Réflexions de Günther ANDERS sur la soumission des peuples (1956)
Extrait de « l’obsolescence de l’homme » publié en 1956 par Günther ANDERS
Commentaire AASSDN : Günther Anders (1902-1992) est un philosophe allemand né à Breslau en Pologne de famille juive, formé par Husserl et Heidegger. Il se tourne initialement vers le journalisme. Marié à Hannah Arendt dont il divorcera en 1937, il fuit l’Allemagne nazie et part aux États-Unis où il fréquente les exilés de l’école de Francfort, qui le sensibilisent à l’aliénation de la société marchande américaine. Il reviendra en Europe en 1950 et y résidera jusqu’à sa mort. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages aux titres provocateurs dont : « Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j’y fasse ? », « Nous, fils d’Eichmann », « l’humanité est en sursis ». L’AASSDN propose à la réflexion de ses lecteurs, un court extrait de son livre le plus connu : l’obsolescence de l’homme écrit en 1956. Alors qu’à cette époque les moyens de communication sont infiniment moins développés qu’aujourd’hui, il décrit avec beaucoup de clairvoyance et d’anticipation une situation qui ne nous est pas complètement étrangère aujourd’hui.
« … Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut surtout pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes archaïques comme celles d’Hitler sont nettement dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées… Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique le niveau & la qualité de l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations matérielles, médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste..… que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie.
Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements abrutissants, flattant toujours l’émotionnel, l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon avec un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de s’interroger, penser, réfléchir.
On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme anesthésiant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité, de la consommation deviennent le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.
Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur (qu’il faudra entretenir) sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions matérielles nécessaires au bonheur. L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un produit, un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité, son esprit critique est bon socialement, ce qui risquerait de l’éveiller doit être combattu, ridiculisé, étouffé… Toute doctrine remettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels … »