Comment la France est devenue une puissance spatiale

Commentaire AASSDN : Alors que l’UE vient de retrouver une dimension importante de son autonomie stratégique avec le lancement réussi de la fusée Ariane 6, Philippe Varnoteaux rappelle dans la revue Conflits, l’effort continu et le rôle central qu’a joué la France dans le domaine spatial.

Alors que la France est contrainte de relever simultanément de nombreux défis : financier, éducatif, migratoire, santé, énergétique, il est réconfortant de se souvenir que 20 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale avec son cortège de pertes humaines (500 000 morts) de destructions et tout en menant les guerre d’Indochine et d’Algérie, notre pays s’est hissé au 3e rang des puissances spatiales mondiales après l’URSS et les Etats-Unis.

L’AASSDN propose à ses lecteurs un numéro hors-série de 250 pages, réalisé par l’ASAF en coopération avec des membres de notre association « L’aventure spatiale française de 1945 à nos jours » (10 € + 5 € de port).

Le 26 novembre 1965, la France devient la troisième nation à placer sur orbite par ses propres moyens un satellite (A1 ou Astérix), après l’URSS (1957) et les États-Unis (1958). Les années 1950 sont cruciales pour comprendre le succès de 1965 et l’influence française dans la construction de l’Europe spatiale.

Les photographies présentes à l’intérieur de l’article ont été fournies par Philippe Varnoteaux.

La Seconde Guerre mondiale voit l’émergence d’armes nouvelles, dont les missiles. Lors de la défaite de l’Allemagne, les Alliés découvrent l’extraordinaire avance que celle-ci a dans ce domaine. Américains et Soviétiques saisissent matériels et spécialistes allemands à travers respectivement les opérations Paperclip et Osoaviakhim.

L’héritage allemand

Les Français adoptent la même démarche avec leurs « missions scientifiques ». Ainsi, les armées françaises s’intéressent aux missiles, mais selon des démarches différentes : l’armée de Terre via le Centre d’études des projectiles autopropulsés (CEPA) de la DEFA souhaite reconstruire des V2 ; l’armée de l’Air via le service technique de l’aéronautique de la DTI engage un vaste programme visant à développer de nouveaux engins-fusées classés en air-air, air-sol, sol-air, sol-sol, cible télécommandée ; quant à la Marine, elle construit des engins visant à couvrir tous les domaines (air-mer, mer-air, surface-surface). Concernant les spécialistes allemands récupérés, certains sont installés au Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques (LRBA) de Vernon (armée de Terre) pour reconstituer des V2, comme Karl Heinz Bringer, spécialiste de la propulsion, qui a contribué à élaborer les moteurs des Véronique, Diamant et même Ariane 1.

Ainsi en Europe, en dehors de l’URSS, la France est le pays qui recrute le plus de spécialistes allemands dans de nombreuses entreprises d’État ou privées et pas que dans le domaine des fusées.

Légende : Véronique V17 installation sous portique_ ECPA-CNES

Toutefois, la guerre de décolonisation en Indochine contraint l’armée de terre à faire des choix ; elle lâche le CEPA qui in fine ne procède à aucun essai de V2. Il subsiste néanmoins au sein du LRBA deux principaux programmes : Véronique (VERnOn service techNIQUE), une étude dérivant des connaissances allemandes sur la propulsion à liquides appelée à être utilisée comme fusée-sonde, et Eole (Engin fonctionnant à l’oxygène liquide et à l’éther de pétrole), un prototype de missile sol-sol devant emporter une charge explosive (300 kg à 1 000 km) dont l’origine remonte aux années 1930.

L’héritage national

Des études sur les fusées existaient en effet avant la guerre. Par exemple, l’ingénieur Louis Damblanc s’intéressait aux fusées à propulsion solide (poudre) et, entre 1937 et 1940, conduisait à l’École centrale de pyrotechnie des essais en vol de fusées à un, deux et même trois étages. De son côté, le pionnier de l’aviation Robert Esnault-Pelterie publiait en 1930 L’Astronautique, ouvrage dans lequel il expliquait l’intérêt des fusées à propulsion à liquides pour le vol spatial. Citons enfin l’ingénieur militaire Jean-Jacques Barré du service technique de l’artillerie qui, disciple d’Esnault-Pelterie, œuvrait à la réalisation sous l’Occupation du EA 1941 (engin autopropulsé modèle 1941), un petit missile sol-sol à propulsion à liquides. La défaite le contraignit à effectuer les essais après la Libération entre mars et juillet 1945 (l’une des fusées atteint la portée de 60 km). En novembre 1952, il procède à deux tirs de la version améliorée Eole, mais qui échouent. Déçue et peu convaincue, la DEFA abandonne les projets de Barré.

Le foisonnement des études de fusée dans les années 1950

Si l’arrêt d’Eole met fin aux études de missile de longue portée, celles sur les missiles tactiques de courte portée se multiplient, notamment les sol-air en raison de la menace des bombardiers soviétiques. L’armée de Terre développe le sol-air Parca (projectile autopropulsé radioguidé contre avions), un engin à propulsion liquide puis solide. Parallèlement, est mise au point Véronique pour le compte du Comité d’action scientifique de la défense nationale (CASDN) qui la met à disposition des scientifiques pour explorer l’atmosphère. Dès le 29 octobre 1954, une Véronique réalise à 104 km d’altitude la première expérience spatiale française conçue par les physiciens français Étienne Vassy et allemand Karl Rawer (étude de l’ionosphère par mesure de la transmission des ondes radio).

Quant à l’air, elle dispose dès la fin des années 1940 à Cannes d’un grand centre industriel de la fusée à la SNCASE. De nombreux engins y sont réalisés comme le SE 4100, un missile sol-air servant de banc d’essai (et à partir duquel sont élaborées la plupart des bases techniques de la fusée moderne), dont le premier tir intervient dès septembre 1949. La société Matra, quant à elle, construit à la fois des missiles sol-air (série R04 à R422) et des missiles air-air (R05 à R530), avant de se spécialiser dans cette deuxième catégorie. D’autres organismes développent des fusées comme l’Onera (Office national d’études et de recherches aéronautiques) qui, pour ses études fondamentales (aérodynamique, matériaux, etc.), élabore des engins technologiques, dont les OPD à partir desquelles sont conçues des fusées-sondes comme Daniel qui, le 27 janvier 1959, réalise la seconde expérience spatiale française (mesure de la radioactivité dans l’atmosphère à 127 km d’altitude).

Ainsi, les années 1950 ont été une période fondatrice, avec un foisonnement de programmes (près d’une centaine) et d’expérimentations d’engins-fusées, une véritable furia francese.

Tout un tissu de compétences en matière de fusées a été développé par les armées (via leur direction technique), des industriels et des organismes étatiques maîtres d’œuvre, de nombreux équipementiers, des moyens d’essais et plusieurs champs de tir, dont ceux du Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux (CIEES) à Colomb-Béchar / Hammaguir (désert algérien) où la plupart des engins ont été expérimentés entre 1948 et 1967.

Légende : Diamant 01 décollage_ ECPA

Le tournant de l’année 1959

En 1950, des physiciens proposent une année géophysique internationale (AGI) pour une étude globale de la terre, y compris la haute atmosphère. Elle est planifiée pour 1957-1958, en raison d’une forte activité solaire qui entraînera des interactions avec l’atmosphère terrestre. Américains et Soviétiques annoncent en 1955 l’envoi des premiers satellites artificiels.

En France, Vassy suggère d’utiliser des Véronique améliorées pour contribuer aux programmes de l’AGI. Le CASDN finance la construction d’une quinzaine de Véronique AGI, tandis que le physicien Jacques Blamont du service d’aéronomie – premier laboratoire spatial français créé fin 1958 au sein du CNRS – propose de créer des nuages artificiels à l’aide de sodium pour en savoir plus sur la haute atmosphère (structure, vents, etc.). Ainsi, les 10 et 12 mars 1959, deux Véronique AGI s’envolent avec leur charge de 90 kg et réalisent entre 85 et 170 km des nuages artificiels qui mettent en évidence la turbopause, la limite entre la basse et la haute atmosphère. La découverte est spectaculaire. Les médias exultent ! L’espace est désormais accessible aux scientifiques français. De nombreuses autres expériences sont effectuées, dont le vol suborbital de petits animaux comme le rat Hector le 22 février 1961 (à 110 km) et la chatte Félicette le 18 octobre 1963 (à 155 km).

Entre-temps, le contexte politique change. Avec le retour aux affaires du général de Gaulle (1958), les autorités sont particulièrement sensibles aux initiatives mettant en avant le progrès, comme les sciences et les technologies. La jeune communauté spatiale française en profite pour les solliciter et pour obtenir le 7 janvier 1959 la création du Comité des recherches spatiales (CRS). Confié au physicien Pierre Auger, le CRS évalue et favorise le développement des activités spatiales qui s’apprêtent à s’intensifier. De nouvelles fusées-sondes sont commandées auprès du LRBA (Véronique, Vesta) et de Sud Aviation (engins à poudre Bélier, Centaure, Dragon). Le CRS est aussi chargé de soutenir les propositions françaises dans les projets de recherches spatiales à l’échelle internationale (Cospar) et à l’échelle régionale (Europe).

Des études balistiques au lanceur spatial

Parallèlement, le gouvernement engage une réflexion sur l’opportunité d’avoir des missiles balistiques à longue portée pour la force de dissuasion nucléaire. Le succès de Véronique AGI de mars 1959 contribue à le convaincre de s’en doter. Est ainsi créée le 17 septembre 1959 la Société pour l’étude et la réalisation d’engins balistiques (Sereb) qui regroupe les forces vives de la nation (Sud Aviation, Nord Aviation, SEPR, Matra, Dassault, Snecma, Onera, Service des poudres, Commissariat à l’énergie atomique). Une coopération avec les États-Unis est envisagée mais, devant les tergiversations de ceux-ci, le gouvernement décide que la Sereb concevra seule les missiles balistiques stratégiques.

La Sereb déploie une méthode d’essais originale consistant à tester séparément puis en les associant des fusées ou véhicules d’essais (VE), afin d’acquérir les compétences dans la propulsion, le guidage, le pilotage, la rentrée atmosphérique (ogives). Dans le cadre des « pierres précieuses », toute une panoplie d’engins voit le jour (Agate, Topaze, Émeraude, Rubis). Le plus abouti est Saphir qui combine Émeraude (propulsion à liquides) et Topaze (propulsion solide), respectivement comme premier et second étage. À l’automne 1960, des ingénieurs de la Sereb (sous la conduite de Bernard Dorléac) proposent au CRS de réaliser à moindre coût un lanceur de satellite (Diamant) en ajoutant un troisième étage au futur Saphir. La réflexion s’engage et, le 22 juillet 1961, lors d’un conseil interministériel, de Gaulle et son gouvernement acceptent la proposition de la Sereb. Le 18 décembre, cette dernière, sous la responsabilité de la DMA, doit construire Diamant (pour placer sur orbite 80 kg à 500 km). Quant aux scientifiques, ils obtiennent en lieu et place du CRS une agence spatiale – le Centre national d’études spatiales (CNES) – créée le 19 décembre pour conduire la politique spatiale de la France. Pierre Auger en devient le premier président.

Légende : Satellite A1 en intégration à Boulogne Billancourt_ MATRA

Diamant 01 qui place sur orbite la capsule militaire A1 (Armée no1 rebaptisée Astérix). Trois autres Diamant sont lancés en 1966-1967 avec succès avec des satellites technologiques réalisés par le CNES (Diapason, Diadème 1 et 2). Début juillet 1967, la France quitte Hammaguir pour lancer depuis le Centre spatial guyanais près de Kourou. Le CNES est désormais responsable du nouveau lanceur (civil) Diamant B qui le 10 mars 1970 place sur orbite un satellite… allemand (Wika).

N’ayant cependant pas les moyens d’une NASA américaine, le CNES mène dès le début une politique de coopération avec les Américains et les Soviétiques, mais aussi avec des pays en voie de développement.

Dès 1961-1962, la coopération avec les États-Unis offre aux ingénieurs français l’opportunité de parfaire leur formation et aux scientifiques d’embarquer des instruments dans des satellites américains. Avec les Soviétiques, la coopération entre dans le champ du possible après la visite du général de Gaulle en URSS en juin-juillet 1966. Quant à la coopération avec des pays en développement, elle émane de Jacques Blamont qui, devenu en 1962 premier directeur scientifique et technique du CNES, établit avec l’Inde et l’Argentine un partenariat permettant de leur transmettre une partie du savoir-faire français.

Une puissance spatiale qui s’intègre à l’Europe

Dès fin octobre 1962, Pierre Auger quitte la présidence du CNES pour s’engager dans la construction de l’Europe spatiale. Il contribue ainsi à la création le 14 juin 1962 par dix États européens (Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, RFA, Royaume-Uni, Suède et Suisse) de l’European Space and Research Organisation (ESRO). Ce partenariat permet de construire les premiers satellites scientifiques européens.

Une autre initiative a lieu de la part des autorités britanniques pour concevoir un lanceur européen avec la France, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et la RFA (plus l’Australie pour le champ de tir de Woomera). Pour cela est instaurée l’European Launcher Development Organisation (ELDO) dans laquelle chaque pays apporte un élément de la fusée (la France se chargeant du deuxième étage). Entre 1968 et 1971, toutes les tentatives de lancement échouent principalement en raison de l’absence de maître d’œuvre. Cela conduit les Européens à refonder en 1973 l’Europe spatiale avec notamment la création en 1975 de l’European Space Agency (ESA) et l’engagement du programme de lanceur européen Ariane. Pour le réaliser, 11 nations s’associent (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Irlande Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Suisse), avec la maîtrise d’œuvre confiée au CNES et à Aérospatiale (l’architecte industriel).

Six ans plus tard, le 24 décembre 1979, Ariane 1 réussissait sa première satellisation depuis le CSG. L’Europe, en assurant ainsi son indépendance spatiale, entrait dans la cour des grands. La France en était un pilier fondateur.

Philippe VARNOTEAUX*
Article paru dans la Revue Conflits n°52
Publié sur le site Revue Conflits le 07 septembre 2024
https://www.revueconflits.com/comment-la-france-est-devenue-une-puissance-spatiale/

* Philippe VARNOTEAUX est docteur en histoire et spécialiste de l’histoire de la conquête spatiale française, membre de l’Institut français d’histoire de l’espace et chargé de cours à Sciences-Po Reims. Il est l’auteur ou coauteur de plusieurs ouvrages dont le dernier intitulé : Hammaguir, première base spatiale française (Ginkgo éditeur, 2024).

Source photo de couverture : Pixabay




Bibliographie sur l’affaire Jean-Moulin

( parutions dans les années 1940 )

Souvenirs. (Passy, Solar, Paris, 1947).

Peut-on dire la vérité sur la Résistance? (Carte, Le Chêne, Paris, 1947).

( parutions dans les années 1950 )

Plaidoyer pour René Hardy. (M. Garçon, Fayard, Paris, 1950).

Missions secrètes en France. (Passy, Plon, Paris, 1951).

Quatre dans l’ombre. (E. Piquet-Wicks, Air du Temps, Paris, 1957).

( parutions dans les années 1960 )

Jean Moulin l’unificateur. (H. Michel, Hachette, Paris, 1960).

Lyon capitale 1940-1944. (H. Amoretti, France-Empire, Paris, 1964).

Jean Moulin. (L. Moulin, Presses de la Cité, Paris, 1969).

( parutions dans les années 1970 )

Le temps des passions. (F.L. Closon, Presses de la Cité, Paris, 1974).

J’étais la femme de Jean Moulin. (M. Storck-Cerruty, Horvath, Roanne, 1976).

Histoire de la Résistance en France. (H. Noguères, Laffont, Paris, 1976).

L’énigme Jean Moulin. (H. Frenay, Laffont, Paris, 1977).

De Gaulle et le Conseil national de la Résistance. (J. Debü-Bridel, France-Empire, Paris, 1978).

Les Neuf sages de la Résistance. (D. de Bellescize, Plon, Paris, 1979).

( parutions dans les années 1980 )

Jean Moulin, une vie. (H. Calef, Plon, Paris, 1980).

Jean Moulin et le Conseil national de la Résistance. (D. Cordier, CNRS, Paris, 1983).

Ils partirent dans l’ivresse. (L. Aubrac, Seuil, Paris, 1984).

Derniers mots. (R. Hardy, Fayard, Paris, 1984).

Procès d’après-guerre. (J.-M. Théolleyre, La Découverte, Paris, 1985).

Jean Moulin, l’inconnu du Panthéon. (D. Cordier, Lattès, Paris, 1989).

( parutions dans les années 1990 )

L’affaire Jean Moulin. La contre-enquête. (Ch. Benfredj, Albin Michel, Paris, 1990).

La mort d’un inconnu. (B. Friang, Crémille, Genève, 1990).

Le grand recrutement. (Th. Wolton, Grasset, Paris, 1993).

Le Trait empoisonné. Réflexions sur l’affaire Jean Moulin. (P. Vidal-Naquet, La Découverte, Paris, 1993).

Jean Moulin, mon ami. (P. Meunier, L’Armançon, Paris, 1993).

Lyon 1940-44. (G. Chauvy, Payot, Paris, 1993).

Jean Moulin et la Résistance. (Collectif, CNRS, Paris, 1994).

Le général Delestraint, premier chef de l’Armée secrète. (Fr.-Y. Guillin, Plon, Paris, 1995).

Fallait-il laisser mourir Jean Moulin? (M. Cuny et F. Petitdemange, Lyon, 1995).

La France Libre. (J-L Crémieux-Brilhac, Gallimard, Paris, 1996).

Aubrac, les faits, la calomnie. (F. Delpha, Le Temps des cerises, Paris, 1997).

Aubrac, Lyon 1943. (G. Chauvy, Albin Michel, Paris, 1997).

Vies et morts de Jean Moulin. (P. Péan, Fayard, Paris, 1998).

Les secrets de l’affaire Jean Moulin. (J. Baynac, Seuil, Paris, 1998).

La diabolique de Caluire. (P. Péan, Fayard , Paris, 1999).

Le guet-apens de Caluire. (P. Dreyfus, Stock, Paris, 1999).

Jean Moulin, la République des catacombes. (D. Cordier, Gallimard, Paris, 1999).

Jean Moulin 1899-1943. (Collectif, Paris musées, Paris, 1999).

( parutions dans les années 2000 )

Jean Moulin face à l’histoire. (J-P. Azéma, Flammarion, Paris, 2000).

The Death of Jean Moulin. Biography of a Ghost. (P. Marnham, John Murray, London, 2000).

Action de Jean Moulin à Nice et dans les Alpes-Maritimes, 1941-1943. (Documents Témoignages Recherches, n° 3, Musée de la Résistance, Nice, septembre 2000).

Jean Moulin, dit Romanin, artiste, résistant, marchand de tableaux. (A. Paire, Actes Sud, 2000).

Jean Moulin et son temps. (J. Sagnes, Presses Universitaires de Perpignan, Perpignan, 2000).

Nous étions faits pour être libres. (C. Bouchinet-Serreulles, Grasset, Paris, 2001).

Jean Moulin, le plus célèbre des Héraultais. (Collectif, Montpellier, 2001).

Jean Moulin, 1899-1943. The French Resistance and the Republic. (A. Clinton, Palgrave, New York, 2002).

Dessins et aquarelles de Jean Moulin. (J. Lugand, Editions de Paris, Paris, 2005).

A vingt ans avec Jean Moulin. (J.-L. Théobald, Cêtre, 2005).

Présumé Jean Moulin. (J. Baynac, Grasset, Paris, 2007).




Bibliographie sur l’affaire Darlan

( parutions dans les années 1940 )

Alger et ses complots. (M. Aboulker, Documents Nuit et Jour, Paris, 1945).

Expédients provisoires. Le coup d’Alger. (P. Gosset et R. Gosset, Fasquelle, Paris, 1945).

Le 8 novembre 1942. (G. Esquer, Charlot, Paris, 1946).

Du débarquement africain au meurtre de Darlan. (A. Kammerer, Flammarion, Paris, 1949).

La grande énigme de la guerre : Darlan. (Vice-Amiral Docteur, La Couronne, Paris, 1949).

( parutions dans les années 1950 )

D’Alger à Paris. (J. Soustelle, Laffont, Paris, 1950).

L’Histoire des mes « trahisons ». (G. Auphan, Plon, Paris, 1951).

La querelle des généraux. (Chamine, Albin Michel, Paris, 1952).

L’amiral Darlan parle. (A. Darlan, Amiot-Dumont, Paris, 1953).

( parutions dans les années 1960 )

Un diplomate parmi les guerriers. (R. Murphy, Laffont, Paris, 1965).

Les grandes énigmes de la Seconde Guerre mondiale. (B. Michal, Saint-Clair, Paris, 1965).

Le meurtre de l’amiral. (P. Tompkins, Albin Michel, Paris, 1966).

( parutions dans les années 1970 )

Tout commence à Alger. 1940-1944. (P. Ordioni, Stock, Paris, 1972).

Nous avons tué Darlan. (M. Faivre, La Table Ronde, Paris, 1975).

Julien, ou la route à l’envers. (Ph. Ragueneau, Albin Michel, Paris, 1976).

Les rivaux de Charles de Gaulle. (A. Laurens, Laffont, Paris, 1977).

L’assassinat de Darlan. (A. Decaux, Perrin, Paris, 1979).

De Munich à la Libération. (J-P. Azéma, Seuil, Paris, 1979).

( parutions dans les années 1980 )

Deux crimes d’Alger. (A. Fabre-Luce, Julliard, Paris, 1980).

Le chemin du Palais d’Eté, Alger 1942. (M. Faivre, Regirex-France, Paris, 1982).

Admiral Darlan, de Gaulle und das royalistische komplot in Algeria 1942. (E. Krautkramer, Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, Berlin, 1984).

Les derniers jours de Darlan. (J. Moreau, Pygmalion, Paris, 1985).

Le secret de Darlan. 1940-1942. Le complot, le meurtre. (P. Ordionni, Albatros, Paris, 1986).

Darlan. (H. Couteau-Bégarie, Fayard, Paris, 1989).

Les Anglais ont-ils assassiné Darlan ? (Revue L’Histoire, n° 121, avril 1989).

( parutions dans les années 1990 )

Qui a donné l’ordre d’assassiner Darlan? (Revue Historia, n° 529, 1991).

L’assassinat de l’amiral Darlan. (A.-J. Voituriez, L’Esprit du temps, Bordeaux, 1992).

Qui a tué Darlan? (J-B. d’Astier de la Vigerie, Atlanthrope, 1992).

La jeunesse et la résistance. (A. Gandy, Presses de la Cité, Paris, 1992).

Darlan, un amiral entre deux blocs. (R.O. Paxton, Vingtième Siècle, n° 36, 1992).

Le mystérieux docteur Martin 1895-1969. (P. Péan, Fayard, Paris, 1993).

L’assassinat de Darlan. (A. de Chantérac, Perrin, Paris, 1995).

La fracture. De Londres 1941 à Sétif 1945. (P. Ordionni, Nouvelles Editions Latines, Paris, 1995).

Journal de guerre. Londres-Alger, avril 1943-juillet 1944. (H. Queuille, Plon, Paris, 1995).

L’affaire Darlan. (L. Richard, sujet de thèse, Institut d’Etudes Politiques de Lyon, septembre 1998).

La Synarchie. Le mythe du complot permanent. (O. Dard, Perrin, Paris, 1998).

Les assassins qui ont voulu changer l’histoire. (P. Accoce, Plon, Paris, 1999).

Les ténébreuses affaires du comte de Paris. (J. d’Orléans, Albin Michel, Paris, 1999).

( parutions dans les années 2000 )

Opération « Torch ». (M. Junot, Fallois, Paris, 2001).

Darlan. (G.E. Melton, Pygmalion, Paris, 2002).

Aux Services de la République. Du BCRA à la DGSE. (C. Faure, Fayard, Paris, 2004 ; pp. 119-129).




1940-1942 : Réseaux militaires clandestins et Bureaux des Menées Antinationales

CETTE SACRÉE VÉRITÉ…

Soucieux de dissiper bien des malentendus, des confusions et des jugements sommaires, hâtifs et souvent partiaux formulés à propos de l’action clandestine menée par les services spéciaux militaires de juin 1940 à la fin de l’année 1942, le Colonel Paillole nous livre ici le témoignage vivant de cette époque si contrastée, si controversée aussi et fait sortir de la nébuleuse des premières années de la résistance, le rôle joué par ses camarades et le sacrifice de nombre d’entre eux.

C’est encore et toujours la présentation inexacte, incomplète de l’opposition des militaires à l’oppression nazie de 1940 à 1942 qui m’incite à revenir sur un sujet que j’ai maintes fois traité. Je supporte mal l’image confuse qui est donnée de leur résistance et l’exploitation malveillante qui en résulte. Nous avons, moi le premier, notre part de responsabilité dans cet état de fait: trop de timidité, d’humilité, mais aussi et surtout, en face des exigences de l’HISTOIRE, une conception étriquée du devoir de réserve, pas toujours exempte de suffisance. Je serais satisfait si l’exposé qui va suivre limité au travail de nos réseaux clandestins et des Bureaux Menées Antinationales (B.M.A.) permettait une vue plus claire, une compréhension plus complète et juste de leurs rôles et actions respectives.

Les militaires dans la résistance de 1940 à 1942 N’en déplaise aux irréductibles détracteurs de l’armée et à leurs complices médiatiques, il est désormais établi que les premiers actes de résistance à l’occupant, fin 1940, sont pour la plupart d’initiatives militaires.

On peut les classer schématiquement en trois groupes: – L’opposition à l’ennemi mais aussi au pouvoir de Vichy. La plus salutaire pour la FRANCE fut celle du Général de Gaulle. Elle reste dans l’HISTOIRE, le symbole du patriotisme et de l’honneur. Il y en eut d’autres diversement développées, la plus marquante étant celle de mon ancien de Saint-Cyr et ami Henri Frenay.

– Les réseaux clandestins issus du 5e Bureau de l’E.M.A.. Ils vont poursuivre leurs missions de recherche et de contre-espionnage contre l’Axe en marge des autorités vichyssoises.

– La résistance de l’armée de l’armistice orientée par les premiers chefs, Weygand, Frère, Verneau, du Vigier, Baril, etc.. dans un esprit de revanche et la préparation en secret d’une participation aux opérations alliées de libération. Ainsi naquirent dans les zones libres (métropole et A.F.N.) des institutions plus ou moins confidentielles et éphémères : camouflage du matériel (C.D.M.), mobilisation clandestine, section secrète du 2e Bureau de l’E.M.A. et Bureau des Menées Antinationales (B.M.A.). Je n’oublie pas les tribunaux militaires qui surent réprimer de 1940 à 1942 les entreprises des services spéciaux de l’Axe et de leurs auxiliaires.

Naissance et caractéristiques des réseaux militaires clandestins

Le 26 juin 1940 à 18 heures, le Colonel Rivet et les cadres du 5e Bureau de l’E.M.A. dissous, font le serment à Bon Encontre (près d’Agen) de poursuivre en secret leur contrat. Le même jour à Brax (près de Toulouse) le personnel de ce 5e Bureau fait le même serment en présence du Colonel Malraison, adjoint du Colonel Rivet. Le 27 juin 1940, nous tirons les premières conséquences de cette résolution:

1 – La poursuite de la lutte est en opposition aux clauses de l’armistice. Elle exigera une organisation et des actions secrètes, hors des institutions officiel les. Elles seront indépendantes d’elles.

2 – Secret et sécurité imposent un cloisonnement rigoureux entre nos spécialistes: renseignement proprement dit, contre-espionnage, sécurité. C’est l’éclatement de nos services centralisés d’origine dans le 2e Bureau (S.R. – S.C.R.) et le 5e Bureau. C’est l’obligation de créer des réseaux indépendants.

3 – Des cadres volontaires de ces réseaux d’active ou de réserve, seront en dehors de l’armée, en congé d’armistice ou bénéficiaires de contrats spéciaux ménageant leur avenir.

4 – Les moyens financiers et matériels de l’ex 5e Bureau seront répartis entre les réseaux. La réserve de fonds secrets est importante et suffira largement aux besoins immédiats de l’ensemble clandestin.

5 – Chaque chef de réseau reprendra contact avec son homologue de l’I.S. La liaison centrale radio avec Londres sera rétablie au sud de Royat.

6 – Des contacts et des accords seront pris avec l’ambassade des États-Unis à Vichy et la légation du Canada, pour assurer la transmission aux alliés des informations recueillies par nos réseaux. Des liaisons seront établies par chaque réseau avec les représentants alliés en pays neutres: Berne, Madrid et Lisbonne.

Ainsi vont naître en juillet 1940 nos réseaux clandestins, homologués à la libération et à partir de cette date dans les Forces Françaises Combattantes (F.F.C.). KLÉBER : Lieutenant-Colonel Perruche – P.C. à Vichy et Royat sous la couverture d’un ” Office du Retour à la Terre “.

SSM/F/TR : Commandant Paillole – P.C. à Marseille, boulevard de la Plage sous la couverture de ” l’Entreprise des Travaux Ruraux “. (T.R. : appellation initiale du réseau).

S.R. Air: Colonel Ronin – P.C. à Cusset avec radio spécifique avec l’I.S. à Londres.

Naissance et caractéristiques des B.M.A.

L’organisation clandestine se substitue de la sorte à la défunte institution officielle de défense. Son caractère révolutionnaire ne nous échappe pas plus que ses conséquences et ses risques. Dès lors, nos réflexions se portent sur le devenir de l’armée et ce que nous devrions en attendre. La création d’une armée de l’armistice est dans l’air. Rivet qui a vécu l’occupation de l’Allemagne au lendemain du traité de Versailles, a suivi, pas à pas la création de la Reichswehr et la naissance de l’Abwehr.

Soutenu par Weygand, il va plaider pour une institution analogue au sein de l’armée de l’armistice. C’est la création d’un organisme de défense contre le communisme, l’espionnage, le sabotage et plus généralement contre “les Menées Antinationales “. Il en revendique la responsabilité, convaincu que nos réseaux clandestins y trouveront les appuis matériels et moraux dont ils auront besoin. Après deux mois de négociations, sa suggestion est entendue le 25 août 1940, la commission d’armistice de Wiesbaden autorise la création du” Service des Menées Antinationales “. Dans chaque Division Militaire Territoriale (en zone libre et en Afrique) seront installés des Bureaux des Menées Antinationales (B.M.A.).

Pour répondre au mieux aux motivations qui nous ont inspirés, cette institution nouvelle doit résoudre avant tout un problème de recrutement et d’encadrement. Rivet et d’Alès vont s’y employer pendant tout le mois de septembre 1940 en piochant dans les ressourcés des B.C.R. dissous en juin 1940.

Au Colonel d’Alès, technicien confirmé, va échoir la direction effective des B.M.A. Il prendra comme adjoint un officier de haute qualité, le Lieutenant-Colonel Bonoteaux. Déporté, Bonoteaux mourra à Dachau dans les bras d’Edmond Michelet. Le Colonel Rivet, placé ” en disponibilité fictive ” (sic) veillera sur l’ensemble officiel et clandestin. Le 1er octobre 1940, le dispositif d’action et de défense est en place et opérationnel. L’appareil défensif en marche de 1940 à 1942

Il était temps.

Depuis juillet 1940, le réseau T.R. clandestin de contre-espionnage que je dirige, a pris vigueur et réactivé la plupart de ses agents infiltrés dans l’Abwehr. Les informations recueillies s’accumulent. Elles sont de deux sortes:

1 – Les informations d’ordre général sur la constitution, les missions, les moyens des services spéciaux ennemis, notamment ceux installés dans notre pays occupé. Leur exploitation fera l’objet de synthèses dont les données seront expédiées en lieu sûr à Alger. Les renseignements susceptibles d’intéresser les alliés (par exemple les directives de recherches données à l’Abwehr par l’O.K.N. car elles traduisent les intentions de Hitler) leur seront transmis.

2 – Les informations d’ordre particulier concernant la France et son Empire. En ce début d’octobre 1940, elles sont alarmantes. Elles prouvent la volonté de l’ennemi de s’opposer brutalement à toutes formes de résistance, d’imposer sa propagande, de s’infiltrer largement en zone libre, dans l’Empire et surtout en A.F.N. Aux moyens spécifiques de l’ennemi: l’Abwehr, Geheimfeldpolizei, S.D., O.V.R.A., S.I.M., etc… s’ajoutent les complicités de mauvais français de tous bords.

Une action défensive, disposant de moyens répressifs de fortune, mais surtout officiels, est urgente. Il faut que les Français comprennent que l’occupant demeure l’ennemi, que travailler avec ou pour lui, c’est toujours trahir au sens de la loi sur l’espionnage, en vigueur dans les zones non occupées où la France demeure encore souveraine.

La répression officielle c’est l’affaire de la Police, de la Surveillance du Territoire et des Tribunaux militaires maintenus dans chaque Division Militaire Territoriale de l’armée de l’armistice en zone libre et en A.F.N.

Le réseau T.R. sera le pourvoyeur principal de cet appareil répressif, sous la couverture des B.M.A. à qui il appartiendra de le mettre en oeuvre sans révéler notre existence et nos sources.

Mission difficile pour ces B.M.A. car ils doivent protéger nos moyens et nos actions, animer des services officiels sous l’œil inquisiteur de l’occupant et la défiance d’autorités vichyssoises de plus en plus acquises à la politique de collaboration. Mission ambiguë, car les B.M.A. seront parfois saisis d’initiatives contraires à cette politique et devront, plus ou moins adroitement, en minimiser les conséquences. Il y aura des bavures.

Il y aura surtout une œuvre fondamentale de couverture de nos réseaux clandestins. L’ennemi ne s’y trompera pas et le ” fusible ” B.M.A. sautera en août 1942. D’Alès sera limogé sans ménagement. La plupart des chefs de B.M.A. seront poursuivis, arrêtés, déportés… Bonoteaux, Delmas, Roger, Proton, Heliot, Denaenne mourront dans les camps nazis Blattes, Jonglez de Ligne, de Bonneval (futur aide de camp du Général de Gaulle) en reviendront meurtris. J’en passe et m’en excuse, car de tels sacrifices consentis en toute connaissance de cause méritent mieux que l’indifférence, le sarcasme ou l’oubli.

T.R. – B.M.A. – Surveillance du Territoire – Justice militaire Pour conclure cet exposé, quelques cas concrets devraient aider à la compréhension du fonctionnement de cet appareil de défense. Au-delà de notre action secrète, nous avons voulu de 1940 à 1942 associer au maximum les forces encore vives de notre nation à notre lutte contre l’occupant. Pour si paradoxal que cela puisse apparaître à certains, nous pouvons nous enorgueillir de l’avoir tenté et souvent réussi. Ce qui suit tend à le démontrer.

Juillet 1940: Une commission d’armistice allemande s’installe à l’Hôtel du Roi René à Aix-en-Provence. Les écoutes installées par notre poste clandestin de Marseille (T.R. 115) révèlent la présence en son sein de membres de l’Abwehr soucieux de l’état d’esprit des militaires, des populations, de l’activité de la flotte, des camouflages d’armes, etc… C’est un jeu d’introduire dans cette commission plusieurs agents de pénétration.

En septembre 1940, T.R. 115 découvre qu’un couple d’origine allemande, réfugié israélite en France depuis 1938, a offert ses services aux nazis. Son activité est intense. Elle menace les entreprises clandestines de camouflage d’armes ainsi que certaines filières d’évasion par voies maritimes ou terrestres.

En décembre 1940, je décide d’y mettre fin. T.R. 115 s’en ouvre confidentiellement au commandant Jonglez de Ligne, chef du Bureau M.A. de la XV° Division Territoriale de Marseille. La surveillance du territoire est alertée. Herbert S. et Hélène G. sont arrêtés. Devant l’abondance des informations sur leurs activités, ils se résignent aux aveux non sans arrogance et la menace d’en appeler aux vainqueurs, leurs employeurs. Devant le” bruit “que cette affaire d’espionnage (la première depuis l’armistice) pourrait susciter en métropole, le Colonel d’Alès, patron des B.M.A. obtient de la Justice militaire que le couple soit discrètement transféré en A.F.N. Six mois plus tard le Tribunal militaire d’Oran condamne l’homme à mort et la femme à la prison sans qu’en aucune circonstance le réseau T.R. ait été mis en cause.

Septembre 1940: Un soldat britannique, Harold C., fait prisonnier en juin 1940, s’évade et se réfugie à Lille. En accord avec nos agents T.R., il organise au profit de l’I.S. un embryon de réseau de renseignements et surtout une chaîne d’évasion.

Nous établissons un relais à Paris avec l’aide du réseau Kléber et faisons aboutir cette chaîne à Marseille chez le correspondant de l’I.S., le Capitaine Garrow en rapport avec notre poste T.R. 115.

Imprudent et trop dispersé, C. est repéré par l’Abwehr et arrêté en mars 1941. Pour échapper à la répression, il accepte de poursuivre son activité sous le contrôle de l’ennemi. Ignorant de ce retournement, nos agents ne peuvent que constater les dégâts dans les réseaux de l’I.S. et en rechercher l’origine. Plusieurs indices font porter les soupçons sur C.

Le sentant brûlé dans le Nord, l’Abwehr décide de le transférer dans la région parisienne où, sous le nom de D., il devra pénétrer l’un des premiers et remarquable réseau de résistance: ” Le Musée de l’Homme “. Ce sera chose faite en juillet 1941. Les arrestations succèdent aux arrestations. Torturé à mort, le grand savant Holweck s’éteindra en février 1942.

Grisé par ses succès, D. a cru bon d’entretenir comme couverture vis-à-vis de l’I.S. et de T.R., la filière lilloise d’évasion et son relais parisien. Ce sera sa perte.

C’est André Postel-Vinay, du réseau Kléber, qui est l’habituel correspondant de C. à Paris. Leurs contacts se multiplient. C. découvre l’activité de Kléber. C’est la bonne affaire pour l’Abwehr. A partir de septembre 1941, ce sont les premières arrestations. Fin 1941, c’est le tour de Postel-Vinay, en 1942 se seront les chefs de poste du réseau.

Alerté, notre poste T.R. 113 de Paris (Michel Garder) a vite fait le rapprochement C.-D.. Un agent de pénétration est infiltré dans la filière avec mission de convaincre l’anglais de “ l’existence “d’une importante filière d’évasion vers la Suisse, basée à Lyon et où il pourrait être introduit. Fort intéressé, C. décide de se rendre en zone libre. Le Ier juin 1942, il arrive à Lyon et tombe dans la souricière organisée par le B.M.A. de la XIX° Division Militaire, alerté par T.R. La Surveillance du Territoire l’arrête et provoque ses aveux.

Devant l’abondance des preuves de ses activités criminelles à Lille et à Paris, il sera condamné à mort par le Tribunal militaire de Lyon quelques jours avant l’entrée de la Wehrmacht en zone libre, le 11 novembre 1942. Il échappera au peloton d’exécution et sous la pression des allemands, le maréchal Pétain accordera sa grâce.

Ce ne sera pas la chance du Français Henri D.. Ce traître qui a fait des ravages dans le réseau ” Combat ” d’Henri Frenay a été fusillé dans le fort de Montluc à Lyon le 16 avril 1942 par un peloton de l’armée de l’armistice.

Employé aux messageries Hachette de Paris, D. faisait chaque semaine depuis fin 1940, un voyage aller et retour à Lyon pour assurer les livraisons de cette entreprise entre les deux zones. Un ausweiss de complaisance permanent lui avait été accordé sur l’intervention de l’Abwehr qui contrôlait de la sorte le trafic des messageries Hachette et pouvait à l’occasion utiliser les services de D.

L’officier traitant de l’Abwehr est une vieille connaissance de nos services clandestins de C.E. Le Hauptmann Binder de l’Ast de Stuttgart est ” pénétré ” depuis 1938 par un agent de notre poste T.R. 114 de Lyon et pas grand chose ne nous échappe de son activité en France. En octobre 1941, ” Combat “qui a grand besoin d’assurer ses liaisons permanentes entre la zone Nord et la zone libre, a repéré à Paris les possibilités offertes par l’homme des messageries Hachette.

Pressenti, D. accepte (après réflexion et accord enthousiaste de Binder) de transporter dans sa camionnette le courrier de ” Combat ” de Paris à Lyon et vice versa.

Dès lors, l’Abwehr va contrôler l’activité de ce réseau. Les arrestations se multiplient. Binder exulte et fait quelques confidences à notre ” pénétrant “. Il parle d’une camionnette Hachette qui circule en permanence entre Paris et Lyon et dont le chargement l’intéresse.

Avec le concours de la gendarmerie de la ligne de démarcation, la camionnette est identifiée par T.R. 114. En janvier 1942, le B.M.A. de Lyon alerté, provoque l’arrestation de son conducteur. D. habilement interrogé par le commissaire Truffe de la Surveillance du Territoire passe aux aveux.

Le dossier de l’affaire est solide! Les dégâts sont graves. Frenay est menacé. Jean Moulin est identifié.

Descours, chef du B.M.A. de Lyon, fait signer par le Général Commandant la 14° Division Militaire un ordre d’informer pour atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat.

La taupe du réseau ” Combat “sera condamnée à mort par le Tribunal militaire. Son recours en grâce sera refusé. Il sera exécuté.

J’invite le lecteur à en méditer le motif officiel: ” Agent rétribué d’une organisation ennemie d’espionnage, Henri D. a recherché et livré des renseignements secrets intéressant la Défense Nationale “. Nous sommes en 1942.

En guise de conclusion J’aurais pu multiplier les cas concrets illustrant cette action répressive, stupéfiante pour certains esprits bornés. De fin 1940 à Novembre 1942, soit en deux ans, il a été procédé en métropole et en A.F.N. à 2.327 arrestations d’agents de l’Axe. Des dizaines furent passés par les armes.

Je me suis borné à trois cas significatifs mettant en cause un Allemand, un Anglais et un Français…(1) Le sort de ce dernier fut impitoyable. Laval, saisi par Abetz de cette ” grave atteinte à la politique de collaboration ” au moment où il revenait au pouvoir, le 18 avril 1942, deux jours après l’exécution de D., allait signifier à Rivet l’arrêt de mort des B.M.A. Mais nos réseaux clandestins étaient saufs.

(1) Les dossiers de ces 3 affaires sont aux Archives de la Justice Militaire au Blanc (36300), ouverts aux chercheurs. Annexe Extraits du rapport du 28 novembre 1942 de la section III de l’Abwehrstelle de Paris. …« Notre contre-espionnage a permis d’avoir les preuves certaines que les services secrets français ont continué au cours des années 1940 à 1942 et en violation des conventions d’armistice, à faire de l’espionnage contre l’Allemagne, notamment contre les troupes d’occupation en territoire français »…

Nota: Le document original trouvé à Berlin en 1945 a été traduit et communiqué au Colonel P. Paillole en 1946 par M. K. du S.D.E.C.E., chargé, dès la fin de 1944 par la D.S.M., de l’exploitation des archives allemandes saisies en France et en Allemagne à partir de juin 1944.