Nous publions ci-après la suite (et fin) d’extraits d’une étude réalisée par des historiens allemands en collaboration avec des officiers supérieurs de la Wehrmacht et en utilisant les ressources inédites des archives allemandes.
L’impact du Plan ” Fortitude “
Mais, à ce moment déjà, la défense contre un débarquement allié était depuis longtemps une entreprise manquée. Il restait encore à préciser dans quelle mesure les Allemands furent surpris par le lieu et l’instant de l’attaque. L’abondante littérature qui traite de ce sujet est – c’est le moins qu’on puisse dire – pleine de contradictions.
Ce qui est sûr, c’est que le Commandement avait été submergé d’informations contradictoires. Mais, à cette époque, il ne lançait presque plus de reconnaissances aériennes sur le Sud de l’Angleterre, et les rares rapports d’agents (18) qui arrivaient encore de Grande-Bretagne étaient tout juste bons pour la corbeille à papiers, – ce que, bien sûr, on n’avouait pas alors. On n’attribuait de la valeur qu’aux résultats de l’écoute et de la surveillance du trafic radio écoulé par la Résistance et par les agents de renseignement alliés.
Mais dans leur exploitation et leur transmission, il se produisit encore des défaillances qui auraient pu être évitées, et qui sont peut-être imputables au fait que la vigilance des États-majors avait été progressivement émoussée par le flot d’informations qu’ils recevaient depuis déjà longtemps. Un handicap supplémentaire, dû à l’efficacité du plan ” Fortitude “, fut le fait que jusqu’au mois de juillet, tous les Commandements du front Ouest considéraient encore le débarquement de Normandie comme une manoeuvre de diversion, et attendaient toujours le débarquement principal dans le Pas-de-Calais, dans la zone de la 15e Armée.
Ainsi s’explique l’emploi parcimonieux des forces dont ils disposaient. D’ailleurs, quelque fût l’importance des forces engagées, toutes les contre-attaques allemandes étaient mises en échec par les effets dévastateurs de l’aviation et de l’artillerie alliées. Toutes les attaques étaient irrémédiablement stoppées, au plus tard, dans la zone battue par l’artillerie des navires ennemis.
L’acheminement des réserves demandait des délais indéterminés. Mais, dès que l’adversaire pouvait passer à la guerre de mouvements, alors la disproportion des forces en personnel et surtout en matériel faisait sentir pleinement ses effets. Par suite de la défaillance de leur aviation – qui entraînait ipso facto la défaillance de l’observation aérienne, les Allemands combattaient en enfants perdus.
Le Commandant en Chef ne pouvait qu’ordonner à ses troupes, entre-temps déjà fort malmenées, de tenir le front quoi qu’il advint :” Et si aucun moyen de secours ne vient améliorer radicalement notre situation, il faudra mourir avec honneur sur le champ de bataille !” (19).
A la fin du mois de juillet, le groupe d’armées B avait perdu 393 chars, 60 canons d’assaut, 150 véhicules blindés et 4.200 camions (20) . Les pertes en hommes s’élevaient à 80.000 le 7 juillet, à 159. 000 le 13 août, dont 10 à 30.000 réservistes (21) .
Rommel et le Commandant en Chef Ouest, von Kluge, attendaient de Hitler qu’il tire les conséquences – d’ailleurs non précisées – de ce combat inégal et sans espoir.
Les événements s’étaient déroulés à peu près comme Hitler l’avait imaginé presque deux ans auparavant: ” On devra compter sur l’emploi de 3 à 4.000 engins de débarquement. La première action aura lieu de nuit. L’adversaire utilisera des groupes de sabotage en France, pour couper les réseaux de communications et les liaisons, attaquer par surprise les États-majors, etc…, ainsi que des troupes parachutées et débarquées par planeurs. Le comportement des Français, dans de telles circonstances, est incertain. Le débarquement débutera à l’aube, avec l’engagement de nouvelles forces parachutées, des attaques sur 100 points différents et des débarquements lourds dans deux ou trois zones distinctes. L’adversaire disposera de la supériorité aérienne ” (cf 21) Le déroulement des combats a été exposé à maintes reprises, et l’on se dispensera d’y revenir. Des divergences d’opinion entre chefs des troupes combattantes et direction suprême de la guerre caractérisèrent également les étapes suivantes.
Même entre les chefs engagés dans la bataille, il n’existait pas d’unité de doctrine sur des questions tactiques, comme l’emploi des forces blindées (22) . Le seul point d’accord était qu’au surplus, quelle que soit la manière de conduire la lutte, il n’existait pas de chance de succès.
L’armée allemande ne parviendrait qu’au prix de lourdes pertes à ramener ses troupes sur ses propres frontières occidentales, après avoir reconnu trop tard des positions de repli où des travaux n’avaient pas encore été exécutés. L’Ouest et le Sud de la France ne pourraient, au mieux, être tenus, avec les faibles forces qui les occupaient, que jusqu’au jour où aurait lieu un débarquement en Provence. Et même avant, ces territoires risquaient d’être coupés par la progression des Américains sur la ligne de la Loire. Il ne restait plus que deux solutions : se replier sur les secteurs fortifiés, ou effectuer une retraite rapide en direction de Dijon ; mais le passage obligé par l’étroite vallée du Rhône serait fort pénible pour les troupes, les États-majors et tout ce qui escortait la Wehrmacht dans le Sud de la France.
(18) Ces agents étaient en réalité des agents de pénétration alliés (W). En dépit de ses efforts (parachutages et dépôts d’agents par bateau sur les côtes britanniques) de l’Abwehr, il est permis d’affirmer qu’il n’était plus aucun espion du IIIe Reich en mesure de fonctionner dans les îles.
(19) Von Kluge à ses Généraux le 21 juillet 1944
(20) CR du Commandant en Chef Gl. B. du 29 juillet 1944
(21) Propos de Hitler du 2 août 1942
(22) Général von Schweppenburg – 6 juin – 7 juillet 1944
L’effort allemand et la situation intérieure de la France
Par comparaison avec le débarquement de Normandie, toutes les questions économiques et politiques, ainsi que la sécurité militaire à l’intérieur de la France, étaient d’une importance secondaire. Ce qui passait avant tout dans les préoccupations de Hitler, c’était que le succès ou l’échec du débarquement aurait une influence décisive sur l’issue de la guerre. A la différence des autres fronts, l’abandon de vastes territoires sur le front ouest signifiait que le Reich lui-même, et en particulier la Ruhr, seraient immédiatement menacés. A vrai dire, en 1944, le gouvernement français de Vichy ne jouait plus en aucune manière un rôle de partenaire dans la politique de Hitler.
La France n’intéressait plus le Führer que dans la mesure où elle pouvait fournir à l’économie de guerre allemande la main-d’oeuvre, les matières premières (bauxite, wolfram), les produits finis et les vivres dont elle avait un urgent besoin.
Le transport de toutes les marchandises devenait, certes de plus en plus difficile, et l’utilisation de main-d’oeuvre française à l’intérieur du Reich avait en 1944, presque complètement cessé.
La plupart des organismes militaires et civils allemands dans les territoires occupés avaient renoncé à pratiquer la déportation de main-d’oeuvre, en raison des conséquences fâcheuses qui s’ensuivaient. A cet égard, Laval avait pour seul adversaire le ” Commissaire Général à l’emploi de la main-d’oeuvre “, le Gauleiter Sauckel ; mais celui-ci ne parvint pas à imposer ses vues à Hitler, ni à s’opposer à Speer et aux effets de l’accord Speer-Bichelonne (23) .
Le programme de Sauckel, qui comportait le recrutement d’un million de travailleurs français à envoyer en Allemagne, et d’un autre million à affecter aux industries françaises travaillant pour l’Allemagne, ne peut donc pas être réalisé. D’autres plans, tels que l’évacuation des gens aptes au travail habitant les zones côtières, à l’arrière du front ou dans les centres de Résistance, étaient pratiquement inexécutables du seul point de vue technique. Au lieu du million prévu pour 1944, Sauckel parvint tout juste à fournir encore à l’Allemagne quelque 50.000 travailleurs : principalement, des réfractaires au Service du travail obligatoire, arrêtés au cours de la lutte contre les maquis, et des membres des partis de collaboration, qui commençaient à se préoccuper de leur avenir.
Du gouvernement de Vichy, qu’ils contrôlaient étroitement, et dont la résistance passive ne les surprenait pas, les Allemands attendaient en premier lieu qu’il accepte les mesures prises par eux, et qu’il incite l’administration et la population à se bien conduire. Les deux proclamations pour le jour X (du débarquement), péniblement négociées, ne satisfaisaient pas la partie allemande. Mais en fait, cela n’avait guère d’importance, car le sort des pays occupés de l’ouest dépendait uniquement de l’issue de la lutte contre les envahisseurs.
De même, la puissance occupante ne surestimait nullement la valeur du petit groupe de Français partisans de l’Allemagne. Les partis de la collaboration et leurs divers représentants avaient encore une certaine utilité dans la mesure où ils constituaient un moyen de pression sur le gouvernement de Vichy et pouvaient servir d’auxiliaires pour l’exécution des réquisitions de main-d’oeuvre et pour le maintien de l’ordre.
La police de sûreté et le SD avaient appris que Bousquet aurait adressé aux Préfets l’ordre secret de faire arrêter, en cas de débarquement allié, les chefs de la Milice et des partis collaborateurs, sous l’inculpation de trahison. On pouvait donc encore se fier à des gens de cette espèce parce qu’on les tenait bien en main. Mais les groupes paramilitaires qu’ils constituaient ne pouvaient pas améliorer de façon notable la situation allemande.
(23) NDLR : Bichelonne, Secrétaire d’État au Travail du Gouvernement Laval avait conclu en décembre 1943 avec Speer, son homologue allemand un accord de planification des économies françaises et allemandes. Il en résulta que 723 124 ouvriers français furent écartés du STO
Milice et Franc-Garde – La Résistance française
Ces considérations s’appliquaient aussi à la Milice qui prenait une part active à la lutte contre la Résistance. Depuis janvier 1943, elle représentait essentiellement une sorte de police auxiliaire dans les zones nouvellement occupées et était l’objet d’une surveillance attentive de la part des Allemands (24) .
Des agents, recrutés dans la population locale, fournissaient des rapports circonstanciés. Les Allemands apprirent ainsi que ” Darnand serait un soldat loyal et strict, intellectuellement très moyen, mauvais politicien, mais adepte convaincu de la collaboration franco-allemande “, et que son adjoint, Jean Bout de l’An, possédait ” un tempérament résolument combatif ” (25) .
Selon les informations allemandes, la Milice comprenait encore, au milieu de 1943, un minimum de 30.000 hommes ; mais depuis cette date, ses effectifs avaient diminué (26) . Il en était de même pour sa partie active et militaire, la Franc-Garde, qui comptait environ 13.000 hommes. C’était dans ses rangs que se recrutaient pour partie les formations françaises de volontaires, l’unité ” Charlemagne ” et la ” Légion des Volontaires contre le Bolchevisme “. On avait songé à employer la Légion dans la lutte contre la Résistance française. Mais Hitler avait abandonné cette idée. Les Allemands s’intéressaient surtout aux volontaires unis de la Franc-Garde, encasernés depuis l’automne 1943, – environ 30 hommes par département -, pour lesquels Darnand cherchait lui aussi un emploi.
Il trouva un accueil favorable auprès de la police allemande, en la personne du Commandant de la Police et du SD. Alors que les autorités allemandes, tant civiles que militaires, n’attribuaient aucune importance particulière à la Milice ordinaire, et envisageaient même l’éventualité de l’interner en cas de débarquement ennemi, elles prirent au contraire en considération l’armement supérieur de la Franc-Garde encasernée (27) et la police de sûreté résolut de l’utiliser pour certaines de ses propres missions.
Étant donné le caractère tendu de la situation en effectifs, il n’était évidemment pas question de l’encadrer par des sous-officiers allemands. Les Allemands pensèrent qu’ils pouvaient faire confiance à quelques 600 miliciens qui, en étroit contact avec le SD, participèrent dès le début de 1944 à la lutte contre les maquis dans le sud de la France.
Du point de vue politique, l’Allemagne ne tenait pas à enlever au Ministère français de l’Intérieur et à sa police la responsabilité de la répression de la Résistance armée. La fiction de la souveraineté française pouvait être maintenue, aussi longtemps qu’elle n’allait pas à l’encontre des intérêts allemands. En outre, il fallait assurer à la collaboration des moyens d’autodéfense et, pour cela, étendre le domaine de la Milice à la zone anciennement occupée (28) ; ce qui fut fait, avec l’agrément du Commandant militaire allemand en France du 24 janvier 1944, après que Laval y eut consenti.
Du point de vue allemand, l’organisation de la Milice s’était consolidée au cours du printemps 1944. On estimait que ses premiers succès remportés sur la Résistance lui avaient donné confiance, et les effectifs avaient retrouvé leur niveau du milieu de 1943 (29) . La méfiance antérieure ne paraissait plus justifiée, même aux yeux des militaires, alors que la Milice dénombrait déjà dans ses rangs 85 victimes à la date du 1er mars 1944, et que, depuis décembre 1943, elle avait fait ses preuves d’une façon ” manifestement remarquable ” sous le contrôle du Commandant en Chef de la Police et des SS, le Général Oberg.
Par ailleurs, il existait dans la zone anciennement occupée des groupes paramilitaires dépendant des partis collaborateurs, dont l’existence avait été autorisée par le Commandant militaire en France au cours de l’été 1943, après que les organes de police allemands se furent assurés de leur sérieux et les eurent pris sous leur contrôle (30).
Bien que constitués en grande partie d’éléments criminels, ils devaient recevoir des missions ” correspondant aux intérêts français, notamment le maintien de l’ordre et de la paix publique, la protection des installations de ravitaillement, des entreprises de transports, etc… “. Il était prévu à l’origine que leur instruction devait se borner à les rendre aptes à se défendre eux-mêmes.
Mais, entre les mains de la police allemande, ces formations se muèrent en groupes terroristes, exactement comme le firent les sbires recrutés par la police de sûreté, qu’on nommait la ” Gestapo française “. Après deux semaines d’instruction par les SS, elles devaient être employées, sous commandement allemand, à la lutte contre les maquis et à des missions de gardiennage (cf 30).
Sur un effectif total d’environ 1.000 hommes prévu au départ, il n’en existait que 100 permanents au début de février (31) et 160 en mars ; en collaboration avec la Wehrmacht, en particulier la Feldgendarmerie, mais surtout avec le SD, ils participèrent jusqu’à la retraite allemande à l’arrestation de réfractaires du STO et à l’exécution de résistants (32) .
De même, l’utilisation d’un ” corps de défense ” de 1.700 hommes, mis sur pied par Sauckel et le PPF de Doriot avec pour but initial l’arrestation des réfractaires du STO, connut un échec analogue. La cause de tous ces expédients résidait dans la faiblesse en effectifs des unités de police envoyées en France. La police de sûreté, comme celle de maintien de l’ordre, avait connu dès le début de la guerre des problèmes de personnels que l’extension du domaine de souveraineté allemande, surtout en direction de l’Est et des Balkans, avait rendus absolument insolubles.
Comme Himmler s’efforçait en outre d’absorber peu à peu l’Administration policière de ces territoires, la réalisation des programmes prévus pour des motifs politiques ou idéologiques était forcément en retard, du point de vue des personnels, sur les prévisions initiales.
En ce qui concerne la France, les quelques milliers de membres de la police de sûreté et du SD – même assistés d’un nombre considérable d’agents, d’auxiliaires et de dénonciateurs recrutés sur place – auxquels il faut ajouter moins de 10.000 membres de la police de maintien de l’ordre, ne suffisaient pas à la tâche (33) .
Ils étaient pour la plupart employés dans les états-majors, les écoles, les organismes de ravitaillement ou les écoutes radio. En fait d’unités disponibles, on ne pouvait compter avec certitude que sur le 19e régiment de police et sur une unité d’instruction de volontaires SS originaires de Galicie, stationnée à Tarbes ; encore cette dernière fut-elle dissoute en juin 1944.
Ainsi la police, répartie en de nombreuses localités, n’avait pas une grande efficacité pour la répression de la Résistance. La police de sûreté et le SD (34) , qui, sous prétexte de sécurité, internèrent encore en 1944 des milliers de Français dans les camps de concentration et poursuivirent les déportations de Juifs jusqu’au milieu de l’été, servaient surtout d’organes de renseignements pour le combat intérieur, bien plus que les services militaires de contre-espionnage en voie de dislocation et qui s’occupaient en premier lieu des cas de trahison qui se multipliaient dans la Wehrmacht.
(24) Rapport Oberg du 28 août 1943
(25) Rapport du 1er décembre 1943 de la commission allemande d’Armistice n° 9
(26) Rapport Oberg du 23 novembre 1943
(27) Abwehr III du 13 janvier 1944
(28) Rapport n° 9 de la commission d’armistice
(29) Lettre n° 3746/43 g du 25 juillet 1943
(30) Directive Oberg n° 186/44 g du 12 février 1944
(31) Télégramme Oberg à Himmler du 5 février 1944
(32) Rapport KDS Rennes
(33) Télégramme Oberg à Himmler du 24 mars 1944
(34) Depuis fin 1942, le SD se substituait progressivement à l’Abwehr III pour aboutir en 1943 à la dissolution de l’Abwehr et à la création des Kommandos
La lutte contre la Résistance et les Maquis
C’est aussi le manque d’énergie qui caractérisa la lutte menée par les militaires allemands contre la Résistance française armée ; celle-ci ne présenta à leurs yeux qu’une importance secondaire, tant que la sécurité des troupes ne leur sembla pas sérieusement menacée, – menace qui ne se réalisa que tardivement. Le fait qu’à partir du début de 1944, des zones du sud de la France passèrent sous le contrôle de la Résistance, n’inquiéta pas trop les Allemands, dans la mesure où leur liberté de mouvements n’en fut pas non plus très affectée.
Ils parvenaient à maintenir ouvertes les principales voies de communications – la vallée du Rhône et, dans la région de Toulouse, la liaison entre troupes de la Méditerranée et de l’Atlantique -, et à empêcher par des opérations isolées, la formation de groupes de maquis plus importants qui auraient pu constituer une menace du point de vue militaire. Mais ils ne pouvaient se permettre une plus grande activité, compte tenu des forces dont ils disposaient, bien que les objectifs officiels, constamment soulignés par l’OKW et le Commandant en Chef Ouest, fussent toujours l’anéantissement des groupes de résistants avant le débarquement ennemi attendu.
Le principal problème posé aux Allemands, au cours du printemps 1944, fut le sabotage du trafic téléphonique et ferroviaire. Les États-majors allemands recevaient leurs instructions par le réseau téléphonique français, et possédaient en général des équipements radio insuffisants. Ils étaient souvent désarmés devant les coups portés par la Résistance et l’aviation alliée aux réseaux de voies ferrées, devant les destructions de locomotives, de gares de triage et d’ouvrages d’art.
Ni la surveillance des voies, ni les plans de secours prévoyant l’emploi de cheminots allemands ne purent remédier à la précarité de la situation. Il n’y avait pas de coordination, du côté allemand, dans la lutte contre la Résistance. Le territoire était divisé en zone des Armées, qui s’étendait le long des côtes, et zone de sécurité du Commandant militaire en France.
On peut négliger, à cet égard, les règles particulières qui s’appliquaient à la zone des Armées du Sud de la France ou à la zone de combat des côtes méditerranéennes. Les armées constituaient dans leur zone, – et dans la mesure où le déploiement continu qu’elles devaient maintenir le long des côtes le leur permettait -, des groupes de combat ou des commandos de chasse ; ceux-ci appuyés éventuellement par l’aviation, pénétraient dans les centres de maquis préalablement reconnus, et y progressaient brutalement.
Le Commandant militaire en France procédait de même avec les troupes d’occupation dont il disposait (environ 18 régiments de sécurité, composés de 66 bataillons allemands, et 29 bataillons autonomes constitués en grande partie de troupes originaires de l’Est, dans la mesure où ces forces n’étaient pas affectées à la défense des côtes ou à des missions de surveillance. Il pouvait en outre utiliser les quelques divisions de réserve qui avaient été envoyées en France à des fins d’instruction sous la conduite de leurs propres états-majors, et qu’on engageait dans des opérations de ce genre dès que leur valeur combative le permettait.
La participation de la Milice à ces entreprises était souvent considérée comme insuffisante : on disait ” qu’elle ne fusillait pas assez de gens et qu’elle n’incendiait pas assez de maisons ” (35) . Pour le mois d’avril 1944, le bilan de trois grandes opérations et de 138 petites, menées par les unités de l’armée, la Feldgendarmerie et le SD, fut de 569 résistants tués, 4.463 capturés, et 528 personnes récupérées pour le STO. Les pertes allemandes étaient seulement de 29 tués et 51 blessés (36) . Pour la seule région du Massif Central, le Commandant militaire en France signala 2.000 adversaires tués au cours des premières semaines qui suivirent le débarquement de Normandie. La brutalité de la lutte contre le maquis atteignit son point culminant pendant la première moitié du mois de juin.
Le cadre en avait été fixé par les ordres du Commandant en Chef Ouest et du Commandant militaire en France, selon lesquels toute troupe attaquée devait immédiatement répliquer par le feu, arrêter tous les suspects et incendier les maisons d’où l’on avait tiré sur elle.
En outre, dès le mois de mars, l’OKW avait ordonné de tuer autant que possible au cours des combats les résistants, considérés comme des francs-tireurs. S’ils étaient capturés par la suite, ils devaient être condamnés à mort, en application des stipulations du droit allemand. Alors que certains groupes de résistants s’efforçaient de faire reconnaître leur qualité de combattants et, autant qu’on peut en juger, traitaient généralement leurs prisonniers de façon plus humaine que la puissance occupante, toutes les initiatives locales visant à un comportement plus souple, telles que l’échange de prisonniers ou la garantie d’impunité en cas de reddition, furent stoppées par le Haut Commandement. Seuls, les massacres de juin, à Oradour ou à Tulle par exemple, incitèrent quelques commandants de troupes à une certaine modération. Pendant la période de l’occupation, les stratèges allemands n’attribuaient pas au maquis une grande importance militaire, surtout dans la zone anciennement occupée (37) .
C’est seulement en juillet 1944 que des convois assez importants de la Wehrmacht furent menacés par des embuscades dans les Alpes, et que la retraite du Sud de la France rencontra des obstacles du fait des forces de la Résistance.
Par un ordre qui tomba entre leurs mains, les Allemands apprirent que la Résistance avait reçu pour instructions, en faisant l’effort principal dans le Massif Central et les Alpes, de repousser les postes secondaires allemands et les éléments de troupes isolées sur un petit nombre de centres, et de prendre sous son contrôle les pays ainsi libérés.
” Ce dernier objectif est déjà en partie atteint ” (38) . De nombreux postes de commandement furent alors encerclés, et ne purent rejoindre le gros des troupes en dépit d’une retraite précipitée. Il n’était déjà plus possible d’exécuter des contre-attaques qui, même auparavant, n’avaient pour principal résultat que de faire reculer les forces de la Résistance et de rétablir la présence allemande pour quelque temps seulement.
Les Allemands durent assister à la mobilisation planifiée de la Résistance – ses effectifs, à sa propre surprise, s’élevèrent au cours de l’été 1944 à environ 60.000 à 80.000 hommes -, sans pouvoir mieux réagir contre elle que contre l’action conjuguée de ses troupes de sabotage et de l’aviation alliée.
En Bretagne existait le ” danger menaçant et de plus en plus grave ” (39) que la Résistance fasse sa jonction avec l’adversaire débarqué ou passe à l’attaque des liaisons arrières de la Wehrmacht. Mais comme les Allemands croyaient savoir que le Commandement de la Résistance était encore mal organisé, ils estimèrent qu’il suffisait pour la combattre, de moyens policiers appuyés par les troupes de sécurité, que leur faiblesse permettait de retirer du front sans inconvénient majeur (40) .
Entre le 1er juin et le 10 juillet, on compta dans la zone du Groupe d’Armées B, 638 résistants tués et 1.200 faits prisonniers. Nos propres pertes s’élevèrent à 25 soldats. Même s’il n’est pas possible de considérer ces chiffres comme absolument sûrs, et si l’on ajoute que la généralisation du mouvement d’insurrection rendit aussi bientôt nécessaire l’emploi de troupes combattantes dans la zone arrière de l’Est de la France, on doit pourtant reconnaître que cela ne pesait plus d’un grand poids en regard de la dislocation générale du front Ouest et de l’Administration occupante.
Face à la supériorité en personnel et en matériel des forces alliées, la guerre à l’Ouest était perdue, et la Résistance pouvait bien donner en outre quelques coups d’épingle encore sensibles aux Allemands affaiblis, et de moins en moins capables d’y répondre.
L’Allemagne était réduite – et c’était particulièrement évident à l’Ouest -, à mener désormais, selon l’expression de Speidel, une ” guerre de gueux ” qui devait nécessairement trouver bientôt son terme fatal.
(35) Rapport sur l’opération ” Printemps ” de la 157e Division de Réserve dans le Jura du 7 au 17 avril 1944
(36) OBW du 6 mai 1944
(37) Keitel et Jode
(38) Rapport du Groupe d’Armes G n° 1859/44 du 14 août 1944: OBW
(39) Rapport du Groupe B à OBW n° 2650/44 du 15 juillet (?) 44
(40) Ordre de l’OBW 2734/44 du 1er septembre 1944 concernant la lutte contre les partisans