L’Evolution des services de renseignement francais selon le General Pichot-Duclos (1993)

La recherche de « Cette Sacrée Vérité » ne saurait exclure l’actualité et encore moins l’avenir. Ce titre se propose donc d’accueillir et de réunir les contributions traitant de nos préoccupations.Après la description de l’organisation et des moyens de notre renseignement, je voudrais maintenant dans une dernière partie, vous exposer les tendances qui se dessinent et les problèmes qui restent à résoudre.

Tendances et problèmes actuels

La nécessaire réforme du Renseignement s’inscrit dans le bouleversement des données stratégiques de ces dernières années.

Avec la fin du Pacte de Varsovie qui mobilisait toutes nos forces nous devions revoir tout notre système de défense puisque l’adversaire est désormais partout et nulle part et la menace multiforme. Il faut donc repenser le dispositif et redéployer les moyens dans un contexte d’intervention tous azimuts et de technologie galopante sans oublier que l’homme reste la donnée essentielle du combat. Exemples de cette apparente contradiction :

A deux ans d’intervalle, la guerre du Golfe a montré ce que pourrait être la guerre de l’espace (puisqu’un Patriote interceptait un Scud sur signal donné par un satellite alerté par le dégagement thermique du départ du coup), ceci tandis que la guerre des Balkans nous démontre chaque jour qu’un SNIPER peut paralyser l’O.N.U. Et puis, avons-nous déjà oublié que personne — sauf le Colonel Garder dont je salue ici la mémoire et la perspicacité prémonitoire — n’avait prévu l’effondrement proche de l’Empire Soviétique, ni percé les intentions réelles de Saddam Hussein?

Le Renseignement de demain dépend donc à la fois des ressources financières qui lui donneront les moyens techniques indispensables et de la qualité des hommes qui les serviront : il s’agit ici de l’homme de bon sens et de l’homme-ingénieur unis pour utiliser intelligemment les fantastiques possibilités de la technique. Telle est donc la première tendance lourde de l’époque.

La seconde tendance concerne la maîtrise de l’information elle-même dont l’abondance provoque la submersion des mémoires et la manipulation provoque la subversion des systèmes de référence. Ce n’est pas par hasard que les Britanniques, comme avant eux les Chinois, ont toujours associé la fonction « influence » à la fonction « Intelligence » « Renseignement ». Aujourd’hui, ce n’est plus seulement nécessaire, c’est indispensable à toute puissance qui veut survivre et pour ce faire doit maîtriser l’information, source du Renseignement.

Quant aux problèmes qui demeurent, ils sont chez nous d’ordre essentiellement culturel :

— Nous nous disons cartésiens mais quel décideur civil ou miliaire accepte de subordonner ses intuitions — nécessairement géniales — aux humbles exercices de l’esprit que sont l’analyse minutieuse, la comparaison difficile, les choix déchirants et la synthèse pragmatique?

Pour balayer devant notre porte, quel chef accepte de faire sienne la vieille formule du Général Bradley, génial organisateur du débarquement et qui disait « Mon deuxième bureau me dit ce que je dois faire, mon quatrième bureau me dit ce que je peux faire et moi je dis à mon troisième bureau ce que je veux faire. » Nous sommes cartésiens, soit, soyons aussi bradlésiens.

— Nous sommes aussi un peuple bavard mais nous ignorons trop souvent les langues étrangères. Un effort serait bienvenu, en particulier en arabe et en turc.

— Nous sommes un peuple de soldats, mais nous négligeons de méditer nos échecs et préférons célébrer de glorieuses défaites plutôt que de réfléchir à leurs causes et nous dire « plus jamais cela » en en conservant les enseignements.

Nous pourrions donc imaginer une fonction nouvelle qui serait celle de l’historien de la structure ou de l’Etat-major, que son rang comme sa compétence affranchirait des pesanteurs de la hiérarchie afin qu’il puisse dire : Cette solution ou cette absence de décision a déjà entraîné tel désastre…

Mais je rêve peut-être devant vous.

— Nous sommes un peuple prompt à la division : le Renseignement a besoin d’unité et de coordination. Ce problème n’est actuellement pas réglé dans le contexte politique.

— Il faudrait enfin que les décideurs, surtout les politiques, comprennent que la fonction du Renseignement est noble et que ses serviteurs ne sont les ennemis de personne, qu’ils sont seulement les humbles amis de la Vérité et qu’il faut leur donner les moyens de la faire jaillir.

C’est à ce prix qu’à la prochaine guerre du Golfe ou d’ailleurs, nous ne dépendrons plus du Renseignement des autres, fussent-ils nos alliés.