Joséphine Baker au Panthéon

Par Alain Juillet et Marie Gatard

Avec l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker, beaucoup retiennent le combat d’une femme qui a utilisé sa grande notoriété au service de la lutte contre le racisme et pour l’émancipation des Noirs en soutenant le mouvement américain des droits civiques, puis en s’impliquant comme franc-maçonne, à partir de 1960, dans la lutte pour l’égalité des droits pour toutes et tous.

Pourtant ce n’est pas seulement une femme exceptionnelle pour son action en faveur de la fraternité universelle, symbolisée par la fratrie de tous les enfants qu’elle a adoptés, venus de toutes les régions du monde, pour toutes et tous, c’est aussi la combattante pour la liberté de la France qui est aujourd’hui honorée.

Joséphine Baker – Photo Studio Harcourt (1948)

Les anciens des Services spéciaux sont particulièrement fiers de voir ainsi reconnue l’une des leurs mais beaucoup ignorent ce qu’elle a pu faire réellement. C’est pourquoi il a semblé utile aux auteurs de cet article d’en raconter l’histoire en utilisant les mémoires et livres qui évoquent le combat de la femme de l’ombre qui prenait si bien la lumière.

Elle ne reculera effectivement devant aucun risque pour la France.

Quand elle est contactée, dès septembre 1939, par le capitaine Jacques Abtey, de la section allemande du contre-espionnage français dirigé par le capitaine Paul Paillole, elle accepte immédiatement de se mettre à la disposition du service avec ces paroles : « C’est grâce à la France que je suis devenue ce que je suis. Je lui vouerai une reconnaissance éternelle. Les Parisiens m’ont tout donné, en particulier leur cœur, je leur ai donné le mien. Je suis prête, capitaine à leur donner aujourd’hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez. »

Voir la vidéo produite par le Ministère des Armées

De la misère à la danse

Danseuse aux Folies Bergères, l’artiste a alors 33 ans, elle est devenue une image mythique du music-hall.

L’ascension de la petite fille du Missouri a été prodigieuse. Sa mère, métisse noire et indienne, et son père, batteur de Saint Louis, d’origine espagnole, qui ont monté un numéro de chant et de danse, se produisent dans des bars et des music-halls.

De son vrai nom Freda Mac Donald, elle est l’aînée de la famille, mais, un an après sa naissance, son père quitte sa mère, et celle-ci, qui tient la petite fille pour responsable, se comporte avec une grande brutalité. Le froid, la puan- teur, la misère sont le terreau de son enfance. À huit ans, elle travaille comme bonne à tout faire dans la maison d’une blanche, où elle dort avec le chien près du tas de charbon. Elle est tirée de cet univers quand sa patronne l’ébouillante pour la punir, des voisins ayant entendu les cris de l’enfant. À onze ans, elle assiste à un événement qui la marquera à jamais, l’émeute raciale du ghetto de East Saint Louis. Des gens ont été brûlés dans l’incendie, elle voit s’enfuir les fugitifs traqués comme des bêtes. À treize ans, après une rupture violente avec sa mère, elle se marie, pour peu de temps, avec un garçon de wagon-lit, Willie Wells.

La danse est déjà son univers. Dans les rues de Saint Louis, elle a appris les mouvements typiques des danseurs de jazz des années 20 aux États-Unis. Élevée dans la tradition baptiste, elle aime les cérémonies religieuses où musique et rythme entraînent les fidèles qui tapent des pieds, battent des mains, se balancent dans une atmosphère hypnotique. Elle est imprégnée de l’idée que l’âme peut s’exprimer à travers le corps.

C’est ainsi qu’après avoir été serveuse, elle se joint à un groupe familial de musiciens de rue, où elle apprend à jouer du trombone. C’est là qu’elle épouse, à quinze ans, Willie Baker, dont elle gardera le nom, et qu’elle réalise son rêve, entrer dans le corps de ballet d’un groupe en tournée. Elle y joue d’abord les remplaçantes, mais finit par se faire connaître dans le rôle de girl comique : elle grimace, se démène avec un entrain irrésistible, capable de n’importe quelle posture sans jamais arrêter de loucher.

Scandale et enthousiasme : la Revue nègre

À la même époque à Paris, en 1925, sévit un véritable engouement des artistes pour l’exotisme, en particulier pour l’art africain. Le peintre Fernand Léger, qui vient de voir l’exposition d’art nègre au musée des Arts décoratifs, suggère à l’administrateur du théâtre des Champs-Élysées de présenter un spectacle entièrement réalisé par des Noirs. La troupe dont fait partie Joséphine est pressentie. Elle a alors dix-neuf ans, danse en solo et commence à faire parler d’elle. C’est son premier contact avec la France.

De ce pays, Joséphine attend tout et, surtout, d’y échapper à une discrimination raciale particulièrement lourde à l’époque dans son pays. Paris lui offrira plus qu’une terre d’accueil, il fera d’elle une star. Mais si ce corps se dresse comme une œuvre qui exalte le monde des arts, si le nom de Joséphine Baker est aussi synonyme de liberté et d’ouverture sur le monde, l’Éros, propice aux fantasmes, indigne certains. Les catholiques s’offusquent, au point que l’Église en vient à s’alarmer. Pourtant, la star décide de rester en France.

Elle devient la compagne de Giuseppe Abatino, dit Pepito, qui passe pour un gigolo et se révélera être, durant leur union de dix ans, un remarquable impresario. C’est lui qui organise pour elle une tournée mondiale. Celle-ci débute à Vienne où des étudiants de droite veulent empêcher les artistes de couleur de se produire. L’Église, offusquée par des exhibitions de sensualité aussi tumultueuse, s’en mêle. Joséphine est horrifiée. En Argentine aussi, dit-elle, « les partis catholiques m’ont traquée de gare en gare, de ville en ville, d’une scène à l’autre ». En 1929, la police de Munich interdit le spectacle.

Arrivent les années 30. Elle a retrouvé la France, seul pays pour elle « où l’on puisse vivre facilement ». Elle est danseuse au Casino de Paris, devenu music-hall respectable. Joséphine s’est  transformée :  elle est vêtue avec simplicité et s’est mise à chanter. La petite Tonkinoise et J’ai deux amours sont sur toutes les lèvres. En 1934, elle tentera l’opérette et remportera un vrai succès dans le rôle de La Créole d’Offenbach.

Pourtant son désir de retourner dans son pays pour s’y imposer à Broadway se soldera par un échec. Comprenant qu’elle n’y a définitivement pas sa place, elle rentre à Paris mener une nouvelle revue aux Folies Bergères. Pepito est mort brutalement au printemps 1936. En 1937, en épousant Jean Lion, un riche courtier en sucre, elle obtient la nationalité française. La même année elle passe le brevet de pilote.

La star et le contre-espionnage

Quand éclate la guerre, en 1939, la star noire est en quelque sorte rattrapée par le racisme. On entendait déjà les accents du nazisme et les cruautés de l’idéal aryen. Les nazis considèrent les Noirs comme une menace pour la « race blanche ».C’est un agent de théâtre qui la met en rapport avec le capitaine Jacques Abtey, un Alsacien de 33 ans, énergique et sportif, un blond au front haut et aux yeux bleu pâle.

Avant la guerre déjà, le chef de la section des services secrets travaillant contre l’Allemagne avait eu l’idée d’utiliser des comédiens français à l’occasion de leurs déplacements à l’étranger.

«  Quand  le jeune capitaine Abtey me parla pour  la première fois  de Joséphine Baker, dira le colonel Paillole, je fus réticent. Nous nous méfions au 2e Bureau des enthousiasmes à la Mata Hari. Je craignais qu’elle soit une de ces personnalités brillantes du monde du spectacle qui, à l’épreuve d’un vrai danger, bien différent de leurs affres habituelles, se cassent comme du verre ; il me dit que Joséphine, c’était de l’acier. » Sous la coupe de Jacques Abtey, Joséphine Baker devient honorable correspondant.

Elle « ignorait tout du service de renseignements et devint rapidement un H.C. de tout premier ordre, dit Abtey. Cette femme universellement connue n’avait rien d’une barbouze. On se doute qu’elle n’opérait pas davantage en manteau couleur passe-muraille. Ce fut précisément en tant que Joséphine Baker qu’elle n’attirait pas l’attention sur son activité secrète. (…) Mieux, je parvins moi-même en certaines circonstances à passer complètement inaperçu en voyageant auprès d’elle avec un faux passeport en qualité de secrétaire ou d’artiste. »

« Mission accomplie ! »

Une longue route d’aventures va commencer pour Joséphine et son « officier traitant ». Le monde du renseignement de la vedette devient vite celui des ministres, des ambassades, voire des rois.

En 1940, Jacques Abtey est chargé d’établir, pour les Services spéciaux français, une liaison avec l’Intelligence Service, en vue d’un échange permanent de renseignements et afin de recevoir des consignes pour l’action commune. Il est décidé qu’il va accompagner la star dans sa tournée au Portugal et en Amérique du Sud ; il se fondra dans la troupe avec un passeport au nom de Jacques-François Hébert. Joséphine commence son travail de couverture, qui implique d’énormes risques, d’autant qu’elle fait inscrire sur le passeport de son coéquipier « accompagne madame Joséphine Baker ».

Pour ce premier voyage, ils partent avec une synthèse des renseignements recueillis jusque-là par le service de Paul Paillole, reproduite en langage chiffré et à l’encre sympathique (emplacement des principales divisions allemandes, effectifs, matériel, terrains d’aviation et même une photo d’une péniche que les Allemands projettent d’utiliser pour une invasion de l’Angleterre).

Tout le monde se presse pour voir la vedette, Abtey passe inaperçu, il fait pour ainsi dire partie des bagages. À l’ambassade de Lisbonne, par l’attaché de l’Air anglais, il entre en contact avec un membre de l’Intelligence Service. Joséphine, revenue seule à Paris, pourra dire à Paillole : « Mission accomplie ! »

Comme elle a besoin de renflouer ses finances, entamées par l’expédition à Lisbonne qu’elle a tenu à assumer, elle reprend à Marseille La Créole. À partir de ce moment, elle n’acceptera jamais aucune aide pécuniaire pour tout ce qu’elle fera pour la Résistance ou les soldats de l’Alliance.

Abtey est resté à Lisbonne pour mettre sur pied les modalités de collaboration avec les Anglais. Le service français sera basé à Casablanca et les courriers transiteront par le Portugal. Rentré à Marseille pour la première d’un spectacle de Joséphine, il lui dit qu’il a besoin d’elle pour la suite de ses missions et qu’ils vont s’installer au Maroc. N’hésitant pas un instant, elle interrompt les représentations pour cause de maladie et fait prendre ses bagages dans son château de Dordogne. Mais elle tient à ses animaux et l’on voit arriver dans sa cabine du bateau en partance pour l’Afrique du Nord : son danois, sa guenon, son singe-lion, son ouistiti, et ses deux souris blanches.

Ils embarquent aussi avec la dernière synthèse de renseignements. Mais, arrivé à Casablanca, Abtey a de telles difficultés pour obtenir un visa pour Lisbonne que Joséphine décide d’y aller à sa place. « Dans une valise, dira- t-il, elle emmenait la synthèse de Paillole que je lui avais transcrite à l’encre sympathique sur une partition de musique. De me voir écrire avec de l’eau l’avait bien amusée. C’était la première mission qu’elle allait accomplir seule à l’étranger. » Pour justifier sa présence à Lisbonne, elle y donne quelques représentations et revient radieuse

Mosaïques, orangers et colonnes de marbre

Elle se replie alors à Marrakech où deux personnalités lui ont ouvert les bras : un cousin germain du sultan, S.A. Moulay Larbi el-Alaouï, et le pacha de Marrakech, S.E. Si Thami el-Glaoui. Séduite par cette ville, elle s’installe avec sa suite, dont Abtey, dans une demeure de rêve au fond d’une impasse de la Médina : vestibule couvert de mosaïques, jardin intérieur à colonnes de marbre, orangers, fontaine gazouillante. Elle est frappée par la spiritualité qui émane de cette féerie. Mais le travail continue.

Malgré les dangers qu’il y a pour elle à aller en Espagne, alors sous tutelle occulte des Allemands, elle décide de s’y produire, ce voyage étant favorable à leur mission. Elle en reviendra avec, fixées à ses sous-vêtements par une épingle de nourrice, les notes qu’elle a prises sur les ambassades et les milieux politiques espagnols.

Mais, soudain, sa santé arrête son élan : elle a une péritonite et son cas est des plus sérieux. Un lit de camp est dressé auprès d’elle pour Abtey qui la veille, mais doit souvent la quitter pour les besoins de sa mission. Elle l’aide encore à sa manière : sous prétexte de visites à la malade, il peut donner dans sa chambre la plupart de ses rendez-vous clandestins.

Cependant, de rechute en rechute, Joséphine mène une incessante lutte pour la vie, qui va durer dix-neuf mois.

Un jour, elle voit arriver à son chevet un grand gaillard au visage ouvert, le vice-consul américain Bartlett : « Miss Baker étant d’origine américaine, dit-il, personne ne trouvera surprenant que je lui fasse des visites. » Abtey a en effet établi de nouveaux contacts avec les Américains, entrés dans la guerre. C’est ce même Bartlett qui leur annoncera un jour : de graves événements se préparent.

À la mi-octobre 1942, on offre à Abtey de diriger le 2e  Bureau de l’état-major militaire d’un mouvement de France Combattante qui vient de se former à Casablanca. Et les agents de Paillole ont été pressentis pour neutraliser, sous la direction du général Béthouart, le commandement supérieur des troupes du Maroc qui sont sous la direction du gouvernement de Vichy.

Le 8 novembre 1942, la DCA se déchaîne contre les premiers avions alliés, c’est le début du débarquement en Afrique du Nord. Joséphine exulte, Abtey la voit « bondir de son lit métallique, se lancer sur la terrasse, son maigre corps vêtu d’un pantalon de pyjama et d’un méchant tricot, les pieds nus » et, levant un poing vers le ciel : « Je vous l’avais toujours dit ! C’est cela les Américains ! » Elle suit la bataille du toit de la clinique.

Le deuxième jour des combats, elle tient, malgré sa faiblesse, à accompagner les représentants de la France Combattante qui vont se mettre à la disposition de l’état-major américain : une civière leur permettra de se déplacer sous la protection d’une ambulance de la Croix-Rouge.

Des milliers de soldats l’écoutent chanter

Enfin, le 1er  décembre, Joséphine quitte la clinique. À Marrakech, Si Mohamed Menebhi met à sa disposition un pavillon de son palais. Mais une paratyphoïde la terrasse à nouveau et elle enrage de ne pouvoir s’engager aux côtés de son officier traitant. Pourtant, le 1er  février, à peine rétablie et les cicatrices des interventions chirurgicales qu’elle a subies lors de son long séjour à la clinique n’étant pas entièrement refermées, pour aider les gens de sa couleur, elle monte sur les planches dans un foyer de soldats américains noirs (les blancs ont leur propre club). Le général Clark, qui assiste au spectacle, viendra la féliciter à la réception où l’on verra les plus hauts gradés de l’armée interalliée. Elle renaît à sa vie de star et se met à la disposition du haut commandement des troupes engagées, pour donner gratuitement des spectacles pour soutenir le moral des soldats. Et, alors qu’elle n’a plus un sou et qu’elle doit, pour se renflouer, donner une série de représentations au Rialto à Casablanca, la première est un gala au profit de la Croix-Rouge française. Le succès est énorme. J’ai deux amours, mon pays et Paris déchaîne une émotion parfois déchirante.

Et, tandis qu’Abtey, qui a quitté le Corps franc coiffé par Giraud, attend l’occasion de s’envoler pour rejoindre de Gaulle, elle fait le tour des can- tonnements (près de 300.000 hommes sont sous la tente ou dans des bara- quements). Plusieurs fois par jour, elle monte sur les tréteaux ; sa loge est une tente. Près d’Oran, la scène est dressée au milieu d’un champ, plusieurs milliers de soldats l’entourent. À Mostaganem, on lui demande de chanter sur la place publique car les militaires sont en butte à l’hostilité de la population, majoritairement italienne et espagnole, et le chef d’état-major a décidé de les mêler à la foule, espérant susciter le pouvoir rassembleur de l’artiste.

Tout en chantant, elle descend parmi les spectateurs, prenant des bébés dans ses bras et les remettant aux soldats. C’est ainsi qu’elle réussit à créer cette atmosphère de fraternité à laquelle elle aspire tant.

Des milliers de kilomètres à travers le désert

Quand elle rentre, épuisée, Paillole et de nombreux membres du 2e Bureau sont arrivés à Alger, ainsi que le général Catroux, représentant de Gaulle. Abtey se met au service du BCRA, tandis que Joséphine accepte une tournée dans les camps britanniques de Libye et d’Égypte. On pourrait croire que son activité dans la Résistance va s’arrêter là, d’autant qu’il n’est pas question pour elle de rentrer en France où, depuis 1941, les nazis ont interdit l’entrée en zone occupée de toute personne de couleur.

baker josephine
Le SLT Josephine Baker avec Alla Dumesnil-Gillet CDT les formations féminines de l’air – Photo Archives AASSDN

Pourtant, les deux coéquipiers vont continuer à lutter ensemble, mais leur action prend une autre tournure. Il ne s’agit plus d’œuvrer contre les services allemands, mais d’observer le monde musulman où les rivalités ancestrales ressurgissent. Joséphine a une grande connaissance du milieu arabe et, si elle met les intérêts de la France au-dessus de tout, elle aime sincèrement ses amis musulmans. C’est dans cet esprit qu’elle va travailler.

Accompagnée d’Abtey, elle part donc pour le Moyen-Orient. Sous couvert d’une tournée de propagande, sous le haut patronage de De Gaulle et au profit de la Résistance en métropole, elle donnera des spectacles devant les troupes FFL.

Toujours bénévole, pour pouvoir financer l’entreprise, Joséphine donne une grande soirée au théâtre municipal d’Alger. De Gaulle est parmi les spectateurs, il la félicite et lui fait remettre une petite croix de Lorraine en or. Il faut dire que Joséphine a un drapeau français de dix mètres orné d’une immense croix de Lorraine, qu’elle a déployé sur la scène. Elle le déploiera tout au long de sa tournée.

Elle suggère d’emmener avec eux un de ces amis, Madani Glaoui, neveu du pacha de Marrakech, un jeune homme plein de grâce et d’allant, acquis à de Gaulle, et dont le nom est susceptible de leur ouvrir des portes. Et les voilà partis pour un extraordinaire périple, tous les trois en jeep, les bagages suivant dans un autre véhicule, Joséphine en tenue militaire de campagne. Elle va faire ainsi des milliers de kilomètres à travers le désert.

À Sfax, ville détruite, elle offre la recette aux sinistrés. À Alexandrie, le trio est invité par le prince Mohamed Ali qui s’intéresse à leur mission. Au Caire, grande soirée franco-égyptienne présidée par le roi Farouk et banquet en l’honneur de la star. À Beyrouth, président de la République sortant, ambassadeur et têtes couronnées de Grèce. Pour augmenter la recette au profit de la Résistance, Joséphine met aux enchères la croix de Lorraine en or offerte par de Gaulle : elle atteint 350.000 francs.

Damas, Jérusalem, Tel-Aviv, Jaffa, Haiffa, puis Le Caire à nouveau ; sur toutes les scènes, Joséphine fait flotter son grand drapeau, symbole de la résurrection de la France. Bilan de la mission : une action de propagande et plus de trois millions de francs pour la Résistance.

Cependant, à Beyrouth, à l’élection du nouveau président de la République libanaise, le candidat français est battu, l’union arabe marque le premier point. Les renseignements recueillis par Abtey sont tous transmis à Alger et, devant la révolte grondant au Liban et les manifestations du Caire, ce dernier décide de rentrer le plus rapidement possible dans la capitale algérienne pour rapporter de vive voix les suggestions faites par les personnalités libanaises rencontrées.

L’échec de la France au Moyen-Orient occupe les esprits et change déjà les mentalités. Impression des deux coéquipiers : « le torchon brûle ». Les mouvements nationalistes intéressent les services de renseignements français, autant qu’américains et britanniques.

Mais Joséphine paie son infernale randonnée dans le désert et doit être opérée d’urgence d’une occlusion intestinale. Le palais Menebhi, où elle est en convalescence, est un lieu privilégié d’observation pour juger de l’évolution des dispositions des notables marocains à l’égard de la France.

À la veille du Débarquement en France sur les côtes normandes, elle accepte une tournée de propagande au profit de la France libre, en Corse, qui vient d’être libérée ; le but est, là, une démonstration à l’intention des Américains, dont l’attitude à l’égard de De Gaulle est plus qu’équivoque ; au point qu’un jour, un membre du corps diplomatique conseille à la vedette de ne jamais monter dans l’avion du Général.

Son avion s’écrase en mer

Quand elle rejoint la Corse en avion avec Abtey, s’apprêtant à poser le pied en France pour la première fois depuis quatre ans, peu après la Sardaigne, un moteur tombe en panne. Le ciel est sillonné d’avions français, tandis que le leur perd de l’altitude et finit par descendre vers la mer. « Calez-vous ! » crie le pilote. Le grand drapeau roulé sert de coussin protecteur à Joséphine. L’avion s’écrase dans une gerbe d’eau, sa carlingue de bois éclate, ses occupants grimpent sur une aile au milieu des bagages flottants. Ils sont tombés dans une anse, un groupe de tirailleurs Noirs accourt sur la plage. La soirée de gala sera assurée, Joséphine chantera pour les hommes qui vont libérer la France occupée.

Engagée le 23 mai 1944 dans l’armée, le lieutenant Joséphine Baker débarquera elle-même en zone sud avec les Forces féminines de l’Air : tenue de campagne, barda et casque réglementaires, vie de soldat.

Abtey la retrouve à Paris, aux Halles, calot sur la tête, dans un grand manteau gris-bleu de la RAF, pourvu par ses soins des boutons de cuivre de l’armée de l’Air française, une grosse écharpe de laine autour du cou ; elle s’approvisionne en gros pour les vieux de la banlieue (sans tickets d’alimentation grâce à ses relations). Elle s’est engagée dans la lutte contre la misère.

Pour une série de spectacles au profit des sinistrés, on lui recommande l’orchestre de Jo Bouillon. Ils suivront ensemble la progression de la 1re Armée, parcourant la zone française en Allemagne occupée. À Berlin, elle représente la France au cours d’un spectacle grandiose où figurent les grandes nations alliées. À Buchenwald libéré, elle ira au chevet des typhiques intransportables.

Une nouvelle tranche de vie attend la star, mais, en retrouvant la paix, avec Jo Bouillon devenu son mari, elle ne renoncera jamais à lutter avec l’étonnante générosité dont elle a toujours fait preuve, notamment pour sa cause première : l’abolition des barrières raciales. Voulant prouver qu’on peut vivre ensemble sans discrimination, elle adoptera douze enfants d’origines différentes.

L’activité de Joséphine Baker dans le cadre des services spéciaux a été minimisée par certains, pour lesquels elle n’aurait pas été un véritable agent de renseignements. Sans elle, pourtant, le véritable agent de renseignements que fut Jacques Abtey n’aurait jamais pu mener à bien ses missions. Elle a tout le long de l’Occupation pris des risques considérables pour le « couvrir » et s’est dépensée parfois au-delà de ses forces pour la Résistance. Ses décorations en témoignent. Elle a reçu la médaille de la Résistance, en 1946, dans son lit de la clinique de Neuilly (nouveaux ennuis de santé) et, en 1961, dans son château des Milandes, en Dordogne, les insignes de la Légion d’honneur et la croix de guerre avec palme.

Ses funérailles nationales, en 1975, étaient sans précédent pour un artiste.

Alain Juillet et Marie Gatard

Cet article a été publié le 19 septembre 2021 dans le numéro 256 du Bulletin bimestriel de l’AASSDN, l’Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale. Nous le reproduisons ici avec l’aimable autorisation de leurs auteurs et de l’AASSDN.

Alain Juillet, vice-président de l’AASSDN – Photo © JFD

Marie Gatard, Historienne AASSDN – Photo ©

Quelques livres pour en savoir davantage

Joséphine Baker, une Américaine à Paris, Phyllis Rose. Ed.Fayard, 1990

Joséphine, Joséphine Baker et Jo Bouillon. Ed. Robert Laffont, 1976

Voyages et aventures de Joséphine Baker, Marcel Sauvage. Ed. Marcel Sheur, Paris, 1931

Joséphine Baker contre Hitler, Charles Onana. Ed. Duboiris, 20XX 

2e Bureau contre Abwehr , Jacques Abtey. Ed. de la Table Ronde, 1967

La guerre secrète de Joséphine Baker, Jacques Abtey. Ed. Siboney, 1948

Bulletin de liaison de l’AASSDN, n° 177 et 127

J.A., Rémy. Ed. Galic, 1961

Services spéciaux, Paul Paillole. Ed. Robert Laffont, 1975

Mes missions face à l’Abwehr, Gilbert Guillaume. Ed. Plon, 1973

Combats de femmes, Marie Gatard, L’esprit du Livre, 2009




Article du Figaro : 80 ans après, le serment des anciens espions à Agen

Publié le 07/10/2021 Par Christophe Cornevin

Photo : Le 6 Octobre 2021, à Agen, les anciens des services spéciaux de la Défense nationale s’étaient réunis devant le monument aux morts pour honorer la mémoire des héros de la Résistance.

L’Amicale des anciens des services spéciaux de la Défense nationale (ASSDN) s’est réunit pour célébrer une page glorieuse et méconnue de leur histoire et de l’histoire: le 80e anniversaire du serment de Bon-Encontre. Un pacte pour lutter clandestinement contre l’Allemagne nazie jusqu’à la libération de la France.

Au moment même où les adeptes de la culture woke essaient de déconstruire la mémoire en déboulonnant les statues, au mépris de l’histoire, les espions se souviennent et célèbrent une page majeure d’une histoire à la fois glorieuse et méconnue. Ce vendredi, l’Amicale des anciens des services spéciaux de la Défense nationale (ASSDN) va se réunir à Bon-Encontre, près d’Agen, pour commémorer le 80e anniversaire d’un serment, prononcé le 25 juin 1940 (jour de l’entrée en vigueur de l’armistice) par les agents des services de renseignement et de contre-espionnage français: poursuivre clandestinement la lutte contre l’Allemagne nazie jusqu’à la libération de la patrie. Là, une soixantaine de «grognards», issus des services spéciaux de la guerre, de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la Direction du renseignement militaire (DRM), mais aussi de l’ex-Direction de la surveillance du territoire (DST), dépendant du ministère de l’Intérieur, ou encore de la Direction nationale…




Janvier 1944 : la relève de Camelia arrive à Clermont-Ferrand

Le texte ci-après est tiré des archives inédites du Colonel Paul Bernard, l’un de nos grands anciens du TR. Il relate, avec un certain humour, son arrivée à Clermont-Ferrand en 1944 pour reprendre la direction de “ Camélia ” après l’arrestation du Capitaine M. A. Mercier. L’expression “ Agence immobilière ” est l’appellation de l’entreprise des “ Travaux Ruraux ” (TR) donnée par Pierre Nord dans son livre (en 3 tomes) “ mes camarades sont morts ”. Notre ami, le Colonel Xavier Bernard, souhaitait voir publier ce témoignage à l’occasion du dixième anniversaire du décès de son père.

Par un froid matin de janvier 1944, un être assez minable descendait du train en gare de Clermont-Ferrand. Petit, maigriot, pâle, mal vêtu, il avait cet air famélique et préoccupé du licencié de partout pour incapacité notoire. Portant avec peine une vieille valise éculée il se dirigea cahin-caha vers la sortie et le gendarme allemand de service jeta du haut de ses 1 m 90 un regard de profond dédain sur ce lamentable représentant de la dégénérescence française. Le Capitaine Bihan (Paul Bernard) récemment promu chef de la succursale Camélia de l’Agence immobilière (Travaux Ruraux : c’est-à-dire Chef du Réseau Centre du Service de Contre-Espionnage), prenait contact avec sa nouvelle garnison.

Il aurait été pour le moins optimiste de prétendre que tout allait pour le mieux, à cette époque, au sein de l’Agence immobilière. Depuis deux mois les coups
durs se succédaient même à une cadence exagérée. Vers le 15 novembre le poste Rose de Toulouse avait perdu son chef. C’était la troisième fois en moins d’un an que ce poste se trouvait décapité. Le 26 novembre l’équipe chargée des embarquements par sous-marin était tombée dans une embuscade. Bilan : un tué, une valise de courrier et un poste radio perdus, la liaison maritime avec Alger coupée.

Le 29 novembre Durand, chef de l’équipe d’embarquement, avait été arrêté par suite de la trahison d’un agent double. Dans les premiers jours de décembre la police allemande de Paris arrêtait le Capitaine Laprune, celle de Nantes mettait la main sur le Lieutenant de Vaisseau Lavallée et toute son équipe tandis qu’à Marseille l’Oberscharführer Delage (Dunker) arrêtait trois agents du poste Glaïeul dont un agent double qui allait parler et provoquer d’autres arrestations.
Le 6 décembre deux agents de liaison étaient pris à Paris avec une valise de courrier.

Le 11 décembre le Capitaine Mordant (Roger Morange), chef de poste Glaïeul, attiré dans un guet-apens était blessé et arrêté ainsi qu’un sous-officier. Le même jour en gare de Roanne était arrêté le Capitaine Marchand (M. A. Mercier) chef du réseau Camélia et adjoint du Commandant Laforêt (Lafont alias Verneuil) grand chef de l’Agence immobilière pour la France. En même temps que lui un des meilleurs agents de liaison du Service tombait aux mains de l’ennemi. A la suite de ces arrestations le Commandant Laforêt acharné à reconstituer ses équipes avait désigné comme successeur de Marchand le Capitaine Bihan que nous venons de voir débarquer si triomphalement à Clermont-Ferrand.

Au cours d’un interminable voyage le nouveau chef de réseau avait eu tout le temps de savourer les joies de sa nomination, Camélia était un commandement de choix : 19 départements, des chefs de postes gonflés à bloc, la perspective de récolter à Limoges, à Vichy, à Lyon des tas de renseignements intéressants, il y avait de quoi mettre l’eau à la bouche. Pour l’instant cependant, Bihan était préoccupé par une question plus terre à terre. Il cherchait un logement et il avait quelques raisons personnelles de ne pas considérer les hôtels et les meublés comme des havres de tout repos.

Il existe encore, heureusement, en province, un certain nombre de foyers dont la tranquillité ouatée, basée sur des traditions familiales centenaires, est capable de résister aux plus effroyables bouleversements. Dans les “ années terribles ” lorsque traqués, saouls de fatigue et d’énervement, écœurés par les trahisons et les reniements, les pauvres hommes qui s’accrochent à la lutte contre le vainqueur cherchent avec angoisse une aide et un repos, leurs rêves leur montrent la maison calme et quiète où il ferait si bon oublier de temps en temps les rafles, les perquisitions, les tortures, tout ce sang et cette fange dans laquelle ils pataugent quotidiennement.

C’est vers une de ces “ calmes retraites ” que se dirigeait le Capitaine Bihan. Une tante de sa femme, Madame de B… habitait en effet à ClermontFerrand.
La famille de B… n’est pas inconnue dans les milieux militaires. Officiers ou soldats, les hommes qui portent ce nom ont coutume de jalonner de leurs tombes les champs de bataille où se joue le sort du pays. La branche clermontoise de la famille était bien loin de cette gloire militaire. Veuve depuis un an, Madame de B… habitait avec sa fille Odile et une demoiselle de compagnie, Françoise. Au physique ces trois personnes étaient fort dissemblables.

Madame de B…, blanche de cheveux, toute menue, douce et tranquille faisait un curieux contraste avec sa fille fortement charpentée, énergique,
décidée, sachant très bien imposer sa volonté d’un froncement de ses épais sourcils noirs. Quant à Françoise elle joignait à l’aspect menu de Madame de B… le dynamisme de sa fille. Par contre sur le plan moral toutes trois présentaient de grandes ressemblances. Très pieuses, menant une vie presque monacale, lectrices du Tiers Ordre de Saint François elles avaient orienté leur existence vers les bonnes œuvres et le salut de leurs âmes. Les activités de la Gestapo devaient leur être aussi étrangères que celles d’hypothétiques Martiens.
Impossible pour un hors la loi de trouver un abri plus sûr que cette maison de paix. Du point de vue matériel, l’immeuble qu’elles habitaient se présentait sous forme d’une maison bien construite, dans un quartier tranquille à mi-distance entre la gare et le centre ville. Deux entrées, l’une sur la rue, l’autre sur des jardins permettaient des allées et venues relativement discrètes. La famille de B…

se réservait le 1er et le 3e étages et avait loué le rez-de-chaussée et le second. Les seuls inconvénients de l’immeuble étaient, outre cette présence de locataires inconnus, la proximité du PC de la Milice et celle de l’Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand.
Tout compte fait le Capitaine Bihan considérait cette maison comme providentielle et voici comment il raconte la façon dont il fut reçu :
En sonnant chez ma tante de B… j’étais un peu inquiet. On a beau être devenu assez rossard et peu scrupuleux, il est quand même difficile d’imposer sa présence à une famille sans la prévenir que votre présence risque d’être aussi pleine de charme que celle de la peste ou du choléra. Je fus accueilli à bras ouverts et après avoir parlé quelques minutes de questions familiales je risquais une allusion timide à la difficulté de trouver un logement. Immédiatement, avec un bon sourire, Madame de B… déclara : Mon cher enfant j’espère bien que vous nous ferez le plaisir de vous installer parmi nous. Avec quelques circonlocutions j’entrais alors dans le vif du sujet : ma tante savait certainement que je faisais un peu de Résistance mais elle ignorait peut-être que cela me prenait du temps, m’obligeait à une vie peu régulière, à de fréquents déplacements et que je devais aussi recevoir certaines personnes, bref qu’il y avait à craindre que ces allées et venues n’attirent l’attention des Allemands… ce qui présentait des risques… des risques que… plus j’allais, plus le sourire s’apanouissait sur le visage de mes interlocutrices… “ Mais oui, mais oui disait tantôt l’une, tantôt l’autre, cela va de soi. C’est tout naturel, des risques ? Bien sûr mais le ciel nous protégera ”.

J’admirais la candeur naïve de personnes assez éloignées des choses de ce monde pour ne même pas soupçonner les méthodes chères aux Allemands. Très touché de l’affection qui m’était témoignée, j’avais de plus en plus l’impression d’être un dégoûtant personnage abusant de l’ignorance et de la bonne foi de ces braves cœurs pour les entraîner à leur perte. Mais nécessité fait loi et, sans pousser l’hypocrisie jusqu’à me faire prier, j’acceptais l’invitation qui m’était faite.

Un peu avant le déjeuner, Odile m’avertit qu’un ménage de réfugiés partagerait notre repas. Effectivement, lorsque je descendis à la salle à manger je me trouvais en face d’un couple d’allure jeune, présentant deux particularités qui m’étonnèrent un peu : d’abord ces invités étaient en pantoufles et tenue d’intérieur ce qui semblait indiquer qu’ils habitaient la maison, ensuite l’homme possédait à un degré difficile à égaler, tous les caractères de l’Israélite d’Europe Centrale. Tous deux parlaient français avec un sérieux accent. J’appris qu’ils étaient Lettons et qu’ils habitaient la chambre voisine de la mienne. Puisque nous devions cohabiter il fallait se montrer aimable. J’eus le malheur de m’apitoyer sur la Lettonie qui depuis 1939 avait été deux fois envahie par les Russes et les Allemands. M. Pierre (c’est le nom qu’on donnait au mari), m’interrompit sèchement en précisant que la Lettonie, terre russe, n’avait pas été envahie par l’URSS mais libérée du joug d’un gouvernement infâme exécré de tous les bons Lettons. Je me le tins pour dit et orientais d’urgence la conversation vers les mérites respectifs de la pluie et du beau temps.

Après le repas, je demandais à ma famille quelques explications sur ces Lettons dont le patriotisme me semblait curieux. J’appris alors que nés en Lettonie avant 1918 ils avaient conservé la nationalité soviétique puis étaient venus se fixer en France, le mari comme ingénieur et la femme comme traductrice à l’ambassade d’URSS. Ils habitaient depuis plusieurs mois chez Madame de B… à laquelle ils avaient été confiés par une organisation d’extrême-gauche.
Je commençais à me demander sérieusement si mes parentes étaient aussi naïves qu’elles voulaient bien le paraître. En tous cas mon asile était certainement moins sûr que je ne l’avais cru.

Dès le lendemain, j’eus un nouveau motif d’étonnement. Odile partie de bon matin avec une poussette, revint avec un morceau de bœuf d’une vingtaine de kilos que M. Pierre s’empressa de débiter. Comment ? Cette pieuse famille se livrait au marché noir ? C’était incroyable. Pourtant dans le courant de l’après-midi un certain nombre de personnes vinrent prendre livraison des paquets préparés par M. Pierre. Pas de doute, j’étais tombé chez d’affreux trafiquants. C’était gai !Pour peu que la Police économique ait vent de la chose et perquisitionne, elle ne manquerait pas de s’étonner de la présence du Letton judéo-marxiste et par voie de conséquence manifesterait peut-être à mon égard une curiosité déplacée.

Il fallait que ce trafic cesse. Mes ouvertures en ce sens se heurtèrent à un refus aimable mais ferme et on m’expliqua que ce trafic n’était qu’une “ couverture ”.
Il s’agissait de masquer la destination des gros achats de denrées effectués par la famille de B… pour nourrir “ quelques petits ”. Les “ petits ” en question étaient de bons jeunes gens en voie d’acheminement vers les maquis du Massif Central. On me prévint d’ailleurs que j’aurais certainement le plaisir de faire connaissance avec certains d’entre eux car la maison servait en cas de besoin de lieu d’hébergement. De mieux en mieux, pour un coin tranquille j’avais choisi un coin vraiment tranquille.

Peu après Françoise vint annoncer que le jeune homme et la jeune femme étaient là. Vaguement inquiet je me hâtais de demander qui étaient ces nouveaux personnages. On me répondit avec la plus suave tranquillité qu’il s’agissait d’une entreprise de fabrication de faux-papiers à l’usage des Israélites et des jeunes gens en rupture de STO. Sachant la maison à l’abri de tout soupçon, les dirigeants de cette entreprise l’avaient choisie pour y installer leur laboratoire technique.

Timidement je demandais si par hasard je connaissais maintenant toutes les activités clandestines de la famille. Bien sûr que non ! D’abord “ on ” n’avait pas eu encore l’occasion de manifester son amitié à nos fidèles alliés anglo-saxons, c’était une lacune regrettable mais tout espoir n’était pas perdu de ce côté. Odile s’était en effet abouchée avec une filière d’évasions et espérait avoir le plaisir d’héberger un jour des aviateurs anglais ou américains. “ On ” avait également logé quelques anti-vichystes notoires pris dans les milieux politiques ou journalistiques et “ on ” ne désespérait pas de recommencer. “ On ” avait aussi eu le plaisir d’héberger quelques temps un des principaux dirigeants des Services Spéciaux. Enfin pour ne rien oublier, il fallait bien avouer qu’“on” diffusait un peu de presse clandestine, en particulier les Cahiers du Témoignage Chrétien.

C’était tout… pour l’instant, mais “ on ” espérait bien que ma présence allait permettre de mener une vie un peu plus active.
Ahuri, j’écoutais cet exposé en repassant dans mon esprit les prescriptions du
“ vade-mecum du parfait espion en campagne ”:
– Ne jamais se lancer dans plusieurs activités clandestines à la fois.
– Ne pas camoufler dans un même local des matériels appartenant à plusieurs
organisations.
– Éviter tout contact entre membres d’organisations différentes.
– Ne jamais utiliser un local d’habitation comme local de travail.
– (…)

Je voyais d’ici la tête du Commandant Laforêt lorsque je lui rendrai compte de l’installation de mon PC.
D’autre part il fallait bien que je commence mon travail : fils du réseau à renouer, nouvelles instructions à apporter aux différents postes, liaisons radio à reprendre. Non, décidément, je n’avais pas le temps de chercher un autre gîte avant quelques jours. Installons-nous donc provisoirement.
Ce provisoire allait durer très exactement jusqu’à la Libération et allait permettre au Capitaine Bihan de connaître l’âge d’Or sans être jamais inquiété, du moins à cause de son implantation.

NB : une suite de ces souvenirs est envisagée en fonction du dépouillement des archives du Colonel Paul Bernard.

Source : Bulletin n° 225




Histoire des services secrets de la France libre : Le bras armé du général de Gaulle

Dès juin 1940, une poignée de Français choisissent de continuer le combat depuis Londres sous les ordres du général de Gaulle. Mais la poursuite de la guerre est un pari audacieux quand manquent les moyens humains, financiers et matériels. Tout est à inventer, ou presque. C’est dans cet esprit que le colonel Passy organise le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA). Son objectif est triple. D’abord, recueillir des renseignements sur ce qui se passe en France. Puis, très vite, soutenir la lutte de ceux qui ont choisi de résister en métropole, exploiter leur potentiel militaire et enfin, bon gré mal gré, leur imposer la tutelle de l’homme du 18 Juin.

Grâce à des archives exceptionnelles (celles du BCRA en France, celles du SOE en Angleterre et celles de l’OSS aux Etats-Unis), cet ouvrage retrace l’aventure de personnages hors du commun qui ont marqué de leur empreinte l’histoire des services secrets de la France libre : le colonel Passy, le colonel Rémy, Jean Moulin, Pierre Brossolette, Roger Wybot (futur patron de la DST), André Manuel, Pierre Fourcaud ou Honoré d’Estienne d’Orves. Il nous entraîne au coeur de ces services et met en lumière leurs relations avec le Général, mais aussi leurs rapports souvent tumultueux avec leurs partenaires britanniques et américains. A travers de multiples informations inédites et des documents jusque-là inaccessibles au public, il démonte la légende noire qui a parfois occulté le formidable apport du BCRA à la victoire alliée et nous fait découvrir toutes les facettes de son rôle dans la lutte pour la Libération de la France.

Commentaire :
Très beau livre écrit en collaboration avec le Ministère de la Défense – DMPA-DGSE sur “ le bras armé du Général de Gaulle ” comportant une
magnifique iconographie et de nombreuses reproductions de documents.




Jean Deuve (biographie)

Grand nom du renseignement militaire, le colonel Jean Deuve est l’un des « as » des services secrets français. Jeune aspirant, il combat vaillamment dans les Ardennes à la tête de ses tirailleurs sénégalais et voit son nom inscrit au « Mémorial de l’Empire ». Affecté en Afrique de l’ouest après l’armistice, il est repéré par les Britanniques qui l’envoient suivre un an d’entraînement aux Indes au sein de la fameuse Force 136, celle-là même qui fit sauter le pont de la rivière Kwaï. Parachuté au Laos en janvier 1945, Jean Deuve organise la lutte contre les Japonais et devient gouverneur de province à 27 ans. Il fonde la Police royale laotienne et a la haute main sur les services de renseignement du royaume pendant deux décennies. Responsable important du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) dans les années 1970-1980, il est un témoin incontournable des relations internationales de la guerre froide.

Commentaire :
Le Colonel Deuve, l’un de nos grands anciens, témoin incontournable de la guerre froide puis auteur de nombreux livres sur sa période de combats si particuliers au Laos, sur la désinformation et les stratagèmes, sur le renseignement normand au temps de Guillaume le Conquérant et bien d’autres encore.
Un livre également passionnant.




Les services secrets du général de Gaulle : Le BCRA, 1940-1944

Quelles furent les véritables relations du général de Gaulle avec le Bureau Central de Renseignement et d’Action? Quels furent le rôle exact et l’influence de ce service pendant la Seconde Guerre mondiale? Le B.C.R.A mérite-t-il la légende noire qui l’accompagne?

Pour une poignée de Français, la guerre ne s’arrête pas avec l’armistice de 1940. Mais la continuer est un pari audacieux quand manquent les moyens humains, financiers et matériels. Tout ou presque est à inventer. C’est dans cet esprit qu’à Londres le colonel Passy organise le Bureau central de renseignement et d’action (BCRA). Son objectif est triple: recueillir des renseignements sur ce qui se passe en France, soutenir les résistants de l’intérieur dans leur combat, puis imposer à ceux-ci une tutelle souvent fort mal acceptée.

Grâce à des fonds d’archives exceptionnelles – 600 cartons du BCRA, celles du SOE britannique et de l’OSS américaine –, Sébastien Albertelli retrace l’aventure de ces personnages hors du commun : le colonel Passy, le colonel Rémy, Jean Moulin, Pierre Brossolette, Roger Wybot (futur patron de la DST), André Manuel, Pierre Fourcaud ou Honoré d’Estienne d’Orves. Il détaille les relations compliquées et fluctuantes entre le général de Gaulle et les services secrets, étudie les rapports tumultueux du BCRA avec les Anglais ou les Américains et démonte la légende noire qui s’est tissée autour du BCRA.

Son travail minutieux, qui fourmille d’informations inédites, permet de comprendre comment la toile d’araignée des services spéciaux français a mené la lutte contre les Allemands et Vichy.

La thèse dont ce livre est issu a reçu le Prix Philippe Viannay – Défense de la France, décerné par la Fondation de la Résistance. Sébastien Albertelli, agrégé et docteur en histoire, a participé au Dictionnaire de la Résistance et au Dictionnaire De Gaulle.




Bibliographie sur l’affaire Ben Barka

( parutions dans les années 1960 )

J’accuse Lemarchand. (A. Tislenkoff, Saint-Just, Paris, 1966).

L’affaire Ben Barka. (Cahier du Témoignage chrétien, n° 45, 1966).

L’affaire Ben Barka. (D. Sarne, La Table Ronde, Paris, 1966).

La ténébreuse affaire Ben Barka. (J.P. Marec, Presses Noires, 1966).

La Lutte tricontinentale. (A-P. Lentin, Maspéro, Paris, 1966).

El-Mehdi Ben Barka, mon frère. (A. Ben Barka, Laffont, Paris, 1966).

Une philosophie sur l’affaire Ben Barka. (T. Mali , Imprimerie Hettiger, Lyon, 1966).

L’affaire Ben Barka. (Le Canard Enchaîné, n° spécial, juin 1966).

L’affaire Ben Barka. (Le Crapouillot, n° spécial, 1966).

Ben Barka chez les juges. (F. Caviglioli, La Table Ronde, Paris, 1967).

On a tué Ben Barka. (R. Muratet, Plon, Paris, 1967).

( parutions dans les années 1970 )

Accusé, taisez-vous! (L. Souchon, La Table Ronde, Paris, 1970).

Réquisitoire contre un despote. (M. Diouri, Albatros, 1972).

Echec au roi. Du coup d’Etat de Shirat au suicide d’Oufkir. (F. Pédron, La Table Ronde, Paris, 1972).

La mort de Mehdi Ben Barka : un dossier à rouvrir. (Cahier du Témoignage chrétien, n° 54, 1973).

L’affaire Ben Barka. (L. Dufresse, Vérité, Paris, 1973).

Oufkir. (C. Clément, Jean Dullis, 1974).

Une république pour un roi. (P. July, Fayard, Paris, 1974).

Les assassins de Ben Barka : dix ans d’enquête. (D. Guérin, Authier, Paris, 1975).

( parutions dans les années 1980 )

SDECE, Service 7. (Ph. Bernert, Presses de la Cité, Paris, 1980).

La Tricontinentale et les secrets du mondialisme. (Y. Moncomble, Faits et Documents, 1980).

Ben Barka, ses assassins : seize ans d’enquête. (D. Guérin, Plon, 1981).

Ben Barka. Vingt ans après. (Actes du colloque du 26 ocobre 1985 à Paris, Arcantère, Paris, 1986).

De Gaulle. (J. Lacouture, Seuil, Paris, 1986 ; vol.III).

Israël ultra-secret. (J. Derogy et H.Carmel, Laffont, Paris, 1989).

( parutions dans les années 1990 )

Notre ami le roi. (G. Perrault, Gallimard, Paris, 1990).

Les mystères de l’affaire Ben Barka. (J-C. Kerbouch, La Crémille, Paris, 1990).

L’affaire Ben Barka. (B. Violet, Fayard, Paris, 1991).

Les secrets de l’espionnage français. (P. Krop, Payot, Paris, 1995 ; pp. 595-602).

Ben Barka. (Z. Daoud et M. Mounjib, Michalon, Paris, 1996).

Affaires d’Etat. (F. Gerber, Albin Michel, Paris, 1997).

Mehdi Ben Barka. De l’indépendance marocaine à la Tricontinentale. (R. Gallissot, Karthala, Paris, 1997).

Ils ont tué Ben Barka. (J. Derogy et F. Ploquin, Fayard, Paris, 1999).

( parutions dans les années 2000 )

Confession d’un espion. (A. Lopez, Fayard, Paris, 2000).

De l’antigang à la criminelle. (Commissaire Leclerc, Plon, Paris, 2000).

Silence, on tue. (P. Krop, Flammarion, Paris, 2001; pp. 229-269).

Oufkir. Un destin marocain. (S. Smith, Pluriel, 2002).

Le Secret. Ben Barka et le Maroc, un ancien agent secret des services spéciaux parle. (A. Boukhari, Michel Lafon, Paris, 2002).

Cadavres sous influence. (Ch. Deloire, Lattès, Paris, 2003 ; pp. 165-170).

Aux Services de la République. Du BCRA à la DGSE. (C. Faure, Fayard, Paris, 2004 ; pp. 341-363).

« Barbouze » du Général. (P. Lemarchand, Le Cherche midi, Paris, 2005).

L’indic et le commissaire. (L. Aimé-Blanc, Plon, Paris, 2006).

Les Enigmes de la Ve République. (Ph. Valode, First, Paris, 2007; pp. 45-67).




Bibliographie sur l’assassinat de Kennedy

( parutions dans les années 1960 )

J.F.K., the Man and the Myth. (V. Lasky, Macmillan, New York, 1963).

Le jour où Kennedy fut assassiné. (L. Bernières, Gerfaut, 1963).

22 octobre 1962: le coup de tonnerre de Cuba. (J. Daniel et J.G. Hubbell, Laffont, Paris, 1963).

John F. Kennedy, President. (H. Sidey, Atheneum, 1963).

Memorandum for the Director of Central Intelligence. Subject : Plans of Cuban Exiles to assassinate selected Cuban Government leaders. (The White House, Washington, June, 10, 1964).

Dallas, Public and Private. (W. Leslie, Grossman, New York, 1964).

Rapport Warren. (Collectif, Bentam, 1964).

A Texan looks at Lyndon. (J.E. Haley, The Palo Duro Press, 1964).

Les assassins de Kennedy. (Th. Buchanan, Julliard, Paris, 1964).

Oswald: assassin or fall guy. (J. Joesten, Merlin Press, London, 1964).

Ma lutte contre la corruption. Les Kennedy face à Jimmy Hoffa et au gangstérisme syndical. (R.F. Kennedy, Laffont, Paris, 1964).

Memorandum to Mc George Bundy from Gordon Chase ; Subject : Assassination of Castro. (The White House, Washington, June, 15, 1965 )

Portrait of the Assassin. (G.R. Ford & J.R. Stiles, Bantam, New York, 1965).

Unanswered Question About JFK Assassination. (S. Fox, Award Books, New York, 1965).

L’affaire Oswald. (L. Sauvage, Minuit, Paris, 1965).

17 avril 1961: la baie des Cochons. (H. Johnson, Laffont, Paris, 1965).

Le procès de Dallas. (Fr. Pottecher, Arthaud, Paris, 1965).

Inquest. The Warren Commission and the Establishment of Truth. (E.J. Epstein, Viking, 1966).

Kennedy. (Th. Sorensen, Gallimard, Paris, 1966).

Les 1000 jours de Kennedy. (A.M. Schlesinger, Denoël, Paris, 1966).

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Le FBI inconnu. (F. Cook, Denoël, Paris, 1966).

Dallas, un crime sans assassin. (F. Kiesel , Pierre de Meyer Editeur, Bruxelles, 1966).

The Truth About the Assassination. (C. Roberts, Grosset & Dunlap, New York, 1967).

Were We Controlled? (L. Lawrence, University Books, New York, 1967).

La mère d’Oswald parle. (J. Stafford, Trévise, Paris, 1967).

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Les Kennedy. Histoire d’une dynastie. (R.J. Whalen, Trévise, Paris, 1967).

Mort d’un Président. 20-25 novembre 1963. (W. Manchester, Laffont, Paris, 1967).

La vérité sur le cas Jack Ruby. (J. Joesten, Casterman, Paris, 1967).

La vérité sur la mort du président Kennedy. (Collectif, Historama, n° 187, 1967).

The Day Kennedy was Shot. (J. Bishop, Gramercy Books, 1968).

Assassination. The Death of JFK. (R. Morin, Signet, New York, 1968).

( parutions dans les années 1970 )

Johny we hardly knew ye. (K. O’Donnell, D. Powers, Little Brown & Co, 1970).

A Heritage of Stone. (J. Garrison, Putnam, New York, 1970).

The Ordeal of Otto Otepka. (W.J. Gill, Arlington House, 1970).

Dallas : l’affaire Ruby. (Fr. Pottecher, Edito-Service, 1971).

Executive Action. Assassination of a Head of State. (D. Freed, Dell, 1973).

Portrait de Lee Oswald. (R. Oswald, Beckers, 1973).

November 22, 1963, you are the jury. (D. Belin, Quadrangle, 1973).

Legacy of Doubt. (P. Noyes, Pinacle Books, New York, 1973).

An Essential Memoir of a Lunatic Decade. (W. Hinkle, Putnam, New York, 1974).

Presumed Guilty. (H. Roffman, Barnes, Crandbury, 1975).

They’ve Killed the President! (R.S. Anson, Bantam, 1975).

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Mort d’un président. (W. Manchester, Laffont, Paris, 1976).

Hoover. (J.M. Charlier et P. Demarest, Laffont, Paris, 1976).

The Two Assassins. (R. Hartogs & L. Freeman, Zebra Books, New York, 1976).

Les complots de la CIA. (D. Antonel, A. Jaubert et L. Kovalson, Stock, Paris, 1976).

Connivence. (M. Bonfanti, Orban, Paris, 1977).

Coincidence or Conspiracy? (B. Fensterwald & M. Ewing, Zebra, New York, 1977).

Marina and Lee. (P.J. McMillan, Harper & Row, New York, 1977).

Exploits et bavures de l’espionnage américain. (P.de Villemarest, Famot, 1978).

Legend. The Secret World of Lee Harvey Oswald. (E. Epstein, Hutchinson & Co, 1978).

LBJ and the JFK Conspiracy. (H. MacDonald & R. Moore, Condor, Westport, 1978).

Comment ils ont tué Kennedy. (M. Eddowes, Grancher, Paris, 1979).

( parutions dans les années 1980 )

Wilderness of Mirrors. (D.C. Martin, HarperCollins, 1980).

Best Evidence. Assassination of JFK. (D.D. Lifton, Macmillan, New York, 1980).

Conspiracy. Who Killed President Kennedy? (A. Summers, Fontana, 1980).

La fausse énigme de Dallas. (A. Moss, La Table Ronde, Paris, 1980).

Les secrets bien gardés de la CIA. (Th. Powers, Plon, Paris, 1981).

The Plot to Kill the President. (R. Blakey & R. Billings, Times Books, 1981).

Dallas, le dossier truqué. (F. Rieder, Famot, Paris, 1982).

The Kennedy imprisonment. (G. Wills, Little Brown, Boston, 1982).

Scandals, Scamps and Scoundrels. (J. Phelan, Random House, New York, 1982).

Les Kennedy, une dynastie américaine. (P. Collier et D. Horrowitz, Payot, Paris, 1984).

Reasonable Doubt. Assassination of JFK. (H. Hurt, Rinehart & Winston, New York, 1986).

The Agency, Rise and Decline of the CIA. (J. Ranelagh, Simon & Schuster, New York, 1986).

Profumo, les dessous d’une affaire d’Etat. (Ph. Knightley, Bourgois, Paris, 1987; pp. 269-281).

Hoover vs the Kennedys. Second Civil War. (C. Gilmore, St Martin’s Press, New York, 1987).

Contract on America, the mafia murder of president Kennedy. (D.E. Scheim, Shapolsky, New York, 1988).

Who Shot the President? (J. Donnelly, Random House, New York, 1988).

Mafia Kingfish : C. Marcello and the Assassination of JFK. (J. Davis, Macgraw-Hill, 1988).

Treize meurtres exemplaires. (D. Venner, Plon, Paris, 1988).

On the Trail of the Assassins. (J. Garrison, Sheridan Square Press, New York, 1988).

The Second Oswald. (R.H. Popkin, Avon, New York, 1988).

High Treason. Assassination of JFK. (R.J. Groden & H.E. Livingstone, Conservatory Press, 1989).

The Great Expectation of John Connaly. (J. Reston, Harper & Row, 1989).

L’assassinat du Président Kennedy. (D.Venner, Perrin, Paris, 1989).

Libra. (roman ; D. DeLillo ; Stock, 1989).

( parutions dans les années 1990 )

The Texas Connection : Assassination of JFK. (C. Zirbel, Weight & Co, 1991).

Kennedy : enquêtes sur l’assassinat d’un président. (Th. Lentz, Collin, Paris, 1991).

Conspiracy of One. (J. Moore, Summit Group, 1991).

Act of Treason. (M. North, Carroll & Graft, New York, 1991).

The Way we Were. 1963, the Year Kennedy Was Shot. (R. MacNeil, Carroll & Graft, 1991).

L’assassinat de Kennedy. (A.L.P., Hors Série n° 1, Paris, 1991).

Best Evidence. (D.Lifton & D.S.Lifton, Signet, 1992).

Fatal Hour. (R. Blakey & R. Billing, Berkeley Books, 1992).

JFK. The Last Dissenting Witness. (B. Sloan & J. Hill, Pelican, 1992).

Mortal Error. The Shot that Killed JFK. (B. Menninger, St Martin’s Press, New York, 1992).

Notre homme à la Maison-Blanche. (S. Giancana et C. Giancana, Laffont, Paris, 1992).

First Hand Knowledge. (R. Morrow, Shapolsky, New York, 1992).

Who Killed JFK? (C. Oglesby, Odonian Press, Berkeley, 1992).

Accessories After the Fact, The Warren Commission. (S. Meagher, Vintage Books, 1992).

JFK, affaire non classée. (J. Garrison, J’ai lu, Paris, 1992).

High Treason II. (H. Livinstone, Carroll & Graft, New York, 1992).

Plausible Denial. CIA and Assassination of JFK. (M. Lane, Plexus, London, 1992).

Coup d’Etat in America. (M. Canfield & A.J. Weberman, Quick American Publishing, 1992).

John Fitzgerald Kennedy. Le second complot. (M. Smith, Zelie Productions, 1993).

Kennedy, les 1000 jours d’un président. (A. Kaspi, Armand Colin, Paris, 1993).

The Assassinations of John and Robert Kennedy. (L. Hayman, Scholastic Paperback, 1993).

Whitewash. (H.Weisberg, Avalon Publishing Group, 1993).

The Killing of a President. (R.J. Groden, Viking Studio, 1993).

Killing the Truth. JFK Case. (H. Livinstone, Carroll & Graft, New York, 1993).

The Last Investigation. (G. Fonzi, Thunders Mouth, New York, 1993).

Who’s Who in the JFK assassination. (M. Benson, Citadell Press, 1993).

The Plot that Killed Kennedy. (J. Mars, Pocket Books, 1993).

Case Closed. Oswald and the Assassination of JFK. (G. Posner, Random House, New York, 1993).

Marita. One Woman’s Extraordinary Tale of Love and Espionage from Castro to Kennedy. (M. Lorenz & T. Schwartz, Thunder’s Mouth, 1993).

JFK. Breaking the Silence. (B. Sloan, Taylor Publishing, Dallas, 1993).

Where Were You When President Kennedy Was Shot? (A. Van Buren, Mcmeel, 1993).

The Plot to Kill Kennedy and Castro. (C. Furiati, Ocean Press, 1994).

Oswald and the CIA. (J. Newman, Carroll & Graf, 1995).

Oswald’s Tale. An American Mystery. (N. Mailer, Random House, New York, 1995).

Killing Kennedy and the Hoax of the Century. (H. Livinstone, Carroll & Graft, New York, 1995).

The Wit and Wisdom of JFK. (A. Ayres, Meridian Books, 1996).

Assignment : Oswald. (J.P. Hosty Jr, Arcade Publishing, 1996).

Les péchés du père. Les origines secrètes du clan Kennedy. (R. Kessler, Albin Michel, Paris, 1996).

Oswald talked. (R. La Fontaine & M. La Fontaine, Pelican Books, 1996).

November in Dallas. Bus tour information booklet. (J. Backes, JFK Lancer Publications, 1996).

De Dallas à Montréal. (M.Philipps, De L’Homme, 1996).

The Kennedy Tapes. Inside the White House During the Cuban Missile Crisis. (E. May & Ph. Zelikow, Harvard University Press, Cambridge, 1997).

Harvey and Lee. (J. Amstrong, JFK Lancer Publications, 1997).

Compelling Evidence : new look at the assassination of JFK. (M. Griffith, Lancer Publications, 1997).

One hell of a gamble. Khrushchev, Castro, and Kennedy. (A. Fursenko & T. Naftali, Norton, New York, 1997).

The dark side of Camelot. (S. Hersh, Back Bay Books, 1997).

The Kennedy conspiracy. (A. Summers, Warner Books, New York, 1998).

Cover-Up. (S. Galanor, Kestrel Books, New York, 1998).

JFK, autopsie d’un crime d’Etat. (W. Reymond, Flammarion, Paris, 1998).

Marilyn Monroe, enquête sur un assassinat. (D. Wolfe, Albin Michel, Paris, 1998).

La face cachée du clan Kennedy. Une enquête explosive. (S. Hersh, L’Archipel, Paris, 1998).

Vendetta. Castro and the Kennedy Years. (W.B. Breuer, Wiley, New York, 1998).

Live by the Sword. The Secret War Against Castro and the Death of JFK. (G.Russo, Bancroft Press, 1998).

John Fitzgerald Kennedy Assassination Records Project Completed. (Center for Study on the Intelligence, Washington, 1999).

Sons and Brothers. The Days of Jack and Bobby Kennedy. (R.D. Mahoney, Arcade, 1999).

( parutions dans les années 2000 )

Lee Harvey Oswald. Affaire classée. (A. Frewin, Serpent à Plumes, 2001).

13 jours. La crise des missiles de Cuba. (R. Kennedy, Grasset, Paris, 2001).

– The Presidential Recordings John F. Kennedy. (Ph. Zelikow & E.May, Norton, 2001).

Der Kennedy-Effekt. (N.B. Enkelmann, Redline, 2002).

Four days in November. (T. Wickers, St Martin’s Press, 2003).

La malédiction des Kennedy. (E. Klein, Presses de la Cité, Paris, 2003).

– J.F. Kennedy. (R. Dallek, Penguin Books, 2003).

Les nouvelles preuves sur l’assassinat de J.F. Kennedy. (C. Lebeau, Le Rocher, Monaco, 2003).

Kennedy, une vie comme aucune autre. (G. Perret, Encre de Nuit, 2003).

John F. Kennedy. (C. Moisy, Librio, Paris, 2003).

Coroner. Les dossiers secrets du médecin légiste de Hollywood. (Th. Noguchi, Presses de la Cité, Paris, 2003).

John et Jackie. Histoire d’un couple tragique. (Ch. Andersen, Ramsay, Paris, 2003).

Blood, Money and Power. (B. McClellan, Hannover House, 2003).

Kennedy und Österreich. (M. Kofler, Studien Verlag, 2003).

John et Robert Kennedy. L’autre destin de l’Amérique. (F. Lecomte, Equinoxe, 2003).

JFK, le dernier témoin. (W. Reymond et B. Sol Estes, Flammarion, Paris, 2003).

Ask Not. (Th. Clarke, Henry Holt & Co, New York, 2004).

JFK, autopsie d’un crime d’Etat. (W. Reymond, Flammarion, Paris, 2004).

Le temps des Kennedy. (A. Coppolani, Houdiard, Paris, 2005).

Sons of Camelot. The Fate of an American Dynasty. (L. Leamer, HarperCollins, 2005).

La conspiration Kennedy. (M. Smith, Michel Lafon, Neuilly, 2006).

Comment Castro a tué Kennedy. (I. Efimov, Le Rocher, Monaco, 2006).

The Man on the Grassy Knoll. (J.R. Craig & P.A.Rogers, Lulu Press, New York, 2006).

The JFK Assassination Debates. Lone Gunman Versus Conspiracy. (M.L. Kurtz, University Press of Kansas, 2006).




Affaire Farewell : l’espion de la DST au coeur de la guerre froide

Le propre des histoires d’espionnage est souvent d’être racontée par ceux qui en savent le moins. Les archives des services qui traitent ces affaires en professionnels, ne s’ouvrent jamais tout à fait et ne laissent entrevoir que ce qui est possible ou utile. Ainsi, jusqu’à maintenant, l’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale, pour sa partie française, a été étudiée sans tenir compte des archives (qui viennent de s’ouvrir) des services secrets français qui ont pourtant joué un grand rôle en particulier dans les opérations de déception préparant aux différents débarquements, ou dans la Libération du Pays.

La guerre de l’ombre que ce sont livrés les officiers de renseignement des deux blocs durant la guerre froide fait partie plus ou moins importante , certes, mais partie intégrale de l’histoire de cette période. Dans cette guerre, l’histoire des “taupes” recrutées par les deux camps au cœur des dispositifs adverses tient une place essentielle qui ne sera sans doute jamais connue dans tous ses détails.

Il convient d’ailleurs maintenant de rétablir un certain équilibre. La force de la propagande soviétique relayée par les “idiots utiles” et les partisans idéologiques faisaient de tous les “occidentaux” recrutés par le KGB, le GRU ou par les réseaux émanant du Komintern des héros positifs, puisque ayant choisi de servir le “camp de la Paix”; ainsi en a-t-il été des 5 de Cambridge (à vérifier ?), de l’Orchestre Rouge ou du Réseau Sorge .

Les membres des Services Soviétiques et assimilés qui choisissaient de travailler avec des Services Occidentaux étaient qualifiés, eux, de traîtres, souvent alcooliques, corrompus par l’argent capitaliste, etc. Qu’on se souvienne de l’affaire Kravtchenko ( J’ai choisi la liberté) , du sort réservé au général du GRU Krivitsky, etc.

Et pourtant, ces officiers de renseignement de l’Est qui ont choisi l’Occident, ont joué un grand rôle dans l’histoire du rapport des forces entre les deux blocs, en faveur de la Liberté, de notre Liberté… Les conditions de manipulation de ces “héros” par les services occidentaux qui les avaient abordés , recrutés, parfois formés, méritent certes de l’intérêt. C’est souvent la partie de l’histoire la plus spectaculaire, celle que l’on présente au public , toujours avide de films d’espionnage et de suspens.

Cette partie est importante du point de vue du contre espionnage, de la fiabilité de la source et donc des renseignements fournis; l’intoxication des adversaires est une arme à part entière. Mais le plus important semble être l’aspect global de l’affaire: quelle est la situation internationale au moment où l’affaire se déroule? Comment vont être utilisés les renseignements obtenus ? Quelle est la situation après, ou quels sont les effets obtenus?

Ainsi de Penkovsky, au moment de la crise de Cuba, et de bien d’autres que l’Occident ne saura jamais assez remercier. Ainsi en particulier de Farewell, dont on a d’autant plus tendance à négliger l’importance qu’il a coopéré avec un service français, la DST; de plus, ceux qui ont écrit sur lui étaient ou mal informés (normal dans ce genre d’investigation) ou mal intentionnés ( normal dans ce genre de guerre de l’information).

On connaît Farewell. De son vrai nom Vladimir Ippolitovitch Vetrov, ingénieur en chef de l’armement (un grade équivalent à celui de colonel); il a été en poste à Paris, où il se montre actif, recrutant des sources et les manipulant le soir ou le week-end en forêt de Fontainebleau; il lui est arrivé une mésaventure qui ne semble pas avoir été connue de sa hiérarchie: il a un accident de voiture, alors qu’il a un peu trop bu; c’est son ami/objectif, cadre de Thomson qui, appelé à l’aide, va faire réparer la voiture et lui permettre de rentrer sans problème; d’où une amitié réelle .

Le service français va tenter une première approche; sans succès. Puis c’est un poste au Canada, d’où il est rappelé avant la fin de son séjour: une indélicatesse connue de ses chefs lui aurait valu ce rappel, et sans doute la jalousie de quelque pistonné de son service qui pense que le meilleur moyen de prendre ce poste convoité est d’en faire chasser l’occupant; c’est une manœuvre habituelle , sans doute dans tous les services du monde.

Rentré à Moscou, il est affecté à la direction T (renseignement scientifique et technique) de la Première direction générale (PDG) du KGB. Il prépare les dossiers les plus pointus pour les présenter devant les plus hautes autorités afin d’obtenir leur aval pour le déclenchement des opérations de recherche par les postes KGB ou GRU à l’étranger.

A priori , il s’agit d’un poste de confiance, et, dans le système soviétique, le détenteur d’un tel poste n’a plus aucune chance de repartir à l’étranger, ou même de côtoyer des étrangers.

Parce que c’est un bon professionnel, il a constaté les lacunes et les vices du système soviétique; il souhaite améliorer la qualité de son travail et écrit un rapport sur les modifications qui, selon lui, doivent être apportées au système. Ces chefs n’y prêteront pas attention , d’où une certaine frustration.

 

C’est un bon vivant, qui aime rencontrer ses amis et faire la fête avec eux. Il adore son fils, sa fierté; il aime son pays, comme sans doute seul les Russes peuvent le faire, et cet amour est devenu charnel depuis qu’il a acheté une isba et un lopin de terre. Il admire sa femme, mais là c’est son problème; démon de la cinquantaine ou lassitude, chacun donne des coups de canif au contrat initial; et lui a “dans la peau” une de ses collègues, voisine de bureau.

Il pourrait vivre heureux … Mais rien n’est simple. A-t-il une tendance à boire, comme le laisse penser les commentaires inspirés après coup par les autorités soviétiques; sans doute comme tous les Russes de cette époque, pas plus.

Mais surtout, comme beaucoup de soviétiques ayant vécu à l’étranger, il a une tendance à la schizophrénie, phénomène étudié par exemple dans le livre “Les hommes doubles” de Dymov ; en Occident, il a vu le niveau de vie, il a apprécié la liberté des conversations grappillées de ci de-là avec des Français; et ici, chez lui à Moscou, avec ses collègues, il est obligé de jouer celui qui n’a rien vu, de dire le contraire de ce qu’il pense profondément. Et la situation internationale en ces années 80 lui donne à penser.

 

C’est la fin de la crise des SS 20, ces missiles dont la précision et la mobilité (qualités dues à l’apport de l’espionnage technologique) allait donner la supériorité stratégique au Camp de la Paix; “Échec et mat” pensait-on au Kremlin.

Mais cela ne s’est pas passé comme prévu: les Occidentaux, États-unis en tête ont répliqué par le déploiement des Pershings et par celui des missiles de croisière.

Il y a eu des cas de mutinerie sur des navires de la Flotte; il y a l’Afghanistan , la Pologne et ce diable de Pape Polonais qui dit: “N’ayez pas peur”.

Là où il est, il ressent parfaitement l’ambiance de guerre qui envahit la population mais surtout la classe dirigeante; il sait que la doctrine soviétique envisage l’emploi normal de l’arme atomique. Il connaît la capacité de riposte occidentale. Il comprend, par les papiers qu’il traite, que la nomenklatura essaye de reprendre l’avantage; des joueurs d’échec… Bien sûr, ses doutes et ses angoisses , il ne peut les partager avec personne;

Bien sûr, pour le journaliste russe Sergueï Kostine, ” rien dans le comportement de Vetrov ne permet de le considérer comme un combattant de l’ombre contre le système communiste ou un précurseur de la perestroïka. Cette supposition, qui se présente comme une certitude dans les publications françaises, a fait rire tous ceux qui ont connu Vetrov ” (1).

 

En 1981, il offre ses services à la DST, franchit l’étape la plus difficile rencontrée par tous les candidats à la défection: éviter de se faire repérer par le contre espionnage soviétique qui peut posséder des agents au sein des services occidentaux, et trouver rapidement le bon canal pour trouver la liaison et l’oreille du service auquel il va proposer sa collaboration.

Alors il va continuer à faire rire tous ceux qui l’ont connu; il va augmenter son côté pochard, et beaucoup viendront “boire avec lui” les innombrables bouteilles que lui procurera son traitant.

Pour lui, il est impératif d’apporter aux pays occidentaux la preuve que leur insouciance sécuritaire permet à l’URSS de piller leurs laboratoires en lui donnant ainsi de forger les armes qui doivent lui donner l’avantage.

Sa haine du système, ses diverses frustrations, son passé lui donnent la possibilité de passer à l’action, de trouver des amis avec qui il peut parler “po doucham” (à cœur ouvert) comme disent les Russes.

C’est un professionnel, il sait comment travaillent ceux qui sont chargés de protéger la sécurité et les secrets soviétiques; il convaincra ses traitants de lui faire confiance; mais il reste lucide: le pire peut arriver: pour lui, la balle dans la nuque; pour ses traitants successifs, ce devrait être l’accident de circulation, l’écrasement par un poids lourd, par un métro. Message qui serait compris par le service intéressé.

Tout cela , approche, semble-t-il, de la vérité.

Dans de telles affaires , bien malin qui peut sonder les reins et les cœurs. Les spécialistes de la DST se posent plus de questions qu’il n’y a de réponses; le doute envahira souvent la réflexion de ses responsables. Mais les documents arrivent, en masse. S’il y a machination, où en est l’intérêt, l’objectif ?

Au cours de l’année suivante, il fournira près de 4.000 documents de toute première importance sur la collecte et l’analyse scientifique et technique par le KGB. 70 % des informations de Farewell concernent les États-unis, parce que c’est ce pays qui a le meilleur potentiel technologique, mais tous les pays occidentaux sont concernés.

Grâce aux milliers de documents fournis par Farewell, ce n’est pas tant l’ampleur du pillage scientifique et technologique soviétique que les gouvernements occidentaux découvrent, que sa planification et son organisation systématiques par la VPK, la Commission de l’industrie militaire. Une collecte faite à la demande : les divers secteurs militaires et industriels faisaient connaître chaque année leurs insuffisances et leurs retards.

À charge pour les agents des services secrets soviétiques infiltrés (2) dans le monde entier de leur fournir les informations technologiques qui leur manquaient. Les économies ainsi réalisées sont méthodiquement chiffrées: 6,5 milliards de francs entre 1976 et 1980. Les bilans de la VPK montrent qu’entre 1979 et 1981, de nombreux systèmes d’armes soviétiques ont bénéficié chaque année de la technologie occidentale.

Vetrov ignore par contre l’identité des agents occidentaux au service des Soviétiques et ne peut qu’aider à en définir les caractéristiques. …

Il fournira par contre l’identité de 222 officiers du KGB de la ligne X sous couverture diplomatique dans l’ensemble des pays du bloc de l’Ouest et 70 agents clandestins de la Direction T.

Ce chiffre a d’ailleurs étonné certains professionnels qui n’ignorent pas le cloisonnement efficace existant entre les différents départements du KGB, mais qui n’ont pas compris qu’au poste où il se trouvait, il n’y avait plus ce cloisonnement, que les documents “Soverchenno sekret” quittaient les coffres forts où ils étaient conservés, pour transiter pendant quelques jours par le bureau de Vetrov qui en faisait profiter son traitant, avant de retourner dans l’espace cloisonné sécurisant.

 

Mais son apport à la cause du monde libre, et cela on le sait moins, n’a pas consisté qu’en informations d’ordre purement technologique.

En professionnel, il n’aimait pas être orienté sur des sujets qu’il ne dominait pas parfaitement; mais les réponses qu’il apportait dans divers domaines avaient une certaine valeur: l’évolution de la situation en Pologne, des évaluations sur l’implication soviétique dans l’attentat contre le Pape (Gromyko affirmant aux représentants des pays du Pacte que ce problème allait être réglé), etc.

C’est en témoin qu’il a pu raconter la réunion qui a eu lieu à Kaliningrad, en présence de Brejnev, qui tirait les conclusions du lancement de la première navette américaine, avec la participation du fin du fin du complexe militaro- industriel.; le directeur de la séance avait demandé à chacun de répondre en disant la vérité, pour une fois…

A la première question sur le danger représenté par la navette pour la sécurité du pays, la réponse avait été que cette nouvelle menace pouvait être mortelle. A la seconde question sur la capacité du complexe à y faire face, la réponse avait été positive, “mais en arrêtant tous les autres programmes…”.

La conclusion avait été qu’il fallait tout faire pour freiner au maximum l’effort technologique et militaire américain. Comment ? par des offensives de Paix, de désarmement… Cela annonçait la suite.

 

Mais brusquement, après février 1982, Farewell ne se présente plus aux rendez-vous fixés.

Non que son double jeu ait été découvert par le KGB, mais, comme le découvrira la DST à l’automne seulement (et cela grâce aux Américains), il a été arrêté pour crime de droit commun !

Selon la version officielle, il a tenté de tuer sa maîtresse, qui exerçait sur lui un chantage depuis qu’elle avait trouvé dans son veston des documents dérobés au sein de la centrale soviétique.

Surpris par un milicien, il l’aurait abattu à l’aide d’un couteau de chasse… Sur ce point, courent bien d’autres variantes, invérifiables (la vérité est sans doute dans le dossier de l’enquête du KGB- mais d’après les informations qui en ont filtré (Livre de Kostine d’après un résumé de l’enquête), on comprend que Vetrov, comme tous les prévenus du monde, va balader les enquêteurs, essayer de gagner du temps, de protéger ses traitants auxquels le lie une véritable amitié, peut-être de sauver sa peau).

Jugé et condamné à 12 ans d’emprisonnement, il quitte la prison de Lefortovo pour Irkoutsk, en Sibérie. Sa trahison n’aurait été découverte par le KGB qu’un an plus tard, en avril 1983, après l’expulsion par la France de 47 ” diplomates ” russes choisis parmi les agents de Moscou dénoncés par Vetrov. Selon la coutume, il aurait reçu une balle dans la nuque, dans les couloirs de la prison. Ici aussi, il y a plusieurs variantes.

 

Comment cette affaire a-t-elle été vécue par les différentes parties?

En France :

Il est indéniable que cette affaire a permis au Président Mitterand, informé depuis sa nomination à l’Élysée du travail de cette taupe au profit de son pays, de marquer un point vis à vis du Président Reagan, lors du sommet d’Ottawa (17-20 juillet). Était ainsi annulé le froid engendré dans les relations entre les deux pays créé par l’entrée de ministres communistes au gouvernement.

Plus tard, on ne sait trop sous quelle influence, certains conseillers du Président auraient commencés à voir dans cette affaire (ou au moins dans l’insistance du patron de la DST à obtenir de nouvelles expulsions sans doute justifiées , mais peu politiques) une machination américaine visant à l’intoxiquer…

On a reproché à la DST d’avoir exagéré l’importance de la manipulation, pour justifier son existence, sérieusement remise en question après mai 1981. La DGSE ne fut mise au courant de l’affaire qu’en 1983 ou 1984; dans ce service certains, sans en rien savoir, n’ont voulu y voir qu’une opération de pénétration des soviétiques.

En tous cas, la DST a dévoilé une partie des agents soviétiques impliqués et a neutralisé le dispositif de recherche de l’URSS. Il en a été ainsi dans les autres pays d’Europe.

Quelle manœuvre d’intoxication, quel grand objectif supérieur auraient pu pousser l’URSS à sacrifier ainsi ses réseaux ?

 

Les Etats-Unis :

Mais c’est indéniablement le Président Reagan qui va utiliser au mieux cette affaire. Il ne va plus jouer aux échecs, mais impose une partie de poker.

Bien sûr des agents seront arrêtés. Mais il va comprendre que tout cela lui fournit l’information permettant d’asphyxier l’URSS, de la mettre KO debout en la lançant dans une course technologique à l’armement , qu’elle ne pourra pas suivre – ce sera la première version de la Guerre des étoiles, le grand bluff qui a réussi, allant jusqu’à fausser les essais d’interception de missiles pour affoler l’adversaire.

Ce sera toute une grande manip, réussie, tendant à lancer la recherche technologique soviétique sur de fausses pistes…Mais cela dépasse le cadre de notre étude.

Il y a eu des doutes aussi: le dossier Farewell contraignait les Américains à changer les codes de guidage de leurs missiles de croisière que les Soviétiques avaient percés à jour . Ce qui , bien sûr a pu être interprété comme l’un des objectifs de la “manipulation d’intoxication ” qu’auraient pu mener les Soviétiques.

Que penser des nombreuses critiques de l’affaire, mettant en cause la main mise américaine, etc.
Que penser des pages de Gilles Ménage consacrée à cette affaire? Des personnalités proches du pouvoir ont-elles pu réellement se couper ainsi des réalités et du bon sens.

Non, les Américains n’ont pas été impliqués dans la manipulation à Moscou; cela aurait été à l’encontre de la simplicité voulue dans celle-ci.
Oui, ils ont fourni la technologie de l’appareil photo; oui, au début, ils étaient seuls à pouvoir développer; mais le problème a été vite réglé.
Oui encore, une majorité de renseignements concernait les États-unis; on a vu comment la majorité des objectifs soviétiques étaient américains.

A priori, non, ils n’ont pas manigancé cette intoxication en fournissant par un (faux?) colonel du KGB , à Moscou, de fausses informations, de faux documents portant la vraie signature de Brejnev à un amateur français.

Faut-il ajouter que c’est dès cette époque que les Soviétiques recrutaient au sein de la CIA et du FBI des agents efficaces qui ont entre autres permis l’arrestation et l’exécution d’une dizaine d’agents recrutés par les Américains à Moscou.

 

En URSS :

Il est normal que les responsables du KGB aient voulu expliquer le succès de l’entreprise ou de la traîtrise de Vetrov par l’aide considérable apportée par les Américains à Moscou même; ils ne pouvaient comparer cela qu’aux gros dispositifs qu’ils mettaient en place par exemple à Paris pour couvrir des contacts importants et balader toutes les forces de la DST.

Il est normal qu’ils aient voulu salir sa mémoire. Il est quasi réglementaire qu’il ait été abattu d’une balle dans la tête; c’était la tradition et cela devait servir d’exemple aux éventuels candidats.

Mais on peut affirmer que Vetrov a amené la direction soviétique sur la voie de la perestroïka, à la chute du Mur de Berlin , à la fin de la guerre froide…

Il y a eu un effet Farewell, au sein même des services soviétiques et post soviétiques.

Cette affaire aurait eu un retentissement psychologique considérable sur les membres du KGB. Cela n’a bien sûr pas été un élément fondamental de la Perestroïka, mais elle a révélé le malaise profond et les contradictions qui ont provoqué l’implosion du système.

Cette affaire, et la façon dont Vetrov a fait face aux interrogatoires, a eu un effet corrosif sur la façade du KGB.

Des officiers ont admiré en secret son courage et sa détermination à lutter contre le népotisme.

En 1988, le mécontentement a commencé à se manifester ouvertement, avec un premier incident lors de l’ouverture de la réunion qui devait élire le Bureau du 1er Directorat.

Trois brillants officiers traitants ont contesté la présence sur l’estrade, à côté du général Bobkov, alors vice-président du service, d’un ” pistonné “, ancien du directorat, où il n’avait jamais brillé ni par sa compétence, ni par son efficacité.

Prise au dépourvu, la direction n’avait pu que battre en retraite.

La brèche ainsi ouverte n’a cessé de s’élargir tandis que le régime se délitait, pour aboutir l’année suivante à la signature, par plus de 200 officiers du KGB de Sverdlovsk, d’une lettre ouverte à leur direction.

_____________

Alors, l’affaire Farewell a-t-elle été l’une des plus grandes affaires d’espionnage du XXe siècle, comme l’aurait affirmé le Président Reagan; a-t-elle été une grange manipulation, menée par les Soviétiques, les Américains ?

Un jour, on saura, et on s’étonnera de la simplicité de toute cette affaire très humaine: bon sens, patriotisme, amitié. Et il faudra rendre hommage à Vladimir Ippolitovitch Vetrov du rôle qu’il a accepté de jouer, quelques soient ses véritables motivations, et qui a contribué à l’évolution du monde.

 

(1) Sergeï Kostine: ” Bonjour Farewell. La vérité sur la taupe française du KGB, Paris, Laffont, 1997 “, p. 104.

(2) Le GKNT (Comité d’État pour la science et la technique), l’Académie des sciences et le ministère du Commerce extérieur participent au recueil du renseignement et fournissent les couvertures




Hommage à Pierre Mondanel

Dans le B. L. 77, nous avons rendu compte de la cérémonie au cours de laquelle M. Pierre MONDANEL a reçu les insignes de Commandeur de la Légion d’honneur. Nous publions ci-dessous le texte de deux discours prononcés à cette occasion.

Discours de M. Pierre CHENEVIER, Président de la Fédération des Amicales des Réseaux de la France Combattante.

 

Mesdames, Messieurs, Chers Camarades,

Votre présence à cette cérémonie est un témoignage de sympathie pour Pierre MONDANEL, qui me fait l’amitié de le recevoir dans un grade supérieur dans l’Ordre National de la Légion d’honneur. En me choisissant, il n’a pas vu en moi, le Président National de la Fédération des Amicales de Réseaux de la France Combattante, mais seulement l’un de ses anciens et proches collaborateurs, témoin privilégié d’une époque encore citée en exemple, à la Sûreté Nationale, même par ceux qui ne l’ont pas vécue, tant elle a marqué cette administration, je veux parler de l’époque MONDANEL.

Pour l’évoquer, je vais m’appuyer sur des notes, en raison de ma crainte de m’embrouiller, au delà des limites acceptables, en fouillant dans mes souvenirs et surtout de mon inaptitude à improviser. Mon cher Ami, vous avez toujours été opposé à la médiocrité d’où qu’elle vienne. Considérant, qu’il ne suffit pas de dire, mais de faire, vous avez fourni la preuve, en bien des circonstances, de votre attachement indéfectible aux principes et aux causes nobles. Ainsi, vous pouvez être fier de votre passé, marqué de tant d’épreuves pénibles, auxquelles vous avez su donner la mesure et faire face, car vous possédez la connaissance des grandes valeurs qui forment les hommes de votre catégorie.

Je vais évoquer succinctement, ce que furent les étapes principales de votre belle carrière administrative.

Le 31 Décembre 1913, alors que vous êtes âgé de 23 ans, et frais émoulu de la Faculté de Droit, vous faites vos débuts à la Sûreté Générale, qui n’était pas encore Nationale. Je passerai sur vos lointaines et premières années qui comprennent la guerre de 14-18, pour arriver de suite à cette période qui fut fertile en événements dramatiques.

Dans le courant de l’année 1933, vous êtes Commissaire Divisionnaire au Contrôle Général des Services de Police Judiciaire qui constituait l’Etat-­Major des Brigades Mobiles. Vous avez conscience que cette Direction n’est pas suffisamment structurée. Qu’elle ne possède pas assez de fonctionnaires qualifiés pour faire face à une criminalité déjà grandissante. Mais vos études, vos propositions ne sont pas suivies.

Vers la fin de cette même année 1933 éclate le scandale STAVISKY dont les escroqueries se chiffreront à des sommes considérables. L’une des premières mesures arrêtées en Conseil des Ministres est de vous placer à la tête de ce Contrôle Général. Dans la même heure, vous en remplaciez le Chef, et vous mettez immédiatement en application votre plan de réorganisation en créant des sections spécialisées de répression, tant en matière criminelle que financière et économique, et en prélevez les effectifs dans les Brigades Mobiles de PARIS et de Province.

Alors, vous pouvez faire face à la situation, dénouer les intrigues et faire toute la lumière sur les agissements de l’escroc qui avait jusque là obtenu 19 remises successives devant les Tribunaux. Se voyant acculé et ne pouvant plus compter sur ses habituelles protections, STAVISKY s’enfuit. Mais, il est retrouvé au petit village de SERVOZ à 1.800 m. d’altitude, dans une villa, le « VIEUX LOGIS ». Il y attend la venue de l’un de ses complices qui doit lui apporter une importante somme d’argent avant de passer clandestinement en ITALIE. Mais ce sont vos collaborateurs qui sont au rendez-vous ce 8 Janvier 1934. La villa est cernée par les gendarmes. STAVISKY refuse d’ouvrir et un coup de feu retentit. Il vient de se donner la mort.

Les partis hostiles au Gouvernement organisent alors des manifestations dans la rue. Ils ameutent la foule et c’est la marche hurlante sur la Chambre des Députés. C’est l’émeute du 6 Février 1934. Stoïquement, vous faites face à l’orage et vous apprenez ainsi que le haut fonctionnaire ami de la vérité entre facilement en lutte ouverte avec le mensonge, et la calomnie même dans le déchaînement des partis pris. Vous n’êtes pas au bout de vos peines.

Quinze jours plus tard, le 21 Février, on découvre sur la voie ferrée au lieu dit la « COMBE AUX FEES », près de DIJON, le cadavre déchiqueté par un train, d’un homme rapidement identifié. Il s’agit de Monsieur Albert PRINCE, Conseiller à la Cour d’Appel de PARIS, ancien Chef de la Section Financière du Parquet de la Seine. Personne, à ce moment-là, ne sait que le jour même où il est découvert sur la voie ferrée, le Conseiller PRINCE devait être entendu comme témoin par une Commission d’enquête administrative et judiciaire chargée de rechercher les compromissions à l’aide desquelles, pendant plusieurs années, l’escroc STAVISKY avait pu bénéficier de l’impunité. Enfin, après plusieurs semaines d’enquête, vous avez été en mesure d’entériner les efforts de vos collaborateurs qui ont conclu au suicide.

Une certaine presse crie au scandale et veut absolument qu’il y ait eu crime. Une contre-enquête est effectuée par la Préfecture de Police. Ceux qui en sont chargés arrivent aux mêmes conclusions. Monsieur PRINCE avait en effet commis une négligence dans l’affaire STAVISKY, mais il avait un souci de l’honnêteté et de la loyauté poussé aux plus extrêmes limites. Son drame fut celui d’une conscience droite. L’émotion du public est à peine apaisée que se produit l’assassinat à MARSEILLE, le 9 Octobre 1934, du Roi ALEXANDRE DE YOUGOSLAVIE et du Président BARTHOU.

Le régicide est abattu sur place, mais il reste à identifier ses complices, une fois de plus vous intervenez pour centraliser toutes les opérations de police. Il est alors établi que ce crime est l’oeuvre d’une organisation terroriste croate, les « Oustachis ». La preuve est alors faite qu’elle est soutenue par l’Allemagne Hitlérienne et le fascisme italien. C’est tellement vrai, qu’après l’invasion de la YOUGOSLAVIE par les allemands et les italiens en 1941, ANTE PAVELITCH, Chef des Oustachis est nommé par HITLER, Président de la République de Croatie, et il s’em­presse de prendre comme Ministre de la Guerre, KVATERNIC, son principal adjoint « oustachi ».

Puis, c’est la Cagoule qui, par la force des événements devient le centre de vos préoccupations. Le public, en réalité, n’en sut jamais grand chose, cependant ce complot avait pour but l’alignement du régime de notre pays sur celui de l’Allemagne et de l’Italie. Les Cagoulards furent en France les agents les plus efficients de l’étranger dont ils recevaient argent et armement. Ils se livrèrent à diverses activités criminelles sur notre territoire afin de jeter le trouble dans les esprits et de créer une atmosphère de terreur sociale.

C’est ainsi que vous avez eu à connaître plus particulièrement des assassinats de NAVACHINE, au Bois de Boulogne, de LAETITIA TOUREAUX, dans le métro, des frères ROSSELLI à BAGNOLES-DE-L’ORNE, des attentats par explosifs de la place de l’Etoile et à l’Aérodrome de TOUSSUS-LE­NOBLE, ainsi que d’autres en Province. La liste est longue. Mais, je ne peux m’empêcher de rappeler que certains de ceux dont vous aviez chargé vos commissaires et inspecteurs d’identifier et d’arrêter, vous les avez retrouvés en 1940, à VICHY, au premier rang de la révolution nationale. Ils tenaient des leviers de commande dans le gouvernement. A noter que le IIIe Reich s’était empressé de faire libérer de prison tous ceux qui avaient été arrêtés.

Le 23 Juin 1941, c’est l’assassinat à MONTELIMAR, de Marx DORMOY qui, comme Ministre de l’Intérieur, avait porté de rudes coups à la Cagoule. Grâce aux dispositions immédiatement prises, les trois assassins, ex-cagoulards, sont arrêtés. Il était temps; car parmi les documents découverts se trouvait la liste d’autres personnalités à abattre. Mais, lors de l’occupation de la zone Sud, GEISLER, le Chef de la Gestapo, en poste à VICHY, s’empresse de faire remettre tout le monde en liberté.

En dehors de ces crimes retentissants, vous avez eu à coiffer bien d’autres affaires judiciaires. C’est encore à vous que revient le mérite d’avoir, grâce à votre organisation, fait détruire les premiers gangs, dits de « traction avant ». Leurs agressions souvent suivies de mort, inquiétaient le public, en raison de leur impunité. Il faut bien admettre que vos activités diverses commençaient à inquiéter l’occupant, car la Gestapo, au mois d’Avril 1942, obtenait que vous soyez relevé de vos fonctions d’Inspecteur Général des Services de Police Criminelle. Ainsi que vous le voyez, Mesdames et Messieurs, la carrière administrative de Pierre MONDANEL fut particulièrement brillante. Elle est restée un exemple pour la Sûreté Nationale.

Après avoir été fait Chevalier de la Légion d’honneur, il a été promu, en 1938, Officier dans le même Ordre, pour services exceptionnels. Son passé de Résistant est pour le moins aussi éloquent. Rien dans son tempérament, dans son caractère ne permettait une autre ligne de conduite que celle qu’il a choisie et poursuivie sans désemparer.

Lors de la défaite, les services centraux de Pierre MONDANEL ont été repliés avec le Gouvernement à VICHY. Dès Septembre 1940, il prend l’initiative d’organiser un groupe clandestin, appelé Section Spéciale, ayant pour mission exclusive de surveiller les Allemands en séjour ou de passage dans la Capitale provisoire et aux environs, ainsi que toutes personnes en relations avec eux. C’est par ce groupe que, pendant près de deux ans, furent surveillés aussi étroitement que possible les diplomates, les journalistes allemands et même les membres de la Gestapo.

Des renseignements précieux furent presque quotidiennement recueillis. Les plus urgents étaient communiqués directement par Pierre MONDANEL au Colonel PAILLOLE, Chef des Services de Contre-Espionnage qui nous fait l’amitié d’être ce jour parmi nous. Les autres étaient transmis aux Chefs de l’O.R.A. C’est ainsi que certaines conversations secrètes tenues dans son cabinet personnel, par KRUG VON NIDA, Consul d’Allemagne à VICHY, avec d”éminentes personnalités furent aussitôt signalées. Il en fut de même des propos confidentiels émanant de l’entourage de ce diplomate allemand. C’est ainsi que furent connues les intentions d’un Conseiller d’ABETZ d’envoyer des émissaires au TCHAD pour y accomplir la mission que vous pouvez supposer.

Il y eut aussi un code secret de la presse allemande habilement dévoilé. La désorganisation complète au réseau de propagande allemand désigné sous le nom de « RADIO MONDIAL » avec des antennes en SUEDE, à GENEVE, LISBONNE et MONTE-CARLO. Sa mission était d’agir sur l’opinion publique des pays anglo-saxons. Il y eut deux dangereux agents secrets, fraîchement arrivés de BERLIN, qui furent démasqués avant d’avoir pu effectuer leur mission. Il faudrait citer également les nombreuses enquêtes qui se terminèrent par de beaux rapports de recherches infructueuses, toutes les fois qu’il s’agissait de couvrir les services de contre-espionnage ou les réseaux qui se constituaient petit à petit.

Je n’en finirais pas non plus, si je devais énumérer l’action résistante de MONDANEL qui lui a valu deux perquisitions assorties de pillage à son domicile parisien et ici même. Cela lui a coûté seize mois de déportation à BUCHENWALD et à DACHAU et ce qui est infiniment plus triste encore, le décès prématuré de sa femme, à la suite des sévices dont elle a été victime au moment de l’arrestation de notre ami, par la Gestapo. N’oublions pas qu’avant de lui passer les menottes, quatre balles furent tirées dans sa direction, alors qu’il tentait de s’enfuir.

La grande épreuve de l’occupation et les courants « collaborateurs » qui traversèrent notre politique à cette époque trouvèrent Pierre MONDANEL égal à lui-même et fidèle aux grandes consignes de la résistance à l’ennemi. Il a fidèlement servi aux côtés de ses camarades de la guerre engagée contre l’allemand. Pas de défaillance, jamais d’attitude équivoque. Mais, l’acceptation courageuse des tâches qui lui étaient demandées. A VICHY, il a résolument joué sa carrière et aussi sa vie, pour rester dans le rang de ceux qui mettaient la libération du pays au-dessus des ambitions personnelles et des intérêts les plus légitimes. Intransigeant dans son patriotisme, il n’a pas transigé avec le Devoir.

Mesdames, Messieurs, ces dernières appréciations ne sont pas de moi, mais du Général RIVET qui fut le Chef du 2e Bureau de l’Armée Française.
Nommé Directeur au Ministère de l’Intérieur, c’est avec plaisir qu’il vit arriver l’heure de la retraite pour se consacrer à son violon d’Ingres « l’Histoire locale de sa chère Auvergne », qui nous a valu son premier livre :« PONT DU CHATEAU A TRAVERS LES AGES » qui a connu un large succès.

N’allez surtout pas penser qu’au fil des années Pierre MONDANEL a oublié ses anciens collaborateurs ou que ceux-ci l’ont oublié. II a de l’amitié une conception exigeante et totale qui rend la sienne précieuse à ceux qui l’ont reçue. Depuis son départ à la retraite, il fut convié par ceux-ci à un grand banquet annuel au cours duquel chacun lui manifestait sa sympathie et son attachement. Ces déjeuners amicaux arrivent à s’espacer de plus en plus. L’âge, la maladie, l’éloignement, la disparition de bien des participants en sont l’unique raison. Tous n’ont pas, il s’en faut, le dynamisme, la verdeur de leur grand ancien, qui ne m’en voudra pas de vous rappeler que, le mois dernier, il a franchi allègrement le cap de sa 83em année.