NOS SERVICES AVANT GUERRE : LA MAISON 1921-1925
par le Général MERSON

Commentaire de l’AASSDN : De notre Grand Ancien, notre Vénéré Doyen, nous avons reçu un remarquable exposé sur ce que furent nos Services avant-guerre. L’organisation qu’expose avec clarté le Général MERSON ne fut guère modifiée par la suite, au moins jusqu’en 1934, date du transfert des Services du 75 de la Rue de l’Université au 2 bis, Avenue de Tourville. Nous remercions vivement le Général MERSON de cette contribution à l’HISTOIRE. Notre Doyen donne ainsi 1’exemple de ce que devraient faire tous ceux d’entre nous dont les souvenirs peuvent contribuer à enrichir le patrimoine des Services Spéciaux de la Défense Nationale.

LES MOYENS

Personnel :
– Un chef.
– 17 officiers dont chacun a le rendement de trois types ordinaires.
– 2 sous-officiers
– 2 civils (un juriste, un technicien).
– 2 plantons.
– 4 dactylos du cadre officiel.
– Notre concierge qui filtrait les visiteurs avec une remarquable astuce.
– Ma secrétaire qui me rendit les services d’un excellent officier d’état-major,

Matériel :
Une voiture.
– Un appareil de reproduction appelé Photo-Stat. Débit : un exemplaire toutes les minutes et demie.
– Un récepteur radio très volumineux.
– Trois semblables pour les trois grands postes sur l’Allemagne.
– Quelques E.R. 17 confiés à certains agents et certaines antennes.

Budget :
Dix millions par an qu’il fallait mendier au rapporteur général du Budget, M. CALARY DE LAMAZIERE, un fort aimable homme.
En outre, un gros reliquat d’argent de la guerre 14-18, que LAINEY avait placé, donnait un revenu appréciable.

Locaux : Une maison située au 75 de la rue de l’Université, attenante au Ministère de la Guerre. Les bureaux étaient misérables, presque sordides.

L’ORGANISATION

Solide et souple ; vaste aussi malgré l’indigence des moyens.
C’était l’oeuvre du Colonel LAINEY, à qui nous devons cet hommage. Cet homme avisé, dynamique, astucieux, n’était jamais si content que lorsqu’en présence d’un obstacle, il pouvait dire :« On va lutter ». Il eut aussi le mérite d’établir des relations cordiales et utiles avec les services anglais, belges, voire suisses et espagnols. Enfin, c’est lui qui inventa RIVET.

Deux sections :
Section de renseignements et S. C. R. (Section de Centralisation des Renseignements, qui n’était autre que le contre-espionnage).
LAINEY coiffait les deux sections; j’étais chef de la S.R. LAINEY qui fut atteint dès 1922 de la grave maladie qui devait l’emporter bientôt et je dirigeai le Service pendant 3 ans.

Section des renseignements :
– Section administrative (personnel, matériel et caisse) ;
– Section allemande ;
– Section russe ;
– Section italienne couvrant la Méditerranée, le Proche et Moyen – Orient ;
– Section anglaise couvrant l’Empire britannique et le reste ;
– Section M. G. (matériel de guerre) explorant les armements dans le monde.

Contre espionnage. :
3 officiers travaillaient en liaison avec la Sûreté dont le Directeur, M. MARLIER, avait constitué une brigade spécialisée : le Commissaire principal DUCLOUX, avec 10 inspecteurs triés sur le volet. L’entente était parfaite.
Un téléphone direct, soi-disant à l’abri des écoutes, reliait mon bureau à celui de M. MARLIER.

A l’extérieur :
– Sur l’Allemagne : trois postes bien outillés à Aix-La-Chapelle (MANGES), Mayence (SCHULTZ), Stasbourg (KOLTZ puis ROUX) splendidement dirigés.
– Sur l’U.R.S.S. : un poste à Varsovie avec RIVET, des antennes à Bucarest et Istambul.
– Sur l’Italie : deux postes à Nice et Chambéry.

Des antennes disséminées sur la planète.

Au total, une quarantaine d’officiers sous différentes couvertures.
Le Quai d’Orsay nous abritait, non sans appréhension, dans une dizaine de consulats.

Ayant constaté un vide sur la mappemonde, je créai un Service d’Extrême-Orient, avec la complicité des Messageries Maritimes. Le chef était installé à Singapour et travaillait surtout sur le Japon, mais essaimait sur tout le Pacifique.

Nous avions partout dans le monde un grand nombre d’honorables correspondants.

FONCTIONNEMENT

Officiellement, les deux sections S. R. et S. C. R. dépendaient du 2e Bureau de l’Etat-Major de l’Armée. Pratiquement, nous ne dépendions de personne. Nous ne recevions ni ordres, ni instructions de quiconque.

Le chef des sections avait accès auprès du sous-chef d’Etat-Major et du chef d’Etat-Major de l’Armée, également auprès du Ministre. J’accédais au bureau de M. MAGINOT par un dédale de couloirs et un escalier dérobé.
Les papiers que LAINEY ou moi ne croyons pas pouvoir signer étaient généralement soumis à la signature du sous-chef d’Etat-Major, Général MAURIN, puis Général HERGAULT, qui nous soutenaient toujours très efficacement.

II n’existait pas de plan de recherche. Nous avions établi nous-mêmes un ordre d’urgence.
Faute d’ordres, nous recevions de nombreuses demandes de toute origine. M. POINCARE nous chargea d’une enquête du genre contre-espionnage. M. BARTHOU, Ministre des Affaires Etrangères, me demanda une petite équipe pour l’accompagner dans une Conférence internationale qui se tenait à Gênes.
L’Air, qui n’avait pas de S.R., s’adressait à nous. Le S.R. Marine était si pauvre qu’il nous appelait à l’aide ; il s’intéressait surtout à la Royal Navy.
La section du chiffre nous demandait des codes étrangers; le Génie des renseignements sur les équipages de ponts allemands; le Service des Poudres des informations d’ordre chimique, etc…

Nous donnions nous-mêmes peu d’ordres.
Nous choisissions pour diriger les postes et les antennes des officiers capables d’initiatives raisonnables. Ils recevaient parfois une « note d’orientation ».

La répartition des fonds était faite très soigneusement d’après les urgences et modifiée selon les circonstances internationales.

La Centrale manipulait elle-même un petit nombre d’agents. Parmi eux, un as ! M. GALTIER- BOISSIERE, dans son journal Le Crapouillot, a donné des précisions fantaisistes sur ce personnage. J’en dirai quelques mots.

Rodolph DAHLMANN, officier allemand chassé de son armée pour divers méfaits, avait conservé pour son pays et son armée une véritable haine. Il s’était mis à notre service pour assouvir sa rancoeur et aussi pour gagner de l’argent. Il nous a servis loyalement pendant quarante ans sous le nom de VON KOENIG, puis sous le nom de LEMOINE. Il était encore en service en 1939. Rivet l’employait alors à la fabrication de faux papiers et à diverses missions de contact. REX, comme nous l’appelions, était homme de grandes ressources.

Il acceptait n’importe quelle mission et je ne l’ai jamais vu échouer. Il n’avait pas son pareil pour acheter les consciences. II aurait fait disparaître Ben Barka sans le moindre bruit. MENZIES ne cessait de nous mettre en garde contre lui. Je crois qu’il en avait très peur.

Un autre agent m’a laissé un souvenir personnel. C’était un Arménien qui travaillait sur les Balkans. Ses informations étaient intéressantes, mais exigeaient un contrôle sérieux confié à un ami, M. Elie BOIS, expert en la matière. Ce gaillard m’annonça un jour que l’O.R.I.M. (Organisation Révolutionnaire pour l’Indépendance de la Macédoine) m’avait condamné à mort pour m’être mêlé de ses affaires. Je n’en crus rien. Le fait est que je me suis promené en Macédoine en 1939 et qu’il ne m’est rien arrivé.

Quant au contre-espionnage, les officiers de la S. C. R. travaillaient en liaison avec M. DUCLOUX et sa brigade. Ils traitaient eux-mêmes un petit nombre d’affaires auxquelles nous ne voulions pas mêler la police. Entre autres, l’enquête demandée par M. POINCARE, qui était longue, difficile, coûteuse et m’agaçait. Je tenais M. MAGINOT au courant de ses progrès. Mes chefs militaires ignorèrent tout de cette affaire ainsi que de l’intervention de M. MUSSOLINI que j’ai racontée dans un Bulletin.

LES RESULTATS

Je crois pouvoir dire que le travail était bien fait. Certes c’était un jeu d’enfants en comparaison des exploits de 1939-45, mais il y avait quand même des difficultés et des catastrophes à réparer presque quotidiennement.

Sur l’Allemagne, nous suivions exactement le travail de VON SEECKT, malgré l’Abwehr que la défaite n’avait nullement abattue et qui nous portait parfois des coups sévères. Lorsque je quittai le Service en 1925, la Reichwehr en était au détriplement de ses divisions.

L’U.R.S.S., à l’époque, se défendait très mal ; nous étions en possession de toutes les circulaires de FROUNZE, le VON SEECKT russe, à qui l’Armée rouge doit beaucoup.

Quant à l’Italie, c’était un plaisir. Nous reçûmes un jour une note secrète adressée par le Ministère de la Guerre aux commandants de Corps d’armée, et nous la reçûmes avant le Corps d’armée de Bari. Le reste du monde était exploré suffisamment.

Les résultats du contre-espionnage étaient satisfaisants. Là aussi il y eut deux très beaux coups.
L’un concernait le Colonel BECK ; je l’ai relaté dans un précédent Bulletin. L’autre, il vaut mieux l’oublier.
Quant à l’enquête pour M’. POINCARE, elle donna des résultats contraires à ceux que souhaitait le Président du Conseil.

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