Retour au Forum de Saint Pétersbourg,
si Vladimir le veut
Une curiosité : c’est Dimitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, qui s’exprime, lors d’une conférence de presse à Saint Pétersbourg, ce 20 juin. « Le président russe Vladimir Poutine rencontre des représentants d’entreprises étrangères en marge du Forum économique international de Saint-Pétersbourg (SPIEF), bien que les contacts ne soient pas rendus publics afin de protéger les entrepreneurs des sanctions ».
Explication ? « Vous savez qu’en ce qui concerne nos partenaires qui continuent à travailler ici, l’environnement est très agressif dans leur pays. Afin de minimiser tous ces risques, nous ne divulguons tout simplement pas (les représentants d’entreprises étrangères en Russie) » (1). Original. Parce qu’apparemment, on se bouscule au 28ème Forum économique qui se tient cette année sur quatre jours, du 18 au 21 juin – le forum est né en 1997, honoré de la présence de Vladimir Poutine depuis 2002. On se bouscule, et pas seulement entre pays dits amis. « L’un des temps forts de l’événement sera un panel organisé (…) jeudi 19 juin, modéré par le président de la chambre de commerce américaine en Russie (AmCham), Robert Agee » nous dit Marin Saillofest pour le Grand Continent (2).
« À cette occasion, plusieurs investisseurs et hommes d’affaires américains discuteront avec des responsables russes de la mise en place de « conditions propices au rétablissement et au développement de la coopération commerciale entre la Russie et les États-Unis ».
Parce que, confiait Robert Agee à RT (3), la majorité du business américain voit la Russie comme un marché stratégique. « Il y a quatre ans », avant février 2022 et l’opération militaire spéciale russe en Ukraine, « 70% de nos entreprises considéraient la Russie comme un marché stratégique ». Il faut savoir que celles qui étaient déjà présentes sur le sol russe ne l’ont pas toutes abandonné. « Seulement 12 % des entreprises américaines installées en Russie avant 2022 ont pris la décision de quitter le marché russe, selon la Kyiv School of Economics, soit une proportion similaire à celle d’autres pays occidentaux. C’est notamment le cas de grands groupes comme Philip Morris, Pepsi, Auchan, Nestlé, Haier, UniCredit Bank ou encore AstraZeneca » confirme en effet Marin Saillofest (2). Qui sont-elles ? Robert Agee dénombre en particulier « les entreprises de biens de consommation, les fabricants de confiserie, les fournisseurs de produits pharmaceutiques et d’équipements médicaux… toutes ces entreprises sont restées et sont très actives et prospères ».
Ajoutant : « Celles qui sont parties « observent et attendent », espérant un dégel des relations entre les États-Unis et la Russie » – après peut-être une rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine, retrouvailles évoquées par les deux parties sans qu’une date et un lieu ne soient arrêtés.
Bien sûr, si le climat s’était détendu entre Washington et Moscou depuis le retour de Donald Trump aux affaires, il n’est pas complètement apaisé sur l’Ukraine et se tend à nouveau à propos du Moyen-Orient, la Russie très hostile à un engagement militaire américain aux côtés d’Israël contre l’Iran. « Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, a mis en garde contre le risque de déstabilisation radicale de la situation au Moyen-Orient si l’administration Trump devait donner une aide militaire directe des dans le cadre des frappes contre l’Iran » rapporte The Times of Israël (4).« Il a ajouté que Moscou est en contact avec Israël et l’Iran ». L’heure n’est plus, ou pas encore, au succès du Forum dans le monde occidental en 2013, quand Angela Merkel elle-même s’était déplacée, ou en 2018, avec la présence d’Emmanuel Macron ou de Christine Lagarde, patronne de la Banque centrale européenne (BCE). Le patron de Total ou celui de Siemens étaient présents en 2021.
Cependant, malgré l’Ukraine, le forum a réuni 130 pays l’an dernier (représentants d’entreprises) et une quarantaine de délégations de parlementaires pour un total de 21000 participants – dont plus de 4000 journalistes (5). Et la Russie attend cette année 140 pays (contre 130 en 2023), un record – et 50 délégations. « Parmi les pays représentés au plus haut niveau figurent l’Indonésie avec la présence du président Prabowo Subianto et le Bahreïn, avec le prince Nasser ben Hamed Al Khalifa » note Marin Saillofest (2), sans oublier « la venue à Saint-Pétersbourg des vice-présidents yéménite Tarek Saleh et sud-africain Paul Mashatile, ainsi que du vice-Premier ministre chinois Ding Xuexiang ».
Que l’économie russe, après des chiffres de croissance spectaculaires, (4,1% en 2024, au-dessus des prévisions du gouvernement et du FMI, voir l’infographie), prévoie un recul sévère au premier trimestre 2025 est anticipé depuis la fin de l’an dernier. TASS confirme : « Le ralentissement de la croissance économique de la Russie faisait partie d’un plan d’action planifié et les débats actuels sont centrés sur la question de savoir s’il faut maintenant accélérer l’économie, a déclaré le porte-parole de la présidence russe, Dimitri Peskov, en réponse à une demande de commentaire sur les remarques faites par le ministre du développement économique, Maxim Reshetnikov, qui a déclaré que l’économie russe était au bord de la récession » (6). La question est discutée avec la Banque centrale russe, notamment, comme aux Etats-Unis avec la Réserve Fédérale (FED), autour des taux d’intérêts.
Mais, souligne encore Dimitri Peskov, la décélération attendue est générale, « y compris aux Etats-Unis et pour les nations européennes ».
Malgré ce les entreprises étrangères sont là, attentives et… donc protégées, on ne les nomme pas, elles ne se nomment pas. Pas toutes, note cependant TASS (7) : « Le gouvernement russe ne négocie pas actuellement avec les compagnies pétrolières et gazières occidentales au sujet de leur retour en Russie, a déclaré à la presse le vice-premier ministre Alexander Novak. “Nous ne négocions pas. Personne ne m’a contacté ni n’a écrit de lettres’’, a-t-il déclaré ». Pourtant, en 2022, après l’ouverture des hostilités en Ukraine, certains avaient suivi, selon Reuters, une session intitulée “Les investisseurs occidentaux en Russie : Nouvelle réalité” » – nous le relevions ici (8). Peut-être, pour celles qui ont choisi en 2022 de quitter la Russie, le chemin de retour, si elles le souhaitent, sera-t-il plus difficile. Et pas seulement dans le domaine de l’énergie, la nouvelle réalité fait que la Russie se montre exigeante.
Pourquoi ?
Eh bien, nous dit encore Marin Saillofest dans un autre intéressant papier (9), « de nombreux hommes d’affaires et investisseurs russes ont considérablement bénéficié du départ, parfois précipité, de ces groupes. En se voyant transférer le contrôle d’usines, d’ateliers et de bureaux en état de fonctionnement, le pouvoir russe a contribué à la création d’une nouvelle classe d’oligarques : les 130 cafés de Starbucks en Russie ont ainsi été vendus au rappeur Timati et au restaurateur Anton Pinskiy pour moins de 6 millions d’euros ». Et cette nouvelle classe veut préserver ses avantages si, avec la fin de la guerre, les entreprises qui avaient quitté la Russie veulent y revenir. Vladimir Poutine est sensible à leur réclamation et ses équipes travaillent à une nouvelle législation.
Un exemple ? En bref : « En mai 2022, le groupe français Renault vendait sa participation dans le constructeur russe Avtovaz pour un rouble symbolique suite au lancement de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. L’accord incluait cependant une clause qui ouvrait la voie à un rachat d’actions dans un délai de six ans ». D’autres groupes, comme Mercedes-Benz, Carlsberg ou McDonald sont dans la même situation, même si, pour ce dernier, la presse russe relaye une pression du public pour un retour à l’original. Mais ? « Afin de permettre aux investisseurs russes ayant bénéficié du départ des entreprises occidentales de conserver leurs avantages, les députés de la Douma d’État pourraient voter dès le mois de juin en faveur d’une loi qui rendrait caduques ces clauses de rachat ».
Business is business, le mot vaut pour la Russie aussi, a tranché Vladimir Poutine, fort de n’être pas tombé au contraire sous les coups des sanctions qui affaiblissent les pays européens, l’Allemagne, qui était le premier investisseur en Russie, d’abord. La France suit de près. Avec les Etats-Unis, beaucoup moins concernés, en observateurs discrets donc – et pressés de remplacer les perdants et d’investir dans les terres rares, une affaire qui conviendrait à Donald Trump.
Les grands péchés ont de longues ombres, dit un proverbe anglais. L’irréalisme aussi.
Hélène NOUAILLE
La lettre de Léosthène
PS : Vladimir Poutine s’est longuement exprimé dans le cadre du Forum alors que nous achevions cette lettre.
http://en.kremlin.ru/events/president/news/77222
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Infographie :
Croissance du PIB russe en % de 2000 à 2024 (source : Direction générale du Trésor, France)
https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/52d8f48b-f79f-4e60-ba55-a6e854629ca7/images/9a50ddac-68c1-4425-8572-9cd419f2f90b
Notes :
(1) TASS, le 20 juin 2025, Putin meeting with foreign businesses at SPIEF, contacts not made public
https://tass.com/politics/1977089
(2) Le Grand continent, le 18 juin 2025, Marin Saillofest, Asie septentrionale : Économie russe : annonces, participants, discours de Poutine, que suivre lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg
https://legrandcontinent.eu/fr/2025/06/19/economie-russe-annonces-participants-discours-de-poutine-que-suivre-lors-du-forum-economique-de-saint-petersbourg/
(3) BigNewsNetwork, le 19 juin 2025, US companies want to return to Russia, lobby chief
https://www.bignewsnetwork.com/news/278392091/us-companies-want-to-return-to-russia-lobby-chief
(4) The Times of Israël, le 18 juin 2025, Le vice-ministre russe des Affaires étrangères met en garde les Etats-Unis contre des frappes contre l’Iran
https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/le-vice-ministre-russe-des-affaires-etrangeres-met-en-garde-les-etats-unis-contre-des-frappes-contre-liran/
(5) Saint Petersburg International Economic Forum 2025, SPIEF in Figures
https://cdn.forumspb.com/upload/docs/2024/buklet/SPIEF2025_PromoBuklet_en_2606.pdf?17194091504741747
Le site du Forum 2025 :
https://forumspb.com/en/
Programme par journée (18 au 21 juin) :
https://forumspb.com/en/programme/business-programme/
(6) TASS, le 20 juin 2025, Russia’s economic slowdown was planned — Kremlin
https://tass.com/economy/1977109
(7) TASS, le 20 juin 2025, Western oil and gas companies not in talks about their return to Russia — Deputy PM Novak
https://tass.com/economy/1977177
(8) Voir Léosthène n° 1663/2022, le 18 juin 2022, Forum de Saint Pétersbourg, l’énergie et la Chine au centre
La presse est quasi silencieuse cette année sur la tenue, du 15 au 18 juin, du 25e Forum économique de Saint Pétersbourg, SPIEF en anglais, où se pressaient jusqu’ici hommes d’affaires et dirigeants politiques venus du monde entier. Guerre en Ukraine oblige, les Occidentaux ont déserté le forum cette année. Mais, nous dit l’agence Reuters, « des délégations de haut niveau de plus de 40 nations sont attendues ». Pour Vladimir Poutine, qui s’exprimait en direct ce 17 juin il y a une « fenêtre d’opportunité » à saisir quand l’Occident a provoqué « une vague d’inflation mondiale, la rupture des chaînes logistiques et de production traditionnelles, une pauvreté croissante et des pénuries alimentaires ». Le Global Times met l’accent sur le rôle des BRICS comme sur le développement des organisations régionales : « Qu’il s’agisse de la Russie, de la Chine ou d’organisations telles que les BRICS ou l’Union économique eurasienne, un consensus s’est dégagé pour renforcer les mécanismes de coopération. Par exemple, les pays vont accélérer les règlements monétaires libellés en yuan et en rouble, car le processus de mondialisation a été gravement endommagé par l’hégémonie américaine ». Où est l’Europe, dans cette affaire ?
(9) Le Grand continent, le 30 mai 2025, Marin Saillofest, Renault, Mercedes-Benz, McDonald’s… Quelles entreprises pourraient se voir interdire de racheter leurs actifs en Russie ?
https://legrandcontinent.eu/fr/2025/05/30/renault-mercedes-benz-mcdonalds-quelles-entreprises-pourraient-se-voir-interdire-de-racheter-leurs-actifs-en-russie/