Les Services Spéciaux de la Défense Nationale pendant la guerre 1939-1945 (SR Terre)

Le S.R. TERRE

Au moment où un peu partout sont célébrées les grandes dates de là récente Histoire de France, il nous a paru nécessaire de rappeler à nos adhérents l’oeuvre accomplie par les Services Spéciaux de la Défense Nationale et, particulièrement, par les S.R. « Terre », « Air », « Marine »,
De nombreux Bulletins précédents ont consacré au C.E. et à la S.M. de longues pages et nous ne reviendrons pas, du moins pour l’instant, sur l’action (les Services de Sécurité Militaire et des T.R. au cours de la dernière Guerre Mondiale.

Nous commençons donc aujourd’hui par la publication d’un travail effectué par le Colonel SIMONEAU et qui porte sur le Service de Renseignements de l’Armée de Terre et son Réseau clandestin « Kléber ».

LE S.R. DE L’ARMEE DE TERRE

Le souci du renseignement a toujours hanté les Chefs d’Etat. Sous l’Ancien Régime, les Rois de France ou leurs Premiers Ministres ont toujours eu un cabinet noir, et ont employé à des missions spéciales précises, des personnages dont la petite histoire surtout a conté les aventures plus ou moins romancées.
Ce n’est que sous le Premier Empire et pour des fins aussi bien opérationnelles que politiques, que le besoin d’une organisation se fit sentir.
Le Baron VIGNON reçut en effet mission de créer et de mettre en oeuvre un Service secret chargé de la recherche et de la centralisation du renseignement, l’Empereur se réservant personnellement l’interprétation et l’exploitation.
De 1814 à 1870 on reprit les errements antérieurs, mais en présence, du danger que constituait le Reich allemand, et dans un but préventif on créa en 1873 au 2ème Bureau de l’E.M.A., une section de recherche qui, avec des fortunes diverses répondit à ce que le haut commandement de l’Armée française en espérait, et qui par la suite fut appelée couramment le « S.R. ».

Lors de l’entrée en guerre de 1914 le S.R. comptait, face à l’Allemagne trois postes installés respectivement à Mézières, Nancy et Belfort, mais ce dernier mieux placé à l’aile du dispositif des Armées, absorba les moyens des deux autres, et renseigna constamment le commandement sur le potentiel de guerre du Reich, et sur les activités de ses grandes unités au-delà des fronts de contact.
La victoire de 1918, la création de la S.D.N., les conférences de désarmement, la limitation des forces allemandes à une Reichwher de cent mille hommes, l’activité des commissions de contrôle, tout cela diminua considérablement l’audience que le S.R. avait su acquérir pendant les hostilités.
Il fallut l’avènement d’HITLER à la tête du Troisième Reich, et la création de l’Axe pour qu’en face du nouveau danger, on se décidât à donner au S.R. des moyens mieux adaptés à la situation.

1939- 1940

L’Anschluss de l’Autriche, l’affaire des Sudètes, l’occupation totale de la Tchécoslovaquie, les préparatifs face à la Pologne, la construction de la ligne Siefried, qui s’inscrivaient dans le temps avec le triplement du nombre des grandes unités, la création d’une force offensive de Trois Corps d’Armée (XlVe, XVe, XVIe) groupant les divisions motorisées, mécanisées et blindées, accrue par la mise sur pied de deux C.A. en Autriche et un en Tchécoslovaquie furent suivis de près et signalés, dès les premiers indices, dans les délais les plus courts par le S.R. qui au 1er septembre 1939 comprenait :

– Une Direction Centrale, articulée :
– Section de Commandement,
– 3 Sections géographiques (1),
– 1 Section scientifique et économique,
– 1 Section moyens techniques et recherches,
– 1 Section radio, photo, correspondances spéciales,
– 1 Section Marine,
– 1 Section Air.
– Six postes principaux :
– BENE à Lille, – BREM à Metz,
– SCM à Belfort, – SER à Marseille,
– SDRC à Toulouse, – SEA à Alger,
ayant une composition à peu près semblable à celle de la Direction centrale mais avec une seule section géographique, la mission étant à la fois définie et localisée (2).

Chaque poste actionnait un nombre variable d’annexes légères à proximité des passages de frontière.
– Des postes extérieurs installés dans la plupart des capitales.
Ce dispositif toutefois devait être remanié dès l’entrée en guerre, en raison de la création d’un « front » en principe imperméable. Le BREM de Metz se dessaisit d’une partie de ses moyens, au profit de deux postes d’aile BENE et SCM et de certains postes extérieurs, et devint BREP, poste accolé à l’échelon central.

Le BREP, enrichi d’une importante section économique et scientifique, fut chargé de la recherche à longue portée, en utilisant les plateformes constituées par les pays non belligérants.
Cette organisation permettait de répondre aux besoins de la conduite des opérations, et compte tenu du tempérament du Führer, un accent particulier fut mis sur tous les indices de préparatifs offensifs.

Le regroupement de troupes de toutes armes autour des formations blindées des W.K. (régions territoriales du Reich), l’accélération de l’instruction dans les camps, le remplacement dans les unités statiques d’hommes jeunes par des recrues âgées (3), signalés opportunément, montrèrent au Commandement que les Nazis n’avaient nullement l’intention de se limiter aux succès remportés sur la Pologne, et à des joutes oratoires par le truchement de Radio – Stuttgart.

Le rassemblement de forces importantes au Sud du Jutland, signe avant-coureur de l’invasion du Danemark, puis de la Norvège, bien que signalé au fur et à mesure de son exécution parut invraisemblable.

Il en fut de même plus tard, lorsque de plusieurs sources, on connut le déploiement de nombreuses formations blindées dénombrées et identifiées devant les frontières hollandaise, belge et luxembourgeoise.

Pendant la retraite de mai – juin 1940, le BREP absorba la plupart des éléments S. R. repliés du Nord, et tout comme ses voisins BENE et SCM mena le difficile combat du renseignement en manoeuvre rétrograde.

La bataille était perdue, mais le contact de l’adversaire par le renseignement était étroitement maintenu.

JUIN 1940 – NOVEMBRE 1942

La situation de fait créée par l’armistice de juin 1940 ne modifia en rien l’activité du S. R. dont le principal objectif resta la Wehrmacht.

La ligne de démarcation qui coupait la France en deux ne fut pas longtemps une gêne. Elle favorisa la réorganisation du Service et le resserrement des liaisons avec les alliés.

Le jour même où l’armistice devenait effectif, des postes légers fonctionnaient déjà à Saint-Justin (Landes), Langon (Gironde), Périgueux (Dordogne), Châteauroux (Indre), Mâcon (Saône-et-Loire).

Le 15 juillet, l’ensemble du S. R. avait repris dans la clandestinité une activité normale.

Direction P 1 Vichy-Chamalières (Puy-de-Dôme )
P 2 (ex. BREP) Vichy
P 3 (ex. BENE) Limoges
P 4 (ex. SCM) Lyon
P 5 (ex. SER) Marseille
P 6 (ex. SDRC) Toulouse
P 8 Rabat
P 9 Tunis
P 10 (ex-SEA) Alger
P 12 Liban-Syrie

Le 1er août 1940 des antennes étaient déjà en place à Paris, Marmande, Montmorillon, Châteauroux, La Madeleine (Moulins), Chalon-sur-Saône, Mâcon.

Le nombre de ces antennes se multiplia progressivement tant en zone occupée que sur la ligne de démarcation, et en juin 1941, grâce à un jeu de « boîtes aux lettres » et de filières d’acheminement dues à des concours bénévoles, les bulletins de renseignements parvenaient à destination souvent plus rapidement que par les voies régulières.

Malgré un camouflage très poussé l’ordre de bataille de la Wehrmacht était entièrement connu.
Quant aux mouvements de troupe et de matériel par voie ferrée, ils étaient signalés par les ingénieurs et cadres de la S.N.C.F. avant leur exécution avec toutes les précisions de dates et lieux d’embarquement, de débarquement ou de dernier transit vers des destinations lointaines (4).

Les ingénieurs des P.T.T. affectés aux lignes souterraines à grandes distances permirent malgré de gros risques, d’intercepter les communications téléphoniques protégées du commandement allemand. Cette opération (5), réalisée à Noisy-le-Grand puis à Livry-Gargan, sous la dénomination de « source K » donna des résultats exceptionnels en quantité et en qualité.

Pendant toute l’année 1942 (6) . un simple accident causa sa fin, car sa réalisation ne fut jamais détectée par les services secrets allemands. Création, identification, localisation, mouvements de grandes unités, mise au point de matériels nouveaux, activités de la Gestapo, inquiétudes et récriminations du Haut Commandement, étaient devenus une pâture quotidienne dont nos alliés étaient les grands bénéficiaires, grâce à des liaisons sûres et rapides.

Outre les liaisons régulières clandestines (radio, courriers spéciaux)
sur lesquelles nous ne nous étendrons pas par discrétion, l’essentiel des renseignements recueillis par le S. R. (comme par le C.E. d’ailleurs), était instantanément acheminé chez les alliés par les voies ci-après :

– Délégation des U.S.A. à Vichy Major Bob SCHOW, Capitaine de Vaisseau SALABOT.
– Délégation des U.S.A. à Berne Attaché Militaire LEGGE.
– Ministre du Canada à Vichy : M. DUPUIS, Capitaine Aviateur CASSIDI .
Enfin, les valises diplomatiques étaient largement utilisées. Nous citerons pour mémoire simplement celle qui s’est rendue au Portugal, acheminée de temps en temps par l’actuelle Mme BIDAULT.

NOVEMBRE 1942 – AOUT 1944

L’occupation totale du territoire donna lieu à des remaniements importants dans le S.R. de l’Armée de Terre.

Les postes et leurs antennes passèrent dans la clandestinité totale ; les personnels qui faisaient l’objet de recherches précises de la Gestapo furent dirigés sur l’A.F.N. ; la Direction centrale se transporta à Alger avec son Chef le Colonel Louis RIVET. Cet exode a fait l’objet de récits dans nos précédents Bulletins (tel le Bulletin n° 5). Nous n’y reviendrons pas.

Le transfert était indispensable. Il ne fut réalisé qu’à la dernière limite du possible, après mise en place du Central clandestin (KLEBER) que dirigeait le Colonel DELOR et l’adaptation des liaisons radio à la situation nouvelle.

Les ressources en personnel qualifié, existant en A.F.N. furent rapidement drainées pour faire face aux impératifs nouveaux :

– Liaison avec le Commandement français et allié d’A.F.N. ;
– Participation effective à la campagne de Tunisie ;
– Préparation des campagnes futures ;
– Intensification des liaisons avec la France clandestine, et avec les postes extérieurs (ceux-ci officiellement couverts par le Gouvernement de Vichy purent continuer de remplir leur mission, sauf celui de Bucarest qui rompit dès le 8 novembre 1942. L’acheminement des renseignements put se faire sans perte de temps grâce à la complaisance des Alliés, et à la tolérance des autorités locales ;
– Utilisation intensive de la plateforme ibérique ;
– Liaison avec les S.R. alliés (U.S. : Colonel EDDY ; GRANDE-BRETAGNE : Brigadier CODRINGTON ; POLONAIS : Colonel SLOWIKOWSKI).

Ainsi s’installa à Alger, rue Charras, dès la fin de 1942, la Direction des S.R. et S.M., rattachée
directement au Commandant en Chef, le Général GIRAUD, installé au Palais d’Eté. Le Colonel du CREST de VILLENEUVE prit la direction du S.R. TERRE, le Colonel RONIN celle du S.R. AIR, le Capitaine de Corvette TRAUTMANN la direction du S.R. MARINE.

Le 3 janvier 1943, le Commandant PAILLOLE prenait à son tour la direction des Services de Sécurité Militaire et de C.E. et s’installait à EL-BIAR (Villa Jaïs) où déjà le Lieutenant-Colonel CHRETIEN dirigeait les services de C.E. d’A.F.N.

Aucun problème majeur ne se présenta par rapport au Commandement et aux Alliés, les chefs du S.R. bénéficiant déjà d’une large audience. Les crédits financiers, aériens et maritimes nécessaires furent obtenus sans la moindre difficulté.

***

Le poste de TUNIS, sous l’autorité du Lieutenant-Colonel KIEL s’installa au KEF pour là campagne de TUNISIE et découpla des antennes à BEJA, TEBOURSOUK, MAKTAR, THALA.

En outre, deux missions clandestines, respectivement aux ordres des Capitaines LACAT et PERRUSEL fonctionnèrent sur les arrières ennemis.

Par leur activité, ces éléments, auxquels il convient d’ajouter les moyens techniques de recherche du Commandant BLACK, installé à Alger, permirent un contrôle permanent de la 5ème Armée, et des débris de l’Afrika Korps, avec pour aboutissement la reddition en rase campagne du Général von ARNIM.

Renforcée par quelques officiers évadés de France, la Direction du S.R. fut à même de créer une section d’instruction et de montage d’opérations clandestines, dont la CORSE, la SARDAIGNE et l’ITALIE, furent les premiers objectifs. Ce furent les missions : DESAULE, CHOPITEL. GRIFFI, COLONNA D’ISTRIA, entre autres.

Des antennes opérationnelles, adaptées respectivement aux C.E.F. du Général JUIN (Capitaine WEIL, Lieutenants ZUNDEL, SIMA, FREY, ROCARD) et au détachement de libération de la Corse (Capitaines HAGE, ZIMPFER, LOECHER), outre leur part indéniable aux succès, lancèrent une série de missions sur l’île d’Elbe et l’Italie du Nord.

Mais la préparation des opérations de libération du territoire national resta la préoccupation principale des chefs du S.R. à Alger. Leur atout maître était le S.R. clandestin KLEBER.

Après l’éphémère direction du Colonel DELOR, celui-ci avait subi, en 1943, quelques coups durs (arrestations des Colonels LOMBARD, PELLISSIER, BERTRAND, Commandants HENRY, SCHMITT, Capitaines MAUER, BOUREAU, MISOFFE, notamment) et le problème de son commandement s’était posé à deux reprises. Finalement c’est au Commandant LOCHARD qu’échut cette lourde responsabilité. Jeune, mais déjà chevronné, prudent, bon technicien, celui-ci avait pris, en accord avec Alger, des dispositions qui lui permettaient de faire face aux besoins des forces alliées dans la triple éventualité de débarquements simultanés ou successifs sur les côtes de la Manche, de l’Atlantique ou de la Méditerranée.

Il lui fallait compléter et étoffer son dispositif, ce qui fut fait en implantant par atterrissages clandestins, parachutages, voie sous-marine, ou voie terrestre via Espagne, des équipes nouvelles bien pourvues en moyens de travail, et disposant de refuges sûrs.

Ainsi furent lancées d’Alger ou de Londres, sept missions de septembre 1943 à juin 1944 : « GALLIEN », couloir Rhodanien ; « ISIDORE », Bourgogne, Franche-Comté ;« PERNOD », Bourbonnais, Charolais ; « PIERRE », Plateau Central ; « CATINAT », Hautes et Basses-Alpes, Isère, Drôme ; « SCALA », Ile-de-France, Normandie ;« PANZER », Poitou, Charentes, Aquitaine. Deux autres au début d’août 1944 :« JORXEY », Doubs, Haute-Saône, Belfort ; « CAROLLES », Jura, Doubs.

L’hypothèse d’un débarquement en péninsule balkanique n’était pas écartée. Toutefois ce territoire dont la situation politique était encore incertaine était l’apanage des grands alliés. Il n’y fut envoyé que deux missions dans la région de LJUBLIANA, en complément de celles qui opéraient en Italie du Nord et en vue de pénétrer le dispositif allemand dans la partie sud du Reich.

L’acheminement des courriers, les liaisons d’officiers complétant des contacts radio pratiquement permanents en dépit des activités allemandes de repérage par radio – goniométrie, permirent au Haut Commandement allié de choisir en toute connaissance de cause, les lieux et dates des débarquements. Les organisations de défense côtière étaient connues du S.R. Terre dans tout leur détail, ainsi que l’ordre de bataille des armées d’occupation, de sorte que les débarquements du 6 juin 1944 et du 15 août en Normandie et en Méditerranée connurent une fortune qui combla les espérances les plus optimistes.

AOUT 1944 – MAI 1945

La continuité de la recherche était un impératif, comme aussi la jonction effective avec les équipes clandestines et la liaison permanente avec la Sécurité Militaire (opérationnelle et territoriale) et les équipes C.E. (T.R.).

La création du S.R.O. (S.R. Opérations), formation de marche du S.R. fut ainsi décidée en mars 1944. Le Commandant SIMONEAU eut la charge de cette lourde responsabilité.

Débarqué avec les premiers éléments de l’Armée de LATTRE, le S.R.O. ne comprenait initialement que trois antennes provenant des éléments qui opéraient en Italie et en Corse (un détachement léger aux ordres du Capitaine DOUIN opéra en outre à la demande des alliés avec la T. Force U.S.).

Dès la libération de Marseille, il se grossit des équipes clandestines dont la mission était achevée et qui furent rapidement adaptées à la recherche en guerre de mouvement.

La jonction avec le S.R. KLEBER devint effective à l’arrivée de l’Armée à Mâcon.

La stabilisation de la Première Armée à BESANÇON permit de réaliser:


– Une intégration plus étroite des anciennes équipes clandestines
– Une mise en place d’agents dans la trouée de Belfort et en Haute Alsace
– L’adaptation d’une importante équipe à la VII e Armée U.S. (S.D.A.7) ;
– L’établissement d’une liaison avec une formation du S.R. français de Londres (Colonel RETHORE) qui opérait avec la III e Armée U.S.
– La création d’un centre d’instruction et d’une section de recherche du renseignement scientifique – L’utilisation de la plateforme helvétique pour la pénétration en Allemagne du Sud.

L’adaptation des antennes à toutes les grandes unités engagées s’avéra particulièrement efficace, tant pour la diffusion du renseignement, que pour la mise en place des agents par infiltration, ou pour le recueil de ceux-ci.

Une antenne fut laissée sur le front des Alpes et une autre participa aux opérations du front Atlantique.

Bien que disposant de l’O.S.S. – G2, le Commandement américain qui constatait la qualité des renseignements portant l’attache du S.R.O., donna les plus grandes facilités matérielles aux éléments français qui opéraient dans sa zone et qui initialement n’étaient adaptés qu’à la 2ème D.B. du Général LECLERC.

Il fallait faire vite. Profitant de la confusion qui régnait en Allemagne, des agents (transfuges de la Wehrmacht et volontaires français) furent poussés jusqu’au coeur du Reich, mais la nécessité de recueillir le renseignement et de le transmettre dans les plus courts délais amena certains officiers à pousser des pointes audacieuses à l’intérieur du dispositif ennemi, et même à prendre des initiatives particulièrement risquées.

Le 8 mai 1945, le S.R.O. partout en liaison avec les S.M. ou le C.E. était déployé comme suit :

– P.C. arrière : KARLSRUHE ;
– P.C. avant : UBERLINGEN ;
– Antennes à: CONSTANCE, LINDAU, DORNBIRN, FELDKIRCH, BERCHTESGADEN, DEGERLOCH, LEIPZIG.

Ce dispositif, par la suite, fut réajusté en raison de :
– La répartition des zones d’occupation entre les Alliés ;
– La démobilisation du personnel appartenant aux réserves ;
– La création d’un S.R. en zone française d’occupation en Autriche ;
– L’envoi de volontaires en Indochine.

Au 1er août 1945, transporté à Baden-Baden, le S.R.O. devenu direction du S.R. en Allemagne était articulé en deux sous-directions :

– S.D. Nord : à LANDAU (PFALZ) ; Antennes : à COBLENCE – WORMS.
– S.D. Sud : à SCHEWENINGEN (WURTEMBERG) ; Antennes : à TUBINGEN (DORNBIRN).

Pendant ce temps, à Paris, la Direction Générale des Services Spéciaux (D.G.S.S.), dirigée par M. SOUSTELLE, s’était installée fin août 1944, boulevard Maunoury et boulevard Suchet.

Des considérations qui n’avaient rien à voir avec la technique de la Recherche du Renseignement avait peu à peu écarté de leurs postes les anciens chefs des S.R. Guerre et Aviation (7).

Une organisation nouvelle « chapeautait » les Services Spéciaux sur l’impulsion des Colonels DEWAWRIN et MANUEL.

En fait, les éléments centraux des anciens S.R. s’étaient effacés au bénéfice des équipes du B.C.R.A, de Londres et d’Alger. Seul le C.E. (S.M. et T.R.) avait conservé la direction et la structure mises sur pied à Alger par le Commandant PAILLOLE.
Rattachés à la Présidence du Conseil, et non plus au Commandement en Chef, les Services Spéciaux devaient encore subir dès 1945 une transformation profonde.
La guerre s’achevait.

La D.G.S.S. disparaissait à son tour et faisait place à la D.G.E.R. (Direction Générale des Etudes de Recherches), sous la Direction du Colonel DEWAWRIN (PASSY).
Plus tard encore la D.G.E.R. devait laisser la place au S.D.E.C.E.

CONCLUSION

La meilleure conclusion qui puisse se tirer de l’exposé précédent est sans aucun doute de tenter de résumer les résultats obtenus.

Nous empruntons au Général NAVARRE, ancien chef de la Section Allemande du S.R. et du Deuxième Bureau du Général WEYGAND, l’exposé succinct qui suit :

I. – Résultats obtenus avant la guerre

Le S.R. disposait d’un remarquable réseau d’informateurs. Certains admirablement placés.
La plupart avaient été recrutés de longue date, certains même pendant l’occupation de la rive gauche du Rhin, après 1918. Ils continuaient à travailler malgré les conditions très difficiles créées par l’avènement du nazisme. Le recrutement, depuis 1935, était devenu très ardu, mais continuait.

La reconstitution de l’armée allemande a été suivie du début à la fin sans aucune lacune dans aucun domaine.

Les grands événements politico-militaires ont tous été décelés à temps, et la plupart avec une très grande précision.

Le Commandement français et par conséquent le Gouvernement en furent avisés dans des conditions de temps permettant les meilleures exploitations :

– Réoccupation de la rive gauche du Rhin ;
– Anschluss ;
– Occupation de la Tchécoslovaquie ;
– Tractations russo-allemandes ;
– Concentration sur la Pologne ;
– Menace sur Dantzig, etc. etc.

Au surplus toute cette phase de l’activité du S.R. apparaît parfaitement dans le livre du Chef du Deuxième Bureau de l’Etat-Major de l’Armée de cette époque, le Général GAUCHE :« Le Deuxième Bureau au travail ».
Nul témoin n’était plus qualifié pour informer l’opinion de l’oeuvre magistrale accomplie avant la guerre par le S.R.

II. – Résultats obtenus pendant la « drôle de guerre »

S’il était besoin d’un témoignage irréfutable de l’action du S.R., pendant cette période, il conviendrait de se reporter aux archives de la Cour de Riom. Le Président CAOUS et le Procureur Général CASSAGNEAU ont confirmé les indications qui vont suivre et rendu un éclatant hommage à la clairvoyance du S.R.

– La mobilisation de l’armée allemande a été suivie unité par unité, sans aucune lacune ni erreur.
– Il en fut de même de la concentration des unités allemandes face à la Pologne, d’une part, à la France, au Danemark, à la Belgique et à la Hollande, d’autre part.
– La répartition des forces a toujours été parfaitement indiquée au Haut Commandement Français, pendant la campagne de Pologne, pendant l’intervalle des campagnes de Pologne et de France.
Le transfert vers l’Ouest des grandes unités ayant pris part à la campagne de Pologne a été suivi intégralement par le S.R. Français, sans que jamais une grande unité allemande eût été perdue de vue pendant plus de 24 heures.
– Le dispositif allemand à la veille du 10 mai 1940 était connu dans les moindres détails, ainsi que les possibilités de manoeuvre qu’il portait en germe.
– La date et le lieu de l’attaque du 10 mai 1940 ont été communiqués au Commandement Français avec quelques réserves dès la fin mars 1940, et, avec certitude dès avril 1940.
– La constitution des armées de terre et de l’air allemandes a été tenue à jour sans lacune et cela aussi bien pour leur composition que pour leur équipement et leurs armes, et, pour si paradoxal que cela puisse paraître, le S.R. français a donné de l’armée allemande une description plutôt surévaluée : c’est ainsi que le nombre de chars des divisions blindées allemandes a été surévalué de 10 à 15 %, du fait que les sorties d’usine étaient en retard sur les prévisions.
– Au cours de la campagne de France l’essentiel des mouvements allemands a été identifié de bout en bout. En particulier chaque division blindée a été suivie sans aucune erreur grâce à l’interception et à l’exploitation de tous les messages de commandement des grandes unités allemandes. Ainsi purent être annoncées et décrites : l’attaque sur la Meuse, la marche vers la Manche, les regroupements en vue des attaques sur la Somme, en Champagne, etc., etc.

Il est permis d’affirmer avec le Général WEYGAND et la Cour de Riom, que le S.R. a admirablement rempli sa mission et qu’il n’a aucune responsabilité dans le désastre de 1940.


III. – Résultats obtenus pendant l’occupation

Jamais le travail sur l’Allemagne et l’Italie n’a été interrompu, ni diminué le rendement du S.R. L’ordre de bataille de l’ennemi fut constamment tenu à jour avec une précision quasi absolue.

L’acharnement de l’Abwehr et de la Gestapo à poursuivre et à détruire les postes du S.R. KLEBER, serait s’il le fallait, une preuve supplémentaire de l’efficacité du S.R. TERRE et de l’aide décisive apportée par lui au Haut Commandement allié jusqu’à la Libération du Territoire.

Ainsi il est possible d’affirmer que le S.R (et le C.E.) ont été les premiers en date des réseaux de résistance et nous ajoutons que ce ne fut que normal.

***
Il nous paraît intéressant, à propos de cette période de l’action S.R. dont l’utilité a été si souvent contestée par les détracteurs de nos Services, de compléter l’exposé du Colonel SIMONEAU par ce témoignage (8) du Général WEYGAND – en date du 31 mars 1949. Nous le devons à l’obligeance du Colonel GASSER :


« …Les Services de Renseignements ayant été supprimés par les Allemands, il n’existait officiellement à mon Etat-Major qu’un Deuxième Bureau (dirigé par le Commandant NAVARRE).
Le S.R. était donc clandestin…
Il y fonctionnait un système ayant pour but de transmettre dans les plus courts délais à la force d’intervention de Malte tous les renseignements recueillis par les postes établis sur la côte orientale de Tunisie et par l’aviation de Tunis sur les convois allemands et italiens se dirigeant vers la Tripolitaine en suivant les côtes françaises. Les renseignements transmis furent nombreux et aboutirent à la destruction d’un certain nombre de ces navires.

NOTES :

(1) A – Allemagne – Europe centrale. B – Italie – Europe méridionale – Méditerranée. C – U.R.S.S. – Japon – Chine.
(2) Priorités pour les 3 premiers postes :
BENE 6° et 10° W:K. (de MUNSTER et BREME).
BREM 12, et 9° W.K (de MAYENCE et KASSEL.
SCM 7° et 5° W.K. (de MUNICH et STUTTGART).

(3) Personnels qui par suite du traité de 1919 n’avaient pas fait de Service Militaire.

(4) Les transports routiers de ravitaillement étaient imposés dans la plupart des cas aux transporteurs routiers français. Ceux-ci groupés en C.O.T.R. (Comité d’Organisation des Transports Routiers) sous la présidence de M. Robert SIMON, se mirent spontanément à la disposition du S. R.

(5) Conception et réalisation Ingénieurs COMBAUX et KELLER. Exploitation JUNG, ROCARD, RIESS.

(6) La source « K » ne fut découverte que le matin de Noël 1942 par un détachement de Landesschützen qui prospectait des cantonnements.

(7) Le Général Louis RIVET a largement exposé dans des Bulletins antérieurs les conditions souvent décevantes et irritantes de ces transformations.

(8) Témoignage et documents recueillis par la Commission d’Enquête parlementaire (Tome VI, pages 1660 et 1661).

Sources : Bulletins N° 43 et 44




Janvier 1944 : la relève de Camelia arrive à Clermont-Ferrand

Le texte ci-après est tiré des archives inédites du Colonel Paul Bernard, l’un de nos grands anciens du TR. Il relate, avec un certain humour, son arrivée à Clermont-Ferrand en 1944 pour reprendre la direction de “ Camélia ” après l’arrestation du Capitaine M. A. Mercier. L’expression “ Agence immobilière ” est l’appellation de l’entreprise des “ Travaux Ruraux ” (TR) donnée par Pierre Nord dans son livre (en 3 tomes) “ mes camarades sont morts ”. Notre ami, le Colonel Xavier Bernard, souhaitait voir publier ce témoignage à l’occasion du dixième anniversaire du décès de son père.

Par un froid matin de janvier 1944, un être assez minable descendait du train en gare de Clermont-Ferrand. Petit, maigriot, pâle, mal vêtu, il avait cet air famélique et préoccupé du licencié de partout pour incapacité notoire. Portant avec peine une vieille valise éculée il se dirigea cahin-caha vers la sortie et le gendarme allemand de service jeta du haut de ses 1 m 90 un regard de profond dédain sur ce lamentable représentant de la dégénérescence française. Le Capitaine Bihan (Paul Bernard) récemment promu chef de la succursale Camélia de l’Agence immobilière (Travaux Ruraux : c’est-à-dire Chef du Réseau Centre du Service de Contre-Espionnage), prenait contact avec sa nouvelle garnison.

Il aurait été pour le moins optimiste de prétendre que tout allait pour le mieux, à cette époque, au sein de l’Agence immobilière. Depuis deux mois les coups
durs se succédaient même à une cadence exagérée. Vers le 15 novembre le poste Rose de Toulouse avait perdu son chef. C’était la troisième fois en moins d’un an que ce poste se trouvait décapité. Le 26 novembre l’équipe chargée des embarquements par sous-marin était tombée dans une embuscade. Bilan : un tué, une valise de courrier et un poste radio perdus, la liaison maritime avec Alger coupée.

Le 29 novembre Durand, chef de l’équipe d’embarquement, avait été arrêté par suite de la trahison d’un agent double. Dans les premiers jours de décembre la police allemande de Paris arrêtait le Capitaine Laprune, celle de Nantes mettait la main sur le Lieutenant de Vaisseau Lavallée et toute son équipe tandis qu’à Marseille l’Oberscharführer Delage (Dunker) arrêtait trois agents du poste Glaïeul dont un agent double qui allait parler et provoquer d’autres arrestations.
Le 6 décembre deux agents de liaison étaient pris à Paris avec une valise de courrier.

Le 11 décembre le Capitaine Mordant (Roger Morange), chef de poste Glaïeul, attiré dans un guet-apens était blessé et arrêté ainsi qu’un sous-officier. Le même jour en gare de Roanne était arrêté le Capitaine Marchand (M. A. Mercier) chef du réseau Camélia et adjoint du Commandant Laforêt (Lafont alias Verneuil) grand chef de l’Agence immobilière pour la France. En même temps que lui un des meilleurs agents de liaison du Service tombait aux mains de l’ennemi. A la suite de ces arrestations le Commandant Laforêt acharné à reconstituer ses équipes avait désigné comme successeur de Marchand le Capitaine Bihan que nous venons de voir débarquer si triomphalement à Clermont-Ferrand.

Au cours d’un interminable voyage le nouveau chef de réseau avait eu tout le temps de savourer les joies de sa nomination, Camélia était un commandement de choix : 19 départements, des chefs de postes gonflés à bloc, la perspective de récolter à Limoges, à Vichy, à Lyon des tas de renseignements intéressants, il y avait de quoi mettre l’eau à la bouche. Pour l’instant cependant, Bihan était préoccupé par une question plus terre à terre. Il cherchait un logement et il avait quelques raisons personnelles de ne pas considérer les hôtels et les meublés comme des havres de tout repos.

Il existe encore, heureusement, en province, un certain nombre de foyers dont la tranquillité ouatée, basée sur des traditions familiales centenaires, est capable de résister aux plus effroyables bouleversements. Dans les “ années terribles ” lorsque traqués, saouls de fatigue et d’énervement, écœurés par les trahisons et les reniements, les pauvres hommes qui s’accrochent à la lutte contre le vainqueur cherchent avec angoisse une aide et un repos, leurs rêves leur montrent la maison calme et quiète où il ferait si bon oublier de temps en temps les rafles, les perquisitions, les tortures, tout ce sang et cette fange dans laquelle ils pataugent quotidiennement.

C’est vers une de ces “ calmes retraites ” que se dirigeait le Capitaine Bihan. Une tante de sa femme, Madame de B… habitait en effet à ClermontFerrand.
La famille de B… n’est pas inconnue dans les milieux militaires. Officiers ou soldats, les hommes qui portent ce nom ont coutume de jalonner de leurs tombes les champs de bataille où se joue le sort du pays. La branche clermontoise de la famille était bien loin de cette gloire militaire. Veuve depuis un an, Madame de B… habitait avec sa fille Odile et une demoiselle de compagnie, Françoise. Au physique ces trois personnes étaient fort dissemblables.

Madame de B…, blanche de cheveux, toute menue, douce et tranquille faisait un curieux contraste avec sa fille fortement charpentée, énergique,
décidée, sachant très bien imposer sa volonté d’un froncement de ses épais sourcils noirs. Quant à Françoise elle joignait à l’aspect menu de Madame de B… le dynamisme de sa fille. Par contre sur le plan moral toutes trois présentaient de grandes ressemblances. Très pieuses, menant une vie presque monacale, lectrices du Tiers Ordre de Saint François elles avaient orienté leur existence vers les bonnes œuvres et le salut de leurs âmes. Les activités de la Gestapo devaient leur être aussi étrangères que celles d’hypothétiques Martiens.
Impossible pour un hors la loi de trouver un abri plus sûr que cette maison de paix. Du point de vue matériel, l’immeuble qu’elles habitaient se présentait sous forme d’une maison bien construite, dans un quartier tranquille à mi-distance entre la gare et le centre ville. Deux entrées, l’une sur la rue, l’autre sur des jardins permettaient des allées et venues relativement discrètes. La famille de B…

se réservait le 1er et le 3e étages et avait loué le rez-de-chaussée et le second. Les seuls inconvénients de l’immeuble étaient, outre cette présence de locataires inconnus, la proximité du PC de la Milice et celle de l’Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand.
Tout compte fait le Capitaine Bihan considérait cette maison comme providentielle et voici comment il raconte la façon dont il fut reçu :
En sonnant chez ma tante de B… j’étais un peu inquiet. On a beau être devenu assez rossard et peu scrupuleux, il est quand même difficile d’imposer sa présence à une famille sans la prévenir que votre présence risque d’être aussi pleine de charme que celle de la peste ou du choléra. Je fus accueilli à bras ouverts et après avoir parlé quelques minutes de questions familiales je risquais une allusion timide à la difficulté de trouver un logement. Immédiatement, avec un bon sourire, Madame de B… déclara : Mon cher enfant j’espère bien que vous nous ferez le plaisir de vous installer parmi nous. Avec quelques circonlocutions j’entrais alors dans le vif du sujet : ma tante savait certainement que je faisais un peu de Résistance mais elle ignorait peut-être que cela me prenait du temps, m’obligeait à une vie peu régulière, à de fréquents déplacements et que je devais aussi recevoir certaines personnes, bref qu’il y avait à craindre que ces allées et venues n’attirent l’attention des Allemands… ce qui présentait des risques… des risques que… plus j’allais, plus le sourire s’apanouissait sur le visage de mes interlocutrices… “ Mais oui, mais oui disait tantôt l’une, tantôt l’autre, cela va de soi. C’est tout naturel, des risques ? Bien sûr mais le ciel nous protégera ”.

J’admirais la candeur naïve de personnes assez éloignées des choses de ce monde pour ne même pas soupçonner les méthodes chères aux Allemands. Très touché de l’affection qui m’était témoignée, j’avais de plus en plus l’impression d’être un dégoûtant personnage abusant de l’ignorance et de la bonne foi de ces braves cœurs pour les entraîner à leur perte. Mais nécessité fait loi et, sans pousser l’hypocrisie jusqu’à me faire prier, j’acceptais l’invitation qui m’était faite.

Un peu avant le déjeuner, Odile m’avertit qu’un ménage de réfugiés partagerait notre repas. Effectivement, lorsque je descendis à la salle à manger je me trouvais en face d’un couple d’allure jeune, présentant deux particularités qui m’étonnèrent un peu : d’abord ces invités étaient en pantoufles et tenue d’intérieur ce qui semblait indiquer qu’ils habitaient la maison, ensuite l’homme possédait à un degré difficile à égaler, tous les caractères de l’Israélite d’Europe Centrale. Tous deux parlaient français avec un sérieux accent. J’appris qu’ils étaient Lettons et qu’ils habitaient la chambre voisine de la mienne. Puisque nous devions cohabiter il fallait se montrer aimable. J’eus le malheur de m’apitoyer sur la Lettonie qui depuis 1939 avait été deux fois envahie par les Russes et les Allemands. M. Pierre (c’est le nom qu’on donnait au mari), m’interrompit sèchement en précisant que la Lettonie, terre russe, n’avait pas été envahie par l’URSS mais libérée du joug d’un gouvernement infâme exécré de tous les bons Lettons. Je me le tins pour dit et orientais d’urgence la conversation vers les mérites respectifs de la pluie et du beau temps.

Après le repas, je demandais à ma famille quelques explications sur ces Lettons dont le patriotisme me semblait curieux. J’appris alors que nés en Lettonie avant 1918 ils avaient conservé la nationalité soviétique puis étaient venus se fixer en France, le mari comme ingénieur et la femme comme traductrice à l’ambassade d’URSS. Ils habitaient depuis plusieurs mois chez Madame de B… à laquelle ils avaient été confiés par une organisation d’extrême-gauche.
Je commençais à me demander sérieusement si mes parentes étaient aussi naïves qu’elles voulaient bien le paraître. En tous cas mon asile était certainement moins sûr que je ne l’avais cru.

Dès le lendemain, j’eus un nouveau motif d’étonnement. Odile partie de bon matin avec une poussette, revint avec un morceau de bœuf d’une vingtaine de kilos que M. Pierre s’empressa de débiter. Comment ? Cette pieuse famille se livrait au marché noir ? C’était incroyable. Pourtant dans le courant de l’après-midi un certain nombre de personnes vinrent prendre livraison des paquets préparés par M. Pierre. Pas de doute, j’étais tombé chez d’affreux trafiquants. C’était gai !Pour peu que la Police économique ait vent de la chose et perquisitionne, elle ne manquerait pas de s’étonner de la présence du Letton judéo-marxiste et par voie de conséquence manifesterait peut-être à mon égard une curiosité déplacée.

Il fallait que ce trafic cesse. Mes ouvertures en ce sens se heurtèrent à un refus aimable mais ferme et on m’expliqua que ce trafic n’était qu’une “ couverture ”.
Il s’agissait de masquer la destination des gros achats de denrées effectués par la famille de B… pour nourrir “ quelques petits ”. Les “ petits ” en question étaient de bons jeunes gens en voie d’acheminement vers les maquis du Massif Central. On me prévint d’ailleurs que j’aurais certainement le plaisir de faire connaissance avec certains d’entre eux car la maison servait en cas de besoin de lieu d’hébergement. De mieux en mieux, pour un coin tranquille j’avais choisi un coin vraiment tranquille.

Peu après Françoise vint annoncer que le jeune homme et la jeune femme étaient là. Vaguement inquiet je me hâtais de demander qui étaient ces nouveaux personnages. On me répondit avec la plus suave tranquillité qu’il s’agissait d’une entreprise de fabrication de faux-papiers à l’usage des Israélites et des jeunes gens en rupture de STO. Sachant la maison à l’abri de tout soupçon, les dirigeants de cette entreprise l’avaient choisie pour y installer leur laboratoire technique.

Timidement je demandais si par hasard je connaissais maintenant toutes les activités clandestines de la famille. Bien sûr que non ! D’abord “ on ” n’avait pas eu encore l’occasion de manifester son amitié à nos fidèles alliés anglo-saxons, c’était une lacune regrettable mais tout espoir n’était pas perdu de ce côté. Odile s’était en effet abouchée avec une filière d’évasions et espérait avoir le plaisir d’héberger un jour des aviateurs anglais ou américains. “ On ” avait également logé quelques anti-vichystes notoires pris dans les milieux politiques ou journalistiques et “ on ” ne désespérait pas de recommencer. “ On ” avait aussi eu le plaisir d’héberger quelques temps un des principaux dirigeants des Services Spéciaux. Enfin pour ne rien oublier, il fallait bien avouer qu’“on” diffusait un peu de presse clandestine, en particulier les Cahiers du Témoignage Chrétien.

C’était tout… pour l’instant, mais “ on ” espérait bien que ma présence allait permettre de mener une vie un peu plus active.
Ahuri, j’écoutais cet exposé en repassant dans mon esprit les prescriptions du
“ vade-mecum du parfait espion en campagne ”:
– Ne jamais se lancer dans plusieurs activités clandestines à la fois.
– Ne pas camoufler dans un même local des matériels appartenant à plusieurs
organisations.
– Éviter tout contact entre membres d’organisations différentes.
– Ne jamais utiliser un local d’habitation comme local de travail.
– (…)

Je voyais d’ici la tête du Commandant Laforêt lorsque je lui rendrai compte de l’installation de mon PC.
D’autre part il fallait bien que je commence mon travail : fils du réseau à renouer, nouvelles instructions à apporter aux différents postes, liaisons radio à reprendre. Non, décidément, je n’avais pas le temps de chercher un autre gîte avant quelques jours. Installons-nous donc provisoirement.
Ce provisoire allait durer très exactement jusqu’à la Libération et allait permettre au Capitaine Bihan de connaître l’âge d’Or sans être jamais inquiété, du moins à cause de son implantation.

NB : une suite de ces souvenirs est envisagée en fonction du dépouillement des archives du Colonel Paul Bernard.

Source : Bulletin n° 225




Le plan d’invasion allemande de 1940 etait connu du SR francais

Parmi les événements qui ont, semble-t-il, ” surpris ” les Français. il en est un qui demeure toujours d’actualité par ses tragiques et innombrables conséquences, c’est l’invasion éclair de la France par l’Armée allemande au printemps 1940. Bien des fois nous avons prouvé que le Commandement (et le Gouvernement) français avaient été prévenus par les Services Spéciaux de cette éventualité.

Par le Colonel DOUDOT

Sur ordre du Colonel PAILLOLE, j’avais passé le mois de janvier 1940 en Hollande avec la mission d’y réorganiser nos réseaux CE.

Un de mes amis néerlandais (ma femme, belge d’origine hollandaise, avait de nombreux parents dans ce pays), me communiquait bénévolement tous les mois, depuis longtemps avant la guerre, les originaux des circulaires secrètes de la Gestapo (listes d’agents français et alliés arrêtés ou recherchés en Allemagne et aussi des renseignements militaires et des photographies (les ouvrages de la ligne Siegfried de la région d’Aix-la-Chapelle)

D’accord avec ma direction, je rédigeais des extraits de ces listes à l’intention des S.R. et C.E. belges.

Le 14 février 1940, j’étais en mission de liaison de ce genre à Bruxelles où j’apprenais l’aventure de l’avion allemand qui s’était posé par mégarde, le 11 février, sur la neige dans la ligne défensive belge près de Hasselt ; les occupants, deux officiers supérieurs allemands, transportaient un original du plan d’opérations allemand pour le front de l’Ouest (invasion du 10 mai 1940).

Voici ce qui s’était passé.

Un officier supérieur allemand avait été chargé de porter à la Kommandantur militaire de Cologne le plan d’opérations (Aufmarschplan) de l’armée allemande sur le front Ouest. A son passage à Munster en Westphalie il rencontra un de ses camarades de la première guerre mondiale, major de l’aviation, qui le supplia d’interrompre son voyage et de fêter convenablement leur rencontre.

Le dîner, très gai, se prolongea outre mesure et l’officier manqua sa correspondance de train de Cologne. Pour rattraper le retard le major aviateur lui proposa de le conduire le lendemain matin (tôt) avec un petit avion.

Le temps devint mauvais dans la matinée et la visibilité minime ; l’avion se perdit dans la nature. En survolant Maastricht (Limbourg hollandais), le pilote crut reconnaître la cathédrale de Cologne. En réalité il faut beaucoup d’imagination pour confondre la célèbre cathédrale allemande et ses deux clochers avec celle de Maastricht beaucoup moins haute.

Le pilote se posa alors un peu plus au Sud, en plein dans la ligne de défense belge.

Les occupants de l’avion furent arrêtés.

Conduits au poste de gendarmerie, les officiers allemands n’eurent pas l’occasion de faire disparaître le dossier secret. L’un d’eux jeta subitement tout le dossier dans le fourneau rouge de chaleur. Mais un gendarme belge eut le courage de retirer tout le paquet, se brûlant sérieusement la main. Les documents étaient déjà consumés sur les bords.

L’E.M. belge fut en mesure de déchiffrer toutes les phrases des textes.

Un de mes amis, bien placé à l’E.M. belge, me communiqua dans les grandes lignes le contenu des documents secrets allemands.

Etant donné que quelque temps auparavant le Roi des Belges avait prononcé un grand discours sur la neutralité de la Belgique – il y avait en 1940 presque autant de troupes belges à la frontière française qu’à la frontière allemande – mon ami n’osa pas me remettre le texte intégral du plan allemand.

Le même soir mes chefs étaient en possession de mon rapport détaillé. La réaction à la réception de ces renseignements fut peu encourageante.

En France, on estimait que le Gouvernement belge était en difficultés politiques et avait ” monté ” ou ” gonflé ” cette affaire pour en tirer profit.

Le Commandement pensa comme l’E.M. belge, au moins au début de l’affaire, qu’il s’agissait d’une intoxication bien présentée par le commandement allemand. L’erreur de navigation du pilote allemand trouva peu de crédit, surtout en raison du transport du plan d’opérations en question.

En Allemagne, Hitler croyant à une trahison, furieux, et surtout en colère contre l’Abwehr et son chef, l’Amiral Canaris (décapité après l’attentat contre le Führer de juillet 1944), voulut faire ” liquider ” les deux officiers en question.

L’instruction ouverte par la justice et la police, n’apporta pas la preuve d’un acte de trahison prémédité, mais conclut seulement à une négligence grave.

Les documents étaient authentiques et constituaient une nouvelle version du plan Schlieffen.

Le Général von Manstein fut chargé d’élaborer un nouveau plan d’opérations. Par manque de temps et devant l’incrédulité des alliés dont l’E.M. allemand eut rapidement conscience, ce nouveau plan ne se distingua guère de l’ancien.

Deux mois plus tard, l’armée allemande envahissait la Hollande, la Belgique et la France.

L’Offensive Rundstedt de 1944 était également connue à l’avance.

En haut lieu on ne crut donc pas à l’authenticité du plan d’opérations de 1940, pas plus que le Commandement U.S.A. ne crut à l’authenticité du rapport d’un déserteur allemand qui se présenta le 20 octobre 1941 à l’armée soviétique.

J’étais alors officier de liaison auprès d’une ” Task-Force ” interalliée (SCI) à Spa, chargée de saisir avec les premières troupes les documents de la Gestapo à Aix-la-Chapelle.

Je vois encore maintenant en esprit ce rapport du déserteur allemand qui était bien informé.

Il prédisait l’offensive de von Rundstedt ; il venait de l’Eifel où, sur le Nürburgring étaient concentrées les unités qui devaient participer à cette offensive.

Le déserteur appartenait à l’une de ces unités. Il révéla les objectifs prévus au jour le jour par le Commandement allemand, les axes de marche, l’effort principal sur Bastogne, en vue de la percée du front allié en direction de la Meuse et d’Anvers dans le but de couper les armées du Nord (Belgique et surtout Hollande), des troupes du Sud (Luxembourg et France).

Il fournit toutes les précisions sur les unités allemandes qui devaient prendre part à cette offensive. Le seul détail qu’il ignorait était la date de l’offensive. Elle fut en réalité déclenchée vers la mi-décembre 1944.

Vers Noël je me rendis de Tilburg (Brabant hollandais) en mission à Luxembourg et au lieu de prendre la route directe je dus passer par Rocroi-Longuyon.

A l’aide d’une copie du rapport du déserteur j’étais en mesure de vérifier journellement la progression des troupes allemandes et l’exactitude des renseignements fournis par lui.

Le Commandement américain n’avait nullement renforcé ses troupes face à l’Eifel le long des frontières luxembourgeoises et belges, secteur gardé par quelques postes isolés, lorsque l’armée von Rundstedt passa à l’attaque. Ndlr : – Comme pour l’affaire de 1940, ” on n’y croyait pas”… Ainsi est illustrée une fois de plus cette fâcheuse tendance des Commandements et Gouvernements d’accorder plus de crédit à ce qui entre dans leurs vues qu’à la réalité lorsqu’elle est présentée par les Services Spéciaux officiels sous un jour qui ne correspond ni aux plans établis ni aux hypothèses scientifiquement échafaudées…




1939 : La mobilisation des services speciaux militaires

Depuis le 9 juin 1939, nous savions par un message spécial de ” Notre agent chez Hitler (1)” que la fin août serait décisive.La volonté du Führer d’attaquer la Pologne, en plein accord avec l’U.R.S.S., était inébranlable. Son plan démoniaque, exposé en secret à la Chancellerie du Reich le 5 novembre 1937 et révélé dès le lendemain à nos Services par H.T. Schmidt, se développait. Implacable.

Le 29 septembre 1938, à Münich, en prétendant sauver la paix par le sacrifice de la Tchécoslovaquie leur alliée, Français et Anglais avaient en réalité offert à l’Allemagne le délai supplémentaire indispensable pour parfaire une puissance jugée en 1938 insuffisante par le Grand État-major de la Wehrmacht.