Equipement. AAROK : le drone de combat français conçu pour la haute intensité

AAROK a été conçu dans une optique résolument multidomaines, avec l’ambition de donner aux armées françaises et alliées un moyen de surveillance et d’intervention simple, rustique et bon marché, disponible en quantité et déployé au plus près de la ligne de front. Son développement a été entièrement réalisé par Turgis Gaillard, en s’appuyant sur plus de vingt ans d’expérience dans l’utilisation des drones au combat et en réutilisant des briques technologiques disponibles, qualifiées et soutenues, produites par les plus grands équipementiers européens.

Caractéristiques générales

  • AAROK est un drone de catégorie MALE (moyenne altitude et longue endurance) de 5,5 tonnes de masse maximale au décollage, animé par une turbine de 1 200 chevaux.
  • Sa masse à vide est de 2,5 tonnes, il peut donc emporter près de trois tonnes de carburant, d’armement et d’équipements de mission spécifiques.
  • Avec une envergure de 22 mètres, il peut être entretenu dans les hangars standard des bases aériennes de l’OTAN, bien qu’il puisse être parfaitement déployé depuis des terrains sommaires : son train d’atterrissage autorise l’emploi de pistes non-revêtues et ses techniques de construction en font une machine robuste, parfaitement capable d’être parquée dehors pendant une longue durée.
  • Il peut voler par tous les temps, y compris en condition givrante connue.
  • AAROK peut voler plus de vingt heures, bénéficie d’une vitesse de croisière de plus de 450 kilomètres heures et peut dépasser les 15 000 mètres d’altitude.
  • Il est équipé de tous les équipements nécessaires à la réalisation de ses missions.

La BITD française produit déjà des radars, des capteurs optroniques, des armements, des systèmes de communication, de pilotage et de guerre électronique, développés pour les aéronefs français. D’une certaine façon, c’est un patrimoine technologique. Et nous le valorisons en le réutilisant. C’est grâce à ce patrimoine déjà développé, qualifié et soutenu, que nous pouvons proposer un drone MALE aussi ambitieux que le AAROK.

AAROK réalise trois principaux types de missions :

Missions de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR)

Source

Grâce à son endurance, AAROK peut couvrir une zone de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés, ou bien rester de nombreuses heures à surveiller un point d’intérêt. Sa vitesse et ses moyens de communication par satellites lui permettent de réaliser cette mission loin de sa base de départ.

Il est équipé d’une suite complète de capteurs :

  • capteurs champ larges (radar de surveillance multimodes dépassant la centaine de kilomètres de portée, transpondeur de navire AIS, systèmes de renseignement électromagnétique)
  • capteurs champ étroit, avec un capteur optronique jusqu’à la catégorie de 25 pouces, soit plusieurs dizaines de kilomètres de portée.

Les caractéristiques et performances du AAROK en font une machine particulièrement adaptée :

  • à la surveillance maritime (souveraineté dans les Zones Economiques Exclusive [ZEE], recherche et sauvetage [SAR], lutte antinavire et anti-sous-marine),
  • à la surveillance des frontières ou de points d’intérêt (Dispositif Particulier de Sûreté Aérienne [DPSA]),
  • aux missions de renseignement stratégique ou tactique.

Missions de frappe

Avec son radar et son aptitude à être déployé depuis des terrains sommaires, la qualité de l’armement est l’autre avantage comparatif du AAROK. Il est en mesure de frapper des cibles à plusieurs dizaines de kilomètres de distance, avec une précision métrique, au moyen de puissantes munitions guidées de la catégorie des 250 kg et d’armement innovants de la catégorie Air Launched Effects (ALE, Lutte informatique offensive – LIO, Munitions téléopérées – MTO).
Il peut donc détruire des cibles en restant à distance de sécurité de la plupart des menaces anti-aériennes, ce qui fait de AAROK le drone le plus adapté aux opérations de haute intensité.

Les caractéristiques et performances du AAROK en font une machine capable de réaliser des missions :

  • D’interdiction (Air Interdiction – AI), c’est-à-dire aux frappes planifiées pour détruire les infrastructures de l’adversaire (bases militaires, zones logistiques, nœuds de communication, etc.)
  • D’appui-feu rapproché (Close Air Support – CAS), c’est-à-dire de soutien direct des combattants sur le théâtre d’opération.
  • De ciblage dynamique (Strike Coordination And Reconnaissance – SCAR), c’est-à-dire aux missions de reconnaissance qui débouchent sur la destruction de cibles, de type Hunter-Killer.
  • De neutralisation des systèmes de défense aérienne ennemis (Suppression or Destruction of Enemy Air Defenses – SEAD/DEAD).

A terme, AAROK offrira des capacités de brouillage offensif pour accompagner les opérations aériennes combinées.

Relai de communication et C2


Site Turgis Gaillard

Source photo : armyrecognition.com




Les héros oubliés des réseaux clés de la Résistance en 1943

En 1943 les grands réseaux de renseignements (SIS – Secret Intelligence Service, SOE, BCRA) créés et opérant depuis le début de l’occupation en France et en zone dite libre, c’est-à-dire entre 1940 et 1942 avaient subi et subissaient encore des pertes nombreuses et tragiques qu’ils continueraient d’ailleurs à connaître en 1944 et jusqu’à la fin de la guerre. Les services de l’Abwehr et surtout la Gestapo, malgré le courage des patriotes composant ces réseaux, arrêtaient, exécutaient ou déportaient de nombreux combattants de l’ombre qui étaient indispensables pour informer le grand état-major allié en Angleterre (SHAEF).
Ces grands réseaux qui avaient pour noms Ajax, Alliance, Brutus, Buckmaster, Cohors, Confrérie Notre Dame, Castille, F2, Marco Polo, Phratrie, Saint Jacques, etc., risquaient d’être entièrement anéantis avant le « jour J » correspondant au débarquement des troupes alliées sur les côtes de Normandie, c’est-à-dire au moment où l’on aurait le plus besoin d’eux pour avoir des informations fiables le moment voulu.

Naissance du Plan Sussex :

C’est pourquoi dans l’optique de la préparation du débarquement en France, l’état major du général Eisenhower imagina en mars 1943 de créer un plan baptisé « Plan Sussex », visant à mettre en place, en parachutant des agents dans toutes les régions au nord de la Loire qui seraient de potentielles zones de combats, des équipes de deux officiers français en civil (un observateur et un radio) placés en des points stratégiques.
Ceux-ci devaient fournir en temps réel aux Alliés pendant et après le Débarquement, des informations cohérentes sur l’état moral et matériel de l’armée allemande, son ordre de bataille, ses mouvements de troupes et notamment ceux de ses divisions « Panzer », ses dépôts de matériels et de munitions, ses installations de rampes de lancement des bombes volantes V1 etc., afin que l’état-major puisse prendre les décisions opportunes et intervenir efficacement, notamment par des bombardements sur les convois, concentrations de troupes et de matériels.

Le Commander Kenneth Cohen du SIS (Grande Bretagne), le Colonel Francis Pickens Miller de l’OSS (USA) et le Colonel Gilbert Renault (alias Rémy) pour le BRCA (Bureau Central de Renseignements et d’Action) furent chargés de monter le Plan Sussex. Il y eu un autre projet similaire baptisé « Jedburgh » dédié à la coordination de l’action armée, sabotage et formation des maquis. Ces équipes étaient constituées d’équipes de 3 hommes parachutées en uniforme : un agent du pays recevant l’équipe, un Anglais et un Américain.

[…]

Dominique SOULIER
Fils de Sussex
Conservateur de la Collection Sussex

Article publié dans le bulletin de l’ASSDN
Septembre 2024




Loi de finances 2025 pour les Armées : priorité à l’équipement et l’intelligence artificielle

Le projet de loi de finances 2025 prévoit un budget des armées de 50,5 milliards d’euros, en hausse par rapport à 2024, conforme à la loi de programmation militaire 2024-2030. Ce budget permettra de renforcer les capacités de défense, avec des investissements dans l’équipement, l’intelligence artificielle, et la fidélisation des effectifs.

Projet de loi de finances 2025 : le budget des armées conforme à la loi de programmation militaire 2024-2030

  • Présenté le 10 octobre en Conseil des ministres, le projet de loi de finances 2025 prévoit une hausse du budget des armées.
  • Le budget de la mission « Défense » sera porté à 50,5 milliards d’euros de crédits de paiement hors pensions, soit 3,3 milliards de plus qu’en loi de finances initiale 2024.
  • Un budget stable, ces dernières années, est consacré à la mission « Anciens combattants », avec 1,8 milliard d’euros de crédits de paiement.
  • Conforme à la trajectoire fixée par la loi de programmation militaire 2024-2030, ce budget consolide la cohérence du modèle d’armée et accélère les efforts engagés en matière de fidélisation, d’intelligence artificielle et de recomplètement des stocks de munitions.

Le Projet de loi de finances (PLF) 2025 constitue la deuxième année de mise en œuvre de la Loi de programmation militaire 2024-2030 (LPM). Dotée de 50,5 milliards d’euros de crédits de paiement hors pensions, la mission « Défense » permettra de poursuivre le renforcement des capacités de nos armées, dans un contexte stratégique mondial en constante mutation, marqué par le durcissement de la compétition entre acteurs et le retour de la guerre de haute intensité sur le continent européen. 

L’année 2025 sera marquée par :

  • une augmentation des effectifs de 700 ETP, au profit du renseignement, du cyber, de l’IA, du renforcement des capacités majeures des armées et de la transformation du ministère dans le domaine du soutien ;
  • une intensification de la préparation opérationnelle des forces, à laquelle seront consacrés 7,8 milliards de crédits de paiement, soit près de 364 millions d’euros d’augmentation par rapport à 2024 au service de la montée en puissance de nos forces ;
  • des investissements sur les équipements : 10,6 milliards d’euros de livraisons d’équipements dans les trois milieux en 2025, soit 16% supplémentaires par rapport à 2024, concrétisant la montée en cadence prévue en LPM ; 
  • un niveau élevé de commandes, correspondant aux priorités capacitaires définies dans la LPM 2024-2030, avec 20,2 milliards d’euros de commandes au profit de la poursuite de notre réarmement.

Le budget 2025 des armées marquera certains efforts prioritaires, notamment en matière de : 

  • fidélisation 360 des militaires et civils du ministère, avec 265 millions d’euros de crédits de paiement supplémentaires alloués ;
  • développement de l’intelligence artificielle de défense, avec 300 millions d’euros de crédits de paiement dédiés, soit un effort supplémentaire de 100 millions d’euros ;
  • recomplètement des stocks de munitions, avec 1,9 milliard d’euros de crédits de paiement, prenant en compte les retours d’expérience des conflits en Ukraine, des actions de feu en mer rouge et l’importance des stocks.

« 2025 est ainsi une année où les résultats concrets seront démultipliés, dans chaque unité, pour améliorer sensiblement le quotidien de nos soldats et de leurs familles. Depuis l’élection du Président de la République il y a sept années, le budget de nos armées a augmenté de 16 milliards d’euros. C’est un effort de la Nation qui était nécessaire pour réparer ce que plusieurs décennies de restrictions budgétaires avaient abîmé dans nos armées. » Sébastien Lecornu, ministre des Armées et des Anciens combattants. 

Retrouvez tous les chiffres clés de la mission « Défense » 2025 dans la plaquette réalisée par le ministère des Armées et des Anciens combattants. 




De nouvelles capacités de dissuasion conventionnelle pour la France

Le 18 avril 2024, la frégate multi-missions Aquitaine et un sous-marin nucléaire d’attaque de classe Suffren ont effectué pour la première fois un double tir simultané de missiles de croisière navals, atteignant avec succès une cible terrestre sur le site des Landes de DGA Essais de missiles.

Commentaire de l’AASSDN : Une nouvelle fois, la France confirme son excellence notamment dans les domaines des missiles (de croisière) et dans celui des sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire (SNA). Ces derniers semblent s’imposent comme les bâtiments stratégiques prioritaires de la Marine nationale en raison de leur autonomie (plusieurs mois sans ravitaillement), leur discrétion ainsi que de la puissance et de la précision de leur armement (contre des objectifs maritimes et terrestres) . Ces 2 types de bâtiments (FREMM et SNA) équipés de missiles de croisière donnent à la France en complément des Rafale équipés de missiles SCALP, des capacités de rétorsion et de dissuasion conventionnelles.
Ces missiles de croisière s’appuient sur les capacités d’observation spatiale dont dispose, en toute indépendance, notre pays. Ces capacités (renseignement, missiles, frégates, sous-marins nucléaires d’attaque,…) de haute technologie pourraient constituer une part essentielle de la contribution de notre pays à la défense de l’Europe, le jour où tout ou partie des nations européennes souhaiteront assurer leur défense sans dépendre de l’accord des américains. Elles contribuent également à la défense et à la surveillance de notre espace maritime qui est le deuxième du monde. En poursuivant le développement de nos armements de ces domaines d’excellence, la France contribue à renforcer son indépendance stratégique en matière de Défense.

La Marine nationale a effectué pour la première fois un double-tir simultané de missile de croisière naval

La Frégate multi-missions (FREMM) Aquitaine, positionnée au large de Quimper, et un Sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) de classe Suffren, au large de Biscarrosse, ont conduit pour la première fois, le 18 avril 2024, un double tir simultané d’entrainement du Missile de croisière naval (MdCN).
Ce tir a permis de traiter avec succès une cible terrestre, située sur le site des Landes de DGA Essais de missiles. Les deux missiles ont atteint leur cible en parfaite synchronisation.
Ce tir de munitions complexes a été réalisé grâce à l’expertise de la Marine nationale et de la DGA, qui a coordonné la préparation, avec le concours de MBDA. DGA Essais de missiles a assuré la conduite d’ensemble de l’opération, la mise en œuvre de la cible ainsi que la sécurité des biens et des personnes sur la zone d’exercice.
Réalisé dans des dispositions matérielles et humaines identiques à celles prévalant en opération, ce tir ambitieux a permis de renforcer le savoir-faire opérationnel des équipages de la Marine nationale, en mettant en œuvre une séquence particulièrement complexe.
Les enseignements tactiques et techniques de ce tir sont multiples et contribueront à développer les aptitudes au combat de nos marins, dans le cadre de la préparation opérationnelle à la haute intensité initiée par la Marine nationale.

Focus sur le Missile de croisière naval :
Dérivé et complémentaire du missile de croisière air-sol SCALP-EG mis en œuvre par les Mirage 2000D et les Rafale de l’armée de l’Air et de l’Espace et du Groupe aéronaval (GAN) de la Marine nationale, le Missile de croisière naval (MdCN) permet à la Marine nationale de conduire des opérations vers la terre en disposant d’une capacité de frappe dans la profondeur depuis les Frégates multi-missions (FREMM) et les Sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de classe Suffren.

Source :
Media@dicod.fr
sirpa-marine.relation-presse.fct@intradef.gouv.fr




L’armée française n’est qu’un tigre de papier sans stocks de munitions

La guerre en Ukraine démontre chaque jour que l’accès aux munitions et missiles représente la condition essentielle pour tenir face à un adversaire dans un conflit de haute intensité. Sans cela, la bravoure des soldats pourrait s’avérer vaine au bout de quelques semaines, voire de quelques jours…

Commentaire AASSDN : L’article ci-dessous signé par le Groupe Mars* et paru dans La Tribune, évoque la remontée en puissance de notre armée et en particulier la production de matériels et la reconstitution des stocks de munitions. Mais en réalité, la France paie aujourd’hui la réduction continue de la part de son PIB qu’elle a consacré à sa Défense pendant plus de 35 ans. En 1980 l’effort de défense était de 3% du PIB (pourtant après 2 chocs pétrolier), en 2015 cet effort ne s’élevait plus qu’à 1,5% du PIB. Il devrait remonter à 1,9% en 2024 et à 2% en 2030. A ce rythme (+ 0,5 % en 15 ans de 2015 à 2030) il faudra ensuite 30 ans pour passer de 2% à 3% du PIB, soit en 2060 !

En outre il faudra compenser les centaines de milliards qui n’ont pas été investis dans les armées  pendant ces décennies où la part du PIB a été et restera inférieure à 3%, chiffre  considéré comme un niveau minimal (indispensable et supportable) pour disposer d’une armée au niveau des missions vitales que la France se fixe. Mais au regard des nouvelles menaces et technologies, et avec un effort de seulement 3% pour sa Défense la France se doit de hiérarchiser ses priorités capacitaires afin d’assurer avant toute chose la défense de l’intégrité du territoire (Métropole, DROM-COM et ZEE) et la protection de sa population (en France et expatriée).

Extraits de l’article du groupe Mars

Entre les objectifs du discours sur l’économie de guerre et la réalité des engagements budgétaires, il faut être clair : le compte n’y est pas – et de très loin ! La guerre ne se gagne pas avec des mots et des postures, aussi brillantes soient-elles. Elle se gagne avec les matériels et les munitions dont disposent nos soldats. Entre les objectifs du discours sur l’économie de guerre et la réalité des engagements budgétaires, il faut être clair : le compte n’y est pas – et de très loin ! Pourtant, cette situation n’est pas nouvelle. Déjà lorsque les troupes françaises ont été déployées en Afghanistan il y a plus d’une décennie, nos soldats tiraient le diable par la queue faute de stocks adéquats.

La situation vécue aujourd’hui par les armées ukrainiennes devrait pourtant produire un sursaut. Faut-il rappeler que l’artillerie ukrainienne consomme chaque jour un nombre d’obus correspondant à ce que notre industrie peut fabriquer en un mois ? Depuis trois décennies, les armées ont vu leurs stocks de munitions et de missiles se réduire sans cesse pour ne conserver qu’un niveau minimal et aboutir à une « armée bonzaï ». Cela ne peut pas fonctionner : dès que nos soldats sont engagés en opération, l’absence de munitions met rapidement en danger nos soldats qui n’ont plus les moyens nécessaires pour conduire leurs missions, voire pour se protéger des forces adverses.

Stocks échantillonnaires

Le constat de stocks échantillonnaires dépasse les frontières de l’Hexagone. Le général Richard Barrons, ancien chef d’état-major britannique, déclarait en février 2023 qu’après des années de réduction des livraisons, « pour certains types d’armes clés, l’armée serait à court de munitions après une après-midi chargée ». Il estimait que le Royaume-Uni disposait de stocks permettant uniquement de soutenir un engagement de haute intensité pendant une semaine environ.

Le principe de stricte suffisante fonctionne bien dans la dissuasion nucléaire mais il est trompeur, voire criminel pour les munitions et les missiles. La dissuasion fonctionne sur le principe de non-emploi, c’est-à-dire que l’existence de ces armes doit empêcher en soi une action de l’ennemi. Pour les munitions et les missiles, il est nécessaire d’engager ces armes face à l’adversaire pour le contraindre à revoir ses plans et lui imposer notre volonté. C’est pourquoi, dans les armes conventionnelles, la quantité est une qualité en soi.

Il est difficile de connaître l’état des stocks de munitions, car il s’agit d’une donnée classifiée, et donc de jauger la pertinence des stocks actuels. Toutefois, il est très probable que la France et ses principaux alliés soient dans une situation semblable à celle du Royaume-Uni compte tenu des commandes très réduites qui ont été passées au cours des dernières années. Une situation des plus préoccupantes…

Le stock vient avant le flux

Entre les objectifs du discours sur l’économie de guerre et la réalité des engagements budgétaires, il y a un grand écart évident. Imposer un changement de tempo à l’industrie, qui a fonctionné à rythme ralenti pendant des années, était nécessaire mais ce changement de cadence et de volume ne peut être efficace qu’en accroissant aussi la taille des stocks à pourvoir.

Il ne faut pas confondre la logique de flux et la logique de stocks. Certes, l’industrie a réussi à accroître ses cadences de production de manière somme toute rapide en quelques mois, mais cet effort peut être vain si les armées ne révisent pas les stocks dont elles doivent disposer. Du point de vue militaire, le stock vient avant le flux, car il permet d’encaisser le choc de la bataille. Et le flux est nécessaire pour maintenir le niveau des stocks de manière à préserver une capacité d’engagement permettant de contenir l’adversaire et, si possible, de le repousser.

Afin d’être capables de répondre à une menace majeure (la pierre d’angle de toute défense efficace et crédible), deux objectifs sont prioritaires : accroître les stocks de munitions et augmenter la capacité de production. Ces deux dimensions sont liées. Les commandes justifient un accroissement des capacités de production en augmentant les moyens de fabrication et en accroissant les achats intermédiaires. Une capacité de production plus importante permet de régénérer rapidement les stocks en cas de consommation accélérée ou inattendue.

Un changement de tempo de l’État

Le changement de tempo doit concerner l’État tout autant que l’industrie. It takes two to tango… Jean-Dominique Merchet soulignait le 22 février 2024 sur France Info que passer en économie de guerre, « cela veut dire des commandes. L’industriel ne va pas produire s’il n’a pas de commandes ». Ceci est en particulier vrai pour les PME et ETI qui n’ont pas une trésorerie aussi importante que les grands groupes qui, eux, dépendent des livraisons de leurs partenaires industriels pour être en mesure de répondre aux besoins des armées.

Rheinmetall va produire 700 000 obus en 2024 tous pays confondus, alors que la France peut en produire seulement 3 000 par mois (ce qui représente déjà un triplement de la production par rapport à 2022). Il n’y a pas là de miracle. En 2023, le groupe allemand a conclu un accord-cadre avec la Bundeswehr d’une valeur globale de 1,2 milliard d’euros d’ici à 2029. Ceci explique que Rheinmetall puisse investir 300 millions d’euros pour agrandir sa capacité de production à Unterlüß.

Le Royaume-Uni a passé des commandes de munitions à BAE Systems pour 430 millions de livres sterling en 2023, qui font partie d’un accord-cadre de 2,4 milliards sur 15 ans appelé Next Generation Munitions Solution. Pour Charles Woodburn, PDG de BAE Systems, ce partenariat stratégique de long terme avec le ministère britannique de la Défense « permettra d’augmenter considérablement la production et de maintenir une capacité souveraine vitale pour fournir des munitions de pointe » (obus de 155 mm et 30 mm et cartouches de 5,56 mm).

Même des pays plus petits s’engagent dans ces contrats pluriannuels. Ainsi, la Belgique négocie actuellement un contrat d’une valeur de 1,7 milliard d’euros avec FN Herstal, qui permettra d’ouvrir de nouvelles lignes de production.

De la constance

La constance est un élément important pour disposer des capacités industrielles adéquates. Le ministère des Armées examine en ce moment la réimplantation en France d’une capacité de production de munitions de petits calibres. Rappelons qu’un projet similaire piloté par Thales, NobelSport et Manurhin avait été envisagé sous Jean-Yves Le Drian en 2017. Si Florence Parly et Bercy n’avaient pas arrêté ce projet considéré non viable économiquement, la France serait aujourd’hui autonome en la matière. Pourtant, ces activités ont toujours été rentables en Allemagne, Scandinavie, Suisse, Italie, République tchèque… qui n’ont pas pour autant des besoins nationaux si différents de ceux de la France.

La constance est d’autant plus importante qu’accroître la production de munitions et de missiles prend du temps, plus encore s’il s’agit de développer de nouveaux moyens industriels. Grâce à son contrat-cadre au Royaume-Uni, BAE Systems va multiplier par huit sa capacité de production d’obus de 155 mm. Pour Woodburn, l’une des leçons du conflit en Ukraine est que, même si les entreprises peuvent accroître l’utilisation de l’outil industriel existant, « il y a des limites à ce que vous pouvez faire (…) Vous pouvez quasiment doubler votre débit en ajoutant des équipes et en exploitant votre capacité jusqu’à saturation, mais vous ne pouvez pas faire plus que doubler le volume de livraisons ».

Pour doubler ce volume, ajoute-t-il, cela prend du temps : il faut anticiper un délai de l’ordre de deux ans. Il s’agit ici d’une deuxième dimension essentielle : matériels, munitions et missiles sont des équipements complexes, requérant des multiples étapes de fabrication qui impliquent de nombreuses entreprises. Il n’est donc pas possible de commander à la dernière minute. L’enjeu porte notamment sur l’approvisionnement en matières premières et en produits élaborés de base comme les explosifs.

Cela veut dire que si l’État commande aujourd’hui, la filière industrielle ne sera pas capable de livrer le matériel correspondant avant plusieurs mois, voire plusieurs années. Même aux États-Unis, en dépit d’une industrie gigantesque comparée à celle de la France, les livraisons nécessitent des délais incompressibles en dépit de capacités industrielles prêtes à l’emploi. Pour produire un missile Patriot, il faut entre 35 et 40 mois.

Commandes pluriannuelles

Des commandes pluriannuelles (et non de vagues promesses qui n’engagent que ceux qui y croient) sont essentielles pour justifier des investissements massifs, longs à mettre en œuvre et nécessitant plusieurs années de production pour être amortis. Faute de commandes, serait-il raisonnable pour une entreprise d’accroître ses investissements et de produire par anticipation « juste au cas où » ?

Les stocks de munitions et de missiles ont bien entendu un coût. Au Royaume-Uni, le général Barrons estimait en 2023 dans une tribune publiée par le Sun que « reconstruire l’armée afin qu’elle puisse faire face à une attaque surprise russe coûterait 3 milliards de livres sterling en plus des dépenses déjà programmées chaque année pendant la décennie à venir ».

Un chiffre équivalent serait certainement nécessaire pour la France au-delà de ce que la LPM 2024-2030 prévoit déjà : 16 milliards d’euros (2,3 milliards par an). Ce montant peut sembler important, mais il faut garder en tête qu’un obus de 155 mm coûte 4 000 euros pièce, un obus intelligent type Bonus 30 000 euros, un missile Mistral 300 000 euros et un missile Aster 2 millions d’euros. Compte tenu des niveaux de consommation en situation de guerre, les budgets actuels sont nettement insuffisants et ne couvrent que les besoins déjà identifiés avant 2022.

Un tigre de papier

Cette approche par la dépense est d’ailleurs la raison qui a conduit les décideurs publics, quelle que soit leur couleur politique, à réduire progressivement les stocks. Cependant, tout coût doit être mis en parallèle avec les bénéfices attendus. Ils constituent une assurance pour la sécurité internationale de la France à deux niveaux.

D’une part, les armées doivent être en mesure d’assurer dans la durée une réponse militaire à une menace. Sans de tels stocks, une armée n’est qu’un tigre de papier dont la réalité apparaît rapidement après le choc de l’affrontement. Que peuvent faire les troupes les mieux aguerries sans les moyens de leurs actions ? La constitution de stocks à bon niveau est une nécessité pour garantir de pouvoir tenir face à l’adversaire, comme le montrent une fois encore les difficultés que rencontrent les troupes ukrainiennes ces dernières semaines.

D’autre part, les stocks de munitions et de missiles participent de la protection de la France en crédibilisant notre capacité à faire face à une agression. En effet, l’épaisseur des moyens a, en soi, un effet dissuasif car l’adversaire doit en tenir compte lorsqu’il estime ses chances de victoire. Qui s’y frotte s’y pique… À l’inverse, l’absence de stocks peut donner à l’adversaire le sentiment qu’il pourrait rapidement nous faire plier.

De ce fait, les stocks sont certes une dépense mais ils contribuent en même temps à la posture de défense en crédibilisant nos armées dans leur capacité à agir et à tenir. Ils représentent un investissement qui entre pleinement dans l’équation de notre sécurité internationale et doivent être considérés au-delà d’une évaluation purement budgétaire. Une conclusion s’impose : nous ne sommes pas prêts à faire face à un contexte de guerre majeure face à un pays doté de moyens militaires conséquents. En conséquence, la France doit accroître les stocks de munitions pour garantir sa sécurité.

* Le groupe Mars, constitué d’une trentaine de personnalités françaises issues d’horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l’industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.
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