Extrait de la résolution du Parlement européen du 17 janvier 2024 sur la conscience historique européenne : Ce texte aborde la gestion complexe du passé européen, marqué par des histoires nationales diverses et parfois conflictuelles, comme un élément à double tranchant, présentant à la fois des risques et des opportunités. Il met en évidence les difficultés inhérentes à toute tentative de politisation de l’histoire, tout en reconnaissant le potentiel éducatif des périodes sombres du passé européen pour éviter la répétition des erreurs et promouvoir des sociétés démocratiques et inclusives.

Cette résolution insiste sur l’importance d’une conscience historique informée en Europe, qui nécessite une approche large et critique de l’histoire, intégrant les perspectives sous-représentées et promouvant des méthodes d’enseignement innovantes. Il appelle à une culture de la mémoire émanant des citoyens, basée sur des valeurs européennes communes, et souligne le rôle central de l’éducation dans la mise à jour des curriculums pour favoriser une compréhension supranationale de l’histoire.

Aborder le passé de l’Europe comme un risque et une opportunité

Le Parlement européen,

1.  reconnaît que les histoires diverses et souvent conflictuelles des nations et des États européens rendent difficile et potentiellement dangereux tout effort pour gérer l’histoire au niveau politique, et que les tentatives visant à influer la manière de commémorer et d’interpréter le passé s’avèrent toujours difficiles;

2.  souligne le potentiel du principe de l’historia magistra vitae et estime en particulier que les périodes tragiques et les éléments sombres de l’histoire de l’Europe sont un rappel vigoureux des erreurs du passé à ne pas répéter, mais également un appel à œuvrer ensemble en faveur de sociétés démocratiques et inclusives dans l’Union et le reste du monde;

3.  estime qu’une approche responsable, factuelle et critique de l’histoire, axée sur les valeurs européennes communes, est une condition sine qua non pour tout organe politique démocratique, afin de sensibiliser les générations actuelles et futures aux réalisations et aux aberrations du passé, de renforcer un discours public faisant preuve d’esprit critique, et de favoriser la compréhension et la réconciliation au sein de certains groupes sociaux, nations et États et entre ceux-ci;

Politique du passé dans l’Union européenne – une évaluation critique

4.  souligne la nécessité d’une évaluation honnête de la «politique du passé» de l’Union, par laquelle elle s’est efforcée de donner plus de légitimité au projet européen, de renforcer un sentiment d’appartenance à l’Europe et d’encourager la coexistence pacifique des peuples du continent, en reconnaissant de manière égale les réalisations et les lacunes existantes et en examinant attentivement les moyens par lesquels les citoyens ont été encouragés à se confronter au passé;

5.  salue l’ensemble des initiatives passées et présentes au niveau européen visant à promouvoir une mémoire historique européenne commune, notamment la Journée commémorative de l’Holocauste, la Journée européenne de commémoration des victimes de tous les régimes totalitaires et autoritaires, la mise en place d’un volet consacré à la mémoire dans l’ancien programme «l’Europe pour les citoyens» et dans le programme actuel «Citoyenneté, égalité, droits et valeurs» (CERV), ainsi que les diverses résolutions du Parlement telles que celle du 2 avril 2009 sur la conscience européenne et le totalitarisme et celle du 19 septembre 2019 sur l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe;

6.  se déclare préoccupé par la persistance d’une concurrence latente et d’une incompatibilité partielle entre les différentes conceptions de la mémoire et cultures du souvenir en Europe, notamment entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est, mais aussi entre les pays et les nations de certaines parties du continent; souligne que tous les pays européens ont des expériences à la fois concordantes et divergentes qui appartiennent à une histoire européenne commune; reconnaît les crimes commis par les régimes totalitaires nazis, fascistes et communistes, et à l’époque du colonialisme, et le rôle que ces crimes ont joué dans la formation des perceptions de l’histoire en Europe; souligne la nécessité de réduire les fractures régionales et idéologiques existantes en matière de prise de conscience historique entre les pays et les peuples européens, afin de créer un espace commun de dialogue, de compréhension et de respect mutuels;

7.  reconnaît que les horreurs du passé servent de «mythe fondateur négatif» et donnent un sens profond au projet de paix européen, mais constate que le souci de l’Union de raconter son histoire ex negativo risque de nourrir une conception téléologique, simpliste et manichéenne de l’histoire, ce qui pourrait nuire à une compréhension pleinement informée du passé complexe de l’Europe et réduire les incitations à remettre en cause les stéréotypes et les vaches sacrées des histoires nationales;

Vers une conscience historique informée en Europe

8.  reconnaît la nécessité d’une compréhension plus large et plus globale de l’histoire européenne pour qu’émerge une conscience historique européenne critique et capable de se remettre en question, notamment en élargissant le champ des initiatives européennes actuelles liées au travail de mémoire, en tenant dûment compte également des groupes qui ont été sous-représentés jusqu’à présent, et en promouvant de nouvelles méthodes d’enseignement de l’histoire;

9.  souligne qu’il importe de s’écarter d’une «culture du souvenir» européenne principalement imposée par les autorités dans le souci de définir ce dont les Européens devraient se souvenir, et de se tourner vers une «culture du souvenir» émanant de la population et axée sur les citoyens, fondée sur des valeurs et des principes européens communs, en se concentrant sur le développement des capacités de réexamen critique du passé aux niveaux local, régional, national et européen, avec la participation des organisations de la société civile;

10.  reconnaît qu’il est fondamental d’examiner le passé de l’Europe à la lumière des valeurs européennes fondamentales consacrées à l’article 2 du traité sur l’Union européenne, et des traditions éthiques et philosophiques qui sous-tendent ces valeurs, ainsi que de créer un espace de discussion ouvert qui permette également d’aborder des éléments difficiles des histoires nationales et qui garantisse une compréhension mutuelle et une réconciliation entre les différentes nations européennes et à l’intérieur de ces dernières, ainsi qu’entre les nations européennes et le reste du monde;

11.  estime que la liberté d’enseigner, d’étudier et de mener des recherches, y compris le libre accès aux archives et aux sources, parallèlement à la liberté d’expression artistique, est une condition préalable à la production et à la diffusion de connaissances impartiales et fondées sur des données probantes dans les sociétés démocratiques, et à un traitement critique de l’histoire en particulier; invite la Commission et les États membres à protéger ces libertés qui sont actuellement menacées, en particulier par des cas de détournement des lois relatives à la mémoire, y compris en recourant au mécanisme européen de protection de l’état de droit;

12.  souligne le rôle essentiel de l’éducation et invite les États membres à actualiser leurs programmes d’études et méthodes d’enseignement existants afin de faire passer l’histoire européenne et mondiale avant l’histoire nationale, et de mettre davantage l’accent sur une compréhension supranationale de l’histoire, notamment en permettant des perspectives multiples sur l’histoire et en encourageant les styles d’enseignement correspondants qui privilégient la réflexion et la discussion plutôt que le transfert de connaissances, et qui ont pour objectif général d’amener les étudiants à «apprendre à penser» plutôt que de leur dire «ce qu’ils doivent penser»;

13.  souligne combien l’apprentissage de l’intégration européenne, de l’histoire, des institutions et des valeurs fondamentales de l’Union ainsi que de la citoyenneté européenne est indispensable à l’émergence d’un sentiment d’appartenance européenne; demande que l’enseignement de l’histoire européenne et de l’intégration européenne, qui doit être envisagée dans un contexte global, et l’éducation à la citoyenneté européenne fassent partie intégrante des systèmes éducatifs nationaux; reconnaît les efforts déployés au niveau de l’Union pour améliorer les connaissances sur l’Union et son histoire, notamment avec les actions dites «Jean Monnet»; invite la Commission et les États membres à travailler, notamment dans le cadre du groupe de travail sur l’égalité et les valeurs de l’Espace européen de l’éducation, à l’élaboration d’éléments spécifiquement axés sur le développement d’une conscience historique européenne, et à élaborer conjointement un «manuel de l’UE» pour les activités pédagogiques fournissant des orientations communes ainsi que des faits et des chiffres impartiaux pour l’enseignement de l’histoire européenne;

14.  estime que le chauvinisme, les stéréotypes sexistes, les asymétries de pouvoir et les inégalités structurelles sont profondément ancrés dans l’histoire européenne, et déplore l’absence d’une approche suffisamment multiculturelle et sensible au genre dans l’enseignement de l’histoire; considère qu’il est essentiel de lutter contre la marginalisation des femmes et d’autres groupes de la société sous-représentés dans l’histoire, et invite les États membres à accorder une attention accrue aux programmes scolaires nationaux;

15.  souligne la nécessité d’un enseignement interdisciplinaire et intersectionnel de l’histoire qui applique une pédagogie innovante et centrée sur l’apprenant, en utilisant par exemple des outils interactifs, des méthodes de narration et des approches fondées sur les enseignements tirés pour toutes les générations, qui utilise un ensemble complet de sources, de technologies et de matériels d’apprentissage, y compris des manuels d’histoire transfrontaliers et transnationaux et des récits oraux, et qui encourage les capacités d’analyse et de réflexion critique;

16.  reconnaît le rôle central joué par les enseignants dans la création et la transmission des compétences nécessaires à la compréhension et à l’évaluation critique des faits historiques, et souligne qu’il est important que les enseignants non seulement reçoivent une formation adéquate, mais s’engagent également à se perfectionner de manière continue, y compris par des activités d’apprentissage entre pairs et par le partage des meilleures pratiques, à la fois au niveau national et transnational; souligne, dans ce contexte, la valeur ajoutée des académies Erasmus + des enseignants;

17.  invite les États membres à fournir du matériel d’enseignement (de l’histoire) et des formations sur mesure qui permettent aux enseignants de mieux se concentrer sur les aspects transnationaux et les multiples facettes de l’histoire, qui transmettent des principes didactiques adéquats et les principes d’un enseignement moderne et qui visent avant tout à former des jeunes qui réfléchissent par eux-mêmes;

18.  souligne qu’il est très utile de collecter des données et de comparer et d’évaluer les méthodes et les outils d’enseignement de l’histoire, et salue le travail des organisations gouvernementales et non gouvernementales spécialisées actives dans ce domaine, y compris l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe du Conseil de de l’Europe et EUROCLIO; souligne qu’il importe que davantage d’États membres de l’Union participent à l’Observatoire;

19.  reconnaît le potentiel des musées qui abordent de manière critique l’histoire contestée de l’Europe en tant qu’outil d’apprentissage du passé et de renforcement de la conscience historique, en particulier la «Maison de l’histoire européenne», en tant que projet phare pour lequel des ressources suffisantes devraient être mises à disposition afin d’assurer un rayonnement plus large auprès du public européen;

20.  insiste sur l’importance de préserver le riche patrimoine culturel et historique de l’Europe et les lieux de mémoire, en particulier comme moyen de développer une conscience historique critique, à condition qu’ils ne soient pas détournés à des fins idéologiques, et souligne le rôle que le label du patrimoine européen et les institutions indépendantes œuvrant à la promotion du patrimoine européen, tant matériel qu’immatériel, peuvent jouer à cet égard; encourage les États membres à intensifier leurs efforts pour identifier et protéger les lieux de mémoire démocratique, en particulier ceux qui sont liés aux groupes sous-représentés; souligne le potentiel d’Europeana en tant que bibliothèque numérique, archive, musée et plateforme éducative de l’Europe;

21.  reconnaît le potentiel des médias numériques et le niveau croissant de numérisation dans l’éducation, tout en se déclarant profondément préoccupé par le fait que les canaux numériques sont de plus en plus souvent utilisés de manière abusive à des fins de manipulation politique et de diffusion de la désinformation, y compris en ce qui concerne l’histoire, comme illustré par le révisionnisme historique pratiqué par la Russie dans le contexte de sa guerre d’agression contre l’Ukraine; invite la Commission et les États membres à intensifier leurs efforts pour renforcer l’éducation aux médias et au numérique et pour doter les enseignants et les étudiants de compétences et d’outils adéquats facilitant un enseignement de l’histoire fondé sur les faits, et leur permettant d’identifier, de contextualiser et d’analyser les sources historiques aussi bien traditionnelles que modernes;

22.  souligne que les possibilités de mobilité transfrontalière à des fins d’apprentissage offertes par les programmes de mobilité européens et autres favorisent les échanges d’idées et promeuvent les connaissances transversales ainsi que la compréhension interculturelle, en contribuant à faire tomber les barrières nationales et en permettant une meilleure compréhension du passé et du présent;

23.  demande à la Commission et aux États membres de renforcer les outils actuellement disponibles au niveau européen afin de favoriser l’émergence d’une conscience historique européenne critique et capable d’autoréflexion, en particulier le programme Erasmus+, qui soutient la mobilité et l’apprentissage interculturel, en tant qu’instruments essentiels pour améliorer la compréhension des autres cultures et nations, ainsi que le programme CERV, qui prête un appui à des projets transnationaux portant sur le souvenir historique et promeut l’engagement civique;

24.  demande aux institutions européennes, aux États membres, aux pays candidats et aux pays candidats potentiels, aux établissements d’enseignement et aux acteurs de la société civile de redoubler d’efforts pour promouvoir la réconciliation, s’abstenir de toute tentative d’instrumentalisation de l’histoire à des fins politiques et lutter contre le révisionnisme et le déni de la réalité historique tant dans l’Union européenne que dans les pays tiers; rappelle l’importance de ces éléments dans la perspective des futurs élargissements de l’Union;

Perspectives: l’héritage du passé et l’avenir de l’Union

25.  adhère à l’idéal d’une «culture de la mémoire» et d’une conscience historique fondée sur des valeurs et des pratiques européennes communes dans la façon d’aborder le passé, tout en évitant les nivellements ou les simplifications excessifs de l’histoire;

26.  espère que, sur la base d’une autoréflexion critique portant sur l’histoire et la responsabilité historique au niveau national, un discours réflexif véritablement européen sur le passé du continent puisse voir le jour, sans que l’histoire ne soit détournée à des fins politiques, et exprime l’espoir qu’une «communauté de destin» entre les peuples européens émergera d’un travail historique commun;

27.  estime que les mémoires collectives finiront par contribuer à une sphère publique européenne et par s’y fondre, une sphère dans laquelle les différentes cultures du souvenir se complètent au lieu de s’opposer, et où le traitement de l’histoire devient une question d’action civique et non plus une affaire politique;

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