orbite à deux hauteurs différentes des cinq satellites logés dans la fusée a été accomplie. Celle du satellite MicroCarb, devant cartographier les puits de CO2 présents sur Terre pour le Centre national d’études spatiales (CNES). Et celle des quatre satellites CO3D lancés pour le compte d’Airbus Defense and Space et du CNES.

« Un tir très important pour la France »

Cette dernière, une constellation est destinée à fournir une cartographie du globe en trois dimensions et en haute résolution, doit avoir une durée de vie d’environ huit ans.

C’était « un tir très important pour la France, soulignait jeudi Lionel Suchet, le directeur général délégué du CNES. Ces cinq satellites de petite taille sont super-innovants, ils offrent des performances jamais égalées dans l’univers des petits satellites à bas coût. »

Il s’agit du troisième lancement de l’année depuis le centre spatial guyanais, et le deuxième lancement de Vega C. Un prochain lancement, avec le lanceur Ariane 6, est prévu courant août, a priori le 12, pour envoyer en orbite les deux premiers satellites de météorologie de la dernière génération MetOp, qui comprendra trois paires de satellites embarquant chacun des instruments particuliers et sophistiqués.

Les Echos
27 juillet 2025

Source photo : Ciel et Espace




La base industrielle et technologique de défense (BITD) confrontée à un niveau de menace élevé

Un rapport de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale souligne l’augmentation forte des menaces contre la base industrielle et technologique de défense, touchant surtout les PME, via espionnage, cyberattaques ou prises de contrôle capitalistiques. L’objectif est de protéger les actifs stratégiques et préserver la souveraineté industrielle et technologique de la France et de l’Europe.

La menace s’intensifie. Le nombre d’atteintes caractérisées contre des entités de la BITD ou des organismes de recherche de défense se situe entre 500 et 550 par an. On compte par ailleurs 750 à 800 alertes de sécurité économique chaque année contre des entreprises ou des actifs stratégiques, soit plus du double de 2020 ([1]).

80 % des atteintes visent les PME. Nos compétiteurs stratégiques tentent d’attaquer les grands groupes et de paralyser nos chaînes de valeur en visant les sous-traitants qui ont de moindres capacités à se défendre.

Les menaces sont de plus en plus protéiformes. Si les atteintes physiques (vols, intrusions non autorisées, sabotages) et les atteintes humaines (espionnage stratégique, économique et technologique) restent importantes, elles s’accompagnent de menaces informatiques, juridiques (lawfare), capitalistiques et informationnelles.

Les menaces viennent de tous nos compétiteurs stratégiques. Les ingérences étrangères les plus graves proviennent naturellement de la Russie et de la Chine ainsi que d’autres pays dont l’industrie de défense est concurrente de la nôtre, mais certaines proviennent aussi de pays qui sont nos alliés sur le plan géostratégique, en tête desquels les États-Unis.

● Les services de l’État ont renforcé les moyens qu’ils consacrent à l’intelligence économique et se sont réorganisés afin de mieux assurer leurs missions de sécurité et de promotion économiques.

La direction générale de l’armement (DGA) exerce depuis longtemps une compétence en matière d’intelligence économique et de protection des entreprises de la BITD. La création d’une direction de l’industrie de défense, actée en 2024, a renforcé la concentration des moyens alloués par le ministère des armées à ces sujets, avec une trentaine de créations de postes et de nouveaux leviers d’action (bureau cyber, campus OSINT, posture plus offensive).

Le service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSÉ), qui pilote et coordonne au niveau interministériel la protection des entreprises, technologies et organismes de recherche stratégiques, est monté en puissance depuis 2020 et a pris une ampleur à la mesure des enjeux de sécurité économique. Ses effectifs ont augmenté de 24 ETP en 2016 à 32 ETP en 2025, auxquels s’ajoutent 24 délégués régionaux.

Les services de renseignement, en particulier la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) et la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) pour ce qui concerne la BITD, sont aussi plus actifs. La stratégie nationale du renseignement de 2019 compte la défense et la promotion de nos intérêts économiques et industriels parmi les enjeux prioritaires. Les moyens alloués à la contre-ingérence économique tendent à rattraper ceux prévus pour la lutte contre le terrorisme.

● Plusieurs dispositifs de sécurité économique ont été renforcés pour accroître les moyens d’action de l’État.

Le contrôle des investissements étrangers en France (IEF) a été modernisé, avec un élargissement de la liste des investissements soumis à autorisation, une extension des secteurs et des technologies considérés comme stratégiques et un durcissement des sanctions. S’il est essentiel de maintenir l’attractivité économique de la France, les flux de capitaux étrangers au sein de la BITD doivent rester maîtrisés. Lorsque des intérêts nationaux sont en jeu, la DGA négocie avec les investisseurs étrangers une lettre d’engagement destinée à éviter le pillage, la vente à la découpe, la sortie des centres de R&D du territoire national voire à mettre sous cloche les activités stratégiques. Pas moins de deux cents lettres d’engagement sont actives, dont la DGA assure un suivi strict, assorti de pénalités si elles ne sont pas respectées. Seules deux marges de progression ont pu être identifiées par le rapporteur spécial : mieux anticiper la sortie des fonds d’investissement et développer la pratique des proxy boards pour renforcer le suivi des engagements imposés aux investisseurs étrangers.

Recommandation n° 1 : Dans le cadre du contrôle des investissements étrangers en France, mieux anticiper la sortie des fonds d’investissement.

Recommandation n° 2 : Dans le cadre du contrôle des investissements étrangers en France, généraliser la pratique du conseil d’administration alternatif (proxy board) pour renforcer le suivi des engagements imposés aux investisseurs étrangers.

La loi de blocage du 26 juillet 1968 a été réactivée. Elle interdit à toute personne physique de nationalité française de communiquer à des autorités publiques étrangères des renseignements de nature à porter atteinte à la souveraineté de la France. Elle interdit aussi à toute personne de demander de tels renseignements dans le cadre de procédures judiciaires ou administratives étrangères. Les modalités d’application du dispositif ont été précisées au niveau réglementaire, avec le SISSÉ désigné en tant que guichet unique. Longtemps inappliquée, la loi est devenue crédible et confère désormais une réelle protection aux entreprises et personnes subissant des demandes d’information abusives de la part d’autorités étrangères. Le nombre de saisines a été multiplié par cinq par rapport à la période antérieure. Le rapporteur spécial salue l’action des services de l’État, qui sont parvenus à redonner à un outil ancien une utilité réelle. Il relève toutefois la faiblesse des sanctions encourues et recommande d’alourdir le montant des amendes.

Recommandation n° 3 : Alourdir le montant des amendes pouvant être prononcées en cas de méconnaissance de la loi de blocage.

Les moyens consacrés à la cybersécurité des entreprises ont également été renforcés, à la fois au niveau de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) pour les groupes les plus stratégiques et de la DRSD pour les PME de la BITD. La DGA a mis place un référentiel de maturité cyber, afin d’aider les entreprises à élever leur niveau de protection, ainsi qu’une prise en charge partielle des frais de cybersécurisation.

● Un cadre juridique national complet et efficace, qui appelle peu d’évolutions législatives ou réglementaires, mais des moyens budgétaires et humains supplémentaires.

Augmenter les moyens des services de l’État chargés de protéger et de soutenir les actifs stratégiques permettrait de renforcer leurs moyens d’action et d’améliorer encore leur coordination.

Recommandation n° 4 : Augmenter les moyens humains et budgétaires alloués aux services de l’État chargés de la protection des actifs stratégiques.

En outre, le rapporteur spécial estime nécessaire d’ouvrir une réflexion sur la possibilité de réaliser des enquêtes administratives et de délivrer des avis de sécurité pour des personnes souhaitant travailler dans la BITD préalablement à leur recrutement. Une telle possibilité permettrait de constituer un vivier de personnes autorisées ou habilitées dans lequel les entreprises de l’industrie de défense pourraient rapidement trouver la main-d’œuvre dont elles ont besoin, pour couvrir des besoins de recrutement urgents ou temporaires. Cela supposerait d’accélérer la hausse des moyens de la DRSD.

Recommandation n° 5 : Renforcer les moyens budgétaires et humains alloués aux services d’enquête de la DRSD, et envisager un nouveau cadre juridique autorisant la constitution d’un vivier de travailleurs autorisés ou habilités à la disposition des entreprises de la BITD en cas de recrutements urgents ou temporaires.

Les actions de sensibilisation aux risques et aux bonnes pratiques doivent se poursuivre et s’amplifier. Les organismes de recherche, en particulier, présentent des vulnérabilités qui peuvent en faire des cibles pour nos compétiteurs. Les étudiants des écoles d’ingénieurs sous la tutelle du ministère des armées gagneraient aussi à être davantage sensibilisés aux enjeux de la guerre économique.

Recommandation n° 6 : Renforcer la sensibilisation des étudiants des écoles d’ingénieurs sous la tutelle du ministère des armées aux enjeux de la guerre économique.

Afin de renforcer la protection des connaissances et savoir-faire stratégiques dans les entreprises et les organismes de recherche, le rapporteur propose de rendre le cadre réglementaire relatif à la protection du potentiel scientifique et technique (PPST) plus contraignant, en imposant aux entreprises et organismes de recherche les plus critiques de recourir au dispositif, aujourd’hui facultatif.

Recommandation n° 7 : Rendre le cadre relatif à la protection du potentiel scientifique et technique de la nation plus contraignant, notamment pour les entreprises et les organismes de recherche les plus critiques, en renforçant les dispositifs d’accompagnement.

Une évolution progressive de nos outils de télécommunications et messagerie ainsi que de nos moyens de stockage numérique vers des solutions souveraines et sécurisées est possible. Les acteurs français, qui existent et qui constituent une alternative crédible, ne pourront se développer et acquérir une taille critique que s’ils reçoivent des commandes. Un certain degré de contrainte paraît nécessaire, pour imposer aux entreprises, y compris celle de la BITD, d’utiliser des solutions françaises ou européennes, et d’éviter de recourir à certains prestataires lorsqu’il existe une incertitude sur le stockage des données. Au delà de la seule question de la BITD, le rapporteur spécial estime en outre que les élus de la Nation ont un devoir d’exemplarité dans l’utilisation d’outils numériques sécurisés.

Recommandation n° 8 : Imposer progressivement aux entreprises de la BITD un très haut niveau de protection des données, impliquant le stockage de données sensibles sur des serveurs situés en France ou sur le territoire de l’Union européenne.

Longtemps naïve, l’Union européenne semble progressivement prendre conscience de la nécessité de se défendre elle-même. Sous l’impulsion de la France, l’Union européenne s’est dotée d’outils destinés à renforcer et harmoniser le contrôle des investissements des étrangers. Ce système comporte encore des lacunes, mais la Commission européenne a initié une révision du règlement en vigueur.

La meilleure manière de contrer certaines normes étrangères à portée extraterritoriale dont se servent certains de nos compétiteurs pour atteindre nos entreprises est d’adopter des réglementations équivalentes pour pouvoir les opposer aux autorités étrangères. À cet égard, le rapporteur spécial estime que la loi de blocage du 26 juillet 1968 a fait ses preuves au niveau national et gagnerait à trouver une équivalence au niveau européen.

Recommandation n° 9 : Sur le modèle de la loi de blocage du 26 juillet 1968, adopter un règlement de blocage au niveau de l’Union européenne.

Dans la même perspective, la création d’un label de type « Itar » au niveau européen permettrait aux États membres de l’Union européenne – qui constitueraient collectivement une masse critique suffisante – de s’opposer à certaines demandes abusives des autorités américaines vis-à-vis de leurs entreprises stratégiques, voire de réaliser des contrôles similaires auprès d’entreprises ou d’investisseurs étrangers.

Recommandation n° 10 : Mettre en place un label de type « Itar » au niveau de l’Union européenne.

● Face aux difficultés de financement des PME de la BITD, qui perdurent, la nécessité de trouver de nouvelles sources financement innovantes.

Malgré un contexte de plus en plus favorable au financement de l’industrie de défense, au niveau national, dans la continuité de la conférence du 20 mars 2025, comme au niveau européen, un certain nombre de PME auditionnées par le rapporteur spécial ont encore récemment rencontré des refus de financement en raison de leur appartenance au secteur de la défense.

Il est tout d’abord nécessaire de réserver les financements européens, en particulier ceux du programme EDIP, aux matériels européens, développés et produits par des entreprises européennes sur le sol européen, afin qu’ils puissent être utilisés, maintenus en condition opérationnelle et modifiées par les armées sans restriction de la part d’un pays tiers.

Recommandation n° 11 : Dans le cadre du programme européen d’investissement dans la défense (EDIP), réserver les financements européens aux matériels européens – composés d’au moins 65 % de pièces développées et produites par des entreprises européennes sur le sol européen – et dont l’autorité de conception est européenne, en limitant les exceptions.

Par ailleurs, les fonds publics visant à protéger les entreprises et les technologies stratégiques ou innovantes demeurent insuffisants : leur dotation est limitée, le nombre d’opérations réalisées chaque année est faible et ils sont difficilement mobilisables pour des levées de fonds de plus de 20 millions d’euros. Le rapporteur spécial appelle donc une nouvelle fois à augmenter les moyens budgétaires alloués par l’État à la protection des entreprises stratégiques et des technologies sensibles, de façon à maximiser les effets de levier qu’il est possible d’obtenir en associant des fonds publics et des fonds d’investissement privés.

Recommandation n° 12 : Renforcer les moyens budgétaires alloués aux fonds publics destinés à la protection des entreprises stratégiques et des technologies sensibles (notamment Definvest et le fonds pour l’innovation de défense).

Les moyens d’action de l’Agence des participations de l’État (APE) pour la protection des entreprises et des technologies stratégiques pourraient être renforcés. Le produit des dividendes perçus par l’État pourrait ainsi être affecté au compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État, afin de conférer à l’APE une possibilité d’intervention contra-cyclique.

Recommandation n° 13 : Pour accroître le rôle de l’Agence des participations de l’État dans la protection des entreprises stratégiques, affecter le produit des dividendes perçus par l’État au compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État.

Il n’en demeure pas moins que remédier aux difficultés de financement des entreprises de la BITD passe avant tout par une meilleure mobilisation des fonds privés. Le rapporteur spécial salue les récentes annonces relatives à la création de fonds de private equity ouverts aux particuliers souhaitant investir dans la BITD. Toutefois, compte tenu du volume d’épargne disponible, il réitère sa proposition de créer un livret défense et souveraineté ou de flécher une partie des encours des livrets réglementés vers les PME de la BITD. En s’adressant à un public plus large, un tel fléchage aurait une portée symbolique plus forte. Il monterait la détermination de l’État à protéger ses intérêts nationaux. Il permettrait également de mobiliser non seulement l’épargne des Français, mais aussi les Français eux-mêmes, autour de la protection des entreprises stratégiques.

Recommandation n° 14 : Créer un livret défense et souveraineté ou flécher une partie des encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire vers les PME de l’industrie de défense.

Enfin, le rapporteur spécial appelle à plus de cohérence fiscale pour contrer les menaces capitalistiques et soutenir les entreprises stratégiques. À l’heure actuelle, une large partie de l’épargne part à l’étranger, notamment aux États-Unis, à la recherche de rendements plus élevés. Afin d’inciter les épargnants à investir dans l’économie française, ou européenne, il pourrait être envisagé de créer un crédit d’impôt spécifique qui permettrait de réduire le montant de l’imposition due au titre des produits des investissements dans des entreprises établies en France ou au sein de l’Union européenne.

Recommandation n° 15 : Créer un crédit d’impôt permettant de réduire l’imposition due au titre des produits des investissements dans les entreprises françaises et européennes.

Enfin, bien que la France dispose d’un cadre juridique solide, éprouvé et exemplaire en matière de vente d’armes et de biens à double usage, certaines banques se permettent de refuser de financer des opérations qui ont pourtant été autorisées par l’État. En conséquence, le rapporteur spécial estime nécessaire d’envisager la possibilité de conférer aux licences d’exportation délivrées par l’État un caractère plus contraignant, qui s’impose d’une manière ou d’une autre aux établissements bancaires.

Recommandation n° 16 : Envisager une évolution du cadre législatif permettant de conférer aux licences d’exportation délivrées par l’État un caractère contraignant pour les établissements bancaires.

Le rapport vous intéresse et vous souhaitez le lire dans son intégralité ? Cliquez ICI

M. Christophe Plassard,
Rapporteur spécial
Commission des Finances , de l’Economie générale et du Contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale
16 juillet 2025




Vidéo. Analyse géopolitique : Trump, Iran, Israël

200 000 abonnés : à l’écoute des analyses géopolitiques d’Alain Juillet

Nous démarrons cette émission avec un hommage appuyé à Éric Denécé, disparu soudainement il y a quelques semaines.

Date de mise en ligne :  25/07/2025
Durée : 00:39:51
Compte YouTube : Open Box TV

00:00 : Introduction
04:15 : Hommage à Éric Denécé
05:40 : Jusqu’où aller dans la diffusion d’informations ?
07:40 : Retour sur les commentaires reçus sous nos émissions
11:45 : Le nucléaire iranien
15:00 : Où est-ce que Netanyahu envoie l’armée Tsahal ?
17:20 : Bombes Anti-bunker
20:00 : Les protagonistes de la guerre Iran/Israël
26:50 : Conflit Israélo-iranien : la réaction des chinois et des russes
36:45 : L’écologie positive
39:00 : Conclusion




Vidéo : Exclusif – La télévision pénètre pour la première fois au sein de la DGSE

Pour la 1ere fois le patron de la DGSE ouvre les portes de l’institution à une télévision

Date de mise en ligne :  08/07/2025
Média : LCI
Invité :
Nicolas Lerner, directeur général de la DGSE
Durée : 00:51:00
Compte YouTube de LCI




Poutine : la Russie doit s’affirmer comme puissance souveraine

Dans une rare confidence à un journaliste russe, Vladimir Poutine revient sur ses débuts à la présidence et reconnaît s’être trompé sur la nature des relations entre la Russie et l’Occident. Pensant d’abord que les divergences reposaient sur l’idéologie, il admet désormais qu’elles relèvent avant tout d’intérêts géopolitiques. De ses illusions des années 2000 à son discours de rupture à Munich en 2007, le maître du Kremlin expose une constante : la Russie ne sera respectée qu’en s’affirmant comme puissance souveraine. Une analyse qui éclaire sa stratégie actuelle et la persistance de l’incompréhension avec les États-Unis et l’Europe.

Commentaire AASSDN : Depuis Sun Tzu nous savons que la connaissance de l’adversaire est primordiale pour comprendre et anticiper. Le renseignement nous apprend également qu’il ne faut pas le mépriser ou lui dénier toute capacité d’analyse et de vision stratégique. Cette interview est passionnante car elle permet de comprendre la vision du maître du Kremlin et nous fournit les clés pour négocier efficacement une fois admis qu’il n’a pas forcément tous les torts.

« Lorsque je suis devenu président, je n’ai pas tout compris immédiatement » confiait, début juillet, Vladimir Poutine à un journaliste russe, Pavel Zarubin. Extraordinaire confidence à un journaliste qu’il connait (1). Qu’est-ce que le président russe, qui est au pouvoir depuis la démission de Boris Eltsine le 31 décembre 1999, intermède Medvedev (2008-2012) inclus, n’avait pas compris ? Que comprend-il aujourd’hui ? Et pourquoi se livre-t-il à cette réflexion maintenant ?

Le texte de l’interview n’est pas encore en ligne. Mais nous avons des vidéos sous-titrées, dont une, trop courte, en français (2) – ainsi que des comptes rendus et citations éparses sur divers sites russes. « Ces commentaires interviennent alors que le président américain Donald Trump cherche à négocier la fin du conflit ukrainien », nous dit RT (3). On peut penser que la difficulté à trouver une issue malgré le dialogue direct engagé avec le président Trump l’a contraint à réfléchir à ce qu’il pouvait en attendre – et quelles raisons de fond, au-delà de la complexité inévitable du moment, expliquent une incompréhension qui devient évidente.

Vladimir Poutine reconnaît que des différends, des divergences avec les Etats-Unis et les pays européens existaient dès les années 2000. « Pourtant, nous avions des illusions, qui portaient sur les points suivants : moi et beaucoup d’autres à l’époque pensions que les problèmes dans les relations entre l’Union soviétique et ‘l’Occident’ étaient avant tout des divergences idéologiques. D’un côté, un régime communiste que beaucoup considéraient comme une tyrannie et de l’autre le monde démocratique, dirigé par les Etats-Unis ». Et, admettant que lui-même, qui avait appartenu pendant vingt ans aux services de renseignement soviétiques, partageait ce point de vue, Vladimir Poutine ajoute : après la disparition de l’URSS (1991), « il n’y avait plus de régime communiste ». Pourtant, les intérêts stratégiques de la nouvelle Russie n’étaient pas pris en compte. L’Occident « est resté indifférent à ses intérêts et à ses préoccupations ».

« Il est devenu évident pour moi que l’idéologie avait peut-être une certaine importance, mais que toutes ces contradictions étaient essentiellement fondées sur des intérêts géopolitiques, c’était l’essentiel ».

Pourtant, rapporte RT (3), l’homme passionné par l’histoire de son pays connaît les liens entre la Russie et la naissance, avec la révolte des Treize colonies contre les Anglais (1776) de ce qui deviendra les Etats-Unis. « Nous les avons vraiment aidés, nous leur avons même fourni des armes, nous les avons aidés financièrement, etc. » – ce qui n’est jamais dit, même ici, où nous regardons plutôt l’aide française aux Insurgés, sans laquelle leur révolte aurait été balayée. De plus, ajoute le président russe, évoquant la guerre de Sécession américaine (1861-1865) opposant les Etats fédérés du président Lincoln au nord à la Confédération dirigée par Jefferson Davis au sud, « nous avons soutenu le Nord pendant la guerre entre le Nord et le Sud. Et dans ce sens, nous avons trouvé quelque chose qui nous a unis ».

Le mot est fort.

RT ajoute que, « malgré de grandes périodes de rivalité, l’histoire entre la Russie et les États-Unis est parsemée de moments de partenariat notables. Outre les exemples mentionnés par M. Poutine, les deux pays se sont engagés dans une coopération économique dynamique dans les années 1930, qui a aidé l’Union soviétique à s’industrialiser tout en aidant les entreprises américaines ébranlées par la Grande Dépression ». Et encore que « les deux nations sont ensuite devenues des alliées pendant la Seconde Guerre mondiale, combattant l’Allemagne nazie et coordonnant leur action dans le cadre du programme de prêts-bails, qui a permis à Washington d’effectuer d’importantes livraisons d’armes et de fournitures à Moscou ». Ce qui est vrai. Sans les armes américaines, les Soviétiques n’auraient pas pu tenir contre les troupes allemandes, sans la résistance russe (entre 20 et 25 millions de morts contre 400 000 américains (4) à comparer aux 620 000 morts pendant la guerre de Sécession), l’Allemagne nazie pouvait durer. 

Et puis, ajoute RT, Soviétiques et Américains ont su trouver un accord au pire moment de la Guerre froide, en 1962 à Cuba.

S’il y avait donc entre « l’Occident » et la Russie un chemin à creuser, il y avait aussi – et dès avant les années 2000, de vraies divergences (pensons à la disparition de la Yougoslavie en 1992, pensons à la Serbie, au Kosovo, 1998-1999). Mais d’autres sont « apparues clairement dès le début des années 2000 », confie Vladimir Poutine à Pavel Zarubin, même si lui et d’autres pensaient que la fin du communisme avait changé la donne. Mais il lui a bien fallu admettre que « l’attitude dédaigneuse envers les intérêts stratégiques de la Fédération de Russie n’était pas seulement dédaigneuse, mais elle était liée à la volonté manifeste d’obtenir des avantages géopolitiques ». Alors, « j’ai commencé à dire à mes collègues occidentaux : écoutez, vous dites une chose, et vous en faites une autre. Voici la preuve. Puis j’ai présenté cette preuve. Ils ont hoché la tête et ils ont dit, oui, oui, nous allons régler ça maintenant ».

« Et rien ne s’est passé. C’était tout le contraire ». La déception a dû être immense. En effet donc, l’URSS disparue, la Russie « pensait qu’elle ferait partie du monde civilisé ». Mais non. La Russie de plus n’avait pas la puissance de l’URSS. Elle était donc priée de vivre selon les « règles » inventées par d’autres pour leurs intérêts.

Tout ce que proposait la Russie était rejeté. « Alors il est devenu évident que tant que nous ne nous affirmerions pas comme une puissance souveraine indépendante capable de défendre son avenir, nous ne serions pas respectés ». Était-ce risqué ? demande Pavel Zarubin. « Oui, dans un sens, c’est risqué ». Mais visiblement, Vladimir Poutine a pris sa décision – il va dire clairement les choses. Nous sommes en février 2007, il est dans l’avion qui le conduit à la conférence de sécurité de Munich dont nous rendions compte ici (5). « Pendant le vol, j’ai examiné le brouillon préparé par mes collègues, je l’ai mis de côté et j’ai tout réécrit à partir de zéro. Je n’ai pas fait cela parce que nous voulions nous confronter, nous disputer avec quelqu’un ». Mais « la Russie est un pays qui ne peut pas vivre autrement et j’ai estimé qu’il était opportun d’exprimer nos préoccupations ».

La suite est intéressante pour comprendre ce que la Russie fait et veut aujourd’hui – ses alliances, les BRICS, etc. « D’ailleurs, vous pouvez me faire confiance : j’ai constaté que les mêmes préoccupations se manifestaient chez de nombreux autres acteurs des relations internationales. Mais compte tenu de la puissance mondiale des Etats-Unis, ils se sont tu et ont gardé le silence ». Ainsi, une évidence s’est imposée au président russe : « La Russie sera indépendante et souveraine ou n’existera pas du tout. Je voulais faire passer cela à nos partenaires dans l’espoir qu’ils entendraient et adapteraient d’une manière ou d’une autre leur attitude envers la Russie ». Puis, prenant un exemple : « Depuis les années 1990, ils nous ont promis de ne pas étendre l’OTAN à l’est ». Mais ? « Ils nous ont menti à chaque étape (…) en prétendant que rien de tel ne s’était produit. Il en a été de même sur de nombreuses autres questions ».

Bien sûr, Vladimir Poutine sait que son discours à Munich en 2007 (« On s’en souvient souvent ») a posé un jalon. « Mais malheureusement, cela n’a pas été entendu » – au sens accepté, certainement. Pourtant, son avertissement d’alors résonne très fort aujourd’hui : « Un monde où il n’y a qu’un seul maître, qu’une seule souveraineté (…) est en fin de compte pernicieux non seulement pour ceux qui sont dans le système, mais aussi pour le souverain lui-même, parce qu’il se détruit de l’intérieur ». Voilà un« discours délétère pour les auditeurs américains ”, répondait l’International Herald Tribune (5). Délétère et sans effet. Nous savons bien ici que les Russes ont essayé encore de proposer des collaborations entre partenaires égaux, sous la présidence de Dimitri Medvedev (2008-2012) par exemple (6), sans aucun succès. Vladimir Poutine encore en été 2021 en rencontrant Joe Biden à Genève (7). Même échec avec la suite que l’on connaît.

A ce point, pouvons-nous nous demander ce à quoi Vladimir Poutine réfléchit pour la suite ? Regrette-t-il comme du temps perdu d’avoir pensé que la Russie faisait partie de ce côté ouest du « monde civilisé » ? Désire-t-il encore reprendre le fils d’une histoire à laquelle il a cru ? Ou encore, à quoi est due cette incompréhension persistante (8) entre les deux parties qui s’affrontent maintenant par les armes en Ukraine ? N’y a-t-il pas, outre les intérêts géopolitiques, la forte prégnance, à l’ouest, aux Etats-Unis comme en Europe, de l’idéologie néoconservatrice ? Ou faut-il remonter plus loin ?

Il est urgent de réfléchir.

Hélène NOUAILLE
La lettre de Léosthène
19 juillet 2025
n° 1927/2025

Notes :

(1) Kremlin.ru, Answers to questions from journalist Pavel Zarubin
http://en.kremlin.ru/search?query=pavel+zarubin

(2) You Tube, mis en ligne le 14 juillet 2025, extrait de l’interview de Poutine par Pavel Zarubin (8 minutes, en français)
https://www.youtube.com/watch?v=-3Idb1VGR6k

En anglais et en longueur :
https://www.youtube.com/watch?v=A9vDsaBZypU

(3) RT, le 6 juillet 2025, Putin touts historic ‘very friendly’ Russia-US ties
https://www.rt.com/russia/621069-putin-touts-historic-friendly-us-ties/

(4) Statista, États-Unis : nombre de décès de militaires par guerre 1775-2023
https://fr.statista.com/statistiques/1420397/etats-unis-nombre-morts-militaires-par-guerre/

(5) Voir Léosthène n° 279, le 14 février 2007, Conférence de Munich sur la sécurité : la clarté du verbe
Emoi autour du discours de Vladimir Poutine lors de la 43e  conférence de Munich : le début d’une nouvelle guerre froide, s’interrogent les observateurs ? Le discours de Vladimir Poutine – quelles que soient les réserves que l’on puisse y apporter – oblige le reste du monde à se poser des questions habituellement occultées, pour chacun et pour son leader aujourd’hui, les Etats-Unis : “ (…) Un monde où il n’y a qu’un seul maître, qu’une seule souveraineté (…) est en fin de compte pernicieux non seulement pour ceux qui sont dans le système, mais aussi pour le souverain lui-même, parce qu’il se détruit de l’intérieur ” avertit le président russe. Le texte intégral de son intervention est donné sur le site en anglais (texte officiel) et en français, dans la traduction que nous proposons. Il est fondamental pour la nouvelle tournure des relations USA Russie – et par ricochet, pour l’Europe. Analyse.
Le texte en français de l’allocution de Vladimir Poutine :
https://www.voltairenet.org/article145320.html

(6) Voir Léosthène n° 524/2009 du 24 octobre 2009, Medvedev à Belgrade : retour sur la sécurité européenne

(7) Voir Léosthène n° 1571 du 16 juin 2021, Biden et Poutine à Genève : terrains communs, dits et non-dits

(8) Blog Emmanuel Todd, le 17 mars 2025, Emmanuel Todd, La Russie est notre Rorschachhttps://substack.com/home/post/p-168540312

Source photo : Pixabay