Une lecon d’Histoire par Paul Leistenschneider, compagon de la liberation à la jeunesse

Notre camarade Paul Leistenschneider, alias «Carré» dans la résistance, lance un appel à la jeunesse pour que dans l’euphorie des manifestations qui célèbrent la Victoire sur les nazis, nul n’oublie les leçons de l’Histoire et en particulier les effets néfastes des politiques d’abandons comme des traités générateurs de conflits ethniques et nationaux.

Nul n’était plus qualifié que «Carré» pour donner ces conseils de vigilance. Entré dans la Résistance dès l’Armistice, il fut le précieux collaborateur de notre regretté ami le Colonel Simoneau à la tête depuis septembre 1940 de l’antenne S.R. du réseau Kléber à Vichy.

Après avoir rejoint Londres, il fut désigné en 1943 par le Général De Gaulle comme Délégué Militaire Régional (D.M.R.) à Montpellier et Toulouse. Son activité intense dans ces régions devait le rendre suspect à la Gestapo et le contraindre à changer de secteur.

Affecté à Lyon en avril 1944 aux côtés de Bourges-Maunoury, il accomplit avec autorité et souplesse une œuvre d’unification des groupes de résistance de la Région Rhône-Alpes. Son sang- froid autant que son sens politique pesèrent d’un poids décisif dans l’heureuse libération de Lyon en septembre 1944 en liaison avec les grandes unités américaines et françaises.

Fidèle adhérent de notre association, Paul Leistenschneider a toujours maintenu des liens précieux d’amitié avec nos camarades et spécialement avec ceux de Lorraine et d’Alsace.

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Nous venons de vivre le cinquantenaire des débarquements en y associant dans la dignité nos alliés avec qui, un an plus tard, l’armée russe ayant pris Berlin, nous avons obtenu après de dures batailles la capitulation allemande. Et ce 14 juillet nous avons tenu à tendre à notre voisin la main du pardon. L’ampleur des cérémonies et la joie que tous nous avons ressentie à ce souvenir et à celui du Général De Gaulle descendant les Champs Elysées, ne doivent toutefois pas nous endormir ou nous faire oublier ni le calvaire vécu avant la Libération ni ses causes. Ce fut d’abord une déroute, sans comparaison dans notre histoire. Après environ un mois de combat effectif, l’ennemi arrivait à Paris en faisant 1.800.000 prisonniers. Des millions de réfugiés sur les routes mélangés aux militaires en retraite et parfois bombardés par l’aviation italienne, le Gouvernement, ne disposant plus de réserve, demanda à déposer les armes. Ce spectacle, du jamais vu, la surprise passée, déchaîna la grande colère du peuple trompé : un Président du Conseil avait encore annoncé après Narvik «Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts.»

Cette colère se dirigea autant contre le gouvernement de Front Populaire sorti des élections de 1936 que contre la majorité parlementaire modérée précédente, au pouvoir depuis 1933 (arrivée d’Hitler).

Si les uns avaient ramené la durée du travail de 48 à 40 heures alors qu’Hitler faisait travailler jusqu’à 62 heures certaines usines d’armement, les autres avaient permis à Hitler de déchirer toutes les clauses militaires du Traité de Versailles en lui permettant de remplacer une armée de 100.000 hommes composée de professionnels engagés pour douze ans par une armée nationale avec ses divisions blindées et une puissante aviation. Songez qu’en mars 1936, à la veille des élections donc, on le laissa occuper militairement la rive gauche du Rhin. Ce furent ces fautes que Vichy sut habilement exploiter. Je me souviens encore de certaines phrases du Maréchal Pétain : «Français, je hais ces mensonges qui vous ont fait tant de mal», ou «Français, vous n’avez pas de mémoire», ou cette autre du ministère de la propagande : « Peux-tu être plus Français que lui». Heureusement qu’en 1940 il n’a pas voulu ou n’a pas pu appeler les Français à voter. Il y aurait trouvé la légitimité qu’il a en vain cherchée. Et ce ne fut que le début du calvaire. Nous vîmes un Maréchal de France aller à Montoire le 24 octobre 1940 pour offrir sa collaboration à son vainqueur. Collaboration qui, la Russie n’était pas encore en guerre, ne pouvait être dirigée que contre l’ancien allié qui continuait à se battre. En se rendant à Montoire le Maréchal avait sans doute espéré s’en tirer par la cession de l’Alsace-Lorraine comme en 1871, mais sans avoir rien obtenu la collaboration continua. Collaboration qui pour le Français moyen se traduisit par les privations quotidiennes et qui alla parfois jusqu’à la guerre civile quand la milice attaqua les maquis. Les fautes antérieures à la déclaration de guerre, donc génératrices de la défaite, ont deux traits communs:

— elles étaient politiques et c’est un militaire qui paya doublement : d’abord Montoire, qui a dû quand même être douloureux pour le vainqueur de Verdun, puis la condamnation qui frappa l’homme dont l’âge n’avait pas encore éteint toutes les ambitions;

— les responsables de ces fautes politiques ont eu le temps de disparaître, mais tous étaient animés du même esprit de facilité: flatter l’électeur ou du moins ne pas gêner sa tranquillité, malgré tous les avertissements qu’Hitler nous avait prodigués. Sans doute pour des raisons de politique intérieure, la propagande de Vichy ne remonta pas plus loin dans le passé. La cause profonde de notre défaite résidait dans le Traité de Paix de Saint Germain-en-Laye du 10 septembre 1919 qui démolit l’Empire des Habsbourg. Une Autriche non viable, car à l’époque on ne vivait pas du seul tourisme, se laissa attirer par l’Allemagne hitlérienne. Les Sudètes mécontents comme les Slovaques des Tchèques majoritaires, n’auraient pas été attirés par Hitler. Au contraire, peut-être à l’époque où l’Allemagne souffrait de sept millions de chômeurs, la Bavière aurait pu être attirée par l’Autriche, catholique comme elle.

Mais si la cause initiale de la défaite a été dans ce Traité de Paix, il n’en demeure pas moins vrai que tout aurait pu être réparé si on n’avait pas permis à Hitler de réoccuper militairement la rive gauche du Rhin, c’est-à-dire de lui donner la possibilité de construire la ligne Siegfried en face la ligne Maginot. Et d’éviter ainsi, en 1939 du moins, la guerre sur les deux fronts. Pour ne pas laisser les jeunes générations sur l’idée familière que tout finit toujours par s’arranger, il est bon de rappeler les années douloureuses qui ont précédé la Libération, sinon c’est encourager encore une politique de facilité qui aboutit à la lâcheté pour finir par la catastrophe.

Catastrophe qui aujourd’hui, les données géographiques ayant changé, pourrait ne plus être une invasion militaire mais un désastre économique et social. Toutes ces erreurs génératrices du désastre, unique dans notre histoire, le Général De Gaulle les avait vécues. Aussi un changement fondamental dans notre Constitution lui parut indispensable. Ce fut l’œuvre à laquelle il s’attacha pour l’avenir de la France.

Mais nous avons appris depuis que les institutions sont inséparables des hommes auxquels le pouvoir est confié. C’est pourquoi je crois nécessaire de rappeler périodiquement à la jeunesse les circonstances qui avaient amené le Général à modifier nos institutions. Si non, les hommes étant toujours des hommes, la tentation de la facilité l’emportera.