Yvon et Simone Jézéquel : unis dans l’action et la mort au service de la France Libre

Yvon et Simone Jézéquel, jeunes résistants bretons, ont sacrifié leur vie pour la liberté de la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Leur courage et leur engagement sont gravés dans la mémoire collective, honorés par des distinctions posthumes et inscrits sur le mémorial des Services spéciaux à Ramatuelle.

Commentaire AASSDN : Alors que la France s’apprête à commémorer le 80e anniversaire du débarquement de Normandie, l’AASSDN estime de son devoir de rappeler le comportement héroïque de milliers de Français qui ont servi dans les services spéciaux et les réseaux de Résistance. Ils ont transmis pendant des années, d’innombrables renseignements essentiels qui ont décidé du choix du lieu du débarquement et largement contribué au succès de cette opération. Héros souvent oubliés dans les médias, notamment en raison de la discrétion qui a entouré leurs actions, le sacrifice de ces jeunes patriotes doit permettre à nos concitoyens de retrouver leur fierté et à notre pays de relever les défis majeurs qui menacent sa cohésion et peut-être même son existence en tant que Nation libre et indépendante.

Yvon et Simone Jézéquel figurent sur le mémorial des Services spéciaux à Ramatuelle, où plus de 320 noms d’agents morts pour la France sont gravés. Ils sont parmi les très jeunes gens qui, comme eux, ont donné leur vie pour notre liberté.

Lorsqu’en 1943 Yvon Jézéquel rencontre le lieutenant de vaisseau Yves Le Henaff (réseau Dahlia des TR « Jeune »), par l’intermédiaire de l’éditeur Louis Aubert, il a dix-neuf ans. C’est un garçon mince, à la belle chevelure brune ondulée, au visage doux, d’une grande réserve et qui cache une rare fermeté. Il a déjà prouvé son engagement dans la Résistance.

Sa sœur Simone a dix-sept ans. Tous deux sont nés à Lézardrieux (Côtes-d’Armor). Yvon a été un très brillant étudiant : après avoir obtenu la mention « très bien » à la première partie de son baccalauréat, il a eu le bac mathématiques élémentaires et le bac philosophie la même année. Un de ses amis, qui deviendra rédacteur-en-chef d’Ouest-France en 1945, Paul Béguier, l’évoque au lycée de Saint-Brieux, où Yvon se trouvait à l’arrivée des Allemands. Il faisait déjà partie, dit-il, « d’une organisa- tion pour le repérage lumineux ». (repérage et balisage de terrains de parachutages)… Chassé du lycée de Saint-Brieux en juillet 1941, pour avoir mené une manifestation contre un professeur collaborateur, ses parents le mirent au lycée Saint-Louis à Paris, où il fut inscrit en classe préparatoire à l’École navale.

Mais l’occupation de la zone libre et le sabordage de la flotte à Toulon mettent fin à son espoir de servir la Marine nationale : Vichy ordonne la fermeture des classes préparatoires à Navale. Il décide de rejoindre la France libre pour entrer à l’école des cadets de la marine en Angleterre, section française. Les circonstances en décideront autrement.

Vers le milieu de l’année 1943, Le Hénaff cherche à monter une éva- sion vers l’Angleterre. C’est alors que naît le projet La Horaine. Yvon, va préparer l’évasion avec Le Hénaff et s’embarque à Lézardrieux comme matelot sur La Horaine, la nuit du 22 au 23 novembre 1943, enfin débarque en face de Dortmouth.

Incorporé au BCRA, il suit une formation intensive d’agent clandes- tin avant d’être chargé d’une mission en France. Il y est débarqué la nuit du 29 au 30 janvier 1944 par une corvette anglaise à l’île d’Er, avec son radio Neybel et gagne le littoral à marée basse.

Simone entre en action

Simone, spontanément, propose ses services au groupe qui se crée. Il faut dire que la famille Jézéquel est toute acquise à la cause : le père, Yves, fidèle serviteur de l’État dans l’administration coloniale, a été blessé en 1917 et, à Lézardrieux, la maison Jézéquel est un refuge pour tous.

La jeune fille accomplira des missions comme le transport de matériel radio. Des opérations maritimes ont en effet lieu tous les quinze jours par une vedette de la Royal Navy à l’île d’Er où sont débarqués des agents, du matériel, des instructions, des renseignements qui doivent être acheminés.

Début février, le capitaine André Cann (TR « Jeune », mission Fanfan) et le lieutenant canadien Robert Vanier rejoignent Yvon Jézéquel, après avoir échappé au naufrage du Jouet des Flots et aux arrestations qui ont suivi (Le Hénaff, Pierre Brossolette, Émile Bolaert).

Louis Aubert et sa sœur, Germaine Richard, facilitent l’implantation à Paris : c’est chez Louis Aubert qu’ont lieu les émissions vers Londres. Le 7 février 1944, ce dernier, prévenu que l’étau se resserre autour d’eux, quitte son appartement avec ses hôtes, mais le pâté de maisons est cerné par la Gestapo et la Feldgendarmerie.

La mère d’Yvon et de Simone, arrivée sur les lieux en voiture et voyant ce qui se passe, est là pour recueillir son fils, Louis Aubert et « Ernest », sortis par une porte de service le visage dissimulé. La voiture sème la Gestapo.

L’équipe, réfugiée à Laval, travaille deux mois. Malgré les difficultés de départ, le réseau se met en place. Il s’implante dans toute la Bretagne, à Paris, Lyon, Dijon ; compte 32 membres connus, d’après Alain, frère d’Yvon et de Simone (13 seront déportés, dont 6 en mourront ; deux seront fusillés).

Le secteur du réseau Turquoise (qui travaille aussi avec d’autres réseaux comme Résistance-Fer) comporte toute la zone côtière du Mont-Saint-Michel à Saint-Malo, région stratégique essentielle pour le débarquement allié. Il s’agit de fournir des renseignements sur les effectifs et armements allemands (43 750 hommes recensés), mouve- ments de trains (6 à 12 par jour), résultat des sabotages des groupes Action, bilan des bombardements alliés. Pour ces opérations, le code de Turquoise est Blavet.

« Les liaisons maritimes, lira-t-on dans La Presse d’Armor (10 octobre 1992), sont faites à l’île d’Er par une vedette anglaise qui vient la nuit par grande marée, en principe donc tous les quinze jours (…) Agents, matériel radio, armes étaient débarqués. C’est surtout le va et vient des valises d’instructions et de renseignements qui étaient importants et réguliers, car Blavet agissait pour le compte de plusieurs réseaux.

M. Kernanen se souvient de quatorze valises en une seule fois, trans- portées en charette par Louis Bougeant, de sa ferme de Kerbert jusqu’à celle de Joseph Coadou à Kerganzennec. » D’autres « participaient aux opérations avec canots de pêche et chevaux de la ferme de l’île d’Er.

Et tout cela sous les postes de surveillance côtière de la GAST. Ces convoyeurs étaient en ces débuts de 44 à peine armés. Voyant Marcel Kernanen ainsi dépourvu, Yvon Jézéquel lui prêta une nuit, pour quelques semaines, son 6,35 à crosse de nacre. »

Le frère et la sœur sont internés

Mais en avril 1944, le principal local d’émissions, rue Gutemberg à Rennes, est indiqué par dénonciation à la Gestapo. Celle-ci y tend une souricière. Le 14 avril Yvon réussit à y échapper en sautant par une fenêtre avec une valise contenant les papiers et la trésorerie du réseau.

Quelques instants plus tard, Simone Jézéquel arrive de Lézardrieux porteuse de faux papiers établis par leur père. Elle est arrêtée. Deux jours après, Yvon est arrêté à son tour par la Gestapo gare Montparnasse, à Paris. Le frère et la sœur sont tous deux internés à la prison Jacques Cartier à Rennes. Yvon parvient à communiquer avec sa mère par des livres codés. Ses messages contiennent des instructions. Il fait ainsi avertir Londres et parvient à limiter les arrestations.

Dans un de ses messages, il dit : « Suis bonne santé- arrêté Montparnasse après deux jours de poursuites ; suis découvert par la Gestapo centrale renseignements à Paris. Ai pu rouler Gestapo pour codes, mais crains essais allemands émissions. Prendre précautions. Le moral est magnifique et le débarquement aura lieu avant mon départ pour l’Allemagne. »

Dans un autre message : « Donner nouveaux combats navals suite à mon dernier message (à Londres) ». Il fait là allusion au fait que, dans les heures qui ont précédé son arrestation, il a informé Londres de l’itinéraire et du calendrier d’un important convoi allemand le long des côtes nord de la Bretagne. « Dans la nuit du 15 au 16 avril, rapportera son frère Alain, une escadre britannique attaque ce convoi au large de Plougrescant-Port-Blanc. L’engagement dure une grande partie de la nuit. Les batteries côtières allemandes dans un rayon de 20 km ouvrent le feu. Plusieurs bâtiments du convoi sont endommagés. L’unité alle- mande la plus importante (contre-torpilleur) est poussée à la côte par la flotte anglaise et coulée. Pendant des jours les populations côtières ramassent des débris, des canots bourrés de cadavres, des noyés par centaines… D’après des témoins, il y aurait eu entre 1 300 et 1 800 victimes allemandes. »

Dans un autre message encore, Yvon Jézéquel donne des consignes pour Germaine : « Le Roi d’Ys vous demande de faire tout votre pos- sible pour transmettre à Londres le message suivant : Message de Blavet: suis prison Rennes stop. Kervarec pris malchance stop espère sauver OK ou Mest-Bayanrd stop Attention messages Gestapo, TRG Fin. »

Il ajoute : « Transmettre à Germaine phrase suivante mot à mot : Amitiés du Potonec au roi Grégoire. Il rêve des trios de Beethoven et du menuet de Boccherini- médite sur origine Emidyce-Bonnes nouvelles de Cri-Cri. Ne sait plus où est Petit Louis. En relation avec Appel. Conclusion : l’Aventure est au coin de la rue. Fin. »

Mais il dit aussi : « Gestapo a proposé Simone libre si je donnais un ami. Suis sûr approuvez refus. »

De son côté Simone écrit à ses parents : « Mes chers parents, voici presque trois mois que je vous ai quittés sans me douter de ce qui allait suivre ce voyage […] J’ai eu des nouvelles d’Yvon qui a toujours gardé le moral et beaucoup de courage. Malheureusement, il a quitté le 28 notre chère Bretagne pour l’exil. Yvon n’a jamais été confronté avec moi. Il a été interrogé trois fois à ma connaissance. Moi j’ai été interrogée deux fois (15 heures). »

En fait, Yvon a été affreusement torturé dans la prison de Rennes. Dans le dernier billet de Simone, une bande de papier écrite au crayon et difficilement lisible : « Nouvelles excellentes hier soir. Temps splendide. Vivement Lézard, le sapin, le Trieux, les champs. Vivement une pièce qui sente bon, des fleurs, du linge propre, une table agréable. Vivement la liberté. »

Neuengamme, Buchenwald

Yvon est parti le 28 juin 1944 pour Compiègne, puis pour l’Alle- magne. À Neuengamme il subit le sort spécial des détenus dangereux. Il y meurt le 8 janvier 1945, selon son frère Alain (le 6 janvier, à Hambourg, selon son dossier administratif). Ses dernières paroles seront rapportées par un compagnon de détention, M. Boulenger : « Dites à mon père et à ma mère que je leur demande pardon pour tout le mal que je leur ai causé. Et pourtant, si c’était à refaire, je le referais. »

Simone quitte la prison Jacques Cartier le 3 août 1944 par le dernier convoi de déportés, pour un trajet qui dure jusqu’à la fin du mois. Elle mourra à Ravensbrück deux mois après son frère (le 14 mars 1945 selon Alain Jézéquel; le 1er mars selon son dossier administratif). Yvon et Simone Jézéquel seront déclarés « Morts pour la France ».

Yvon sera fait chevalier de la Légion d’honneur, recevra la croix de guerre avec palme, la médaille de la Résistance et la médaille des évadés, et sera cité par le gouvernement britannique. Son le nom est inscrit sur le mémorial de la Bretagne résistante à Paimpol.

Simone recevra la médaille de la Résistance. Un témoignage de gratitude de l’Angleterre signé du maréchal Montgomery lui rend hommage en parlant d’elle comme d’« une volontaire des nations alliées qui a fait le sacrifice de sa vie pour que l’Europe puisse être libre ».

Marie GATARD
Membre du Comité Histoire de l’AASSDN