Par le Colonel Paul PAILLOLE

Une vie et un procès riches en enseignements.

«C’est un livre sérieux et honnête)), ainsi François Mitterrand appréciait « Une Jeunesse Française » (Editions Fayard) au lendemain de la parution de l’ouvrage que Pierre Pean lui consacre. Je peux en dire autant du livre de Pascale Froment qui, entre autres révélations sur la vie publique et privée de René Bousquet, apporte de nouvelles lumières sur ses relations privilégiées avec le chef de l’Etat. Mais là n’est pas mon propos.

Le 8 juin 1992, l’ancien Secrétaire d’Etat à la police de Vichy était abattu dans son domicile parisien. L’action publique tendant à déférer René Bousquet devant la cour d’Assises pour crimes contre l’humanité était éteinte.

Sa responsabilité dans le domaine de la Défense Nationale qui fut le nôtre, ne l’est pas. Le 23 juin 1949, le crime «d’intelligence avec l’ennemi» n’ayant pas été retenu contre lui, Bousquet était condamné par la Haute Cour à la peine dérisoire de cinq ans de dégradation nationale dont il était, aux applaudissements de la foule (?), aussitôt relevé par la même juridiction.

Pascale Froment a le mérite d’analyser scrupuleusement l’instruction, le déroulement et la conclusion de cet étrange procès.

Dans le «ras-le-bol» général qui, quatre ans après la libération, pesait lourdement sur les derniers procès de l’épuration, René Bousquet a pu user de multiples relations, mettre en avant des actes de résistance (?) et bénéficier de la faiblesse d’une accusation pourtant révélatrice d’une intelligence avec l’ennemi que devait confirmer quarante ans plus tard, le dépouillement des archives allemandes saisies à Koblentz (1).

Je fus, en fait, le seul témoin à charge. Je dénonçais les effets dévastateurs de l’intrusion en zone libre, à la veille du débarquement allié en A.F.N. le 8 novembre 1942, des équipes du S.D. et de l’Abwehr, guidées et secondées par des policiers français mis à leur disposition par le Secrétaire Général pour la police. Dans cette phase cruciale de l’évolution du conflit, anglais et américains allaient être ainsi frustrés d’informations sur les réactions de la Wehrmacht, tandis que de valeureux patriotes étaient arrêtés, livrés à l’ennemi et déportés avec le concours des policiers français de Bousquet.

Que pouvait peser ma seule voix d’officier à la retraite, représentant isolé de réseaux de résistance et de renseignements issus d’une armée vaincue, dans ce prétoire engorgé de voyeurs, face à des jurés, ignorants pour la plupart des drames de l’occupation, indifférents à la notion de Défense Nationale et souvent de tendances politiques proches de celles de Bousquet…

Ainsi la Haute Cour l’acquittait. Je connais des dizaines de lampistes qui allèrent au poteau pour moins que cela… Le livre de Pascale Froment abonde en détails révélateurs d’une personnalité ambiguë, évoluant avec désinvolture au fil des temps dans une société toujours plus permissive, j’en retiens essentiellement, pour ma part, les pages d’où émergent avec quelques tares fondamentales de cette société, l’indifférence d’une élite à la notion de Défense et de Trahison.

(1) Rapport de Himmler à Hitler du 26 décembre 1942 sur l’arrestation de notre réseau d’écoutes sur le câble de la Wermacht Paris-Berlin, à la suite de la dénonciation spontanée de Bousquet à Oberg, chef de la police allemande en France.

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