Je me permets, d’entrée de jeu, de rectifier quelque peu l’énoncé de mon thème, lequel ne se limite pas comme l’a dit le Général Boistard à la situation dans les pays de l’ancienne Union Soviétique. ” En effet, mon intention est d’effectuer un survol de « l’Univers Eclaté » qui a résulté de la victoire de l’Alliance Occidentale sur l’Empire Communiste, une victoire que Monsieur l’Ambassadeur a très justement soulignée tout à l’heure.

Cette victoire, remportée fin 1989, a marqué à mon sens la fin du XXe siècle. Le XXIe siècle dans lequel nous sommes entrés dès lors, sans le savoir, a eu pour caractéristique initiale une inquiétante absence d’ordre mondial due à l’effondrement de l’Empire Communiste.

Nous sommes en présence d’un immense puzzle dont les trois composantes principales sont : l’ancienne chrétienté, la nébuleuse islamique et le binôme « Chine-Japon ».

Je me propose donc de passer en revue ces trois composantes et leurs interactions — ma tâche étant facilitée par la remarquable synthèse de M. l’Ambassadeur — et d’évoquer ensuite le phénomène politico social de notre temps, celui de la maffia qu’il convient d’avoir présent à l’esprit dans toute étude de la situation mondiale.

L’ANCIENNE CHRETIENTE

Je pense que la disparition du rideau de fer et le miracle d’Août 1991 débouchant — au prix de six vies humaines — sur la volatilisation du totalitarisme communiste dans ma patrie d’origine, ont eu pour conséquence une tendance quasi irrésistible à une certaine réunification de l’ancienne chrétienté.

Dans l’immédiat celle-ci se présente en quatre tronçons : l’ensemble américain, l’Europe occidentale, l’Europe centrale et l’Eurasie blanche.

L’ensemble Américain est en train de redécouvrir une unité que n’altère plus le trublion cubain, cet avant-poste de feu l’Empire communiste réduit à l’état de spécimen de musée. Cependant sa partie nord (c’est-à-dire avant tout les Etats-Unis) ressent confusément, en dépit de la tentation isolationniste, que son avenir et son salut résident dans un renforcement de ses liens avec le continent européen. En fait l’Amérique a autant besoin de l’Europe que celle-ci a besoin d’elle. A l’heure actuelle les Etats-Unis traversent une période difficile, avant tout dans les domaines psycho-politique et social.

La fameuse triade : ” Confiance en soi — bonne conscience — esprit pionnier (mué en esprit de croisade) ” se trouve fortement démonétisée. Le flot des cerveaux en provenance d’Europe s’est fortement réduit. En revanche nous assistons à une intense asiatisation des universités américaines, grâce à une arrivée massive de professeurs et d’étudiants en provenance du Japon, de la Chine, de la Corée du Sud et du Vietnam. Enfin il ne faut pas oublier la poussée croissante de l’émigration en provenance de l’Amérique latine.

C’est sur le continent euro-asiatique que les Américains peuvent à la fois effectuer un retour aux sources et restaurer leur triade — en particulier l’esprit de croisade. En ce qui concerne l’Europe occidentale, M. l’Ambassadeur nous a brossé un tableau plus que parlant et montré en particulier que l’OTAN constituait toujours une organisation d’actualité indispensable, en attendant que soit mis en place un système de défense européen.

Par ailleurs avec la disparition du mur, aucune frontière réelle ne sépare cette partie de notre continent de l’Europe Centrale dont les pays émergent avec difficulté de leur ancien état d’asservissement à Moscou. L’existence sur leur flanc sud de l’abcès balkanique constitue un casse-tête difficile à résoudre.

Enfin il y a l’Eurasie blanche, autrement dit la partie essentielle de l’ancien Empire soviétique (ou russe). Son éclatement en trois morceaux : Belarus, Ukraine et Russie a certainement été un mal nécessaire. Les différends russo-ukrainiens découlent d’un long contentieux mais ne peuvent pas, à mon avis, déboucher sur un véritable conflit.

On peut penser qu’à terme, surtout si la Russie parvient à résoudre l’essentiel de ses problèmes économiques, on assistera à un rapprochement des trois Etats slaves sous la forme d’une confédération.

Il reste bien entendu le problème de l’armement nucléaire stratégique et tactique évoqué par M. l’Ambassadeur. Il est certes préoccupant au même titre que celui de la dissémination nucléaire, surtout que les données de la dissuasion se trouvent radicalement modifiées.

Personnellement je demeure optimiste car le risque majeur, celui d’une guerre civile à une grande échelle est selon moi exclu. Je puis en effet certifier qu’il y a dans les populations slaves de l’ancienne U.R.S.S. un rejet viscéral d’une guerre fratricide et que les explosions ethniques ou religieuses de la périphérie : Ossétie, Nagorny-Karabakh, Moldavie, etc. ne risquent pas à mon sens de faire tache d’huile.

Pour terminer ce survol des tronçons séparés de l’ancienne chrétienté, je dirai que l’avenir de l’ensemble se trouve fortement conditionné par l’évolution de la nébuleuse islamique et l’exploitation de ses turbulences par le binôme Chine-Japon.

LA NEBULEUSE ISLAMIQUE

Celle-ci se présente en trois tronçons, l’arabe, le turco-mongol et l’irano-asiatique.

Le tronçon arabe est celui sur lequel se concentre en priorité notre attention. Il n’est pas dit pour autant qu’il soit le plus dangereux. Tout d’abord son unité est toute relative, ainsi que l’a prouvé la Guerre du Golfe. Ses pôles sont multiples et pour la plupart antagonistes. Seule la présence au Proche-Orient de l’Etat d’Israël — cet avant-poste du monde occidental de l’époque de la « guerre froide », suscite parmi les pays arabes un semblant d’unité.

En revanche le tronçon turco-mongol recèle des potentialités redoutables, ne serait-ce qu’en raison des incertitudes quant à la future orientation de la Turquie. Lors de mon récent séjour à Istanbul j’ai pu me rendre compte sur place de l’impact sur la classe dirigeante turque, tant des événements du Caucase que de l’évolution de la situation dans les républiques soviétiques islamiques.

Ainsi s’esquisse, de la Mongolie Extérieure à l’Anatolie, une immense zone d’instabilité potentielle sur laquelle s’exercent les effets de la rivalité « Chine- Japon » dont il sera question plus loin.

Le troisième tronçon dont Téhéran est l’animateur paraît à première vue hétérogène et disparaîtra. S’étendant de l’Iran aux Philippines, ce tronçon englobe l’Afghanistan, le Tadjikistan, le Pakistan et le Bangladesh, sans parler des 100 millions de Musulmans de l’Inde, de l’Indonésie et d’une partie de l’archipel philippin.

Avec la fin du régime communiste en Afghanistan nous assistons peut-être à un début d’incendie qui pourrait s’étendre au sous-continent indien avec à l’arrière-plan les armes nucléaires dont disposent le Pakistan et l’Inde. Sans vouloir noircir à dessein les perspectives d’avenir dans cette partie du monde, elles nous paraissent autrement angoissantes que celles qui s’esquissent dans le bassin méditerranéen.

LES DEUX STRATEGIES CONCURRENTIELLES

En ce début du XXIe siècle, les deux seules grandes puissances ayant une vision d’avenir et œuvrant en vue de réaliser cette vision sont la Chine et le Japon. Leur rapprochement, le 12 avril 1978, a été l’événement le plus important du siècle précédent depuis 1945.

Dans le préambule de cet accord les deux parties stipulaient qu’il était « anti-hégémonique » et, de ce fait, il visait l’Empire soviétique. Demeuré toujours en vigueur, il vise désormais les Etats-Unis.

Certes les deux signataires sont autant, sinon plus, des concurrents que des partenaires s’efforçant d’être à la hauteur de leurs appellations historiques d’Empire du Milieu et d’Empire du Soleil Levant, mais face à l’ancienne chrétienté leur attitude est commune.

De ce point de vue, la nébuleuse islamique dont Pékin et Tokyo se disputent le contrôle, constitue un ensemble explosif redoutable.

Dans l’immédiat la Chine a pris l’avantage en investissant les territoires libérés de l’influence soviétique. Ayant solidement pris pied à Téhéran, elle est à même d’agir à la fois sur les deux tronçons asiatiques de la nébuleuse islamique. Cela n’empêche pas « l’empire du Milieu » de s’intéresser également au tronçon arabe tout en entretenant des rapports corrects avec Israël.

Face à cette manœuvre d’ensemble, le Japon semble avoir pris un peu de retard, du moins sur le continent asiatique. Toutefois, grâce à son potentiel technologique et financier, il s’efforce d’imposer sa volonté à la Russie nouvelle, de prendre pied en Mongolie extérieure, de marquer la Chine dans le Sud-est asiatique sans pour autant relâcher son effort sur l’Europe occidentale et l’Amérique.

Rappelons pour finir que la « mer intérieure » du XXe siècle est l’Océan Pacifique et que les deux empires s’efforcent d’en assurer le contrôle en commençant par une semi colonisation de l’Australie, de la Nouvelle Zélande et de la Nouvelle Calédonie.

LE PHENOMENE « MAFFIEUX » A L’ECHELLE MONDIALE

Si dans ce survol de notre planète j’ai sciemment omis l’Afrique noire, la raison en est qu’elle représente un ancien champ de bataille de la confrontation Est-Ouest du XXe siècle qui me fait penser un peu à Verdun et au chemin des Dames que nous visitions pieusement entre les deux guerres mondiales.

L’Afrique n’est peut-être pas totalement abandonnée, mais pour l’essentiel elle est livrée à son sort.

D’ailleurs ni la stratégie chinoise ni la stratégie nipponne ne la considèrent en tant qu’objectif prioritaire. En revanche mon analyse globale ne serait pas complète si je passais sous silence le fléau mondial de notre époque : le phénomène maffieux.

Pourtant ce phénomène est autrement plus concret que toutes les internationales, tous les complots que l’on dénonçait aux siècles précédents. En ce sens il est le plus diabolique dans la mesure où, à l’instar de Satan, sa principale ruse est de faire croire qu’il n’existe pas ou que du moins s’il existe c’est toujours chez les autres.

L’assassinat du malheureux juge Falcone nous révolte certes, mais nous fait plaindre l’Italie car un tel crime serait impensable chez nous. En sommes- nous tellement sûrs ? La drogue, la prostitution des deux sexes, les trafics d’influence et autres tares socio-morales ne sont que des manifestations hideuses d’un même phénomène mondial : la criminalité organisée.

A l’heure actuelle celle-ci se manifeste partout, tant dans l’ancienne chrétienté que dans la nébuleuse islamique, qu’au Japon et même en Chine.

Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais connaissant aussi bien l’ancienne U.R.S.S. que ses actuels morceaux, je peux, à titre d’illustration vous conter brièvement la genèse et le développement de cette maladie dans le sixième des terres immergées.

Mes sources résident dans la lumineuse étude publiée en plusieurs morceaux dans l’hebdomadaire soviétique ” La Gazette Littéraire ” en 1988, sur la base des déclarations du Colonel Gourov, à l’époque Chef du « Bureau Etudes » au Ministère de l’Intérieur en U.R.S.S.

La genèse de la criminalité organisée dans le système totalitaire soviétique remonte au phénomène concentrationnaire dans lequel les condamnés de droit commun étaient des auxiliaires de la chiourme officielle pour faire travailler et exterminer les détenus politiques.

Ce statut privilégié a fait naître dans la conscience de la pègre le sentiment de sa supériorité sur les honnêtes gens. Ce sentiment a eu pour conséquence un début d’organisation au sein de la pègre, à l’intérieur, puis à l’extérieur des camps.

D’un bout à l’autre de l’immense territoire, des bandes strictement hiérarchisées instauraient une « loi du milieu », un jargon unique et des signes de reconnaissance.

Toutefois, à l’époque du totalitarisme stalinien les possibilités d’action concertée étaient limitées. Au début des années 60, vers la fin du règne de Khrouchtchev, on vit fleurir en U.R.S.S. le système clandestin du « business parallèle » à base d’individualités débrouillardes et de fonctionnaires véreux, sous la forme de petits ateliers de fabrication d’articles de bien de consommation et de commerces divers.

Face au « business clandestin » la pègre organisée n’allait pas manquer de passer à l’action en pillant ou en rançonnant les « fabricants » et les « commerçants » hors-la-loi, et cela conformément à une règle en trois points : 1. Prends tout ce que tu peux prendre; 2. Ne prends jamais tout, car la patience humaine a des limites; 3. Dans chaque opération, mouille un policier pour être sûr de l’impunité.

Devant cette offensive à l’échelle de l’U.R.S.S., les représentants du « business parallèle » vinrent à résipiscence. Une conférence de la paix se tint fin 1968 à Rostov-sur-le-Don, à l’issue de laquelle les businessmen s’engagèrent à payer la dîme à la pègre, cette dernière promettant de cesser les exactions.

Possédant désormais des sources de revenus garantis, la pègre put passer à une étape suivante, l’investissement de l’Administration du Parti et de l’Etat. C’est ici que se place un épisode que le Colonel Gourov omet de citer dans son étude, « la connivence entre le K.G.B. et la pègre. ».

Au cours des années 70, le K.G.B., au fait de sa puissance, intensifie son action à l’extérieur de l’ U.R.S.S. et croit bon d’utiliser des éléments de la pègre pour des trafics à l’étranger.

Finalement, qui manipule l’autre ?. La question est posée. De toute façon la pègre peut ainsi prendre de précieux contacts avec ses homologues occidentaux.

Puis la guerre d’Afghanistan lui donne l’accès aux sources de drogue du K.G.B. sous forme de plantations de pavots dans le sud de l’Ouzbékistan. Ainsi avant même l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev en 1985, la pègre soviétique a droit, selon le Colonel Gourov, au titre de Maffia : car non seulement elle est bien organisée, mais elle possède des liaisons permanentes avec l’étranger et la possibilité de « laver l’argent sale ».

En 1988, des centaines de « bandes » contrôlaient l’ensemble du territoire. Aucun « parrain » n’était tombé. La drogue, la prostitution, les hold-up, voire même les vols à la tire payaient tribut; sur les centaines de millions de roubles de bénéfices : 70 % se trouvaient investis dans « l’achat des consciences ».

J’ignore la situation exacte à ce jour, mais ce ne sont certainement pas les événements intervenus dans l’ex-empire soviétique qui ont pu affecter la toute-puissance de la maffia. La terrible question que je me pose est liée à cette toute-puissance à l’échelle de la planète et à l’efficacité de la lutte contre ce fléau dans les pays dits développés.

CONCLUSION

Dans son remarquable exposé précédant mon intervention, M. l’Ambassadeur a posé un certain nombre de points d’interrogation. Je viens à mon tour d’allonger passablement sa liste.

Selon moi le XXIe siècle débute plutôt mal et paraît contraster avec l’aube du XXe saluée naguère par le père de Marcel Pagnol comme celle de tous les espoirs. Curieusement c’est ce mauvais départ qui vient conforter mon optimisme relatif. Chrétien, je ne perds pas l’espoir de voir l’ancienne chrétienté retrouver son unité. Religion du « VU » le christianisme peut très bien finir par trouver un terrain d’entente avec la Confession de « « l’ENTENDU » que représente le judaïsme et celle du « DICTE », en d’autres termes l’Islam. Issues de la même Révélation du Dieu Unique, ces trois confessions sont essentiellement celles du dialogue entre le Créateur et les créatures. Ce sera évidemment plus difficile de s’entendre avec les extrêmes-orientaux, ces Empires du « Monologue », mais nous n’en sommes pas encore là.

De toute façon quand on songe aux siècles précédents et surtout au XXe , lequel selon moi a commencé en 1917, je ne vois aucune raison d’être pessimiste .

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