Soixante-dix ans après la chute de Dien Bien Phu, on ne peut qu’être agacé, pour ne pas dire plus, par les poncifs que ressort la presse à chaque occasion d’évoquer cette bataille. Même s’il n’est pas question de transformer ce qui fut une sanglante bataille d’usure en glorieuse victoire, il serait bon de rappeler quelques faits généralement passés sous silence.

La stratégie américaine et ses répercussions en Indochine

D’abord, la guerre d’Indochine fut, à partir de 1950, largement financée par les États-Unis qui équipèrent de matériel américain le corps expéditionnaire français d’Extrême Orient (CEFEO) et les armées associées, ce qui permit à de Lattre de redresser la situation face à un corps de bataille Vietminh fraîchement équipé par la Chine communiste, qui échoua à s’emparer du delta du Tonkin. Depuis qu’ils étaient impliqués dans la guerre de Corée sous la bannière de l’ONU en 1950, les Américains avaient compris que la lutte contre le communisme impliquait également le conflit indochinois qui n’était pas seulement une guerre de décolonisation. Mais Eisenhower, élu président en janvier 1953, avait décidé de « ramener les boys à la maison » et parvint à mettre un terme à la guerre de Corée par un armistice qui allait consacrer la division de la péninsule en deux pays à partir de juillet 1953, en dépit de la résolution votée à l’ONU de réunification des deux Corées. La suite logique de cette décision était de se dégager également du conflit indochinois par la partition de l’Indochine, ce qui allait advenir à l’été 1954 suivant lors des négociations de Genève.

Le commandement français face à la complexité du conflit

Dans ce contexte, concernant la France, il n’existait pas de coordination réelle entre le pouvoir politique et le commandement militaire assuré depuis mai 1953 par le général Navarre. Ce dernier était-il un mauvais choix ? Il avait accepté ce poste dont personne ne voulait et qu’il savait risqué. Il était intelligent et capable, mais c’était un inconnu du grand public. Alphonse Juin, maréchal depuis 1952, avait refusé ce poste, alors qu’avec la renommée qu’il s’était acquise depuis la campagne d’Italie, il aurait disposé, pour obtenir des renforcements, de moyens de pression sur les politiques bien supérieurs à ceux de Navarre. Ce dernier avait présenté un plan d’action sur deux ans accepté par l’état-major et les décideurs politiques qui, de leur côté, n’avaient pas fait preuve de leurs intentions précises, s’ils en avaient. Ils lui refusèrent par la suite les renforts terrestres et aériens qu’il demandait pour permettre la mise en œuvre de son plan.

L’impact de l’aide chinoise au Vietminh

Pourtant, initialement, Navarre réussit plutôt bien ses premières opérations, mais à partir de juillet 1953 il devenait difficile, pour lui comme pour ceux qui connaissaient mieux le théâtre, d’évaluer dans quelle mesure la Chine communiste, désormais libérée du conflit coréen, allait accroître son aide au Vietminh. Cette aide, qui se manifesta en artillerie sol-sol et sol-air, en milliers de tonnes d’obus et de munitions, en centaines de camions pour la logistique, et en de nombreux conseillers techniques chinois, allait modifier considérablement les données du problème. De plus, le gouvernement français, qui reconnaissait des gouvernements vietnamien, cambodgien et laotien dans le cadre de l’Union française, avait proposé à ces pays des accords de défense que seul le Laos avait signés. Or, à l’automne 1953, ce pays était directement menacé par l’avancée du corps de bataille Vietminh. Navarre considéra qu’il fallait appliquer ces accords qui engageaient la crédibilité de la France et mit en œuvre un plan déjà envisagé l’année précédente par son prédécesseur, Raoul Salan : gêner l’avance du Vietminh et protéger de l’invasion le nord du Laos en créant une base aéroterrestre à Dien Bien Phu, ce qui fut fait en novembre 1953.

Dien Bien Phu : une base aéroterrestre controversée

Sans entrer dans les détails de la bataille, rappelons ce que représenta en effectifs le Groupement Opérationnel du Nord-Ouest (GONO), la garnison de Dien Bien Phu : 10 800 hommes, renforcés par 4 200 hommes parachutés au cours de la bataille, soit 15 000 au total. Ce chiffre est à comparer aux 245 000 hommes du Corps expéditionnaire français (CEFEO) et de ses supplétifs, et aux 225 000 hommes des armées associées, soit 470 000 hommes déployés en Indochine. À Dien Bien Phu, le GONO ne représentait que 5 % de l’effectif total, et sa destruction, même si c’était une perte douloureuse, ne pouvait pas être considérée sur un plan purement militaire comme une défaite décisive, d’autant que pour parvenir à ce résultat, Giap avait mobilisé et usé pendant six mois l’essentiel du corps de bataille Vietminh. En l’absence de chiffres exacts concernant ce dernier, on peut estimer ses pertes à plus de 30 000 tués et blessés non récupérables, au point que l’ultime offensive fut menée par une majorité de jeunes soldats sans expérience venus combler les pertes. Au 7 mai 1954, le corps de bataille Vietminh, vainqueur, était trop affaibli pour mener une offensive contre le delta du Tonkin où se trouvait l’essentiel du CEFEO, et il n’essaya d’ailleurs pas. Militairement, c’était une victoire à la Pyrrhus, trop coûteuse par rapport aux résultats obtenus.

Une victoire à la Pyrrhus pour le Vietminh

Mais, en mettant hors de combat, quel qu’en soit le prix, les 15 000 hommes de Dien Bien Phu, Ho Chi Minh avait visé surtout une victoire médiatique au moment où commençaient les négociations à Genève. Et il obtint cette victoire en France métropolitaine où l’on était fatigué du conflit et où un parti communiste important souhaitait la défaite de l’armée française. Cette victoire médiatique se transforma en victoire politique avec les accords signés à Genève qui débouchaient en août sur la partition de l’Indochine dans des conditions qu’Ho Chi Minh n’avait pas espéré aussi satisfaisantes pour le Vietminh.

La contribution et le sacrifice des Indochinois anti-communistes

Soixante-dix ans plus tard, c’est le récit médiatique du Vietminh qui prévaut toujours : on continue d’admirer la détermination d’un Ho Chi Minh et la stratégie d’un Giap, et d’imaginer un peuple uni derrière lui pour obtenir à tout prix son indépendance. Mais quelle indépendance ? On oublie qu’il s’agissait d’une dictature impitoyable contre laquelle ont lutté de nombreux Vietnamiens. En effet, les 225 000 hommes des armées associées au CEFEO étaient bien des Indochinois, auxquels il faut ajouter, au sein du CEFEO lui-même, près de 110 000 hommes, engagés et supplétifs, car les unités françaises lors de leurs séjours de deux ans comblaient leurs pertes sur place en se « jaunissant », sans oublier les 30 000 Nord-Africains, les 18 000 Africains et les 20 000 légionnaires, pour 55 000 Français de souche fournissant l’essentiel de l’encadrement. À Dien Bien Phu, dont la garnison reflétait bien l’essentiel de l’Union française, des unités aussi célèbres que les bataillons paras du 1er BEP et du 2/1 RCP étaient composées à 50 % de Vietnamiens. Le 6ème BPC, le « bataillon Bigeard », en comprenait 30 %, sans parler du 5ème BPVN, intégralement vietnamien. On doit également rappeler que sur les 1 520 volontaires individuels qui renforcèrent la garnison pendant la bataille et dont 620 n’avaient jamais sauté en parachute, plus de 800 étaient des Vietnamiens. En définitive, Dien Bien Phu fut largement une bataille entre Vietnamiens.

L’oubli des prisonniers et des victimes vietnamiennes du conflit

Sur les quelque 10 800 prisonniers dirigés vers les camps Vietminh, il n’en a été libéré après les accords de Genève que 3 299. Sur les 39 888 prisonniers identifiés de la guerre d’Indochine, il n’en a été libéré que 9 934 au total. Où sont passés les autres ? Cette question n’a jamais hanté les grandes consciences de la gauche française, ni même les dirigeants de notre pays, désormais très soucieux de s’excuser d’avoir été des « colonisateurs ». Beaucoup sont morts d’épuisement, de maladie et de faim sans que

, soixante-dix ans plus tard, cela déclenche beaucoup de commentaires, alors qu’il serait assez normal de demander des comptes sur le traitement inhumain de ces prisonniers. Mais beaucoup n’ont tout simplement pas été rendus parce qu’ils étaient Vietnamiens.

Le Sud-Vietnam : continuité de la lutte contre le communisme

Le silence s’est fait sur ces Vietnamiens qui refusaient un avenir communiste pour leur pays. Ils constituèrent, avec les centaines de milliers de catholiques qui quittèrent le Tonkin pour le sud après juillet 1954, l’ossature de l’armée et de l’administration du Sud-Vietnam qui allait connaître dès le début des années 60 une nouvelle guerre provoquée par les infiltrations venues du nord du Vietminh rebaptisé « Vietcong ». En France, il fut de bon ton de critiquer l’aide américaine au Sud-Vietnam qui s’accrut massivement de 1965 à 1968, et de considérer comme « corrompus » les responsables de ces Sud-Vietnamiens qui ne voulaient pas devenir communistes. Ils tinrent pourtant jusqu’en 1975, après la fin de l’aide américaine qui avait cessé au sol dès 1972 et cessa complètement en 1974 à la suite de l’affaire du « Watergate » aux États-Unis, alors qu’au même moment l’URSS aidait massivement le Nord Vietnam dans son ultime offensive de 1975. Les Occidentaux ne recommencèrent à s’inquiéter pour les Sud-Vietnamiens que lorsque des dizaines de milliers de « boat people » tentèrent par tous les moyens d’échapper à l’enfer communiste, et lorsqu’on assista au Cambodge à la monstrueuse tragédie orchestrée par les communistes Khmers rouges.

Réévaluation du rôle de l’armée française et de ses alliés indigènes

Il est compréhensible que 70 ans après la fin des combats les responsables politiques français tentent un rapprochement avec les dirigeants vietnamiens, diplomatie oblige. Mais il serait bon qu’ils n’en fassent pas trop et maintiennent quelque distance avec ce qui demeure une dictature communiste à parti unique, où l’on est tenu de vénérer le cadavre de l’homme-dieu Ho Chi Minh, et où la persécution des religions, et en particulier des catholiques, continue, tout cela alors même que nos dirigeants politiques se gargarisent de démocratie et de lutte contre les dictatures.

L’héritage de Marcel Bigeard et la reconnaissance de son sacrifice

Un dernier point concerne Marcel Bigeard, que les uns et les autres aiment bien évoquer. Bigeard, caporal appelé en 1936 avec pour tout bagage un certificat d’études, mobilisé en 1939, sergent puis adjudant des corps francs en 1940, prisonnier puis évadé, rejoignant l’Afrique du Nord pour être parachuté en France en 1944 comme responsable d’un maquis, puis effectuant trois séjours en Indochine où il se forgea une légende, âme de la défense et organisateur des contre-attaques à Dien Bien Phu, commandant de régiment en Algérie avant d’accéder aux étoiles puis d’être secrétaire d’État à la Défense, demeure pour les Français un symbole. À travers les désastres et les épreuves, ce Français d’origine modeste n’a jamais douté de son pays et a toujours continué à le servir avec talent et sans faiblir. Il voulait que ses cendres soient dispersées sur le champ de bataille de Dien Bien Phu, ce que l’obtus gouvernement vietnamien a refusé. Au vu de ce qu’il représente dans l’histoire militaire de notre pays, la place de ses cendres est aux Invalides. On ne désespère pas que des responsables politiques courageux prennent enfin cette décision qui serait un beau point final pour ces commémorations et un bel hommage rendu aux centurions que la France sacrifia sur l’autel de la décolonisation.

Les relations franco-vietnamiennes à l’épreuve de l’histoire

Il est compréhensible que 70 ans après la fin des combats les responsables politiques français tentent un rapprochement avec les dirigeants vietnamiens, diplomatie oblige. Mais il serait bon qu’ils n’en fassent pas trop et maintiennent quelque distance avec ce qui demeure une dictature communiste à parti unique, où l’on est tenu de vénérer le cadavre de l’homme-dieu Ho Chi Minh, et où la persécution des religions, et en particulier des catholiques, continue, tout cela alors même que nos dirigeants politiques se gargarisent de démocratie et de lutte contre les dictatures.

Un appel à une mémoire équilibrée et honnête du conflit indochinois

Un dernier point concerne Marcel Bigeard, que les uns et les autres aiment bien évoquer. Bigeard, caporal appelé en 1936 avec pour tout bagage un certificat d’études, mobilisé en 1939, sergent puis adjudant des corps francs en 1940, prisonnier puis évadé, rejoignant l’Afrique du Nord pour être parachuté en France en 1944 comme responsable d’un maquis, puis effectuant trois séjours en Indochine où il se forgea une légende, âme de la défense et organisateur des contre-attaques à Dien Bien Phu, commandant de régiment en Algérie avant d’accéder aux étoiles puis d’être secrétaire d’État à la Défense, demeure pour les Français un symbole. À travers les désastres et les épreuves, ce Français d’origine modeste n’a jamais douté de son pays et a toujours continué à le servir avec talent et sans faiblir. Il voulait que ses cendres soient dispersées sur le champ de bataille de Dien Bien Phu, ce que l’obtus gouvernement vietnamien a refusé. Au vu de ce qu’il représente dans l’histoire militaire de notre pays, la place de ses cendres est aux Invalides. On ne désespère pas que des responsables politiques courageux prennent enfin cette décision qui serait un beau point final pour ces commémorations et un bel hommage rendu aux centurions que la France sacrifia sur l’autel de la décolonisation.

Le capitaine Marcel Bigeard, nommé lieutenant-colonel lors des combats à Diên Biên Phu avant d’être fait prisonnier
Membres du Bataillon français : Environ 4.000 soldats français et près de 10.000 combattants du viêtminh ont perdu la vie à Diên Biên Phu
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