Avant d’être une affaire d’État, le renseignement est en premier lieu une affaire de l’État. La distinction résume implicitement l’ambition d’une histoire politique du secret dans la société et l’État, à l’épreuve des relations internationales.

Aussi cette étude a-t-elle pour objet une histoire générale des services spéciaux militaires, de l’autorité politique et des pouvoirs publics en France dans la mise en oeuvre de la sécurité nationale de 1918 à 1939. Si la chronologie s’étire d’une guerre à l’autre, de l’armistice du 11 novembre 1918 à la déclaration de la guerre en septembre 1939, les regards en amont de la guerre de 1914-1918 et sur l’histoire républicaine antérieure ont paru nécessaires. L’héritage de la Première Guerre mondiale est important pour appréhender ces mutations après 1918.

Le choix d’interrompre l’analyse en septembre 1939 donne son unité chronologique à l’étude. En effet, le temps de guerre projette, à la mobilisation, une organisation des services spéciaux militaires sensiblement différente de celle du temps de paix. En outre, cette chronologie n’est pas le fruit d’un caprice ou d’une inclination, mais de l’exploitation d’une partie notable des 1 300 cartons d’archives qui constituent le premier bloc d’archives internes des services spéciaux militaires entre 1914 et 1942 disponible pour les historiens.

Le pari de cette étude est autant archivistique que méthodologique. L’exploration structurelle des services secrets fut rendue possible aux historiens en France, à partir du milieu des années 1990, par l’ouverture exceptionnelle des archives internes des services spéciaux militaires de 1914 à 1942. Sans égales avant 1914 en dépit de la richesse des fonds nationaux et départementaux des archives françaises, ces sources n’auront sans doute pas d’équivalent pour l’après-1945, en dépit des attentes comblées par les fonds privés conservés par les archives publiques en France.

La réapparition des archives des services spéciaux militaires et de La République secrète la Sûreté générale autorise-t-elle à écrire une histoire raisonnée des services secrets, des pouvoirs publics et de l’État ? Elle est naturellement une condition objective d’un tel essai d’écriture. Elle en est la condition et elle en est le piège tout à la fois, qui ne peut être contourné que par le recours à des archives autres que celles des services secrets.

L’enquête historique doit prémunir d’une schizophrénie sécuritaire, car la surveillance des menées étrangères et la répression de la trahison par les services secrets militaires et policiers renvoient à l’obsession d’établir la sécurité à tout prix.

Ces archives génèrent un habituel effet d’écran avec la réalité. Le croisement avec d’autres fonds d’archives s’est donc révélé nécessaire. La collaboration fructueuse des archivistes et des historiens a rendu possible l’exploitation de ces archives . Les archives revenues de Moscou entre 1993 et 2000 ont fait l’objet d’un premier traitement et d’un inventaire partiel, quoique en quatre volumes . Dans le même temps, l’histoire de la police, notamment de la Sûreté générale, a déjà commencé de bénéficier de l’apport des archives nationales spoliées par l’Allemagne et la Russie, également restituées à la France dans les années 19904.

Ces archives, que certains n’hésiteraient pas à qualifier de « sensationnelles », permettent un regard raisonné et critique sur une administration de l’État qui ouvrait traditionnellement à l’histoire mieux connue du secret du roi, de la diplomatie royale ou de la police secrète, qu’à l’histoire contemporaine de l’État et de la société.

Progressivement, une génération de chercheurs attentifs à l’histoire de l’État et des pouvoirs publics, de ses corps administratifs et de ses agents s’est penchée sur l’histoire du secret. La principale approche consiste en une analyse des pratiques et des logiques du secret dans le fonctionnement de l’État.

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