SSA. Lancement du projet de construction du nouvel hôpital national d’instruction des armées (HNIA) à Marseille

Lors d’un déplacement à Marseille le 27 juin 2023, le président de la République avait annoncé la future construction d’un nouvel hôpital national d’instruction des armées (HNIA) dans la ville. Le ministre des Armées Sébastien Lecornu a décidé, le lundi 6 janvier 2025, le lancement des travaux préalables pour permettre sa construction sur le camp militaire de Sainte-Marthe, après avoir validé le cadrage du projet. 

  • Deuxième plus grand chantier immobilier prévu en loi de programmation militaire (LPM), ce projet est au cœur de l’ambition stratégique renforcée du Service de santé des armées (SSA) voulue par le ministre, et de la feuille de route SSA 2030 soutenue par la LPM.
  • Conduit sous la maitrise d’ouvrage du Service d’infrastructure de la Défense (SID), le projet prévoit une mise en service de l’hôpital militaire à l’horizon 2031.  Il s’agira d’un hôpital de nouvelle génération, d’une capacité de 350 lits et places, accueillant des pôles d’excellence et d’expertise du SSA. Au-delà de sa vocation opérationnelle au profit des armées, iI s’inscrira pleinement dans l’offre de santé marseillaise au bénéfice de la patientèle civile et militaire du territoire.

Essentiels pour les armées, les hôpitaux militaires du SSA prennent en charge les militaires blessés rapatriés des théâtres d’opérations et déploient en opérations leurs personnels formés et entrainés pour soigner au plus près des combats. 

C’est dans ce cadre que le 27 juin 2023, lors d’un déplacement à l’Hôpital d’instruction des armées (HIA) de Laveran à Marseille, le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé la construction d’un nouvel hôpital militaire à Marseille, sur le camp de Sainte-Marthe, pour remplacer l’actuel hôpital vieillissant.

Il s’agira d’un hôpital de nouvelle génération, véritable capacité militaire de défense tournée vers l’opérationnel et les besoins des armées, concourant à l’autonomie stratégique et à la liberté d’action des armées, tout en répondant aux enjeux des opérations avec nos alliés européens et de l’OTAN.

Sa capacité sera renforcée avec 350 lits et places (296 lits et 55 places) et le développement des pôles d’excellence et d’expertise du SSA, tels que la chirurgie de guerre, la prise en charge des traumatisés physiques et psychiques, la gestion du risque infectieux et NRBC et la gestion de crise. Il sera modulable en cas de crise pour lui permettre d’absorber des flux importants de blessés.

Alliant haute technicité et équipements aux standards les plus actuels et innovants, il s’inscrira pleinement dans l’offre de santé marseillaise au profit de la patientèle militaire et civile du territoire et constituera un vecteur d’attractivité pour le personnel soignant du SSA.  Représentant un investissement majeur de l’État à Marseille, dans le prolongement de « Marseille en Grand », le projet est conduit en étroite collaboration avec les collectivités locales et les services de l’État.

Centre médias du ministère des Armées




Commémoration du combat de Camerone (1863) : le colonel Grué, officier de légion et de renseignement mis à l’honneur

Il y a 70 ans, Diên Biên Phu tombait après un affrontement dantesque où la fatigue, la boue, le sang, la mort mais aussi la fraternité d’armes étaient quotidiens. La chute du camp retranché sonnait le glas de la présence française en Indochine où la Légion était présente depuis 1883. Ils sont moins d’une soixantaine de survivants aujourd’hui. Ils étaient soixante-trois à Camerone. Tous se sont battus, fidèles à leur serment de servir la France, jusqu’au bout, à tout prix.

Les survivants valides et disponibles de l’Indochine seront à Aubagne, au pied du monument aux morts pour honorer la mémoire des héros de Camerone et celle des 12 602 officiers, sous-officiers et légionnaires tombés en Indochine. Entourés de la Légion d’active, des régiments et bataillons de Légion ayant combattu à Diên Biên Phu, le colonel Bernard Grué remontera la voie sacrée en portant la relique de la main du capitaine Danjou. Il représentera l’ensemble de ses frères d’armes

Commentaire AASSDN : Tous les ans, partout dans le monde les Légionnaires et les Anciens célèbrent le 30 avril la grande fête de la Légion. C’est la date anniversaire du combat légendaire et exemplaire de Camerone, qui s’est déroulé le 30 avril 1863 au Mexique. Ce combat symbolise l’accomplissement de la mission confiée, quelles que soient sa nature et le lieu, jusqu’au sacrifice de sa vie. C’est aussi l’expression la plus haute de la fidélité à la parole donnée et de la cohésion de cette troupe unique au monde, exemple du génie français, qui compte des hommes venus de 150 pays.

Le colonel Grué a eu l’immense honneur de servir la Légion en Indochine. Il y eut un comportement héroïque au combat au cours duquel il a été grièvement blessé et capturé. Il a survécu à 4 ans d’une terrible captivité dans le camp de rééducation communiste vietminh n° 1. Il y montra une capacité de résistance notamment psychologique, hors du commun.

Ses remarquables aptitudes intellectuelles le conduisirent à continuer à servir la France comme officier de Renseignement notamment dans des pays qui font aujourd’hui la une de l’actualité : l’Iran et la Russie. Ce soldat exceptionnel a écrit ses souvenirs riches d’enseignement dans 2 ouvrages :
« l’espoir meurt en dernier » : guerre et captivité en Indochine avec la Légion étrangère 1949 – 1954 (Ed. Rocher) « Aventure en Iran et guerre en Algérie » 1954 – 1967 (Ed ; L’Harmattan)

L’engagement au service de la France

Bernard Grué voit le jour le 24 décembre 1924 à Bordeaux. Engagé volontaire devant l’intendant militaire de Coëtquidan au titre de l’école spéciale militaire de Saint-Cyr le 28 novembre 1945. Affecté au centre d’instruction d’Angers, il rejoint le camp du Ruchard le 15 décembre 1945. Conformément aux directives du Général de Lattre de Tassigny, qui prévoyait que les saint-cyriens devaient obligatoirement au préalable faire un stage dans la troupe comme sous-officier, il est nommé au grade de sergent le 15 mars 1946. Il est affecté au 99e bataillon

d’infanterie alpine à Bourg-Saint-Maurice, en Tarentaise le 15 avril 1946. Le 1er août 1946, il est affecté au 92e régiment d’infanterie au camp d’Opme, près de Clermont-Ferrand.

Admis aux cours de l’école spéciale militaire interarmes, il rejoint Coëtquidan en Bretagne le 16 janvier 1947. Ayant satisfait aux épreuves de l’examen de sortie, il fait le choix de l’infanterie métropolitaine. De novembre 1947 à février 1948, il est détaché au 7e régiment de tirailleurs algériens en Allemagne où il est promu sergent-chef le 1er décembre 1947 avant de rejoindre l’école d’application de l’infanterie au camp d’Auvours dans la Sarthe le 16 février 1948.

A l’issue de sa formation, il choisit la Légion Etrangère et est affecté au Dépôt commun des régiments étrangers en Algérie. Il embarque à Toulon le 18 novembre, débarque à Oran le lendemain et est présent à Sidi Bel Abbès le 20 novembre 1948. Il est affecté au groupement d’instruction motorisé en qualité de chef de peloton.

L’Indochine : les combats et le camp de rééducation N°1

Le 22 mai 1949, il embarque à bord du SS Pasteur à destination de l’Extrême-Orient. Il débarque à Saigon le 7 juin où il est affecté au 3e régiment étranger d’infanterie. Il prend alors le commandement du poste 41 situé à une vingtaine de kilomètres au sud de That-Khê, sur une portion de la RC4. Il est nommé au grade de lieutenant le 1er octobre 1949.

Les 16 et 17 septembre 1950 à Dong Khe, le lieutenant Grué est à la manœuvre sur la défense de son point d’appui fortement attaqué par un adversaire très supérieur en nombre et en moyens, se battant pied à pied avec un acharnement admirable, infligeant de lourdes pertes aux rebelles. Le 17 au matin, alors que l’adversaire a pris pied dans la citadelle, Grué, en se précipitant au canon de 57, servant lui-même cette arme, repousse l’assaut par un tir meurtrier à bout portant qui provoque un repli désordonné des rebelles, laissant sur place une dizaine de cadavres. Le 18 au matin, sa position est écrasée par l’artillerie et cernée de toutes parts, il lutte jusqu’au corps à corps, puis, blessé, il perd connaissance et est capturé par l’adversaire.

Durant quatre ans, de septembre 1950 à août 1954, le lieutenant Grué est interné au camp n°1. Libéré le 28 août 1954, il est rapatrié sanitaire. Il quitte Saigon le 10 septembre et débarque à Marseille le 4 octobre. Evacué sur l’hôpital du val-de-Grâce à Paris, il bénéficie de congés de convalescence et de fin de campagne jusqu’à la fin mars 1955.

L’officier de renseignement

Désigné pour suivre une formation d’officier spécialisé dans les questions d’Orient et du Moyen-Orient, il est affecté à l’état-major des forces armées à Paris en novembre 1955. Diplômé des langues orientales en Persan, puis breveté de l’enseignement militaire supérieur, il part comme capitaine en Algérie d’où il revient pour intégrer le centre militaire d’études slaves puis pour suivre les cours de l’Ecole de guerre iranienne à Téhéran. De 1968 à 1971, il est attaché militaire adjoint à Moscou, de 1972 à 1974, il commande le 46e régiment d’infanterie à Berlin, puis il prend la direction du renseignement au Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) à Paris.

La vie civile et familiale

Il quitte l’armée en 1978 avec le grade de colonel et fera une seconde carrière dans un grand groupe pharmaceutique.

Il est marié depuis 70 ans cette année à Marie-Odile, qui l’a attendu pendant sa captivité. Il est père de trois enfants, Christine, Philippe et Anne-Marie, baptisée du nom du chant bien connu du 3e REI.

Le colonel Bernard Grué est Grand officier de la Légion d’honneur, officier de l’ordre national du Mérite et titulaire de la croix de Guerre des théâtres d’opération extérieures avec une palme et deux étoiles de bronze, de la médaille coloniale et de la croix de la Valeur militaire.

A lire :

« Aventure en Iran et guerre en Algérie » 1954 – 1967 (Ed ; L’Harmattan)

« l’espoir meurt en dernier » : guerre et captivité en Indochine avec la Légion étrangère 1949 – 1954 (Ed. Rocher)




1935-1940 : Les services spéciaux face à la montée des périls

Photo : général Louis Rivet, chef du contre-espionnage et des services de renseignement (1936-1944)

1er extrait de la série : “Retour sur les heurs et malheurs du service de renseignement de l’armée avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale”

Au milieu des années 1930, le Service de Renseignement (SR) existe depuis un peu plus de soixante ans(1). Créé sur une base minimale et doté de moyens dérisoires(2) au lendemain de la guerre de 1870(3), il s’est étoffé au fil du temps. D’une part à la faveur de la première Guerre Mondiale. D’autre part à la suite des recommandations contenues dans les rapports présentés en 1932 et 1933 par le colonel Lainey(4), lequel avait plaidé, à juste raison, pour un renforcement du réseau des postes déployés aux frontières (ce qui débouchera, entre autres, sur la création du Bureau d’Études du Nord-Est à Lille) et pour un effort plus marqué dans le domaine des moyens techniques.

Au moment où le colonel Rivet en prend le commandement au mois de juin 1936 (c’est-à-dire à
peine trois mois après le choc majeur qu’a été l’occupation de la Rhénanie), le SR/SCR peut être caractérisé sur les bases suivantes :

  1. C’est une institution de caractère militaire et, plus précisément, une composante de l’État-Major, chargée tout à la fois de collecter un maximum de renseignements à l’étranger(5) et de contrecarrer les entreprises d’espionnage, quelle qu’en soit la nature et d’où qu’elles viennent. Ce qui apparaît a priori comme une évidence n’en mérite pas moins d’être précisé. D’une part parce que le SR/SCR n’est qu’un des acteurs du renseignement (qu’il partage avec le SR/Marine et, à partir de 1938, avec le SR Intercolonial) et du contre-espionnage (l’ensemble des procédures étant diligentées et gérées par la Surveillance du Territoire). Ensuite parce qu’il ne rapporte qu’à la hiérarchie militaire (soit directement, soit par le biais du 2e Bureau) et n’est que rarement en contact avec l’échelon politique, sauf à ce que l’échelon politique le sollicite directement(6).
  2. C’est une institution dont les moyens sont comptés, pour ne pas dire contraints, qu’il s’agisse de ses moyens en personnel(7), de ses moyens financiers(8) ou de ses moyens techniques(9). Comme c’est souvent le cas dans l’institution militaire, a fortiori dans le milieu du renseignement, les cadres sont recrutés par cooptation(10). Il n’est pas rare qu’ils y fassent l’essentiel de leur carrière(11) ou qu’ils y reviennent après y avoir servi(12).
  3. C’est une institution dont l’image et la réputation ont été durablement et profondément ternies par l’affaire Dreyfus, et ce à double titre. D’abord dans l’opinion publique, comme on le constatera lorsqu’une campagne de Presse sera lancée après l’arrestation de l’intendant Frogé, convaincu d’espionnage et condamné en 1935 à cinq ans de prison, c’est-à-dire au maximum de la peine applicable à l’époque(13). Ensuite, ce qui est plus surprenant, au moins a priori, dans l’institution militaire elle-même, car le fait de passer ou d’être passé par le SR/SCR n’est considéré ni comme valorisant, ni comme « porteur » dans une carrière d’officier. Le fait qu’aucun de ceux qui l’ont commandé n’ait dépassé le grade de colonel (à l’exception de Louis Rivet qui n’a accédé au grade d’officier général que lors de son départ en retraite et à la demande insistante de Jacques Soustelle) n’est pas le fait du hasard.
  4. Loin de vivre en vase clos et d’être un « électron libre » dans le système administratif, le SR/SCR doit, par la force des choses, travailler et « cohabiter » avec un certain nombre de partenaires autres que l’État-Major(14) et les services du ministère de la Guerre. Pour autant que les archives permettent d’en juger, les rapports avec les services du ministère de l’Intérieur (Direction Générale de la Sûreté Nationale, Surveillance du Territoire, 5e Section des Renseignements Généraux de la Préfecture de Police) et avec ceux du ministère de la Justice, où le SR/SCR dispose d’un correspondant privilégié et d’un relais efficace en la personne d’Henry Corvisy(15), peuvent être qualifiés d’apaisés, à défaut d’être pleinement harmonieux (notamment parce que la compétence des juridictions civiles à traiter les affaires d’espionnage est considérée comme approximative et les peines qu’elles prononcent comme insuffisantes par construction).

À l’inverse, les rapports avec les services du ministère des Affaires étrangères ont été le plus souvent conflictuels, pour ne pas dire tendus. D’une part parce qu’ils se sont opposés autant qu’ils l’ont pu à la nomination d’agents opérant sous couverture diplomatique, y compris dans des cas où elle était pleinement justifiée(16). D’autre part parce que, comme une bonne partie de l’administration et de la classe politique, ils n’ont compris que partiellement et tardivement ce qu’impliquait la lutte contre les entreprises de l’Axe, que ce soit sur le terrain de l’espionnage ou sur celui de la propagande(17). Ils persisteront à s’opposer jusqu’au mois de juin 1939 à l’expulsion d’Otto Abetz, organisateur et plaque tournante de la propagande du Reich en France(18). Après la déclaration de guerre, ils s’opposeront également à la fermeture des consulats italiens dans la zone des Armées alors qu’ils étaient communément utilisés par l’Abwehr pour collecter un maximum de renseignements d’ordre militaire, motif pris de ce qu’il ne faut ni « jeter Mussolini dans les bras d’Hitler » (dans un contexte où le Pacte d’Acier avait été signé au mois de mai 1939), ni le pousser à déclarer la guerre à la France » (ce qu’il fera, en tout état de cause, au début du mois de juin 1940). « Le SR dut combattre deux adversaires principaux : le contre-espionnage allemand et le ministère des Affaires étrangères. Des deux, ce fut le second qui entrava le plus efficacement notre action », écrira après la signature de l’armistice le commandant Navarre (qui avait passé les années 1937 à 1940 à la section « Allemagne » du SR)(19).

Si surprenant que cela puisse paraître aujourd’hui, il n’y a pas de branche « Action » au SR/ SCR, à l’inverse de ce qu’on observe à l’époque en Grande-Bretagne par exemple(20). La section MG (pour Matériel de Guerre) du 5e Bureau (qui regroupe depuis la déclaration de guerre le 2e Bureau et le SR/SCR) ne commencera à s’intéresser au sabotage que dans les derniers mois de l’année 1939(21). Aucune des opérations envisagées en liaison plus ou moins étroite avec l’allié britannique (l’obstruction du Danube notamment) ne débouchera sur quoi que ce soit. Il faudra attendre les premiers mois de l’année 1943 pour que le commandant Lejeune soit chargé de jeter les bases d’un service « Action » à la DSR-SM(22), mission dont l’objet même devint caduc après la création de la DGSS(23) à la fin du mois de novembre 1943 et, plus encore, après la fusion effective du BCRA et de la DSR-SM à la fin du mois d’avril 1944.

2) Les caractéristiques du SR/SCR et celles de son environnement institutionnel étant posées, reste à savoir si, dans quelle mesure et comment il s’est acquitté de ses missions tout au long des années 1930. Schématiquement parlant, elles sont au nombre de trois :
La connaissance, l’analyse et le suivi du ou des dispositifs mis en place par le ou les pays considérés comme des « adversaires potentiels », l’Allemagne et l’Italie en tout premier lieu.
La lutte contre l’espionnage, quelles qu’en soient la nature et l’origine.
L’identification, le signalement, le suivi et la surveillance de ceux qui sont susceptibles d’être considérés comme « suspects au point de vue national » (suivant la terminologie communément utilisée à l’époque).

2.1) S’agissant de la connaissance, de l’analyse et du suivi actualisé des dispositifs mis en place par les pays considérés comme des « adversaires potentiels » (Allemagne, Italie), le dépouillement des archives(24) ne laisse que peu de place au doute et ne permet pas ou quasiment pas d’instruire le procès du SR/SCR. D’abord parce que les documents disponibles montrent qu’il a compris et analysé, dès avant l’accession d’Hitler au pouvoir, l’objectif poursuivi par l’Allemagne à la fois sur le plan politique et sur le plan militaire, c’est-à-dire vider le Traité de Versailles de sa substance(25).

Ensuite parce qu’il a rapidement mis à jour et à peu près parfaitement suivi les efforts déployés par l’Allemagne dans la première moitié des années 1930 pour contourner les clauses militaires du Traité de Versailles et pour renforcer aussi discrètement que possible à la fois les effectifs et l’équipement de la Reichswehr(26). Enfin parce que les sources de tous ordres dont le SR/SCR disposait, y compris et surtout en Allemagne(27), lui ont permis d’informer le commandement et l’échelon politique de la décision prise par Hitler de rétablir le service militaire obligatoire au mois de mars 1935, d’occuper la zone démilitarisée de la Rhénanie au mois de mars 1936, de sceller la mort de la Tchécoslovaquie en tant qu’État indépendant au mois de septembre 1938, d’occuper la Bohème-Moravie au mois de mars 1939 et d’envahir la Pologne au mois de septembre 1939.

Les sources disponibles ne permettent manifestement pas de reprocher au SR/SCR de n’avoir pas transmis en temps et heure au commandement et à l’échelon politique les informations nécessaires pour apprécier à la fois les intentions d’Hitler et les conséquences qu’elles étaient susceptibles d’avoir dans l’hypothèse où il déciderait de les mettre à exécution, ce qui, à lire les notes rédigées à l’époque, était présenté comme plus que probable. La question qui reste posée est de savoir pourquoi l’un et l’autre ont fait le choix soit de minimiser, soit de mettre en doute, soit d’ignorer purement et simplement les informations et les analyses dont ils disposaient pour en venir in fine à ne pas les exploiter. Est-ce parce qu’ils parce qu’ils ne le jugeaient pas nécessaire (ce qui semble être le cas au mois de mars 1935 et, plus encore, au mois de mars 1936) ou parce qu’ils estimaient ne pas ou ne plus en avoir les moyens, militaires notamment (ce qui est le sentiment dominant avant les accords de Munich) ?

S’agissant de la connaissance, de l’analyse et du suivi régulier du dispositif déployé par l’Allemagne face à la France, l’appréciation qu’il est possible d’en faire, a posteriori et sur la base des archives disponibles, permet de les considérer à tout le moins comme « globalement positives ». On constate, y compris en fin de période, un écart entre les données produites par le SR/ SCR et la réalité telle qu’on la connaît aujourd’hui(28). Ce n’est pas surprenant. D’abord parce que l’exercice ne relève évidemment pas de la science exacte. Ensuite parce que l’accès à l’information était « verrouillé » dans l’Allemagne de l’époque, a fortiori quand elle portait sur un sujet plus que « sensible », ce qui contraignait ceux qui travaillaient sur le potentiel militaire du Reich soit à des approximations, soit à des extrapolations. Enfin parce que, si relative que puisse paraître la précision et/ou la fiabilité des données produites sur tel ou tel point à un moment donné du temps, il reste que le SR/SCR a correctement appréhendé et actualisé à intervalle régulier le dispositif déployé par l’Allemagne bien avant la déclaration de guerre(29) et que le rapport des forces dans le domaine aérien n’a cessé de pencher de plus en plus nettement en faveur du Reich au fil des années, que ce soit quantitativement ou qualitativement(30).

Loin d’être limité à l’ordre de bataille allemand, le SR/SCR a évidemment fait le même travail sur le dispositif italien, notamment à partir de la seconde moitié de l’année 1938. Il a été, pour l’essentiel, le fait du poste de Marseille(31) et de ses annexes, celles de Nice, de Chambéry et d’Annemasse en tout premier lieu.

La lutte contre l’espionnage a été une des missions essentielles du SR/SCR dans la seconde moitié des années 1930. Elle a pris une importance croissante au fil des années. D’une part parce que la perception de la menace que représentent les ingérences étrangères, celles de l’Allemagne et de l’Italie en tout premier lieu, est beaucoup plus aiguë en fin de période qu’en début de période. D’autre part parce que les instruments utilisés et les moyens déployés pour lutter contre l’espionnage ont sensiblement évolué sur la période considérée.

Les textes permettant de réprimer l’espionnage ont changé du tout au tout. À la loi du 18 avril 1886, qui était communément considérée comme inopérante(32) et dont l’application avait été de jure suspendue pendant la Première Guerre mondiale(33), va succéder, non sans mal(34), la loi du 26 janvier 1934. Même si elle comble à tout le moins une partie des lacunes dont souffrait la loi du 18 avril 1886, elle ne règle qu’une partie des problèmes posés. D’une part parce que l’espionnage reste considéré comme un délit (au lieu d’être considéré comme un crime, comme il l’est en Allemagne). D’autre part parce que la peine applicable en matière d’espionnage est limitée à cinq ans de prison alors même que l’espionnage est passible de la peine de mort en Allemagne(35). Il n’en reste pas moins que le nombre des prévenus soupçonnés d’espionnage augmente fortement, passant de 18 par an en moyenne entre 1930 et 1933 à 95 en 1934 et 141 en 1935(36).

D’abord parce que le décret-loi du 30 octobre 1935 va donner compétence aux tribunaux militaires pour statuer à tout le moins sur une partie des dossiers d’espionnage et leur donner la faculté de prononcer des peines supérieures à cinq ans de prison. Ensuite parce que le décret-loi du 17 juin 1938 étend la compétence des tribunaux militaires à l’ensemble des dossiers d’espionnage et fait de l’espionnage un crime de droit commun, justiciable des travaux forcés et de la peine de mort. Enfin parce que le décret-loi du 29 juillet 1939 va définir et détailler les actes considérés comme relevant de l’espionnage, tous étant passibles de la peine de mort, que ce soit en temps de guerre (ce qui avait été le cas entre 1914 et 1918) ou en temps de paix(37).

Dans le même temps, les moyens consacrés à la lutte contre l’espionnage vont être à la fois « professionnalisés » et renforcés. C’est moins, voire beaucoup moins, vrai pour la SCR(38) que pour l’instance chargée de diligenter les enquêtes et les procédures, c’est à dire la Sûreté Nationale. Alors que la lutte contre l’espionnage n’était qu’une des missions confiées à 136 « commissaires spéciaux » de la Sûreté, les choses changent du tout au tout au milieu des années 1930.

D’abord parce que le ministère de l’Intérieur va créer au mois d’avril 1934 un service spécialisé dans la lutte contre l’espionnage(39), n’ayant pas de comptes à rendre au corps préfectoral et rattaché au Contrôle Général de la Surveillance du Territoire(40). Ensuite parce que l’organisation même de la Surveillance du Territoire est progressivement rationalisée, notamment par rapport à celle des Armées(41). Enfin parce que ses effectifs vont sensiblement augmenter, passant d’une trentaine de fonctionnaires au milieu des années 1930 à une centaine de fonctionnaires à la veille de la déclaration de guerre(42).

2.2.3) La perception croissante de l’ampleur prise ou susceptible de l’être par les ingérences de l’Axe, le durcissement de l’arsenal répressif et le renforcement marqué des moyens dévolus à la Surveillance du Territoire(43) vont rapidement produire des résultats. D’une part parce que les peines prononcées à partir de 1936, pour une bonne part par les tribunaux militaires, sont sensiblement plus lourdes qu’elles ne l’étaient dans la première moitié des années 1930(44). D’autre part parce que le nombre des arrestations augmente dans des proportions significatives(45). D’après le décompte opéré par la SCR sur la base des comptes-rendus qui lui sont adressés au jour le jour, leur nombre serait passé de 45 en 1935 à 97 en 1936, 153 en 1937, 274 en 1938 et 494 sur les huit premiers mois de l’année 1939. Il va « exploser » après l’ouverture des hostilités et la déclaration de l’état de siège, lequel a – entre autres – pour conséquence de transférer les pouvoirs de police à l’autorité militaire. On compte 221 arrestations pendant les quatre derniers mois de l’année 1939(46) et 1251 sur l’ensemble de l’année 1940, la plupart d’entre elles intervenant avant la signature de l’armistice.

Si spectaculaires qu’ils puissent paraître, les chiffres précités et, plus encore, l’évolution dont ils témoignent méritent d’être nuancés. D’abord parce que toutes les arrestations ne débouchent ni sur un ordre d’informer, ni sur une condamnation, une partie d’entre elles se soldant soit par un acquittement, soit par un non-lieu. Ensuite parce qu’une fraction non négligeable de ceux qui sont arrêtés pour espionnage à partir de l’été 1939 ne seront jamais jugés, beaucoup profitant de l’exode pour s’évader. Enfin parce qu’une partie de ceux qui ont été jugés, condamnés pour espionnage et incarcérés seront libérés juste avant ou juste après l’armistice par l’occupant ou sous la pression de l’occupant(47).

L’identification, le signalement et, le cas échéant, la surveillance ou le suivi de ceux qui sont, à tort ou à raison, soupçonnés d’être « suspects au point de vue national » constituent le quotidien du SR/SCR et de ses postes en région. Les renseignements et les demandes d’enquête(48) qui les concernent représentent une fraction plus que significative des courriers et, d’une façon générale, des dossiers contenus dans les cartons de la série 7 NN(49).

On peut les caractériser comme suit :

2.3.1) Ils couvrent un spectre très large de personnes physiques et morales, qu’elles soient de nationalité française ou, ce qui est fréquent, de nationalité étrangère. La qualité des renseignements qu’ils contiennent est pour le moins inégale. Elle peut être considérée comme bonne, voire plus, notamment quand les renseignements donnés sont de première main et quand ils proviennent d’interceptions « techniques »(50) ou, à l’inverse, « approximative », voire à ce point faible qu’on peut les assimiler à des ragots. Une partie non négligeable des enquêtes demandées par le SR/SCR montre que les renseignements invoqués pour justifier la saisine des services de police sont soit empreints de malveillance, soit à peu près dénués de tout fondement(51).

2.3.2) Ils montrent que le SR/SCR a une conception pour le moins « extensive » de sa mission. Loin de se borner à identifier et surveiller les individus, les associations et les mouvements susceptibles de porter préjudice soit à la sûreté extérieure de l’État, soit à l’intérêt supérieur de la Défense Nationale, a fortiori quand ils sont originaires des puissances de l’Axe(52) ou quand ils en sont proches à un titre ou à un autre(53), le SR/SCR travaille, pour ainsi dire, « tous azimuts », surveillant tout à la fois les mouvements autonomistes, en particulier en Alsace(54), les mouvements qui militent soit contre le statu quo, soit pour l’accession à l’indépendance en AFN(55) et, d’une façon plus générale, tous ceux dont le « profil », les convictions et l’activité sont considérés comme une menace, au moins potentielle. On y trouve pêle-mêle des cercles et des personnalités classées soit à l’extrême gauche, soit à l’extrême droite, les premiers étant soumis à surveillance car considérés comme proches de l’URSS ou de la mouvance « radicale de la République espagnole et les seconds l’étant car considérés comme proches de l’Allemagne et/ou de l’Italie. Font, indifféremment et entre autres, l’objet d’une attention, pour ne pas dire d’une vigilance, particulière le PCF et ses dirigeants les plus en vue(56), Marceau Pivert, leader de la tendance « Gauche Révolutionnaire » de la SFIO et jugé proche du POUM(57), Marcel Bucard (fondateur et principal dirigeant du « Mouvement Franciste »), François Coty (fondateur en 1933 de « Solidarité Française ») ou Eugène Deloncle, fondateur de l’OSARN, plus connue sous le nom de CSAR(58). Sans revenir sur les responsabilités qui reviennent au SR/SCR dans la gestion du Carnet B(59), le contrôle des établissements travaillant ou susceptibles de travailler pour le compte de la Défense Nationale(60) ou la surveillance de la main-d’œuvre étrangère, notamment celle qui est employée sur les chantiers de la ligne Maginot(61) ou dans les familles d’officiers, en particulier quand elles vivent à l’étranger, les sources disponibles montrent que le champ d’action du SR/SCR est ou devient tel au fil du temps qu’il finit par déborder le terrain technique pour prendre un caractère beaucoup plus large, pour ne pas dire un caractère « global »(62).

Si constants et réels qu’ils aient pu être(63), la vigilance et le suivi mis en place, à plus ou moins juste titre suivant les cas, par le SR/SCR n’en ont pas moins rencontré une limite importante, au demeurant ressentie et reconnue par ses chefs, le général Schlesser notamment(64). Elle porte sur les problèmes rencontrés pour contrecarrer la propagande du Reich et l’influence qu’elle pouvait avoir sur toute une partie de la société française, en particulier par le biais de la Presse, un certain nombre de titres étant d’autant plus enclins à la complaisance (pour ne pas dire plus) qu’ils étaient, directement ou indirectement, soutenus, financièrement parlant, soit par l’ambassade d’Allemagne à Paris, soit par Berlin. Rien n’avait préparé les cadres du SR/SCR (qui s’interdisaient, sauf exception, toute forme de contact avec la Presse) à combattre ce qu’on appellerait aujourd’hui une « diplomatie d’influence » et, plus encore, à en prévenir les effets. Ils ont manifestement eu le sentiment d’être confrontés à un phénomène qu’ils ne connaissaient pas ou peu et qu’ils n’avaient pas les moyens de maîtriser si peu que ce soit. Le fait qu’ils se soient de plus en plus intéressés à la Presse, à son financement et aux rapports qu’un certain nombre de journalistes entretenaient avec les puissances de l’Axe, l’Allemagne en tout premier lieu, à partir de la seconde moitié des années 1930 n’est pas le fait du hasard et doit être interprété comme un signe des temps. Il faudra attendre les mois précédant la déclaration de guerre pour qu’ils commencent à récolter les fruits de leur travail et à enregistrer des succès tangibles sur ce terrain, comme l’attestent l’expulsion d’Otto Abetz (obtenue, non sans mal, à la fin du mois de juin 1939 sur arbitrage d’Édouard Daladier), l’arrestation pour espionnage d’Heinrich Baron, journaliste accrédité à Paris et, plus encore, les poursuites engagées au mois de juillet 1939 contre Aloïs Aubin, journaliste au Temps, et Julien Poirier, journaliste au Figaro, qui opéraient l’un et l’autre, moyennant rétribution, pour le compte d’un réseau constitué et dirigé par la baronne von Einem(65).

Au début de l’année 1940, le SR/SCR peut légitimement avoir le sentiment du devoir accompli, que ce soit dans le domaine de l’acquisition du renseignement ou dans celui du contre-espionnage. Il a aussi, davantage encore peut-être, le sentiment d’être ou d’avoir été « une voix qui crie dans le désert », les informations et les analyses qu’il n’a cessé d’adresser au commandement et, dans une moindre mesure, à l’échelon politique ayant été, à tout le moins jusqu’aux derniers mois de l’année 1938, largement ignorées, Édouard Daladier n’étant guère qu’une exception à cet égard. Ses chefs et l’essentiel de ses cadres, à commencer par ceux qui travaillent ou qui ont travaillé à la section « Allemagne » du SR et à celle de la SCR, en sont d’autant plus à la fois amers et inquiets qu’ils savent ce qu’est réellement le rapport des forces entre la France et l’Allemagne(66).

Dans le témoignage oral qu’il a laissé au Service Historique de la Défense(67), le colonel Paillole (qui était à la fin des années 1930 l’adjoint du lieutenant-colonel Schlesser à la SCR) rapporte une anecdote qui n’est pas sans rappeler ce qu’il avait vécu avant la guerre. Intervenant devant une partie des cadres de la DGSE dans le courant des années 1990, un de ses auditeurs l’interroge sur la conduite à tenir si et quand les informations et les analyses qu’il transmet ne sont prises en compte et exploitées ni par sa hiérarchie, ni par l’échelon politique, exactement comme ce fut le cas, au moins pour l’essentiel, tout au long des années 1930. Pris de court par la question qui lui est posée, il ne peut qu’avouer qu’il n’est pas en mesure d’y répondre. Comme l’a écrit en son temps Marguerite Yourcenar, « on a souvent tort d’avoir raison trop tôt ». La formule n’a rien perdu de sa pertinence. Elle reste d’actualité à bien des égards, y compris dans le domaine du renseignement.

Jacques de Lajugie
Administrateur de l’AASSDN

NOTES DE L’AUTEUR

(1) La Section de Centralisation du Renseignement, chargée du contre-espionnage,
ne sera créée qu’à la fin de l’année 1915. Elle sera confiée au commandant Ladoux
(qui traitera, entre autres, le dossier Mata Hari).
(2) En 1894 (i.e. au moment où éclate l’affaire Dreyfus), la « Section de Statistique
et de Reconnaissance Militaire (devenue « Section de Statistique ») comprend en tout
et pour tout cinq officiers et quatre auxiliaires.
(3) Laquelle avait mis en lumière la carence à peu près totale de l’armée de Terre
en matière de renseignement.
(4) Le colonel Lainey avait commandé le SR/SCR entre 1924 et 1928. Il sera de
ceux qui remarqueront le travail fourni par le lieutenant-colonel Rivet, à Varsovie
notamment, et qui plaideront, le moment venu, en faveur de sa nomination à la tête
du SR/SCR.
(5) Renseignements dont le 2e Bureau a pour mission de faire une synthèse à
destination du commandement.
(6) Le colonel Rivet sera sollicité directement par Léon Blum et par Édouard
Daladier. Le SR/SCR participera, par ailleurs, aux réunions interministérielles que
Léon Blum demander à Marx Dormoy d’organiser sur le renseignement à partir du
mois de février 1937. Il n’en sortira malheureusement pas grand-chose.
(7) On ne trouve dans les archives ni un document exhaustif, ni un document fiable
sur les effectifs du SR/SCR. On peut évaluer à un peu plus de 120 (Paris et province)
le nombre de ses cadres à la veille de la guerre. Une partie d’entre eux sont des civils
(11 sur 81 à la SCR au début du mois de février 1940).
(8) À titre d’exemple, le SR/SCR ne disposait que d’un véhicule de service et d’un
poste E/R en 1938.
(9) Le budget du SR/SCR ne dépassait pas 15 MF (soit l’équivalent de 8 M€ 2022)
en 1939. Ce chiffre n’en est pas moins trompeur car il ne comprend ni les dépenses
de personnel (qui sont imputées sur le budget du ministère de la Guerre), ni les fonds
secrets, ni les prélèvements susceptibles d’être effectués sur la « cagnotte » du Service
(dont le montant avait sensiblement augmenté pendant la Première Guerre mondiale).
(10) « Je ne recrute que des gens que je connais » dit le commandant Darbou au
lieutenant Rigaud, candidat à un poste au Bureau d’Études du Nord-Est (BENE) à
Lille. Dans ses « Carnets », le colonel Rivet note qu’un chef de corps vient le voir pour
lui recommander un de ses officiers, le lieutenant d’Hoffelize (qui dirigera plus tard le
poste TR 125 de Barcelone).
(11) Tel est le cas, entre autres, du colonel Paillole, du colonel Bonnefous, du
lieutenant-colonel Doudot et du colonel Lafont (plus connu sous le pseudonyme de
« Verneuil »).
(12) Tel est le cas, entre autres, du général Schlesser et, dans une moindre mesure,
du général Rivet.
(13) Dans sa livraison en date du 20 juillet 1936, le « Cahier des Droits de
l’Homme » consacre un article de deux pages à l’affaire Frogé. Il est intitulé : « Une
machination du 2e Bureau contre Frogé ? ».
(14) Avec le 2e Bureau en tout premier lieu, étant précisé que les rapports entre
le colonel Rivet et le colonel Gauché, chef du 2e Bureau entre 1935 et 1940, sont
manifestement « fluides » sur la période considérée. Ils le seront également avec le
successeur du colonel Gauché, le colonel Baril.
(15) Henry Corvisy sera nommé directeur des Affaires Criminelles et des Grâces au
mois de décembre 1940. Il le restera jusqu’au mois de janvier 1944. Il recommandera
quasiment toujours au Maréchal Pétain (qui suivra son avis) de rejeter les recours en
grâce présentés par les justiciables condamnés à mort pour espionnage. Tel sera le cas,
entre autres, dans l’affaire Devillers, agent de pénétration que l’Abwehr avait infiltré
au cœur du mouvement « Combat ».
(16) Cf. le cas de Maurice Dejean qui « opérera », plusieurs années durant, au
Service de Presse de l’ambassade de France à Berlin.
(17) C’est d’autant plus surprenant que les ambassadeurs qui se sont succédé à
Berlin entre le début des années 1930 et la déclaration de guerre, André François Poncet
et Robert Coulondre, avaient largement compris ce qu’il fallait penser à la fois
d’Hitler et de la menace qu’il représentait.
(18) Notamment en faisant valoir qu’Otto Abetz était « francophile » et que son
épouse était française (Otto Abetz avait épousé en 1932 l’assistante de Jean Luchaire).
(19) On trouve un propos comparable sous la plume du général Schlesser, chef de
la SCR entre 1936 et 1940 (Bulletin de l’AASSDN n° 9 en date du mois de janvier
1956).
(20) Où le ministère de la Guerre a mis en place la Military Intelligence Research
et le Secret Intelligence Service la section D, l’une et l’autre travaillant surtout sur les
sabotages. Voir à ce sujet l’ouvrage publié en 2016 par Sébastien Albertelli Histoire
du sabotage, pages 176 à 190).
(21) Placée sous l’autorité du commandant Brochu, la section MG comprend
quatre officiers, dont le lieutenant Gilbert Turck (qui parviendra à s’embarquer pour
l’Angleterre à la fin du mois de juin 1940 et qui sera parachuté en France au début
du mois d’août 1941. Interpellé par la gendarmerie dès son atterrissage, il sera libéré
après intervention du commandant Brochu et du colonel Rivet).
(22) Dénomination du SR/SCR à Alger à partir de la fin de l’année 1942.
(23) Direction Générale des Services Spéciaux. Elle fut confiée à Jacques Soustelle.
(24) Notamment celles des séries 7 N (archives du 2e Bureau de l’EMA) et 7 NN
(Fonds de Moscou). Voir également l’ouvrage publié en 1953 (en partie pour répondre
aux Mémoires du général Gamelin) par le général Gauché, Le 2e Bureau au travail.
(25) On le voit (entre autres) au travers des positions qu’il recommande au général
Weygand, chef d’État-Major Général de l’Armée à l’époque, de prendre tout au long
de la Conférence de Genève sur le désarmement entre 1932 et 1934.
(26) C’est sur la base des archives du 2e Bureau que Georges Castellan écrira en
1954 un ouvrage intitulé Le réarmement clandestin du Reich 1930-1935.
(27) La plus connue étant Hans Thilo Schmidt, à qui Paul Paillole et Frédéric
Guelton ont consacré un ouvrage en 2011, Notre espion chez Hitler.
(28) C’est moins le cas dans le domaine terrestre (aux problèmes de périmètre
près) que dans le domaine aérien, peut-être parce que l’entourage de Goering, ministre
de l’Aviation, avait pris le parti de transmettre à notre attaché de l’Air, le capitaine
Stehlin, des chiffres qui « gonflaient » à la fois les capacités opérationnelles de la
Luftwaffe et la capacité de production de l’industrie aéronautique en matière d’avions
de combat, l’objectif étant de dissuader par avance les Autorités françaises de s’opposer
si peu que ce soit aux entreprises du Reich. La manœuvre produisit manifestement
l’effet recherché, comme le montrent les positions prises par le général Vuillemin,
chef d’État-Major de l’armée de l’Air, à son retour d’une visite en Allemagne au mois
d’août 1938, juste avant la crise qui devait déboucher sur les accords de Munich.
(29) Voir à ce sujet l’article publié en 1949 dans la Revue Historique des Armées
par Georges Castellan (« La Wehmacht vue de France, septembre 1939 ») et l’article publié
par le général de Cossé-Brissac en 1964 dans la Revue d’Histoire de la Deuxième Guerre mondiale
(« L’Armée allemande dans la campagne de France de 1940 »).
(30) Notamment pour ce qui concerne l’aviation de bombardement et, dans une
mesure un peu moindre, l’aviation de combat.
(31) Dénommé Section d’Études Régionales, le poste de Marseille et ses annexes
(celle de Nice notamment) ont été placés sous l’autorité du commandant Barbaro
de 1936 à 1940. Il avait une connaissance précise et exhaustive du dispositif italien.
Ses collaborateurs et ses collègues avaient coutume de dire que Mussolini l’appelait
quand il voulait savoir où était déployé tel ou tel de ses régiments.
(32) D’après les chiffres contenus dans le Compte Général de l’Administration de
la Justice Criminelle (chiffres qui ne sont probablement pas exhaustifs), le nombre
des prévenus poursuivis pour espionnage ne dépasse pas 72 entre 1930 et 1933. 12
sont acquittés et 60 condamnés, dont 43 à plus d’un an de prison. À noter que sur les
49 instructions ouvertes pour espionnage en 1933, 34 concernent l’Allemagne et 10
l’Italie.
(33) 737 prévenus ont été condamnés pour espionnage entre 1914 et 1918. 169 ont
été condamnés à mort et exécutés, dont 44 (soit 26 %) étaient de nationalité française.
(34) La première mouture du projet de loi qui débouchera in fin sur la loi du 26
janvier 1934 a été déposée en 1922.
(35) Convaincues d’espionnage au profit de la Pologne, Benita von Falkenhayn et
Renate von Natzmer seront décapitées à la hache au mois de février 1935.
(36) Quant aux condamnations, leur nombre passe en moyenne 15 par an (dont 11
à plus d’un an de prison) entre 1930 et 1933 à 85 (dont 35 à plus d’un an de prison) en
1934 et à 122 (dont 44 à plus d’un an de prison) en 1935.
(37) Le décret-loi du 29 juillet 1939 sera complété par deux décrets en date du 9
avril 1940. Le premier complétait les articles 75 et 76 du Code Pénal sur la trahison.
Quant au second, il définissait les sanctions encourues par les fonctionnaires et agents
publics qui se livrent à une propagande de nature à nuire à la Défense Nationale.
(38) Dont les moyens en personnel restent pour le moins limités. À titre d’exemple,
la section « Allemagne » de la SCR ne comprend pas plus de quatre officiers et la
section « Italie » pas plus de deux officiers à la fin des années 1930.
(39) Ses effectifs ont été progressivement portés de 1 à 10 commissaires et de 10
à 20 inspecteurs.
(40) Dirigé à partir de 1935 et jusqu’en 1942 par le Contrôleur Général André
Castaing. Il sera arrêté et déporté par l’occupant en 1943.
(41) Outre le Service Central (situé à Paris), les effectifs de la Surveillance du
Territoire sont répartis entre 11 circonscriptions régionales à partir du mois de juin
1934 et entre six régions à partir du mois de décembre 1935.
(42) Une bonne partie des commissaires de la Surveillance du Territoire ont une
relation ancienne et « fluide » avec la SCR. Ils la maintiendront, dans un contexte
pour le moins compliqué , sous l’Occupation, souvent à leurs risques et périls, comme
ce fut le cas du commissaire Triffe (qui arrêtera Henri Devillers au mois de janvier
1942), du commissaire Hacq (qui sera révoqué au mois d’octobre 1943, arrêté par
l’occupant au mois de novembre 1943 après avoir rejoint le réseau Ajax et déporté à
Mauthausen), du commissaire Osvald (qui avait arrêté l’enseigne de vaisseau Aubert,
lequel sera condamné à mort et exécuté, au mois de novembre 1938) ou, dans un
registre différent, du commissaire Blémant (qui est en poste à Lille jusqu’à la déclaration
de guerre, puis à Marseille jusqu’à l’invasion de la zone libre).
(43) Même si le Contrôleur Général Castaing et ses collaborateurs relèvent régulièrement
qu’ils ne sont pas suffisants, notamment pour assurer l’ensemble des filatures
nécessaires.
(44) Même si les officiers de la SCR critiquent régulièrement la faiblesse (supposée) des
verdicts rendus par les tribunaux militaires et n’hésitent pas à mettre en cause
le comportement du président du tribunal et/ou les réquisitions de l’avocat général.
(45) Cf. le carton 7 NN 2525. On trouve également des fiches manuscrites (sans
indication de date ou d’origine) sur le sujet dans le Fonds Paillole (1 K 545).
(46) Sur les 221 personnes arrêtées au cours des quatre derniers mois de l’année
1939, 170 travaillaient pour l’Allemagne et 32 pour l’Italie.
(47) Pour autant, une partie au moins des peines de mort qui ont été prononcées
pour espionnage depuis le début de l’année 1939 seront exécutées tout au long des
six premiers mois de l’année 1940, y compris après l’armistice. Quatre exécutions
auront lieu à Pessac le 22 juin 1940, une pour espionnage, une pour sabotage et deux
pour complicité de sabotage. Le premier des quatre condamnés était Jean Amourelle,
membre de la SFIO depuis 1934. Secrétaire sténographe au Sénat, il avait été chargé

de sténographier, sous la foi du serment, les débats secrets des Commissions de l’Armée
de la Chambre des Députés et du Sénat. Il était en train d’en négocier la vente à
l’Allemagne pour la somme de 400 000 francs quand il a été arrêté à la fin du mois
d’avril 1940. Traduit devant le Tribunal Militaire de Paris, il fut condamné à mort le
29 mai 1940 et exécuté trois semaines après.
(48) Elles sont, pour la plupart d’entre elles, adressées à la Direction Générale de
la Sûreté Nationale ou à la 5e
Section des Renseignements Généraux de la Préfecture
de Police (dirigée par le commissaire Gianviti).
(49) Comme c’est également le cas des cartons de la série 28 P 14 (qui regroupent
les archives du BMA de la 9e
Division Militaire entre le mois de septembre 1940 et le
début du mois de novembre 1942).
(50) Interceptions postales, téléphoniques ou télégraphiques.
(51) Il arrive même que l’individu mis en cause ne puisse pas être identifié ou ne
puisse pas être localisé.
(52) Cf. les diplomates allemands et italiens (qu’ils soient basés à Paris ou en province),
les dirigeants et les membres de la section française du NSDAP, la section
française du Groupement National Socialiste des Femmes Allemandes (dont la présidente
est Mme Karl Epting), le bureau de l’Agence des Chemins de Fer Allemands à
Paris et les journalistes allemands (à commencer par Krug von Nidda, correspondant
à Paris de la Deutsche Allgemeine Zeitung à partir de 1933 et qui sera le représentant
du Reich à Vichy de 1941 à 1943).
(53) D’où la surveillance exercée sur le Comité France-Allemagne ( dont la liste
des membres est soigneusement tenue à jour) et sur les personnalités considérées
comme proches, voire trop proches, du Reich, telles que Fernand de Brinon, Jean
Luchaire, Melchior de Polignac, Gabriel Jeantet (notamment à cause du rôle qu’il
joue au sein de la Cagoule) ou Bertrand de Jouvenel (qui réalise une interview d’Hitler pour le compte de « Paris-Midi » au mois de février 1936, son épouse étant, par ailleurs, une des filles du général Duseigneur, président de l’Union des Comités d’Action Défensive et membre important de la Cagoule).
(54) Sont notamment placés sous surveillance Hermann Bickler, Joseph Rossé,
Jean-Pierre Mourer,, Robert Ernst et Paul Schall. Tous seront arrêtés et internés à
Nancy le 31 octobre 1939. Ils seront libérés et remis à l’occupant à Chalon-sur-Saône
le 17 juillet 1940.
(55) Le Destour et le Néo-Destour en Tunisie ; l’Étoile Nord-Africaine et le Parti
du Peuple Algérien en Algérie, l’un et l’autre ayant été fondés par Messali Hadj.
(56) On trouve dans les archives le compte-rendu, probablement rédigé par un
informateur infiltré à bon niveau, de plusieurs réunions internes du PCF, notamment
celle du 2 décembre 1937 (7NN2557 ).
(57) Parti Ouvrier d’Unification Marxiste, mouvement considéré (en partie à tort)
comme étant d’obédience trotskyste. Il avait été fondé en 1935 par Andreu Nin et
Joaquin Maurin.
(58) Comité Secret d’Action Révolutionnaire. Sont également placés sous surveillance deux proches d’Eugène Deloncle, Jean Filiol (qui sera, non sans raison, soupçonné d’avoir activement participé à l’assassinat des frères Rosselli en 1937)
et François Méténier (qui organisera l’attentat commis contre l’immeuble de la

Confédération Générale du Patronat Français au mois se septembre 1937 et négociera
avec le régime italien les livraisons d’armes à la Cagoule).
(59) On comptait 2000 noms « actifs » dans le Carnet B au début du mois de septembre 1939.
(60) Dès avant la déclaration de guerre, le compte rendu des visites effectuées
dans les établissements travaillant pour la Défense Nationale contenait un paragraphe
consacré à la main- d’œuvre étrangère, à la présence et à l’audience des syndicats et
au nombre (voire à l’identité) des salariés soupçonnés de « proximité » avec le PCF.
(61) Pour des raisons évidentes, la surveillance exercée (qui est souvent lacunaire,
pour ne pas dire vaine, faute de moyens) vise par priorité la main-d’œuvre italienne et la
main-d’œuvre allemande. Dans l’article qu’il a publié en 1956 sur « Le contre-espionnage entre 1936 et 1940 » dans le Bulletin de l’AASSDN (n° 9), le général Schlesser
écrit (sans plus de précision) que la main-d’œuvre étrangère aurait représenté 45 %
des effectifs employés sur les chantiers de fortifications et dans les établissements
travaillant pour la Défense Nationale dans le département de la Meurthe-et-Moselle.
(62) Même s’il est partagé, au moins jusqu’à la déclaration de guerre avec les services de police et, dans une moindre mesure, avec le cabinet du ministre de la Guerre,
lequel reprendra à son compte en 1938 les activités de la section PR (Propagande
Révolutionnaire) qui avaient assez largement été réduites à la portion congrue. La
section PR (dont la mission principale était de lutter contre toute forme de propagande révolutionnaire dans l’Armée) sera dirigée par le commandant Serre, puis par
le capitaine Jacquot (qui avait travaillé sous les ordres du colonel Rivet en 1933 et qui
témoignera en faveur d’Édouard Daladier au procès de Riom en 1942).
(63) Une partie des dossiers individuels qu’on trouve dans la série 7 NN courent
sur 20 ans, voire plus.
(64) Chef de la SCR entre 1936 et 1940.
(65) Aloïs Aubin sera condamné à dix ans de prison et Jules Poirier mourra en
prison d’un infarctus après avoir fait des aveux complets. Ils avaient été présentés à
la baronne von Einem (que la SCR avait identifiée depuis longtemps) par Fernand de
Brinon, à l’époque journaliste au Matin.
(66) Dans une note qu’il adresse au commandement le jour même de la déclaration
de guerre, le colonel Gauché, chef du 2e
Bureau, conclut son propos en écrivant :
« Jamais, à aucune période de son Histoire, la France ne s’est engagée dans une guerre
dans des conditions initiales aussi défavorables ».
(67) Fonds 3 K 15




Joséphine Baker au Panthéon

Par Alain Juillet et Marie Gatard

Avec l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker, beaucoup retiennent le combat d’une femme qui a utilisé sa grande notoriété au service de la lutte contre le racisme et pour l’émancipation des Noirs en soutenant le mouvement américain des droits civiques, puis en s’impliquant comme franc-maçonne, à partir de 1960, dans la lutte pour l’égalité des droits pour toutes et tous.

Pourtant ce n’est pas seulement une femme exceptionnelle pour son action en faveur de la fraternité universelle, symbolisée par la fratrie de tous les enfants qu’elle a adoptés, venus de toutes les régions du monde, pour toutes et tous, c’est aussi la combattante pour la liberté de la France qui est aujourd’hui honorée.

Joséphine Baker – Photo Studio Harcourt (1948)

Les anciens des Services spéciaux sont particulièrement fiers de voir ainsi reconnue l’une des leurs mais beaucoup ignorent ce qu’elle a pu faire réellement. C’est pourquoi il a semblé utile aux auteurs de cet article d’en raconter l’histoire en utilisant les mémoires et livres qui évoquent le combat de la femme de l’ombre qui prenait si bien la lumière.

Elle ne reculera effectivement devant aucun risque pour la France.

Quand elle est contactée, dès septembre 1939, par le capitaine Jacques Abtey, de la section allemande du contre-espionnage français dirigé par le capitaine Paul Paillole, elle accepte immédiatement de se mettre à la disposition du service avec ces paroles : « C’est grâce à la France que je suis devenue ce que je suis. Je lui vouerai une reconnaissance éternelle. Les Parisiens m’ont tout donné, en particulier leur cœur, je leur ai donné le mien. Je suis prête, capitaine à leur donner aujourd’hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez. »

Voir la vidéo produite par le Ministère des Armées

De la misère à la danse

Danseuse aux Folies Bergères, l’artiste a alors 33 ans, elle est devenue une image mythique du music-hall.

L’ascension de la petite fille du Missouri a été prodigieuse. Sa mère, métisse noire et indienne, et son père, batteur de Saint Louis, d’origine espagnole, qui ont monté un numéro de chant et de danse, se produisent dans des bars et des music-halls.

De son vrai nom Freda Mac Donald, elle est l’aînée de la famille, mais, un an après sa naissance, son père quitte sa mère, et celle-ci, qui tient la petite fille pour responsable, se comporte avec une grande brutalité. Le froid, la puan- teur, la misère sont le terreau de son enfance. À huit ans, elle travaille comme bonne à tout faire dans la maison d’une blanche, où elle dort avec le chien près du tas de charbon. Elle est tirée de cet univers quand sa patronne l’ébouillante pour la punir, des voisins ayant entendu les cris de l’enfant. À onze ans, elle assiste à un événement qui la marquera à jamais, l’émeute raciale du ghetto de East Saint Louis. Des gens ont été brûlés dans l’incendie, elle voit s’enfuir les fugitifs traqués comme des bêtes. À treize ans, après une rupture violente avec sa mère, elle se marie, pour peu de temps, avec un garçon de wagon-lit, Willie Wells.

La danse est déjà son univers. Dans les rues de Saint Louis, elle a appris les mouvements typiques des danseurs de jazz des années 20 aux États-Unis. Élevée dans la tradition baptiste, elle aime les cérémonies religieuses où musique et rythme entraînent les fidèles qui tapent des pieds, battent des mains, se balancent dans une atmosphère hypnotique. Elle est imprégnée de l’idée que l’âme peut s’exprimer à travers le corps.

C’est ainsi qu’après avoir été serveuse, elle se joint à un groupe familial de musiciens de rue, où elle apprend à jouer du trombone. C’est là qu’elle épouse, à quinze ans, Willie Baker, dont elle gardera le nom, et qu’elle réalise son rêve, entrer dans le corps de ballet d’un groupe en tournée. Elle y joue d’abord les remplaçantes, mais finit par se faire connaître dans le rôle de girl comique : elle grimace, se démène avec un entrain irrésistible, capable de n’importe quelle posture sans jamais arrêter de loucher.

Scandale et enthousiasme : la Revue nègre

À la même époque à Paris, en 1925, sévit un véritable engouement des artistes pour l’exotisme, en particulier pour l’art africain. Le peintre Fernand Léger, qui vient de voir l’exposition d’art nègre au musée des Arts décoratifs, suggère à l’administrateur du théâtre des Champs-Élysées de présenter un spectacle entièrement réalisé par des Noirs. La troupe dont fait partie Joséphine est pressentie. Elle a alors dix-neuf ans, danse en solo et commence à faire parler d’elle. C’est son premier contact avec la France.

De ce pays, Joséphine attend tout et, surtout, d’y échapper à une discrimination raciale particulièrement lourde à l’époque dans son pays. Paris lui offrira plus qu’une terre d’accueil, il fera d’elle une star. Mais si ce corps se dresse comme une œuvre qui exalte le monde des arts, si le nom de Joséphine Baker est aussi synonyme de liberté et d’ouverture sur le monde, l’Éros, propice aux fantasmes, indigne certains. Les catholiques s’offusquent, au point que l’Église en vient à s’alarmer. Pourtant, la star décide de rester en France.

Elle devient la compagne de Giuseppe Abatino, dit Pepito, qui passe pour un gigolo et se révélera être, durant leur union de dix ans, un remarquable impresario. C’est lui qui organise pour elle une tournée mondiale. Celle-ci débute à Vienne où des étudiants de droite veulent empêcher les artistes de couleur de se produire. L’Église, offusquée par des exhibitions de sensualité aussi tumultueuse, s’en mêle. Joséphine est horrifiée. En Argentine aussi, dit-elle, « les partis catholiques m’ont traquée de gare en gare, de ville en ville, d’une scène à l’autre ». En 1929, la police de Munich interdit le spectacle.

Arrivent les années 30. Elle a retrouvé la France, seul pays pour elle « où l’on puisse vivre facilement ». Elle est danseuse au Casino de Paris, devenu music-hall respectable. Joséphine s’est  transformée :  elle est vêtue avec simplicité et s’est mise à chanter. La petite Tonkinoise et J’ai deux amours sont sur toutes les lèvres. En 1934, elle tentera l’opérette et remportera un vrai succès dans le rôle de La Créole d’Offenbach.

Pourtant son désir de retourner dans son pays pour s’y imposer à Broadway se soldera par un échec. Comprenant qu’elle n’y a définitivement pas sa place, elle rentre à Paris mener une nouvelle revue aux Folies Bergères. Pepito est mort brutalement au printemps 1936. En 1937, en épousant Jean Lion, un riche courtier en sucre, elle obtient la nationalité française. La même année elle passe le brevet de pilote.

La star et le contre-espionnage

Quand éclate la guerre, en 1939, la star noire est en quelque sorte rattrapée par le racisme. On entendait déjà les accents du nazisme et les cruautés de l’idéal aryen. Les nazis considèrent les Noirs comme une menace pour la « race blanche ».C’est un agent de théâtre qui la met en rapport avec le capitaine Jacques Abtey, un Alsacien de 33 ans, énergique et sportif, un blond au front haut et aux yeux bleu pâle.

Avant la guerre déjà, le chef de la section des services secrets travaillant contre l’Allemagne avait eu l’idée d’utiliser des comédiens français à l’occasion de leurs déplacements à l’étranger.

«  Quand  le jeune capitaine Abtey me parla pour  la première fois  de Joséphine Baker, dira le colonel Paillole, je fus réticent. Nous nous méfions au 2e Bureau des enthousiasmes à la Mata Hari. Je craignais qu’elle soit une de ces personnalités brillantes du monde du spectacle qui, à l’épreuve d’un vrai danger, bien différent de leurs affres habituelles, se cassent comme du verre ; il me dit que Joséphine, c’était de l’acier. » Sous la coupe de Jacques Abtey, Joséphine Baker devient honorable correspondant.

Elle « ignorait tout du service de renseignements et devint rapidement un H.C. de tout premier ordre, dit Abtey. Cette femme universellement connue n’avait rien d’une barbouze. On se doute qu’elle n’opérait pas davantage en manteau couleur passe-muraille. Ce fut précisément en tant que Joséphine Baker qu’elle n’attirait pas l’attention sur son activité secrète. (…) Mieux, je parvins moi-même en certaines circonstances à passer complètement inaperçu en voyageant auprès d’elle avec un faux passeport en qualité de secrétaire ou d’artiste. »

« Mission accomplie ! »

Une longue route d’aventures va commencer pour Joséphine et son « officier traitant ». Le monde du renseignement de la vedette devient vite celui des ministres, des ambassades, voire des rois.

En 1940, Jacques Abtey est chargé d’établir, pour les Services spéciaux français, une liaison avec l’Intelligence Service, en vue d’un échange permanent de renseignements et afin de recevoir des consignes pour l’action commune. Il est décidé qu’il va accompagner la star dans sa tournée au Portugal et en Amérique du Sud ; il se fondra dans la troupe avec un passeport au nom de Jacques-François Hébert. Joséphine commence son travail de couverture, qui implique d’énormes risques, d’autant qu’elle fait inscrire sur le passeport de son coéquipier « accompagne madame Joséphine Baker ».

Pour ce premier voyage, ils partent avec une synthèse des renseignements recueillis jusque-là par le service de Paul Paillole, reproduite en langage chiffré et à l’encre sympathique (emplacement des principales divisions allemandes, effectifs, matériel, terrains d’aviation et même une photo d’une péniche que les Allemands projettent d’utiliser pour une invasion de l’Angleterre).

Tout le monde se presse pour voir la vedette, Abtey passe inaperçu, il fait pour ainsi dire partie des bagages. À l’ambassade de Lisbonne, par l’attaché de l’Air anglais, il entre en contact avec un membre de l’Intelligence Service. Joséphine, revenue seule à Paris, pourra dire à Paillole : « Mission accomplie ! »

Comme elle a besoin de renflouer ses finances, entamées par l’expédition à Lisbonne qu’elle a tenu à assumer, elle reprend à Marseille La Créole. À partir de ce moment, elle n’acceptera jamais aucune aide pécuniaire pour tout ce qu’elle fera pour la Résistance ou les soldats de l’Alliance.

Abtey est resté à Lisbonne pour mettre sur pied les modalités de collaboration avec les Anglais. Le service français sera basé à Casablanca et les courriers transiteront par le Portugal. Rentré à Marseille pour la première d’un spectacle de Joséphine, il lui dit qu’il a besoin d’elle pour la suite de ses missions et qu’ils vont s’installer au Maroc. N’hésitant pas un instant, elle interrompt les représentations pour cause de maladie et fait prendre ses bagages dans son château de Dordogne. Mais elle tient à ses animaux et l’on voit arriver dans sa cabine du bateau en partance pour l’Afrique du Nord : son danois, sa guenon, son singe-lion, son ouistiti, et ses deux souris blanches.

Ils embarquent aussi avec la dernière synthèse de renseignements. Mais, arrivé à Casablanca, Abtey a de telles difficultés pour obtenir un visa pour Lisbonne que Joséphine décide d’y aller à sa place. « Dans une valise, dira- t-il, elle emmenait la synthèse de Paillole que je lui avais transcrite à l’encre sympathique sur une partition de musique. De me voir écrire avec de l’eau l’avait bien amusée. C’était la première mission qu’elle allait accomplir seule à l’étranger. » Pour justifier sa présence à Lisbonne, elle y donne quelques représentations et revient radieuse

Mosaïques, orangers et colonnes de marbre

Elle se replie alors à Marrakech où deux personnalités lui ont ouvert les bras : un cousin germain du sultan, S.A. Moulay Larbi el-Alaouï, et le pacha de Marrakech, S.E. Si Thami el-Glaoui. Séduite par cette ville, elle s’installe avec sa suite, dont Abtey, dans une demeure de rêve au fond d’une impasse de la Médina : vestibule couvert de mosaïques, jardin intérieur à colonnes de marbre, orangers, fontaine gazouillante. Elle est frappée par la spiritualité qui émane de cette féerie. Mais le travail continue.

Malgré les dangers qu’il y a pour elle à aller en Espagne, alors sous tutelle occulte des Allemands, elle décide de s’y produire, ce voyage étant favorable à leur mission. Elle en reviendra avec, fixées à ses sous-vêtements par une épingle de nourrice, les notes qu’elle a prises sur les ambassades et les milieux politiques espagnols.

Mais, soudain, sa santé arrête son élan : elle a une péritonite et son cas est des plus sérieux. Un lit de camp est dressé auprès d’elle pour Abtey qui la veille, mais doit souvent la quitter pour les besoins de sa mission. Elle l’aide encore à sa manière : sous prétexte de visites à la malade, il peut donner dans sa chambre la plupart de ses rendez-vous clandestins.

Cependant, de rechute en rechute, Joséphine mène une incessante lutte pour la vie, qui va durer dix-neuf mois.

Un jour, elle voit arriver à son chevet un grand gaillard au visage ouvert, le vice-consul américain Bartlett : « Miss Baker étant d’origine américaine, dit-il, personne ne trouvera surprenant que je lui fasse des visites. » Abtey a en effet établi de nouveaux contacts avec les Américains, entrés dans la guerre. C’est ce même Bartlett qui leur annoncera un jour : de graves événements se préparent.

À la mi-octobre 1942, on offre à Abtey de diriger le 2e  Bureau de l’état-major militaire d’un mouvement de France Combattante qui vient de se former à Casablanca. Et les agents de Paillole ont été pressentis pour neutraliser, sous la direction du général Béthouart, le commandement supérieur des troupes du Maroc qui sont sous la direction du gouvernement de Vichy.

Le 8 novembre 1942, la DCA se déchaîne contre les premiers avions alliés, c’est le début du débarquement en Afrique du Nord. Joséphine exulte, Abtey la voit « bondir de son lit métallique, se lancer sur la terrasse, son maigre corps vêtu d’un pantalon de pyjama et d’un méchant tricot, les pieds nus » et, levant un poing vers le ciel : « Je vous l’avais toujours dit ! C’est cela les Américains ! » Elle suit la bataille du toit de la clinique.

Le deuxième jour des combats, elle tient, malgré sa faiblesse, à accompagner les représentants de la France Combattante qui vont se mettre à la disposition de l’état-major américain : une civière leur permettra de se déplacer sous la protection d’une ambulance de la Croix-Rouge.

Des milliers de soldats l’écoutent chanter

Enfin, le 1er  décembre, Joséphine quitte la clinique. À Marrakech, Si Mohamed Menebhi met à sa disposition un pavillon de son palais. Mais une paratyphoïde la terrasse à nouveau et elle enrage de ne pouvoir s’engager aux côtés de son officier traitant. Pourtant, le 1er  février, à peine rétablie et les cicatrices des interventions chirurgicales qu’elle a subies lors de son long séjour à la clinique n’étant pas entièrement refermées, pour aider les gens de sa couleur, elle monte sur les planches dans un foyer de soldats américains noirs (les blancs ont leur propre club). Le général Clark, qui assiste au spectacle, viendra la féliciter à la réception où l’on verra les plus hauts gradés de l’armée interalliée. Elle renaît à sa vie de star et se met à la disposition du haut commandement des troupes engagées, pour donner gratuitement des spectacles pour soutenir le moral des soldats. Et, alors qu’elle n’a plus un sou et qu’elle doit, pour se renflouer, donner une série de représentations au Rialto à Casablanca, la première est un gala au profit de la Croix-Rouge française. Le succès est énorme. J’ai deux amours, mon pays et Paris déchaîne une émotion parfois déchirante.

Et, tandis qu’Abtey, qui a quitté le Corps franc coiffé par Giraud, attend l’occasion de s’envoler pour rejoindre de Gaulle, elle fait le tour des can- tonnements (près de 300.000 hommes sont sous la tente ou dans des bara- quements). Plusieurs fois par jour, elle monte sur les tréteaux ; sa loge est une tente. Près d’Oran, la scène est dressée au milieu d’un champ, plusieurs milliers de soldats l’entourent. À Mostaganem, on lui demande de chanter sur la place publique car les militaires sont en butte à l’hostilité de la population, majoritairement italienne et espagnole, et le chef d’état-major a décidé de les mêler à la foule, espérant susciter le pouvoir rassembleur de l’artiste.

Tout en chantant, elle descend parmi les spectateurs, prenant des bébés dans ses bras et les remettant aux soldats. C’est ainsi qu’elle réussit à créer cette atmosphère de fraternité à laquelle elle aspire tant.

Des milliers de kilomètres à travers le désert

Quand elle rentre, épuisée, Paillole et de nombreux membres du 2e Bureau sont arrivés à Alger, ainsi que le général Catroux, représentant de Gaulle. Abtey se met au service du BCRA, tandis que Joséphine accepte une tournée dans les camps britanniques de Libye et d’Égypte. On pourrait croire que son activité dans la Résistance va s’arrêter là, d’autant qu’il n’est pas question pour elle de rentrer en France où, depuis 1941, les nazis ont interdit l’entrée en zone occupée de toute personne de couleur.

baker josephine
Le SLT Josephine Baker avec Alla Dumesnil-Gillet CDT les formations féminines de l’air – Photo Archives AASSDN

Pourtant, les deux coéquipiers vont continuer à lutter ensemble, mais leur action prend une autre tournure. Il ne s’agit plus d’œuvrer contre les services allemands, mais d’observer le monde musulman où les rivalités ancestrales ressurgissent. Joséphine a une grande connaissance du milieu arabe et, si elle met les intérêts de la France au-dessus de tout, elle aime sincèrement ses amis musulmans. C’est dans cet esprit qu’elle va travailler.

Accompagnée d’Abtey, elle part donc pour le Moyen-Orient. Sous couvert d’une tournée de propagande, sous le haut patronage de De Gaulle et au profit de la Résistance en métropole, elle donnera des spectacles devant les troupes FFL.

Toujours bénévole, pour pouvoir financer l’entreprise, Joséphine donne une grande soirée au théâtre municipal d’Alger. De Gaulle est parmi les spectateurs, il la félicite et lui fait remettre une petite croix de Lorraine en or. Il faut dire que Joséphine a un drapeau français de dix mètres orné d’une immense croix de Lorraine, qu’elle a déployé sur la scène. Elle le déploiera tout au long de sa tournée.

Elle suggère d’emmener avec eux un de ces amis, Madani Glaoui, neveu du pacha de Marrakech, un jeune homme plein de grâce et d’allant, acquis à de Gaulle, et dont le nom est susceptible de leur ouvrir des portes. Et les voilà partis pour un extraordinaire périple, tous les trois en jeep, les bagages suivant dans un autre véhicule, Joséphine en tenue militaire de campagne. Elle va faire ainsi des milliers de kilomètres à travers le désert.

À Sfax, ville détruite, elle offre la recette aux sinistrés. À Alexandrie, le trio est invité par le prince Mohamed Ali qui s’intéresse à leur mission. Au Caire, grande soirée franco-égyptienne présidée par le roi Farouk et banquet en l’honneur de la star. À Beyrouth, président de la République sortant, ambassadeur et têtes couronnées de Grèce. Pour augmenter la recette au profit de la Résistance, Joséphine met aux enchères la croix de Lorraine en or offerte par de Gaulle : elle atteint 350.000 francs.

Damas, Jérusalem, Tel-Aviv, Jaffa, Haiffa, puis Le Caire à nouveau ; sur toutes les scènes, Joséphine fait flotter son grand drapeau, symbole de la résurrection de la France. Bilan de la mission : une action de propagande et plus de trois millions de francs pour la Résistance.

Cependant, à Beyrouth, à l’élection du nouveau président de la République libanaise, le candidat français est battu, l’union arabe marque le premier point. Les renseignements recueillis par Abtey sont tous transmis à Alger et, devant la révolte grondant au Liban et les manifestations du Caire, ce dernier décide de rentrer le plus rapidement possible dans la capitale algérienne pour rapporter de vive voix les suggestions faites par les personnalités libanaises rencontrées.

L’échec de la France au Moyen-Orient occupe les esprits et change déjà les mentalités. Impression des deux coéquipiers : « le torchon brûle ». Les mouvements nationalistes intéressent les services de renseignements français, autant qu’américains et britanniques.

Mais Joséphine paie son infernale randonnée dans le désert et doit être opérée d’urgence d’une occlusion intestinale. Le palais Menebhi, où elle est en convalescence, est un lieu privilégié d’observation pour juger de l’évolution des dispositions des notables marocains à l’égard de la France.

À la veille du Débarquement en France sur les côtes normandes, elle accepte une tournée de propagande au profit de la France libre, en Corse, qui vient d’être libérée ; le but est, là, une démonstration à l’intention des Américains, dont l’attitude à l’égard de De Gaulle est plus qu’équivoque ; au point qu’un jour, un membre du corps diplomatique conseille à la vedette de ne jamais monter dans l’avion du Général.

Son avion s’écrase en mer

Quand elle rejoint la Corse en avion avec Abtey, s’apprêtant à poser le pied en France pour la première fois depuis quatre ans, peu après la Sardaigne, un moteur tombe en panne. Le ciel est sillonné d’avions français, tandis que le leur perd de l’altitude et finit par descendre vers la mer. « Calez-vous ! » crie le pilote. Le grand drapeau roulé sert de coussin protecteur à Joséphine. L’avion s’écrase dans une gerbe d’eau, sa carlingue de bois éclate, ses occupants grimpent sur une aile au milieu des bagages flottants. Ils sont tombés dans une anse, un groupe de tirailleurs Noirs accourt sur la plage. La soirée de gala sera assurée, Joséphine chantera pour les hommes qui vont libérer la France occupée.

Engagée le 23 mai 1944 dans l’armée, le lieutenant Joséphine Baker débarquera elle-même en zone sud avec les Forces féminines de l’Air : tenue de campagne, barda et casque réglementaires, vie de soldat.

Abtey la retrouve à Paris, aux Halles, calot sur la tête, dans un grand manteau gris-bleu de la RAF, pourvu par ses soins des boutons de cuivre de l’armée de l’Air française, une grosse écharpe de laine autour du cou ; elle s’approvisionne en gros pour les vieux de la banlieue (sans tickets d’alimentation grâce à ses relations). Elle s’est engagée dans la lutte contre la misère.

Pour une série de spectacles au profit des sinistrés, on lui recommande l’orchestre de Jo Bouillon. Ils suivront ensemble la progression de la 1re Armée, parcourant la zone française en Allemagne occupée. À Berlin, elle représente la France au cours d’un spectacle grandiose où figurent les grandes nations alliées. À Buchenwald libéré, elle ira au chevet des typhiques intransportables.

Une nouvelle tranche de vie attend la star, mais, en retrouvant la paix, avec Jo Bouillon devenu son mari, elle ne renoncera jamais à lutter avec l’étonnante générosité dont elle a toujours fait preuve, notamment pour sa cause première : l’abolition des barrières raciales. Voulant prouver qu’on peut vivre ensemble sans discrimination, elle adoptera douze enfants d’origines différentes.

L’activité de Joséphine Baker dans le cadre des services spéciaux a été minimisée par certains, pour lesquels elle n’aurait pas été un véritable agent de renseignements. Sans elle, pourtant, le véritable agent de renseignements que fut Jacques Abtey n’aurait jamais pu mener à bien ses missions. Elle a tout le long de l’Occupation pris des risques considérables pour le « couvrir » et s’est dépensée parfois au-delà de ses forces pour la Résistance. Ses décorations en témoignent. Elle a reçu la médaille de la Résistance, en 1946, dans son lit de la clinique de Neuilly (nouveaux ennuis de santé) et, en 1961, dans son château des Milandes, en Dordogne, les insignes de la Légion d’honneur et la croix de guerre avec palme.

Ses funérailles nationales, en 1975, étaient sans précédent pour un artiste.

Alain Juillet et Marie Gatard

Cet article a été publié le 19 septembre 2021 dans le numéro 256 du Bulletin bimestriel de l’AASSDN, l’Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale. Nous le reproduisons ici avec l’aimable autorisation de leurs auteurs et de l’AASSDN.

Alain Juillet, vice-président de l’AASSDN – Photo © JFD

Marie Gatard, Historienne AASSDN – Photo ©

Quelques livres pour en savoir davantage

Joséphine Baker, une Américaine à Paris, Phyllis Rose. Ed.Fayard, 1990

Joséphine, Joséphine Baker et Jo Bouillon. Ed. Robert Laffont, 1976

Voyages et aventures de Joséphine Baker, Marcel Sauvage. Ed. Marcel Sheur, Paris, 1931

Joséphine Baker contre Hitler, Charles Onana. Ed. Duboiris, 20XX 

2e Bureau contre Abwehr , Jacques Abtey. Ed. de la Table Ronde, 1967

La guerre secrète de Joséphine Baker, Jacques Abtey. Ed. Siboney, 1948

Bulletin de liaison de l’AASSDN, n° 177 et 127

J.A., Rémy. Ed. Galic, 1961

Services spéciaux, Paul Paillole. Ed. Robert Laffont, 1975

Mes missions face à l’Abwehr, Gilbert Guillaume. Ed. Plon, 1973

Combats de femmes, Marie Gatard, L’esprit du Livre, 2009




Josephine Baker in the Pantheon

With Josephine Baker’s induction into the Pantheon, many will remember the struggle of a woman who made good use of her popularity to fight racism and promote the emancipation of blacks by supporting the American civil rights movement, and then by becoming involved as a Freemason from 1960 onwards, in the fight for equal rights for all.

She is today honoured not only for her action in favour of universal fraternity, as exemplified by the brotherhood resulting from the many children she adopted in the four corners of the world, but also for her true fight for the freedom of France.

Joséphine Baker – Photo Studio Harcourt (1948)

Joséphine Baker – Photo Studio Harcourt (1948)

Former Special Branch personnel are particularly proud to see one of their peers being paid tribute in this way, but many are unaware of what she actually did. That is why the authors of this article believed it useful to tell the story using memoirs and books that evoke the struggle of the woman in the shadows who took the light so well.

And she did not shy away from any risk for France.

When she was contacted in September 1939 by Captain Jacques Abtey of the German section of the French counter-espionage service headed by Captain Paul Paillole, she immediately agreed to make herself available to the service with these words: « It is thanks to France that I have become what I am. I will be eternally grateful to her. The Parisians have given me everything, especially their hearts, I give them mine. I am ready, Captain, to give them my life today. You may dispose of me as you wish

Video produced by the french Ministry of Defence

From misery to dance

A dancer at the Folies Bergères, the artist was 33 years old at the time and had become a mythical music hall figure.

The rise of the little girl from Missouri was prodigious. Her mother, of mixed black and Indian origin, and her father, a drummer of Hispanic origin from Saint Louis, had put together a song and dance act, performed in bars and music halls.

Her real name was Freda MacDonald and she was the eldest child in the family, but about a year after she was born her father left. Her mother, who held the little girl responsible, behaved with great brutality. Cold, stench and misery were the soil of her childhood. At the age of eight, she worked as a maid in a white woman’s house, sleeping with the dog by the coal pile. She eventually was taken out of this world after her boss scalded her to punish her, and the neighbours alarmed by the child’s screams. When she was eleven, she witnessed an event that would leave a lasting impression on her, the East Saint Louis ghetto race riot. People were burned in the fire, and she watched as fugitives were hunted down like animals. At the age of thirteen, after a violent break-up with her mother, she marries, for a short time, a sleeping car boy, Willie Wells.

Dancing was already her world. On the streets of St. Louis, she learned the typical moves of jazz dancers in the 1920s in the United States. Raised in the Baptist tradition, she loved religious ceremonies where music and rhythm drove the faithful to stomp their feet, clap their hands and sway in a hypnotic atmosphere. She is imbued with the idea that the soul can express itself through the body.

So, after working as a waitress, she joined a family band of street musicians, where she learned to play the trombone. There, at the age of fifteen, she married Willie Baker, whose name she kept, and realised her dream of joining a touring band’s corps de ballet. At first she was auxiliary, but eventually made a name for herself as a comic girl: she pulled faces and moved with irresistible gusto, capable of any posture without ever stopping to squint.

Scandal and enthusiasm: the Revue negre

At the same time in Paris, in 1925, a real craze erupted among artists for exoticism, particularly African. The painter Fernand Léger, who had just seen the Negro Art exhibition at the Musée des Arts Décoratifs, suggested the administrator of the Théâtre des Champs-Élysées to present a show entirely produced by black people.

The troupe to which Josephine belonged was approached. She was then nineteen years old, danced solo and had begun to make a name for herself. This was her first contact with France.

Josephine expected everything from this country, especially the opportunity to escape from the particularly heavy racial discrimination in her country. Paris will offer her more than a home, it will make her a star.

Paris will offer her more than a home, it will make her a star

But if this body stands as a work of art that exalts the world of the arts, if the name Josephine Baker is also synonymous with freedom and openness to the world, Eros, which is conducive to fantasy, is indignant to some. Catholics took offence, to the point that the Church became alarmed. Nevertheless, the star decided to stay in France.

She became the companion of Giuseppe Abatino, known as Pepito, who passed for a gigolo and turned out to be a remarkable impresario during their ten-year union. It was he who organised a world tour for her. The tour began in Vienna, where right-wing students wanted to prevent coloured artists from performing. The Church, offended by such tumultuous displays of sensuality, got involved. Josephine is horrified. In Argentina too, she says, « the Catholic parties hounded me from station to station, from town to town, from stage to stage. In 1929, the Munich police banned the show ».

The 1930s arrived. She returned to France, the only country for her « where one can live easily ». She was a dancer at the Casino de Paris, which had become a respectable music hall. Josephine was transformed: she dressed simply and started to sing. La petite Tonkinoise and J’ai deux amours are on everyone’s lips. In 1934, she tried her hand at operetta and had a real success in Offenbach’s La Créole.

However, her desire to return to her country to make a name for herself on Broadway ended in failure. Realising that she definitely did not belong there, she returned to Paris to lead a new revue at the Folies Bergères. Pepito died suddenly in the spring of 1936. In 1937, by marrying Jean Lion, a rich sugar broker, she obtained French nationality. The same year she passed her pilot’s licence.

The star and counter-espionage

When war broke out in 1939, the black star was caught up in racism. The overtones of Nazism and the cruelties of the Aryan ideal could already be heard. A theatre agent put her in touch with Captain Jacques Abtey, an energetic and athletic 33-year-old from Alsace, a blond with a high forehead and pale blue eyes.

Even before the war, the head of the secret service section working against Germany had had the idea of using French actors when travelling abroad.

« When the young Captain Abtey spoke to me for the first time about Josephine Baker, » Colonel Paillole said, « I was reluctant. We were wary in the 2nd Bureau of Mata Hari-like enthusiasm. I was afraid that she was one of those brilliant personalities of the entertainment world who, when put to the test of a real danger, quite different from their usual afflictions, break like glass; he told me that Josephine was steel.» Under Jacques Abtey, Josephine Baker became an honourable correspondent.

She « knew nothing of the intelligence service and soon became an H.C. of the first order,» says Abtey. « This universally known woman could not be a spook. Nor could anyone suspect her of covert operations. It was her figure as Josephine Baker that drew attention, masking her secret activity. (…) Better still, I myself managed on certain occasions to go completely unnoticed by travelling with her on a false passport as a secretary or artist

« Mission accomplished ! »

A long road of adventures began for Josephine and her ‘case officer’. The star’s world of intelligence quickly encompassed that of ministers, embassies and even kings.

In 1940, Jacques Abtey was asked to set up a liaison with the Intelligence Service for the French Special Services, in order to ensure a permanent exchange of information and to receive instructions for joint action. It was decided that he would accompany the star on his tour of Portugal and South America; he would blend in with the troupe with a passport in the name of Jacques-François Hébert. Joséphine began her job as a cover, which involved enormous risks, especially since she had had her partner’s passport marked « assistant to Madame Josephine Baker ».

For this first trip, they set off with a summary of the information gathered so far by Paul Paillole’s department, reproduced in cipher and sympathetic ink (location of the main German divisions, personnel, equipment, airfields and even a photo of a barge that the Germans were planning to use for an invasion of England).

As everyone rushed to see the star, Abtey went unnoticed, he was part of the baggage so to speak. At the Lisbon embassy, through the British air attaché, he came into contact with a member of the Intelligence Service. Josephine, who returned to Paris alone, could tell Paillole: « Mission accomplished

As she needed to replenish her finances, damaged by the expedition to Lisbon, which she was keen on taking on, she took over La Créole in Marseilles. From then on, she would never accept any financial help for anything she did for the Resistance or the soldiers of the Alliance.

Abtey remained in Lisbon to work out the arrangements for collaboration with the British. The French service would be based in Casablanca and mail would be routed through Portugal. When he returned to Marseilles for the premiere of a show by Josephine, he told her that he needed her for the rest of his missions and that they were going to settle in Morocco. Not hesitating for a moment, she interrupts the performances on the ground of flailing heath and had her luggage transferred to her Dordogne castle. But as fond as she was of her animals, her Great Dane, female chimp, lion monkey, marmoset, and two white were seen arriving in her cabin on the boat headed for North Africa.

They also embark with the latest intelligence summary. Upon arrival at Casablanca however, Abtey has such difficulty obtaining a visa for Lisbon that Joséphine decides to go in his place. « In a suitcase,» he said, « she carried Paillole’s synthesis that I had transcribed for her in sympathetic ink on a musical score. She was amused to see me writing with water. It was the first mission she was going to carry out alone abroad. To justify her presence in Lisbon, she gave a few performances there and returned radiant

Mosaics, orange trees and marble columns

She then retreated to Marrakech where two personalities opened their arms to her: a first cousin of the Sultan, H.H. Moulay Larbi el-Alaouï, and the pasha of Marrakech, H.E. Si Thami el-Glaoui. Seduced by this city, she settled with her retinue, including Abtey, in a dream residence at the end of a cul-de-sac in the Medina: a mosaic-covered vestibule, an interior garden with marble columns, orange trees and a babbling fountain. She is struck by the spirituality that emanates from this enchantment. But the work continues.

Despite the dangers of going to Spain, then under the occult control of the Germans, she decided to perform there, as this trip was favourable to their mission. She returned with the notes she had taken on embassies established in Spain and political circles, attached to her underwear by a safety pin.

But suddenly her health stopped her momentum: she had peritonitis and her case was very serious. A camp bed was set up next to her for Abtey to watch over her. But because he often had to meet people for the needs of his mission, she still helped him in her own way as under the pretext of assisting « his » patient, he could hold most of his clandestine meetings in her room.

However, from relapse to relapse, and for nineteen months Josephine led an unceasing struggle for life.

One day, a tall, open-faced man, the American vice-consul Bartlett, arrived at her bedside: « Miss Baker being of American origin,» he said, « no one will find it surprising that I should pay her visits.» Abtey had indeed made new contacts with the Americans, who had entered the war. It was the same Bartlett who would one day tell them that serious events were afoot.

In mid-October 1942, Abtey was offered to head the 2nd Bureau of the military staff of a France Combattante movement that had just been formed in Casablanca. And Paillole’s agents were approached to neutralise, under the direction of General Béthouart, the higher command of the troops in Morocco which were under the direction of the Vichy government.

On 8 November 1942, the flak was unleashed against the first allied planes. It was the beginning of the landing in North Africa. Josephine exults, Abtey saw her « leaping from her metal bed, launching herself onto the terrace, her skinny body clad in pyjama trousers and a nasty knitwear, her feet bare » and, raising a fist to the sky: « I always told you! That’s what the Americans are ! » She followed the battle from the clinic’s roof.

On the second day of the fighting, and despite her weakness, she insisted on accompanying the representatives of France Combattante that were going to make themselves available to the American staff: a stretcher would allow them to move under the protection of a Red Cross ambulance.

Thousands of soldiers listen to her sing

Finally, on 1 December, Joséphine left the clinic. In Marrakech, Si Mohamed Menebhi puts a pavilion in his palace at Finally, on 1 December, Josephine left the clinic. In Marrakech, Si Mohamed Menebhi puts a pavilion in his palace at her disposal. But paratyphoid struck her again and she was furious at not being able to join her treating officer. However, on 1 February, barely recovered and with the scars from her long stay in the clinic not fully healed, she took to the stage at a black American soldiers’ home (the whites had their own club) to help people of her colour. General Clark, who attended the show, came to congratulate her at a reception attended by the highest ranking officers of the Allied Forces. She was reborn as a star and made herself available to the high command of the troops involved, to give free shows to support the morale of the soldiers. And when she was penniless and had to give a series of performances at the Rialto in Casablanca to bail herself out, the first was a gala for the French Red Cross. It was a huge success. J’ai deux amours, mon pays et Paris (I have two loves, my country and Paris) unleashed a sometimes heartbreaking emotions.https://www.youtube.com/embed/gRfrUdsL4Pk

And while Abtey, who had left the Corps franc headed by Giraud, waited for the opportunity to fly out to join de Gaulle, she toured the camps (nearly 300,000 men were in tents or shacks). She hit the stage several times a day; her dressing room is a tent. Near Oran, the stage was set up in the middle of a field, with several thousand soldiers surrounding it. In Mostaganem, she was asked to sing in the public square because the soldiers were facing hostility from the population, which was mainly Italian and Spanish, and the chief of staff had decided to mix them with the crowd, hoping to arouse the rallying power of the artist.https://www.youtube.com/embed/iGr3c1dCm74

While singing, she descended among the spectators, taking babies in her arms and handing them to the soldiers. This is how she managed to create the atmosphere of brotherhood that she longed for.

Thousands of kilometres across the desert

When she returned, exhausted, Paillole and many members of the 2nd Bureau had arrived in Algiers, as well as General Catroux, representing de Gaulle. Abtey went to work for the BCRA, while Josephine accepted a tour of the British camps in Libya and Egypt. One might think that her activity in the Resistance would end there, especially as there was no question of her returning to France where, since 1941, the Nazis had forbidden the entry of any person of colour into the occupied zone.

baker josephine
SLT Josephine Baker with Alla Dumesnil-Gillet commanding the Women’s Air Forces – AASSDN Archives Photo

Yet the duo carried on with their fight, but their action took a different turn. Instead of focusing on German activities the job at stake consisted of observing the Muslim world where ancestral rivalries were resurfacing. Josephine had a great knowledge of the Arab world and, she put the interests of France above all else, she sincerely loves her Muslim friends. It is in this spirit that she worked.

Accompanied by Abtey, she leaves for the Middle East. Under the guise of a propaganda tour, under the high patronage of De Gaulle and for the benefit of the Resistance in metropolitan France, she held shows for the FFL troops.

Always benevolently and in order to finance the operation, Josephine threw a big party at the municipal theatre in Algiers. De Gaulle was among the spectators, he congratulated her and gave her a small gold cross of Lorraine. Worthy of notice, Josephine had a ten-metre long French flag decorated with a huge cross of Lorraine that she unfurled on the stage, something that she did throughout her tour.

She suggested taking with them one of her friends, Madani Glaoui, nephew of the pasha of Marrakech. A young man full of grace and energy and supporter of de Gaulle, his name was likely to open up doors for them. And here they are, off on an extraordinary journey, the three of them in a jeep, their luggage following in another vehicle, Josephine in military field dress. She will travel thousands of kilometres across the desert.

In Sfax, a destroyed city, she offers the proceeds to the victims. In Alexandria, the trio is invited by Prince Mohamed Ali, who is interested in their mission. In Cairo, a great Franco-Egyptian function and banquet presided by King Farouk is given in the star’s honour. In Beirut, she was host to the outgoing President of the Republic, the ambassador and the crowned heads of Greece. To raise money for the Resistance, Josephine auctioned the gold Cross of Lorraine given to her by de Gaulle, raising 350,000 francs.[1]

Damascus, Jerusalem, Tel-Aviv, Jaffa, Haiffa, then Cairo again; on every stage, Josephine flew her big flag, symbol of the resurrection of France. The outcome of the mission: a propaganda action and more than three million francs for the Resistance.

However, in Beirut, at the election of the new president of the Lebanese Republic, the French candidate was defeated and the Arab Union scored the first point. The information gathered by Abtey was all transmitted to Algiers and, with the revolt rumbling in Lebanon and the demonstrations in Cairo, he decided to return as soon as possible to the Algerian capital to report in person the suggestions made by the Lebanese personalities he had met.

France’s defeat in the Middle East is on everyone’s mind and is already changing opinions. For the duo things there clearly were turning sour. The nationalist movements were of high interest to French, American and British intelligence services.

But Josephine’s infernal treks through the desert came to a cost and she had to undergo emergency surgery for an intestinal obstruction. The Menebhi Palace, where she was convalescing, was a privileged place to observe the evolution of the Moroccan notables’ attitude towards France.

On the eve of the D-Day landings in France on the Normandy coast, she accepted a propaganda tour to the benefit of Free France in Corsica, which had just been liberated; the aim was a display of ability aimed at the Americans, whose attitude towards De Gaulle had been more than equivocal to the extent that one day, a member of the diplomatic corps advised the star never to board the General’s plane.

Her plane crashed at sea

Shortly after overflying Sardinia on their way to Corsica as a stepstone to set foot in France for the first time in four years, one of the plane’s engine broke down. The sky is criss-crossed by French planes, while theirs loses altitude and eventually descends towards the sea. The pilot shouted « brace yoursleves » and the large rolled-up flag serves as a protective cushion for Josephine. The plane crashed in a spray of water and with its wooden frame shattered, its occupants climbed onto the wing amidst the floating luggage. They had crashed in a cove where a group of black riflemen run to the beach. The gala evening is saved, Josephine will sing for the men who are going to liberate occupied France.

Lieutenant Josephine Baker enlisted on 23 May 1944 and landed in the southern zone with the Women’s Air Force complete with full field dress, besetting gear and helmet for a life as a soldier.

Abtey eventually met her in Paris, at Les Halles, cap on her head, wearing large grey-blue RAF coat sporting French Air Force buttons and large woollen scarf wrapped around her neck; without the required food ration stamps thanks to her connections she had just bought wholesale supplies for the old suburbs folks. She was fully committed to her fight against poverty.

For a series of shows for the benefit of the disaster victims, she was recommended Jo Bouillon’s orchestra. Together they followed the progress of the 1st Army, travelling through the French zone in occupied Germany. In Berlin, she represented France in a grandiose show featuring the great allied nations. In liberated Buchenwald, she went to the bedside of non-transportable typhoid victims.

A new slice of life awaited the star, but with the return of peace and Jo Bouillon now her husband, she will never give up fighting with the astonishing generosity she always displayed, especially for her primary cause: the abolition of racial barriers. To prove that people can live together without discrimination, she adopted twelve children of different origins.

Josephine Baker’s activity as part of the special services got downplayed by some individuals claiming that she was not a true intelligence agent. Without her, however, recognised intelligence agent Jacques Abtey would have never ben able to carry out his missions. Throughout the Occupation, she took considerable risks to « cover » him and sometimes worked beyond her strength for the Resistance. Her decorations bear witness to this. In 1946, she was made the recipient of the Resistance medal in her bed at the Neuilly clinic (due to new health problems) and, in 1961, in her château in Les Milandes, in the Dordogne region, of the insignia of the Legion of Honour and the Croix de Guerre with palm.

Her state funeral in 1975 was unprecedented for an artist.

Alain Juillet and Marie Gatard

Alain Juillet, AASSDN Vice-president – Photo © JFD

Marie Gatard, AASSDN Head of Historical studies – Photo ©


[1] Handwritten letter from General de Gaulle to Josephine Baker published in the book dedicated to her by Major Jacques Abtey: Josephine Baker’s Secret War published by Siboney Editions (1948) and La Lauze Editions (2013) 2nd edition.

Colombey-les Deux Églises, 14.10.1946 :

Chère Mademoiselle Joséphine Baker
In full awareness of the prevailing circumstances I wish to address you my wholehearted congratulations on your receipt of the High Distinction of the Resistance Française award.
I was in recent years able to see and fully appreciate the great services you rendered at some most critical moments. I was subsequently all the more moved to learn the enthusiasm and generosity you deployed to put your immense talent at the disposal of our cause and those who served it. My wife and I wish you a speedy and complete recovery.
In the hope of having the honour to soon see you again, please accept, Dear Madam, the expression of my most distinguished consideration, to which my wife wishes to add her very fondest memories.

Charles de Gaulle

This article was published on September 19, 2021 in issue 256 of the bimonthly Bulletin of the AASSDN, the Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale.

French version : Josephine Baker au Panthéon – Source : AASSDN

Translated by Eric Herbert Bias




Les Services Spéciaux de la Défense Nationale pendant la guerre 1939-1945 (SR Terre)

Le S.R. TERRE

Au moment où un peu partout sont célébrées les grandes dates de là récente Histoire de France, il nous a paru nécessaire de rappeler à nos adhérents l’oeuvre accomplie par les Services Spéciaux de la Défense Nationale et, particulièrement, par les S.R. « Terre », « Air », « Marine »,
De nombreux Bulletins précédents ont consacré au C.E. et à la S.M. de longues pages et nous ne reviendrons pas, du moins pour l’instant, sur l’action (les Services de Sécurité Militaire et des T.R. au cours de la dernière Guerre Mondiale.

Nous commençons donc aujourd’hui par la publication d’un travail effectué par le Colonel SIMONEAU et qui porte sur le Service de Renseignements de l’Armée de Terre et son Réseau clandestin « Kléber ».

LE S.R. DE L’ARMEE DE TERRE

Le souci du renseignement a toujours hanté les Chefs d’Etat. Sous l’Ancien Régime, les Rois de France ou leurs Premiers Ministres ont toujours eu un cabinet noir, et ont employé à des missions spéciales précises, des personnages dont la petite histoire surtout a conté les aventures plus ou moins romancées.
Ce n’est que sous le Premier Empire et pour des fins aussi bien opérationnelles que politiques, que le besoin d’une organisation se fit sentir.
Le Baron VIGNON reçut en effet mission de créer et de mettre en oeuvre un Service secret chargé de la recherche et de la centralisation du renseignement, l’Empereur se réservant personnellement l’interprétation et l’exploitation.
De 1814 à 1870 on reprit les errements antérieurs, mais en présence, du danger que constituait le Reich allemand, et dans un but préventif on créa en 1873 au 2ème Bureau de l’E.M.A., une section de recherche qui, avec des fortunes diverses répondit à ce que le haut commandement de l’Armée française en espérait, et qui par la suite fut appelée couramment le « S.R. ».

Lors de l’entrée en guerre de 1914 le S.R. comptait, face à l’Allemagne trois postes installés respectivement à Mézières, Nancy et Belfort, mais ce dernier mieux placé à l’aile du dispositif des Armées, absorba les moyens des deux autres, et renseigna constamment le commandement sur le potentiel de guerre du Reich, et sur les activités de ses grandes unités au-delà des fronts de contact.
La victoire de 1918, la création de la S.D.N., les conférences de désarmement, la limitation des forces allemandes à une Reichwher de cent mille hommes, l’activité des commissions de contrôle, tout cela diminua considérablement l’audience que le S.R. avait su acquérir pendant les hostilités.
Il fallut l’avènement d’HITLER à la tête du Troisième Reich, et la création de l’Axe pour qu’en face du nouveau danger, on se décidât à donner au S.R. des moyens mieux adaptés à la situation.

1939- 1940

L’Anschluss de l’Autriche, l’affaire des Sudètes, l’occupation totale de la Tchécoslovaquie, les préparatifs face à la Pologne, la construction de la ligne Siefried, qui s’inscrivaient dans le temps avec le triplement du nombre des grandes unités, la création d’une force offensive de Trois Corps d’Armée (XlVe, XVe, XVIe) groupant les divisions motorisées, mécanisées et blindées, accrue par la mise sur pied de deux C.A. en Autriche et un en Tchécoslovaquie furent suivis de près et signalés, dès les premiers indices, dans les délais les plus courts par le S.R. qui au 1er septembre 1939 comprenait :

– Une Direction Centrale, articulée :
– Section de Commandement,
– 3 Sections géographiques (1),
– 1 Section scientifique et économique,
– 1 Section moyens techniques et recherches,
– 1 Section radio, photo, correspondances spéciales,
– 1 Section Marine,
– 1 Section Air.
– Six postes principaux :
– BENE à Lille, – BREM à Metz,
– SCM à Belfort, – SER à Marseille,
– SDRC à Toulouse, – SEA à Alger,
ayant une composition à peu près semblable à celle de la Direction centrale mais avec une seule section géographique, la mission étant à la fois définie et localisée (2).

Chaque poste actionnait un nombre variable d’annexes légères à proximité des passages de frontière.
– Des postes extérieurs installés dans la plupart des capitales.
Ce dispositif toutefois devait être remanié dès l’entrée en guerre, en raison de la création d’un « front » en principe imperméable. Le BREM de Metz se dessaisit d’une partie de ses moyens, au profit de deux postes d’aile BENE et SCM et de certains postes extérieurs, et devint BREP, poste accolé à l’échelon central.

Le BREP, enrichi d’une importante section économique et scientifique, fut chargé de la recherche à longue portée, en utilisant les plateformes constituées par les pays non belligérants.
Cette organisation permettait de répondre aux besoins de la conduite des opérations, et compte tenu du tempérament du Führer, un accent particulier fut mis sur tous les indices de préparatifs offensifs.

Le regroupement de troupes de toutes armes autour des formations blindées des W.K. (régions territoriales du Reich), l’accélération de l’instruction dans les camps, le remplacement dans les unités statiques d’hommes jeunes par des recrues âgées (3), signalés opportunément, montrèrent au Commandement que les Nazis n’avaient nullement l’intention de se limiter aux succès remportés sur la Pologne, et à des joutes oratoires par le truchement de Radio – Stuttgart.

Le rassemblement de forces importantes au Sud du Jutland, signe avant-coureur de l’invasion du Danemark, puis de la Norvège, bien que signalé au fur et à mesure de son exécution parut invraisemblable.

Il en fut de même plus tard, lorsque de plusieurs sources, on connut le déploiement de nombreuses formations blindées dénombrées et identifiées devant les frontières hollandaise, belge et luxembourgeoise.

Pendant la retraite de mai – juin 1940, le BREP absorba la plupart des éléments S. R. repliés du Nord, et tout comme ses voisins BENE et SCM mena le difficile combat du renseignement en manoeuvre rétrograde.

La bataille était perdue, mais le contact de l’adversaire par le renseignement était étroitement maintenu.

JUIN 1940 – NOVEMBRE 1942

La situation de fait créée par l’armistice de juin 1940 ne modifia en rien l’activité du S. R. dont le principal objectif resta la Wehrmacht.

La ligne de démarcation qui coupait la France en deux ne fut pas longtemps une gêne. Elle favorisa la réorganisation du Service et le resserrement des liaisons avec les alliés.

Le jour même où l’armistice devenait effectif, des postes légers fonctionnaient déjà à Saint-Justin (Landes), Langon (Gironde), Périgueux (Dordogne), Châteauroux (Indre), Mâcon (Saône-et-Loire).

Le 15 juillet, l’ensemble du S. R. avait repris dans la clandestinité une activité normale.

Direction P 1 Vichy-Chamalières (Puy-de-Dôme )
P 2 (ex. BREP) Vichy
P 3 (ex. BENE) Limoges
P 4 (ex. SCM) Lyon
P 5 (ex. SER) Marseille
P 6 (ex. SDRC) Toulouse
P 8 Rabat
P 9 Tunis
P 10 (ex-SEA) Alger
P 12 Liban-Syrie

Le 1er août 1940 des antennes étaient déjà en place à Paris, Marmande, Montmorillon, Châteauroux, La Madeleine (Moulins), Chalon-sur-Saône, Mâcon.

Le nombre de ces antennes se multiplia progressivement tant en zone occupée que sur la ligne de démarcation, et en juin 1941, grâce à un jeu de « boîtes aux lettres » et de filières d’acheminement dues à des concours bénévoles, les bulletins de renseignements parvenaient à destination souvent plus rapidement que par les voies régulières.

Malgré un camouflage très poussé l’ordre de bataille de la Wehrmacht était entièrement connu.
Quant aux mouvements de troupe et de matériel par voie ferrée, ils étaient signalés par les ingénieurs et cadres de la S.N.C.F. avant leur exécution avec toutes les précisions de dates et lieux d’embarquement, de débarquement ou de dernier transit vers des destinations lointaines (4).

Les ingénieurs des P.T.T. affectés aux lignes souterraines à grandes distances permirent malgré de gros risques, d’intercepter les communications téléphoniques protégées du commandement allemand. Cette opération (5), réalisée à Noisy-le-Grand puis à Livry-Gargan, sous la dénomination de « source K » donna des résultats exceptionnels en quantité et en qualité.

Pendant toute l’année 1942 (6) . un simple accident causa sa fin, car sa réalisation ne fut jamais détectée par les services secrets allemands. Création, identification, localisation, mouvements de grandes unités, mise au point de matériels nouveaux, activités de la Gestapo, inquiétudes et récriminations du Haut Commandement, étaient devenus une pâture quotidienne dont nos alliés étaient les grands bénéficiaires, grâce à des liaisons sûres et rapides.

Outre les liaisons régulières clandestines (radio, courriers spéciaux)
sur lesquelles nous ne nous étendrons pas par discrétion, l’essentiel des renseignements recueillis par le S. R. (comme par le C.E. d’ailleurs), était instantanément acheminé chez les alliés par les voies ci-après :

– Délégation des U.S.A. à Vichy Major Bob SCHOW, Capitaine de Vaisseau SALABOT.
– Délégation des U.S.A. à Berne Attaché Militaire LEGGE.
– Ministre du Canada à Vichy : M. DUPUIS, Capitaine Aviateur CASSIDI .
Enfin, les valises diplomatiques étaient largement utilisées. Nous citerons pour mémoire simplement celle qui s’est rendue au Portugal, acheminée de temps en temps par l’actuelle Mme BIDAULT.

NOVEMBRE 1942 – AOUT 1944

L’occupation totale du territoire donna lieu à des remaniements importants dans le S.R. de l’Armée de Terre.

Les postes et leurs antennes passèrent dans la clandestinité totale ; les personnels qui faisaient l’objet de recherches précises de la Gestapo furent dirigés sur l’A.F.N. ; la Direction centrale se transporta à Alger avec son Chef le Colonel Louis RIVET. Cet exode a fait l’objet de récits dans nos précédents Bulletins (tel le Bulletin n° 5). Nous n’y reviendrons pas.

Le transfert était indispensable. Il ne fut réalisé qu’à la dernière limite du possible, après mise en place du Central clandestin (KLEBER) que dirigeait le Colonel DELOR et l’adaptation des liaisons radio à la situation nouvelle.

Les ressources en personnel qualifié, existant en A.F.N. furent rapidement drainées pour faire face aux impératifs nouveaux :

– Liaison avec le Commandement français et allié d’A.F.N. ;
– Participation effective à la campagne de Tunisie ;
– Préparation des campagnes futures ;
– Intensification des liaisons avec la France clandestine, et avec les postes extérieurs (ceux-ci officiellement couverts par le Gouvernement de Vichy purent continuer de remplir leur mission, sauf celui de Bucarest qui rompit dès le 8 novembre 1942. L’acheminement des renseignements put se faire sans perte de temps grâce à la complaisance des Alliés, et à la tolérance des autorités locales ;
– Utilisation intensive de la plateforme ibérique ;
– Liaison avec les S.R. alliés (U.S. : Colonel EDDY ; GRANDE-BRETAGNE : Brigadier CODRINGTON ; POLONAIS : Colonel SLOWIKOWSKI).

Ainsi s’installa à Alger, rue Charras, dès la fin de 1942, la Direction des S.R. et S.M., rattachée
directement au Commandant en Chef, le Général GIRAUD, installé au Palais d’Eté. Le Colonel du CREST de VILLENEUVE prit la direction du S.R. TERRE, le Colonel RONIN celle du S.R. AIR, le Capitaine de Corvette TRAUTMANN la direction du S.R. MARINE.

Le 3 janvier 1943, le Commandant PAILLOLE prenait à son tour la direction des Services de Sécurité Militaire et de C.E. et s’installait à EL-BIAR (Villa Jaïs) où déjà le Lieutenant-Colonel CHRETIEN dirigeait les services de C.E. d’A.F.N.

Aucun problème majeur ne se présenta par rapport au Commandement et aux Alliés, les chefs du S.R. bénéficiant déjà d’une large audience. Les crédits financiers, aériens et maritimes nécessaires furent obtenus sans la moindre difficulté.

***

Le poste de TUNIS, sous l’autorité du Lieutenant-Colonel KIEL s’installa au KEF pour là campagne de TUNISIE et découpla des antennes à BEJA, TEBOURSOUK, MAKTAR, THALA.

En outre, deux missions clandestines, respectivement aux ordres des Capitaines LACAT et PERRUSEL fonctionnèrent sur les arrières ennemis.

Par leur activité, ces éléments, auxquels il convient d’ajouter les moyens techniques de recherche du Commandant BLACK, installé à Alger, permirent un contrôle permanent de la 5ème Armée, et des débris de l’Afrika Korps, avec pour aboutissement la reddition en rase campagne du Général von ARNIM.

Renforcée par quelques officiers évadés de France, la Direction du S.R. fut à même de créer une section d’instruction et de montage d’opérations clandestines, dont la CORSE, la SARDAIGNE et l’ITALIE, furent les premiers objectifs. Ce furent les missions : DESAULE, CHOPITEL. GRIFFI, COLONNA D’ISTRIA, entre autres.

Des antennes opérationnelles, adaptées respectivement aux C.E.F. du Général JUIN (Capitaine WEIL, Lieutenants ZUNDEL, SIMA, FREY, ROCARD) et au détachement de libération de la Corse (Capitaines HAGE, ZIMPFER, LOECHER), outre leur part indéniable aux succès, lancèrent une série de missions sur l’île d’Elbe et l’Italie du Nord.

Mais la préparation des opérations de libération du territoire national resta la préoccupation principale des chefs du S.R. à Alger. Leur atout maître était le S.R. clandestin KLEBER.

Après l’éphémère direction du Colonel DELOR, celui-ci avait subi, en 1943, quelques coups durs (arrestations des Colonels LOMBARD, PELLISSIER, BERTRAND, Commandants HENRY, SCHMITT, Capitaines MAUER, BOUREAU, MISOFFE, notamment) et le problème de son commandement s’était posé à deux reprises. Finalement c’est au Commandant LOCHARD qu’échut cette lourde responsabilité. Jeune, mais déjà chevronné, prudent, bon technicien, celui-ci avait pris, en accord avec Alger, des dispositions qui lui permettaient de faire face aux besoins des forces alliées dans la triple éventualité de débarquements simultanés ou successifs sur les côtes de la Manche, de l’Atlantique ou de la Méditerranée.

Il lui fallait compléter et étoffer son dispositif, ce qui fut fait en implantant par atterrissages clandestins, parachutages, voie sous-marine, ou voie terrestre via Espagne, des équipes nouvelles bien pourvues en moyens de travail, et disposant de refuges sûrs.

Ainsi furent lancées d’Alger ou de Londres, sept missions de septembre 1943 à juin 1944 : « GALLIEN », couloir Rhodanien ; « ISIDORE », Bourgogne, Franche-Comté ;« PERNOD », Bourbonnais, Charolais ; « PIERRE », Plateau Central ; « CATINAT », Hautes et Basses-Alpes, Isère, Drôme ; « SCALA », Ile-de-France, Normandie ;« PANZER », Poitou, Charentes, Aquitaine. Deux autres au début d’août 1944 :« JORXEY », Doubs, Haute-Saône, Belfort ; « CAROLLES », Jura, Doubs.

L’hypothèse d’un débarquement en péninsule balkanique n’était pas écartée. Toutefois ce territoire dont la situation politique était encore incertaine était l’apanage des grands alliés. Il n’y fut envoyé que deux missions dans la région de LJUBLIANA, en complément de celles qui opéraient en Italie du Nord et en vue de pénétrer le dispositif allemand dans la partie sud du Reich.

L’acheminement des courriers, les liaisons d’officiers complétant des contacts radio pratiquement permanents en dépit des activités allemandes de repérage par radio – goniométrie, permirent au Haut Commandement allié de choisir en toute connaissance de cause, les lieux et dates des débarquements. Les organisations de défense côtière étaient connues du S.R. Terre dans tout leur détail, ainsi que l’ordre de bataille des armées d’occupation, de sorte que les débarquements du 6 juin 1944 et du 15 août en Normandie et en Méditerranée connurent une fortune qui combla les espérances les plus optimistes.

AOUT 1944 – MAI 1945

La continuité de la recherche était un impératif, comme aussi la jonction effective avec les équipes clandestines et la liaison permanente avec la Sécurité Militaire (opérationnelle et territoriale) et les équipes C.E. (T.R.).

La création du S.R.O. (S.R. Opérations), formation de marche du S.R. fut ainsi décidée en mars 1944. Le Commandant SIMONEAU eut la charge de cette lourde responsabilité.

Débarqué avec les premiers éléments de l’Armée de LATTRE, le S.R.O. ne comprenait initialement que trois antennes provenant des éléments qui opéraient en Italie et en Corse (un détachement léger aux ordres du Capitaine DOUIN opéra en outre à la demande des alliés avec la T. Force U.S.).

Dès la libération de Marseille, il se grossit des équipes clandestines dont la mission était achevée et qui furent rapidement adaptées à la recherche en guerre de mouvement.

La jonction avec le S.R. KLEBER devint effective à l’arrivée de l’Armée à Mâcon.

La stabilisation de la Première Armée à BESANÇON permit de réaliser:


– Une intégration plus étroite des anciennes équipes clandestines
– Une mise en place d’agents dans la trouée de Belfort et en Haute Alsace
– L’adaptation d’une importante équipe à la VII e Armée U.S. (S.D.A.7) ;
– L’établissement d’une liaison avec une formation du S.R. français de Londres (Colonel RETHORE) qui opérait avec la III e Armée U.S.
– La création d’un centre d’instruction et d’une section de recherche du renseignement scientifique – L’utilisation de la plateforme helvétique pour la pénétration en Allemagne du Sud.

L’adaptation des antennes à toutes les grandes unités engagées s’avéra particulièrement efficace, tant pour la diffusion du renseignement, que pour la mise en place des agents par infiltration, ou pour le recueil de ceux-ci.

Une antenne fut laissée sur le front des Alpes et une autre participa aux opérations du front Atlantique.

Bien que disposant de l’O.S.S. – G2, le Commandement américain qui constatait la qualité des renseignements portant l’attache du S.R.O., donna les plus grandes facilités matérielles aux éléments français qui opéraient dans sa zone et qui initialement n’étaient adaptés qu’à la 2ème D.B. du Général LECLERC.

Il fallait faire vite. Profitant de la confusion qui régnait en Allemagne, des agents (transfuges de la Wehrmacht et volontaires français) furent poussés jusqu’au coeur du Reich, mais la nécessité de recueillir le renseignement et de le transmettre dans les plus courts délais amena certains officiers à pousser des pointes audacieuses à l’intérieur du dispositif ennemi, et même à prendre des initiatives particulièrement risquées.

Le 8 mai 1945, le S.R.O. partout en liaison avec les S.M. ou le C.E. était déployé comme suit :

– P.C. arrière : KARLSRUHE ;
– P.C. avant : UBERLINGEN ;
– Antennes à: CONSTANCE, LINDAU, DORNBIRN, FELDKIRCH, BERCHTESGADEN, DEGERLOCH, LEIPZIG.

Ce dispositif, par la suite, fut réajusté en raison de :
– La répartition des zones d’occupation entre les Alliés ;
– La démobilisation du personnel appartenant aux réserves ;
– La création d’un S.R. en zone française d’occupation en Autriche ;
– L’envoi de volontaires en Indochine.

Au 1er août 1945, transporté à Baden-Baden, le S.R.O. devenu direction du S.R. en Allemagne était articulé en deux sous-directions :

– S.D. Nord : à LANDAU (PFALZ) ; Antennes : à COBLENCE – WORMS.
– S.D. Sud : à SCHEWENINGEN (WURTEMBERG) ; Antennes : à TUBINGEN (DORNBIRN).

Pendant ce temps, à Paris, la Direction Générale des Services Spéciaux (D.G.S.S.), dirigée par M. SOUSTELLE, s’était installée fin août 1944, boulevard Maunoury et boulevard Suchet.

Des considérations qui n’avaient rien à voir avec la technique de la Recherche du Renseignement avait peu à peu écarté de leurs postes les anciens chefs des S.R. Guerre et Aviation (7).

Une organisation nouvelle « chapeautait » les Services Spéciaux sur l’impulsion des Colonels DEWAWRIN et MANUEL.

En fait, les éléments centraux des anciens S.R. s’étaient effacés au bénéfice des équipes du B.C.R.A, de Londres et d’Alger. Seul le C.E. (S.M. et T.R.) avait conservé la direction et la structure mises sur pied à Alger par le Commandant PAILLOLE.
Rattachés à la Présidence du Conseil, et non plus au Commandement en Chef, les Services Spéciaux devaient encore subir dès 1945 une transformation profonde.
La guerre s’achevait.

La D.G.S.S. disparaissait à son tour et faisait place à la D.G.E.R. (Direction Générale des Etudes de Recherches), sous la Direction du Colonel DEWAWRIN (PASSY).
Plus tard encore la D.G.E.R. devait laisser la place au S.D.E.C.E.

CONCLUSION

La meilleure conclusion qui puisse se tirer de l’exposé précédent est sans aucun doute de tenter de résumer les résultats obtenus.

Nous empruntons au Général NAVARRE, ancien chef de la Section Allemande du S.R. et du Deuxième Bureau du Général WEYGAND, l’exposé succinct qui suit :

I. – Résultats obtenus avant la guerre

Le S.R. disposait d’un remarquable réseau d’informateurs. Certains admirablement placés.
La plupart avaient été recrutés de longue date, certains même pendant l’occupation de la rive gauche du Rhin, après 1918. Ils continuaient à travailler malgré les conditions très difficiles créées par l’avènement du nazisme. Le recrutement, depuis 1935, était devenu très ardu, mais continuait.

La reconstitution de l’armée allemande a été suivie du début à la fin sans aucune lacune dans aucun domaine.

Les grands événements politico-militaires ont tous été décelés à temps, et la plupart avec une très grande précision.

Le Commandement français et par conséquent le Gouvernement en furent avisés dans des conditions de temps permettant les meilleures exploitations :

– Réoccupation de la rive gauche du Rhin ;
– Anschluss ;
– Occupation de la Tchécoslovaquie ;
– Tractations russo-allemandes ;
– Concentration sur la Pologne ;
– Menace sur Dantzig, etc. etc.

Au surplus toute cette phase de l’activité du S.R. apparaît parfaitement dans le livre du Chef du Deuxième Bureau de l’Etat-Major de l’Armée de cette époque, le Général GAUCHE :« Le Deuxième Bureau au travail ».
Nul témoin n’était plus qualifié pour informer l’opinion de l’oeuvre magistrale accomplie avant la guerre par le S.R.

II. – Résultats obtenus pendant la « drôle de guerre »

S’il était besoin d’un témoignage irréfutable de l’action du S.R., pendant cette période, il conviendrait de se reporter aux archives de la Cour de Riom. Le Président CAOUS et le Procureur Général CASSAGNEAU ont confirmé les indications qui vont suivre et rendu un éclatant hommage à la clairvoyance du S.R.

– La mobilisation de l’armée allemande a été suivie unité par unité, sans aucune lacune ni erreur.
– Il en fut de même de la concentration des unités allemandes face à la Pologne, d’une part, à la France, au Danemark, à la Belgique et à la Hollande, d’autre part.
– La répartition des forces a toujours été parfaitement indiquée au Haut Commandement Français, pendant la campagne de Pologne, pendant l’intervalle des campagnes de Pologne et de France.
Le transfert vers l’Ouest des grandes unités ayant pris part à la campagne de Pologne a été suivi intégralement par le S.R. Français, sans que jamais une grande unité allemande eût été perdue de vue pendant plus de 24 heures.
– Le dispositif allemand à la veille du 10 mai 1940 était connu dans les moindres détails, ainsi que les possibilités de manoeuvre qu’il portait en germe.
– La date et le lieu de l’attaque du 10 mai 1940 ont été communiqués au Commandement Français avec quelques réserves dès la fin mars 1940, et, avec certitude dès avril 1940.
– La constitution des armées de terre et de l’air allemandes a été tenue à jour sans lacune et cela aussi bien pour leur composition que pour leur équipement et leurs armes, et, pour si paradoxal que cela puisse paraître, le S.R. français a donné de l’armée allemande une description plutôt surévaluée : c’est ainsi que le nombre de chars des divisions blindées allemandes a été surévalué de 10 à 15 %, du fait que les sorties d’usine étaient en retard sur les prévisions.
– Au cours de la campagne de France l’essentiel des mouvements allemands a été identifié de bout en bout. En particulier chaque division blindée a été suivie sans aucune erreur grâce à l’interception et à l’exploitation de tous les messages de commandement des grandes unités allemandes. Ainsi purent être annoncées et décrites : l’attaque sur la Meuse, la marche vers la Manche, les regroupements en vue des attaques sur la Somme, en Champagne, etc., etc.

Il est permis d’affirmer avec le Général WEYGAND et la Cour de Riom, que le S.R. a admirablement rempli sa mission et qu’il n’a aucune responsabilité dans le désastre de 1940.


III. – Résultats obtenus pendant l’occupation

Jamais le travail sur l’Allemagne et l’Italie n’a été interrompu, ni diminué le rendement du S.R. L’ordre de bataille de l’ennemi fut constamment tenu à jour avec une précision quasi absolue.

L’acharnement de l’Abwehr et de la Gestapo à poursuivre et à détruire les postes du S.R. KLEBER, serait s’il le fallait, une preuve supplémentaire de l’efficacité du S.R. TERRE et de l’aide décisive apportée par lui au Haut Commandement allié jusqu’à la Libération du Territoire.

Ainsi il est possible d’affirmer que le S.R (et le C.E.) ont été les premiers en date des réseaux de résistance et nous ajoutons que ce ne fut que normal.

***
Il nous paraît intéressant, à propos de cette période de l’action S.R. dont l’utilité a été si souvent contestée par les détracteurs de nos Services, de compléter l’exposé du Colonel SIMONEAU par ce témoignage (8) du Général WEYGAND – en date du 31 mars 1949. Nous le devons à l’obligeance du Colonel GASSER :


« …Les Services de Renseignements ayant été supprimés par les Allemands, il n’existait officiellement à mon Etat-Major qu’un Deuxième Bureau (dirigé par le Commandant NAVARRE).
Le S.R. était donc clandestin…
Il y fonctionnait un système ayant pour but de transmettre dans les plus courts délais à la force d’intervention de Malte tous les renseignements recueillis par les postes établis sur la côte orientale de Tunisie et par l’aviation de Tunis sur les convois allemands et italiens se dirigeant vers la Tripolitaine en suivant les côtes françaises. Les renseignements transmis furent nombreux et aboutirent à la destruction d’un certain nombre de ces navires.

NOTES :

(1) A – Allemagne – Europe centrale. B – Italie – Europe méridionale – Méditerranée. C – U.R.S.S. – Japon – Chine.
(2) Priorités pour les 3 premiers postes :
BENE 6° et 10° W:K. (de MUNSTER et BREME).
BREM 12, et 9° W.K (de MAYENCE et KASSEL.
SCM 7° et 5° W.K. (de MUNICH et STUTTGART).

(3) Personnels qui par suite du traité de 1919 n’avaient pas fait de Service Militaire.

(4) Les transports routiers de ravitaillement étaient imposés dans la plupart des cas aux transporteurs routiers français. Ceux-ci groupés en C.O.T.R. (Comité d’Organisation des Transports Routiers) sous la présidence de M. Robert SIMON, se mirent spontanément à la disposition du S. R.

(5) Conception et réalisation Ingénieurs COMBAUX et KELLER. Exploitation JUNG, ROCARD, RIESS.

(6) La source « K » ne fut découverte que le matin de Noël 1942 par un détachement de Landesschützen qui prospectait des cantonnements.

(7) Le Général Louis RIVET a largement exposé dans des Bulletins antérieurs les conditions souvent décevantes et irritantes de ces transformations.

(8) Témoignage et documents recueillis par la Commission d’Enquête parlementaire (Tome VI, pages 1660 et 1661).

Sources : Bulletins N° 43 et 44




Janvier 1944 : la relève de Camelia arrive à Clermont-Ferrand

Le texte ci-après est tiré des archives inédites du Colonel Paul Bernard, l’un de nos grands anciens du TR. Il relate, avec un certain humour, son arrivée à Clermont-Ferrand en 1944 pour reprendre la direction de “ Camélia ” après l’arrestation du Capitaine M. A. Mercier. L’expression “ Agence immobilière ” est l’appellation de l’entreprise des “ Travaux Ruraux ” (TR) donnée par Pierre Nord dans son livre (en 3 tomes) “ mes camarades sont morts ”. Notre ami, le Colonel Xavier Bernard, souhaitait voir publier ce témoignage à l’occasion du dixième anniversaire du décès de son père.

Par un froid matin de janvier 1944, un être assez minable descendait du train en gare de Clermont-Ferrand. Petit, maigriot, pâle, mal vêtu, il avait cet air famélique et préoccupé du licencié de partout pour incapacité notoire. Portant avec peine une vieille valise éculée il se dirigea cahin-caha vers la sortie et le gendarme allemand de service jeta du haut de ses 1 m 90 un regard de profond dédain sur ce lamentable représentant de la dégénérescence française. Le Capitaine Bihan (Paul Bernard) récemment promu chef de la succursale Camélia de l’Agence immobilière (Travaux Ruraux : c’est-à-dire Chef du Réseau Centre du Service de Contre-Espionnage), prenait contact avec sa nouvelle garnison.

Il aurait été pour le moins optimiste de prétendre que tout allait pour le mieux, à cette époque, au sein de l’Agence immobilière. Depuis deux mois les coups
durs se succédaient même à une cadence exagérée. Vers le 15 novembre le poste Rose de Toulouse avait perdu son chef. C’était la troisième fois en moins d’un an que ce poste se trouvait décapité. Le 26 novembre l’équipe chargée des embarquements par sous-marin était tombée dans une embuscade. Bilan : un tué, une valise de courrier et un poste radio perdus, la liaison maritime avec Alger coupée.

Le 29 novembre Durand, chef de l’équipe d’embarquement, avait été arrêté par suite de la trahison d’un agent double. Dans les premiers jours de décembre la police allemande de Paris arrêtait le Capitaine Laprune, celle de Nantes mettait la main sur le Lieutenant de Vaisseau Lavallée et toute son équipe tandis qu’à Marseille l’Oberscharführer Delage (Dunker) arrêtait trois agents du poste Glaïeul dont un agent double qui allait parler et provoquer d’autres arrestations.
Le 6 décembre deux agents de liaison étaient pris à Paris avec une valise de courrier.

Le 11 décembre le Capitaine Mordant (Roger Morange), chef de poste Glaïeul, attiré dans un guet-apens était blessé et arrêté ainsi qu’un sous-officier. Le même jour en gare de Roanne était arrêté le Capitaine Marchand (M. A. Mercier) chef du réseau Camélia et adjoint du Commandant Laforêt (Lafont alias Verneuil) grand chef de l’Agence immobilière pour la France. En même temps que lui un des meilleurs agents de liaison du Service tombait aux mains de l’ennemi. A la suite de ces arrestations le Commandant Laforêt acharné à reconstituer ses équipes avait désigné comme successeur de Marchand le Capitaine Bihan que nous venons de voir débarquer si triomphalement à Clermont-Ferrand.

Au cours d’un interminable voyage le nouveau chef de réseau avait eu tout le temps de savourer les joies de sa nomination, Camélia était un commandement de choix : 19 départements, des chefs de postes gonflés à bloc, la perspective de récolter à Limoges, à Vichy, à Lyon des tas de renseignements intéressants, il y avait de quoi mettre l’eau à la bouche. Pour l’instant cependant, Bihan était préoccupé par une question plus terre à terre. Il cherchait un logement et il avait quelques raisons personnelles de ne pas considérer les hôtels et les meublés comme des havres de tout repos.

Il existe encore, heureusement, en province, un certain nombre de foyers dont la tranquillité ouatée, basée sur des traditions familiales centenaires, est capable de résister aux plus effroyables bouleversements. Dans les “ années terribles ” lorsque traqués, saouls de fatigue et d’énervement, écœurés par les trahisons et les reniements, les pauvres hommes qui s’accrochent à la lutte contre le vainqueur cherchent avec angoisse une aide et un repos, leurs rêves leur montrent la maison calme et quiète où il ferait si bon oublier de temps en temps les rafles, les perquisitions, les tortures, tout ce sang et cette fange dans laquelle ils pataugent quotidiennement.

C’est vers une de ces “ calmes retraites ” que se dirigeait le Capitaine Bihan. Une tante de sa femme, Madame de B… habitait en effet à ClermontFerrand.
La famille de B… n’est pas inconnue dans les milieux militaires. Officiers ou soldats, les hommes qui portent ce nom ont coutume de jalonner de leurs tombes les champs de bataille où se joue le sort du pays. La branche clermontoise de la famille était bien loin de cette gloire militaire. Veuve depuis un an, Madame de B… habitait avec sa fille Odile et une demoiselle de compagnie, Françoise. Au physique ces trois personnes étaient fort dissemblables.

Madame de B…, blanche de cheveux, toute menue, douce et tranquille faisait un curieux contraste avec sa fille fortement charpentée, énergique,
décidée, sachant très bien imposer sa volonté d’un froncement de ses épais sourcils noirs. Quant à Françoise elle joignait à l’aspect menu de Madame de B… le dynamisme de sa fille. Par contre sur le plan moral toutes trois présentaient de grandes ressemblances. Très pieuses, menant une vie presque monacale, lectrices du Tiers Ordre de Saint François elles avaient orienté leur existence vers les bonnes œuvres et le salut de leurs âmes. Les activités de la Gestapo devaient leur être aussi étrangères que celles d’hypothétiques Martiens.
Impossible pour un hors la loi de trouver un abri plus sûr que cette maison de paix. Du point de vue matériel, l’immeuble qu’elles habitaient se présentait sous forme d’une maison bien construite, dans un quartier tranquille à mi-distance entre la gare et le centre ville. Deux entrées, l’une sur la rue, l’autre sur des jardins permettaient des allées et venues relativement discrètes. La famille de B…

se réservait le 1er et le 3e étages et avait loué le rez-de-chaussée et le second. Les seuls inconvénients de l’immeuble étaient, outre cette présence de locataires inconnus, la proximité du PC de la Milice et celle de l’Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand.
Tout compte fait le Capitaine Bihan considérait cette maison comme providentielle et voici comment il raconte la façon dont il fut reçu :
En sonnant chez ma tante de B… j’étais un peu inquiet. On a beau être devenu assez rossard et peu scrupuleux, il est quand même difficile d’imposer sa présence à une famille sans la prévenir que votre présence risque d’être aussi pleine de charme que celle de la peste ou du choléra. Je fus accueilli à bras ouverts et après avoir parlé quelques minutes de questions familiales je risquais une allusion timide à la difficulté de trouver un logement. Immédiatement, avec un bon sourire, Madame de B… déclara : Mon cher enfant j’espère bien que vous nous ferez le plaisir de vous installer parmi nous. Avec quelques circonlocutions j’entrais alors dans le vif du sujet : ma tante savait certainement que je faisais un peu de Résistance mais elle ignorait peut-être que cela me prenait du temps, m’obligeait à une vie peu régulière, à de fréquents déplacements et que je devais aussi recevoir certaines personnes, bref qu’il y avait à craindre que ces allées et venues n’attirent l’attention des Allemands… ce qui présentait des risques… des risques que… plus j’allais, plus le sourire s’apanouissait sur le visage de mes interlocutrices… “ Mais oui, mais oui disait tantôt l’une, tantôt l’autre, cela va de soi. C’est tout naturel, des risques ? Bien sûr mais le ciel nous protégera ”.

J’admirais la candeur naïve de personnes assez éloignées des choses de ce monde pour ne même pas soupçonner les méthodes chères aux Allemands. Très touché de l’affection qui m’était témoignée, j’avais de plus en plus l’impression d’être un dégoûtant personnage abusant de l’ignorance et de la bonne foi de ces braves cœurs pour les entraîner à leur perte. Mais nécessité fait loi et, sans pousser l’hypocrisie jusqu’à me faire prier, j’acceptais l’invitation qui m’était faite.

Un peu avant le déjeuner, Odile m’avertit qu’un ménage de réfugiés partagerait notre repas. Effectivement, lorsque je descendis à la salle à manger je me trouvais en face d’un couple d’allure jeune, présentant deux particularités qui m’étonnèrent un peu : d’abord ces invités étaient en pantoufles et tenue d’intérieur ce qui semblait indiquer qu’ils habitaient la maison, ensuite l’homme possédait à un degré difficile à égaler, tous les caractères de l’Israélite d’Europe Centrale. Tous deux parlaient français avec un sérieux accent. J’appris qu’ils étaient Lettons et qu’ils habitaient la chambre voisine de la mienne. Puisque nous devions cohabiter il fallait se montrer aimable. J’eus le malheur de m’apitoyer sur la Lettonie qui depuis 1939 avait été deux fois envahie par les Russes et les Allemands. M. Pierre (c’est le nom qu’on donnait au mari), m’interrompit sèchement en précisant que la Lettonie, terre russe, n’avait pas été envahie par l’URSS mais libérée du joug d’un gouvernement infâme exécré de tous les bons Lettons. Je me le tins pour dit et orientais d’urgence la conversation vers les mérites respectifs de la pluie et du beau temps.

Après le repas, je demandais à ma famille quelques explications sur ces Lettons dont le patriotisme me semblait curieux. J’appris alors que nés en Lettonie avant 1918 ils avaient conservé la nationalité soviétique puis étaient venus se fixer en France, le mari comme ingénieur et la femme comme traductrice à l’ambassade d’URSS. Ils habitaient depuis plusieurs mois chez Madame de B… à laquelle ils avaient été confiés par une organisation d’extrême-gauche.
Je commençais à me demander sérieusement si mes parentes étaient aussi naïves qu’elles voulaient bien le paraître. En tous cas mon asile était certainement moins sûr que je ne l’avais cru.

Dès le lendemain, j’eus un nouveau motif d’étonnement. Odile partie de bon matin avec une poussette, revint avec un morceau de bœuf d’une vingtaine de kilos que M. Pierre s’empressa de débiter. Comment ? Cette pieuse famille se livrait au marché noir ? C’était incroyable. Pourtant dans le courant de l’après-midi un certain nombre de personnes vinrent prendre livraison des paquets préparés par M. Pierre. Pas de doute, j’étais tombé chez d’affreux trafiquants. C’était gai !Pour peu que la Police économique ait vent de la chose et perquisitionne, elle ne manquerait pas de s’étonner de la présence du Letton judéo-marxiste et par voie de conséquence manifesterait peut-être à mon égard une curiosité déplacée.

Il fallait que ce trafic cesse. Mes ouvertures en ce sens se heurtèrent à un refus aimable mais ferme et on m’expliqua que ce trafic n’était qu’une “ couverture ”.
Il s’agissait de masquer la destination des gros achats de denrées effectués par la famille de B… pour nourrir “ quelques petits ”. Les “ petits ” en question étaient de bons jeunes gens en voie d’acheminement vers les maquis du Massif Central. On me prévint d’ailleurs que j’aurais certainement le plaisir de faire connaissance avec certains d’entre eux car la maison servait en cas de besoin de lieu d’hébergement. De mieux en mieux, pour un coin tranquille j’avais choisi un coin vraiment tranquille.

Peu après Françoise vint annoncer que le jeune homme et la jeune femme étaient là. Vaguement inquiet je me hâtais de demander qui étaient ces nouveaux personnages. On me répondit avec la plus suave tranquillité qu’il s’agissait d’une entreprise de fabrication de faux-papiers à l’usage des Israélites et des jeunes gens en rupture de STO. Sachant la maison à l’abri de tout soupçon, les dirigeants de cette entreprise l’avaient choisie pour y installer leur laboratoire technique.

Timidement je demandais si par hasard je connaissais maintenant toutes les activités clandestines de la famille. Bien sûr que non ! D’abord “ on ” n’avait pas eu encore l’occasion de manifester son amitié à nos fidèles alliés anglo-saxons, c’était une lacune regrettable mais tout espoir n’était pas perdu de ce côté. Odile s’était en effet abouchée avec une filière d’évasions et espérait avoir le plaisir d’héberger un jour des aviateurs anglais ou américains. “ On ” avait également logé quelques anti-vichystes notoires pris dans les milieux politiques ou journalistiques et “ on ” ne désespérait pas de recommencer. “ On ” avait aussi eu le plaisir d’héberger quelques temps un des principaux dirigeants des Services Spéciaux. Enfin pour ne rien oublier, il fallait bien avouer qu’“on” diffusait un peu de presse clandestine, en particulier les Cahiers du Témoignage Chrétien.

C’était tout… pour l’instant, mais “ on ” espérait bien que ma présence allait permettre de mener une vie un peu plus active.
Ahuri, j’écoutais cet exposé en repassant dans mon esprit les prescriptions du
“ vade-mecum du parfait espion en campagne ”:
– Ne jamais se lancer dans plusieurs activités clandestines à la fois.
– Ne pas camoufler dans un même local des matériels appartenant à plusieurs
organisations.
– Éviter tout contact entre membres d’organisations différentes.
– Ne jamais utiliser un local d’habitation comme local de travail.
– (…)

Je voyais d’ici la tête du Commandant Laforêt lorsque je lui rendrai compte de l’installation de mon PC.
D’autre part il fallait bien que je commence mon travail : fils du réseau à renouer, nouvelles instructions à apporter aux différents postes, liaisons radio à reprendre. Non, décidément, je n’avais pas le temps de chercher un autre gîte avant quelques jours. Installons-nous donc provisoirement.
Ce provisoire allait durer très exactement jusqu’à la Libération et allait permettre au Capitaine Bihan de connaître l’âge d’Or sans être jamais inquiété, du moins à cause de son implantation.

NB : une suite de ces souvenirs est envisagée en fonction du dépouillement des archives du Colonel Paul Bernard.

Source : Bulletin n° 225




Pierre MONDANEL a reçu les insignes de commandeur de la Légion d’Honneur

Une grande joie et un grand honneur pour notre Association : M. Pierre MONDANEL a reçu les insignes de commandeur de la Légion d’Honneur

L’historique court de l’Hôtel de Ville de PONT-DU-CHATEAU servait de cadre, samedi 24 Mars 1973, à une cérémonie en l’honneur d’un illustre enfant du pays, M. Pierre MONDANEL, Directeur honoraire au Ministère de l’Intérieur, ancien résistant, ancien déporté, Délégué Régional de l’ASSDN., à qui l’on allait remettre les insignes de Commandeur de la Légion d’honneur.

De nombreuses personnalités s’étaient donné rendez-vous pour apporter leur témoignage d’estime au nouveau promu. MM. BOULAY, député, président du Conseil Général ; PETIT, Secrétaire général de la Préfecture, représentant le Préfet de région ; le Colonel de GALEMBERT, commandant le B.A. 745 ; le Chef d’escadron NATALI, Adjoint au commandant du Groupement de Gendarmerie du Puy-de-Dôme ; CAMBE, Commissaire divisionnaire de la Police judiciaire ; BRIGE, Directeur inter­départemental, et BONAFOUS, Chef du Service départemental de l’Office des A.C.V.G. ; FLEURY, Secrétaire général du Rectorat, représentant M. HABY ; le Colonel PAILLOLE, Président National de l’A.A.S.S.D.N. ; Pierre CHENEVIER, Président de la Fédération des Amicales des Réseaux de la France Combattante, et le Colonel BOITTE, de l’A.A.S.S.D.N. (tous deux parrains du décoré) ; Robert HUGUET, Compagnon de la Libération ; BAC, LALLEMAND, et de nombreux déportés ; plusieurs Conseillers généraux et Maires étaient accueillis par M. Jean ALIX, Maire de PONT­-DU-CHATEAU, entouré de ses Adjoints et Conseillers municipaux.

La Cérémonie du 24 Mars 1973

Autour du perron de l’Hôtel de Ville, sur lequel allait se dérouler la cérémonie, on remarquait une délégation de l’A.A.S.S.D.N., les membres des Associations locales d’Anciens Combattants et Victimes de guerre et leurs drapeaux ; différentes organisations locales, etc… Le public ceinturait l’enceinte de la place pour suivre la cérémonie.

Avant de procéder à la remise de la décoration, M. Pierre CHENEVIER prononça une émouvante allocution. Après avoir souligné tout le plaisir et l’honneur qu’il avait de décorer un ami de vieille date, il tint à évoquer longuement la carrière exceptionnelle et les brillants états de service dans la Résistance de M. Pierre MONDANEL. « Non content de vivre l’Histoire, vous l’avez écrite !». II salua ensuite avec émotion la mémoire de Madame MONDANEL, décédée des sévices de la Gestapo lors de l’arrestation de son mari. Puis, après avoir prononcé la formule rituelle, il fixa la cravate de Commandeur de la Légion d’honneur autour du cou de notre prestigieux Délégué régional.

Allocution de M. Jean ALIX, le 11 Septembre 1972

« Monsieur le Directeur,

« Je saluerai tout d’abord l’enfant de PONT-DU-CHATEAU, d’origine paysanne modeste, l’adolescent travailleur, studieux, sportif aussi. Les anciens de la Jeune Gaule s’en souviennent. Mais ce que l’on connaît de vous maintenant, c’est le retraité de la Place aux Echalas, dont le temps se partage entre la recherche historique, l’amitié et le jardinage.

« Vous avez comblé PONT-DU-CHATEAU en lui donnant l’histoire qu’il méritait bien. Vous avez retracé les portraits de DULAURE, des Frères BROSSON, le Conventionnel et les Self Made Men du XIXem siècle, maîtres de l’Allier, dont les barques, partant du port de PONT-DU-CHATEAU, portaient à PARIS des pierres de VOLVIC et les moissons de LIMAGNE.

« Vous êtes le Président fondateur de l’Association des Amis du Vieux PONT- DU-CHATEAU, dont le riche Bulletin annuel vous doit tant.

« Vous avez donné au Bureau d’Aide Sociale de notre ville vos droits d’auteur et vous savez qu’une part importante de ceux-ci ont contribué au financement du Centre Aéré de MONTMORIN.

« Si nos compliments vont à l’historien, notre admiration va à Pierre MONDANEL, Directeur au Ministère de l’Intérieur. Pierre MONDANEL qui ne se contentait pas d’écrire l’histoire mais qui la faisait.

« Monsieur le Directeur, lors de nos premières rencontres, je vous ai taquiné avec l’affaire Prince et vous avez bien voulu m’ouvrir votre registre secret des confidences. Vous avez su me passionner, au travers de l’affaire Prince, de l’affaire Stavisky et sur toute une époque que vous avez vécue et marquée de votre action prestigieuse.

« Vous avez été au coeur de tous les événements qui ont marqué l’avant-guerre. Vous me permettrez de rappeler encore l’assassinat de MARSEILLE. Vous étiez le collaborateur direct du président BERTHOIN. J’ai relu avec intérêt l’hommage que vous décerne VLADETA MILICEVIC dans son ouvrage consacré à l’assassinat d’Alexandre Ier et du Président BARTHOU.

Vous-même écrivez à Milicevic, après l’arrestation des Oustachis : « Nous venions ainsi, vous vous en souvenez, de vivre ensemble des heures fiévreuses et passionnantes. La satisfaction que nous donnaient, dans l’intérêt de la vérité les premiers et fort remarquables résultats obtenus, les nouvelles, perspectives entrevues pour déceler et établir les hautes responsabilités encourues à l’étranger nous faisaient oublier la fatigue et les heures de sommeil qui nous manquaient. Les uns et les autres, nous sentions l’importance internationale de notre travail. »

Pour votre souci « d’apporter au tribunal de l’Histoire les premières preuves des manoeuvres occultes internationales se trouvant à l’origine de l’attentat », vous combattiez le fascisme qui allait s’étendre sur l’Europe puisque vous, aviez déterminé le rôle de PAVELITCH qui bénéficiait du total appui et de la complicité de MUSSOLINI. MUSSOLINI qui devait nommer PAVELITCH Gauleiter de CROATIE. PAVELITCH dont la domination dura trois ans et coûta au peuple Serbe 600.000 vies humaines.

Vous aviez déjà choisi en 1934 de combattre la montée de l’hitlérisme et du fascisme.

Je relisais récemment KAPUT de CURZIO MALAPARTE et, dans le portrait hallucinant de PAVELITCH ouvrant une bourriche qui, au lieu de contenir des huîtres, était garnie d’yeux humains, je pensais à vous, Monsieur le Directeur, qui fûtes certainement un des premiers français à voir de près la bête qui allait ronger l’Europe pendant si longtemps.

C’est le « Journal Officiel » de Janvier 1938 qui publie votre nomination dans l’Ordre de la Légion d’honneur, à titre exceptionnel, cette distinction vous récompensant pour les services rendus d’ans les affaires Stavisky, Prince, dans l’enquête sur le complot de la Cagoule. Le « Journal Officiel » de cette même date annonçait votre nomination à la tête de la Sûreté Nationale. C’était le jour où Hitler inaugurait, dans les Alpes Bavaroises, une nouvelle école de Chefs, où seuls les enfants robustes et d’une hérédité irréprochable devaient être admis. Les porteurs de lunettes en étant exclus.

Monsieur le Directeur, outre votre action implacable qui a permis l’échec du complot que l’on connaît sous le nom de la Cagoule, vous avez été aussi le haut fonctionnaire spécialiste de droit pénal international, représentant la France à HELSINKI, BELGRADE, BERLIN, NEW YORK et surtout GENEVE.

Vous m’avez souvent rappelé votre action auprès de Marx DORMOY, de même que votre admiration pour Léon BLUM. Vous avez su évoquer leur angoisse qui était aussi la vôtre.

Devant la montée du péril, vous avez connu la douleur de la défaite et, je sais, par une confidence que vous permettrez sans aucun doute, en ce jour, de révéler que vous étiez de ceux qui devaient partir pour LONDRES, de sorte que votre républicanisme est coté par Jules MOCH auquel vous avez permis une sortie discrète du Casino de VICHY où les pleins pouvoirs venaient d’être votés au Maréchal PETAIN.

Le Général RIVET écrit à votre propos :

« La grande épreuve de l’occupation et les courants « collaborateurs, »qui traversèrent notre politique à cette époque trouvèrent ce fonctionnaire égal à lui-même et fidèle aux grandes consignes de la résistance à l’ennemi. MONDANEL à VICHY est resté MONDANEL de la place Beauveau, accroché à l’ennemi de notre Pays, lucidement entêté à le combattre.

« Il ne convient pas dans le cas MONDANEL de glaner et d’éplucher des faits. Il a fait son métier. Et les actes qui l’honorent étaient de tous les jours. Inversement, je crois, ce serait peine perdue que de rechercher l’acte qui ne fut pas droit, intégralement Français. »

« Pour me résumer, ma conviction est celle-ci :

« 1° MONDANEL est un fonctionnaire de grande classe qui domine nettement tous ceux qui j’ai connus dans les fonctions que lui-même a occupées ;

« 2° II a fidèlement servi aux côtés de ses camarades de la Guerre engagés dans la lutte contre l’Allemand. Pas de défaillance, jamais d’attitudes équivoques. Mais l’acceptation courageuse des tâches que nous lui demandions ;

« 3° A VICHY, il a résolument joué sa carrière et aussi sa vie – pour rester dans le rang de ceux qui mettaient la libération du Pays, au-dessus des ambitions personnelles et des intérêts les plus légitimes, intransigeant dans son patriotisme, il n’a pas transigé avec le devoir. »

« A vous qui ainsi avez fait l’Histoire, je voudrais renouveler les témoignages d’affection et d’admiration de notre collectivité castelpontine en relisant votre conclusion de « PONT-DU-CHATEAU A TRAVERS LES AGES ». Vous vous adressez aux jeunes vous qui avec su le rester magnifiquement – et leur dites :

« Je ne doute point que vous ayez pour votre petite patrie, pour « cette terre où vous attachent tant de liens d’affection, cet amour fier et passionné des enfants pour leur mère, cet orgueil du paysan d’autre­« fois pour son village qu’il entretenait par le récit des vieilles légendes « dont beaucoup restent à conter. »

« Votre légende – pardon, votre vérité – il fallait bien l’amorcer davantage aujourd’hui, en cette journée qui est la vôtre, et si des jeunes, demain, doivent compléter l’histoire de PONT-DU-CHATEAU, c’est certainement au travers de votre histoire qui nous honore tous, qu’ils devront le faire. »

Prenant à son tour la parole, le Colonel PAILLOLE apporta à M. Pierre MONDANEL le témoignage d’affection et de reconnaissance des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale :

« L’oeuvre que vous avez accomplie est de celles qui méritent hautement la décoration que vous avez reçue. Et pour l’exemple que vous avez donné, c’est avec une grande émotion et une grande admiration que je vous dis merci. »

Enfin, M. MONDANEL, dans un discours de remerciement improvisé, sut avec le talent oratoire que nous lui connaissons à la fois charmer et émouvoir l’assistance.

Il exprima tout d’abord, en termes choisis, sa gratitude àà tous ceux

qui avaient pris part à cette cérémonie ; au Maire et au Conseil Municipal qui avaient tenu à donner un éclat exceptionnel à l’événement et à lui offrir le Croix de vermeil qu’il portait; au Colonel PAILLOLE, â M. CHENEVIER, à ses amis HUGUET, LALLEMAND, BAC, etc… Il adressa ensuite une pensée émue aux Résistants tombés les armes à la main, à ceux qui étaient morts sous la torture, à ceux qui avaient disparu en camp de concentration.

« Je reporte sur PONT-DU-CHATEAU et sur mes parents tout le mérite de la distinction que je reçois aujourd’hui ». Appréciant à sa juste valeur la manifestation de sympathie des Castelpontins, il concluait : « C’est le plus grand honneur qui pouvait m’être fait et à chacun j’adresse un cordial merci ». Ce merci, il devait le réitérer à l’intention de l’enfant lui offrant, au nom de ses jeunes camarades, une superbe reproduction de la Croix réalisée par leurs soins.




Hommage à Pierre Mondanel

Dans le B. L. 77, nous avons rendu compte de la cérémonie au cours de laquelle M. Pierre MONDANEL a reçu les insignes de Commandeur de la Légion d’honneur. Nous publions ci-dessous le texte de deux discours prononcés à cette occasion.

Discours de M. Pierre CHENEVIER, Président de la Fédération des Amicales des Réseaux de la France Combattante.

 

Mesdames, Messieurs, Chers Camarades,

Votre présence à cette cérémonie est un témoignage de sympathie pour Pierre MONDANEL, qui me fait l’amitié de le recevoir dans un grade supérieur dans l’Ordre National de la Légion d’honneur. En me choisissant, il n’a pas vu en moi, le Président National de la Fédération des Amicales de Réseaux de la France Combattante, mais seulement l’un de ses anciens et proches collaborateurs, témoin privilégié d’une époque encore citée en exemple, à la Sûreté Nationale, même par ceux qui ne l’ont pas vécue, tant elle a marqué cette administration, je veux parler de l’époque MONDANEL.

Pour l’évoquer, je vais m’appuyer sur des notes, en raison de ma crainte de m’embrouiller, au delà des limites acceptables, en fouillant dans mes souvenirs et surtout de mon inaptitude à improviser. Mon cher Ami, vous avez toujours été opposé à la médiocrité d’où qu’elle vienne. Considérant, qu’il ne suffit pas de dire, mais de faire, vous avez fourni la preuve, en bien des circonstances, de votre attachement indéfectible aux principes et aux causes nobles. Ainsi, vous pouvez être fier de votre passé, marqué de tant d’épreuves pénibles, auxquelles vous avez su donner la mesure et faire face, car vous possédez la connaissance des grandes valeurs qui forment les hommes de votre catégorie.

Je vais évoquer succinctement, ce que furent les étapes principales de votre belle carrière administrative.

Le 31 Décembre 1913, alors que vous êtes âgé de 23 ans, et frais émoulu de la Faculté de Droit, vous faites vos débuts à la Sûreté Générale, qui n’était pas encore Nationale. Je passerai sur vos lointaines et premières années qui comprennent la guerre de 14-18, pour arriver de suite à cette période qui fut fertile en événements dramatiques.

Dans le courant de l’année 1933, vous êtes Commissaire Divisionnaire au Contrôle Général des Services de Police Judiciaire qui constituait l’Etat-­Major des Brigades Mobiles. Vous avez conscience que cette Direction n’est pas suffisamment structurée. Qu’elle ne possède pas assez de fonctionnaires qualifiés pour faire face à une criminalité déjà grandissante. Mais vos études, vos propositions ne sont pas suivies.

Vers la fin de cette même année 1933 éclate le scandale STAVISKY dont les escroqueries se chiffreront à des sommes considérables. L’une des premières mesures arrêtées en Conseil des Ministres est de vous placer à la tête de ce Contrôle Général. Dans la même heure, vous en remplaciez le Chef, et vous mettez immédiatement en application votre plan de réorganisation en créant des sections spécialisées de répression, tant en matière criminelle que financière et économique, et en prélevez les effectifs dans les Brigades Mobiles de PARIS et de Province.

Alors, vous pouvez faire face à la situation, dénouer les intrigues et faire toute la lumière sur les agissements de l’escroc qui avait jusque là obtenu 19 remises successives devant les Tribunaux. Se voyant acculé et ne pouvant plus compter sur ses habituelles protections, STAVISKY s’enfuit. Mais, il est retrouvé au petit village de SERVOZ à 1.800 m. d’altitude, dans une villa, le « VIEUX LOGIS ». Il y attend la venue de l’un de ses complices qui doit lui apporter une importante somme d’argent avant de passer clandestinement en ITALIE. Mais ce sont vos collaborateurs qui sont au rendez-vous ce 8 Janvier 1934. La villa est cernée par les gendarmes. STAVISKY refuse d’ouvrir et un coup de feu retentit. Il vient de se donner la mort.

Les partis hostiles au Gouvernement organisent alors des manifestations dans la rue. Ils ameutent la foule et c’est la marche hurlante sur la Chambre des Députés. C’est l’émeute du 6 Février 1934. Stoïquement, vous faites face à l’orage et vous apprenez ainsi que le haut fonctionnaire ami de la vérité entre facilement en lutte ouverte avec le mensonge, et la calomnie même dans le déchaînement des partis pris. Vous n’êtes pas au bout de vos peines.

Quinze jours plus tard, le 21 Février, on découvre sur la voie ferrée au lieu dit la « COMBE AUX FEES », près de DIJON, le cadavre déchiqueté par un train, d’un homme rapidement identifié. Il s’agit de Monsieur Albert PRINCE, Conseiller à la Cour d’Appel de PARIS, ancien Chef de la Section Financière du Parquet de la Seine. Personne, à ce moment-là, ne sait que le jour même où il est découvert sur la voie ferrée, le Conseiller PRINCE devait être entendu comme témoin par une Commission d’enquête administrative et judiciaire chargée de rechercher les compromissions à l’aide desquelles, pendant plusieurs années, l’escroc STAVISKY avait pu bénéficier de l’impunité. Enfin, après plusieurs semaines d’enquête, vous avez été en mesure d’entériner les efforts de vos collaborateurs qui ont conclu au suicide.

Une certaine presse crie au scandale et veut absolument qu’il y ait eu crime. Une contre-enquête est effectuée par la Préfecture de Police. Ceux qui en sont chargés arrivent aux mêmes conclusions. Monsieur PRINCE avait en effet commis une négligence dans l’affaire STAVISKY, mais il avait un souci de l’honnêteté et de la loyauté poussé aux plus extrêmes limites. Son drame fut celui d’une conscience droite. L’émotion du public est à peine apaisée que se produit l’assassinat à MARSEILLE, le 9 Octobre 1934, du Roi ALEXANDRE DE YOUGOSLAVIE et du Président BARTHOU.

Le régicide est abattu sur place, mais il reste à identifier ses complices, une fois de plus vous intervenez pour centraliser toutes les opérations de police. Il est alors établi que ce crime est l’oeuvre d’une organisation terroriste croate, les « Oustachis ». La preuve est alors faite qu’elle est soutenue par l’Allemagne Hitlérienne et le fascisme italien. C’est tellement vrai, qu’après l’invasion de la YOUGOSLAVIE par les allemands et les italiens en 1941, ANTE PAVELITCH, Chef des Oustachis est nommé par HITLER, Président de la République de Croatie, et il s’em­presse de prendre comme Ministre de la Guerre, KVATERNIC, son principal adjoint « oustachi ».

Puis, c’est la Cagoule qui, par la force des événements devient le centre de vos préoccupations. Le public, en réalité, n’en sut jamais grand chose, cependant ce complot avait pour but l’alignement du régime de notre pays sur celui de l’Allemagne et de l’Italie. Les Cagoulards furent en France les agents les plus efficients de l’étranger dont ils recevaient argent et armement. Ils se livrèrent à diverses activités criminelles sur notre territoire afin de jeter le trouble dans les esprits et de créer une atmosphère de terreur sociale.

C’est ainsi que vous avez eu à connaître plus particulièrement des assassinats de NAVACHINE, au Bois de Boulogne, de LAETITIA TOUREAUX, dans le métro, des frères ROSSELLI à BAGNOLES-DE-L’ORNE, des attentats par explosifs de la place de l’Etoile et à l’Aérodrome de TOUSSUS-LE­NOBLE, ainsi que d’autres en Province. La liste est longue. Mais, je ne peux m’empêcher de rappeler que certains de ceux dont vous aviez chargé vos commissaires et inspecteurs d’identifier et d’arrêter, vous les avez retrouvés en 1940, à VICHY, au premier rang de la révolution nationale. Ils tenaient des leviers de commande dans le gouvernement. A noter que le IIIe Reich s’était empressé de faire libérer de prison tous ceux qui avaient été arrêtés.

Le 23 Juin 1941, c’est l’assassinat à MONTELIMAR, de Marx DORMOY qui, comme Ministre de l’Intérieur, avait porté de rudes coups à la Cagoule. Grâce aux dispositions immédiatement prises, les trois assassins, ex-cagoulards, sont arrêtés. Il était temps; car parmi les documents découverts se trouvait la liste d’autres personnalités à abattre. Mais, lors de l’occupation de la zone Sud, GEISLER, le Chef de la Gestapo, en poste à VICHY, s’empresse de faire remettre tout le monde en liberté.

En dehors de ces crimes retentissants, vous avez eu à coiffer bien d’autres affaires judiciaires. C’est encore à vous que revient le mérite d’avoir, grâce à votre organisation, fait détruire les premiers gangs, dits de « traction avant ». Leurs agressions souvent suivies de mort, inquiétaient le public, en raison de leur impunité. Il faut bien admettre que vos activités diverses commençaient à inquiéter l’occupant, car la Gestapo, au mois d’Avril 1942, obtenait que vous soyez relevé de vos fonctions d’Inspecteur Général des Services de Police Criminelle. Ainsi que vous le voyez, Mesdames et Messieurs, la carrière administrative de Pierre MONDANEL fut particulièrement brillante. Elle est restée un exemple pour la Sûreté Nationale.

Après avoir été fait Chevalier de la Légion d’honneur, il a été promu, en 1938, Officier dans le même Ordre, pour services exceptionnels. Son passé de Résistant est pour le moins aussi éloquent. Rien dans son tempérament, dans son caractère ne permettait une autre ligne de conduite que celle qu’il a choisie et poursuivie sans désemparer.

Lors de la défaite, les services centraux de Pierre MONDANEL ont été repliés avec le Gouvernement à VICHY. Dès Septembre 1940, il prend l’initiative d’organiser un groupe clandestin, appelé Section Spéciale, ayant pour mission exclusive de surveiller les Allemands en séjour ou de passage dans la Capitale provisoire et aux environs, ainsi que toutes personnes en relations avec eux. C’est par ce groupe que, pendant près de deux ans, furent surveillés aussi étroitement que possible les diplomates, les journalistes allemands et même les membres de la Gestapo.

Des renseignements précieux furent presque quotidiennement recueillis. Les plus urgents étaient communiqués directement par Pierre MONDANEL au Colonel PAILLOLE, Chef des Services de Contre-Espionnage qui nous fait l’amitié d’être ce jour parmi nous. Les autres étaient transmis aux Chefs de l’O.R.A. C’est ainsi que certaines conversations secrètes tenues dans son cabinet personnel, par KRUG VON NIDA, Consul d’Allemagne à VICHY, avec d”éminentes personnalités furent aussitôt signalées. Il en fut de même des propos confidentiels émanant de l’entourage de ce diplomate allemand. C’est ainsi que furent connues les intentions d’un Conseiller d’ABETZ d’envoyer des émissaires au TCHAD pour y accomplir la mission que vous pouvez supposer.

Il y eut aussi un code secret de la presse allemande habilement dévoilé. La désorganisation complète au réseau de propagande allemand désigné sous le nom de « RADIO MONDIAL » avec des antennes en SUEDE, à GENEVE, LISBONNE et MONTE-CARLO. Sa mission était d’agir sur l’opinion publique des pays anglo-saxons. Il y eut deux dangereux agents secrets, fraîchement arrivés de BERLIN, qui furent démasqués avant d’avoir pu effectuer leur mission. Il faudrait citer également les nombreuses enquêtes qui se terminèrent par de beaux rapports de recherches infructueuses, toutes les fois qu’il s’agissait de couvrir les services de contre-espionnage ou les réseaux qui se constituaient petit à petit.

Je n’en finirais pas non plus, si je devais énumérer l’action résistante de MONDANEL qui lui a valu deux perquisitions assorties de pillage à son domicile parisien et ici même. Cela lui a coûté seize mois de déportation à BUCHENWALD et à DACHAU et ce qui est infiniment plus triste encore, le décès prématuré de sa femme, à la suite des sévices dont elle a été victime au moment de l’arrestation de notre ami, par la Gestapo. N’oublions pas qu’avant de lui passer les menottes, quatre balles furent tirées dans sa direction, alors qu’il tentait de s’enfuir.

La grande épreuve de l’occupation et les courants « collaborateurs » qui traversèrent notre politique à cette époque trouvèrent Pierre MONDANEL égal à lui-même et fidèle aux grandes consignes de la résistance à l’ennemi. Il a fidèlement servi aux côtés de ses camarades de la guerre engagée contre l’allemand. Pas de défaillance, jamais d’attitude équivoque. Mais, l’acceptation courageuse des tâches qui lui étaient demandées. A VICHY, il a résolument joué sa carrière et aussi sa vie, pour rester dans le rang de ceux qui mettaient la libération du pays au-dessus des ambitions personnelles et des intérêts les plus légitimes. Intransigeant dans son patriotisme, il n’a pas transigé avec le Devoir.

Mesdames, Messieurs, ces dernières appréciations ne sont pas de moi, mais du Général RIVET qui fut le Chef du 2e Bureau de l’Armée Française.
Nommé Directeur au Ministère de l’Intérieur, c’est avec plaisir qu’il vit arriver l’heure de la retraite pour se consacrer à son violon d’Ingres « l’Histoire locale de sa chère Auvergne », qui nous a valu son premier livre :« PONT DU CHATEAU A TRAVERS LES AGES » qui a connu un large succès.

N’allez surtout pas penser qu’au fil des années Pierre MONDANEL a oublié ses anciens collaborateurs ou que ceux-ci l’ont oublié. II a de l’amitié une conception exigeante et totale qui rend la sienne précieuse à ceux qui l’ont reçue. Depuis son départ à la retraite, il fut convié par ceux-ci à un grand banquet annuel au cours duquel chacun lui manifestait sa sympathie et son attachement. Ces déjeuners amicaux arrivent à s’espacer de plus en plus. L’âge, la maladie, l’éloignement, la disparition de bien des participants en sont l’unique raison. Tous n’ont pas, il s’en faut, le dynamisme, la verdeur de leur grand ancien, qui ne m’en voudra pas de vous rappeler que, le mois dernier, il a franchi allègrement le cap de sa 83em année.




Juin 1940- Le C.E. poursuivra la lutte contre « L’AXE » depuis L’A.F.N.

Nous avons maintes fois souligné l’efficacité des mesures prises par nos Services pour assurer, quoiqu’il advienne du sort des armes, la poursuite de leur mission contre l’Axe. L’une des premières mesures consistait à mettre hors d’atteinte de l’ennemi le personnel et les archives indispensables à la lutte contre l’ennemi.Le 20 juin 1940, soit deux jours avant l’armistice de Rethondes, le Commandant PAILLOLE demandait au Chef du B.C.R. (Bureau Central de Renseignements, ancêtre des Bureaux de Sécurité Militaire) de Marseille de mettre en route par bateau, à destination d’Alger, un spécialiste des affaires allemandes, le Capitaine Joseph DOUDOT, le plus remarqué de nos techniciens du C.E. Il devait convoyer le double des archives du C.E. français (fichiers et dossiers) constitué à Marseille depuis le 1° septembre 1939 sur l’ordre, extraordinaire de lucidité, du Colonel SCHLESSER Chef du 2 Bureau (S.C.R.).