Le TR Italie recit du colonel Parisot

Il a échu au plus ancien des survivants de nos services ayant participé à la Campagne d’Italie, d’en rappeler le souvenir.

Malgré toute la juste publicité donnée au débarquement allié en Normandie, il convient en effet de ne pas oublier que l’effort de guerre français a été soutenu en majeure partie par l’Armée d’Afrique ; après avoir largement participé, dans des conditions particulièrement méritoires, à la dure campagne de reconquête de la Tunisie, et sans escamoter l’entreprise exclusivement française de la libération de la Corse ni le débarquement de vive force à l’Île d’Elbe, il y a lieu de se souvenir que nos services étaient déjà présents en Sicile avant même le désistement italien. Ainsi notre ami le Docteur Rigaud a-t-il pu goûter en toute connaissance de cause l’évocation de certaines péripéties relatées dans notre bulletin 152 (1991/IV) concernant l’année 1943.

Les magnifiques exploits du Corps Expéditionnaire Français d’Italie, le génie manoeuvrier de son chef prestigieux, le futur Maréchal Juin, ont fait l’objet de maintes relations, aussi bien limiterons-nous notre article au rôle que nous avons rempli à l’échelon du 15ème Groupe d’Armées (8ème Armée britannique et 5ème américaine) ou à celui plus modeste du CEF – partie intégrante de la 5ème Armée US.

A notre débarquement à Naples et lors de notre pause à Maddaloni, nos équipes de Sécurité Militaire étaient coiffées par un camarade expérimenté, Gacon, qu’assistaient Cot, Whiteway, Delseny, Huet…

Le TR était représenté par votre serviteur, secondé par son ancien complice du débarquement américain au Maroc du 8 novembre 1942, Lupatelli. Le SRO avait été confié à Weil, qui prenait suffisamment au sérieux le renseignement dit ” de contact ” pour se faire un jour, ” piquer ” sa jeep et son chauffeur Ginestar au cours d’une échauffourée avec une patrouille allemande dans les Apennins.

Le rôle des équipes SM était évidemment la chasse aux espions. Ceux d’entre eux qui étaient jugés susceptibles d’être retournés, étaient proposés au TR, chargé de les transformer si possible en “W” (agents doubles). A lui, alors, de les manipuler, de façon à intoxiquer l’Abwehr au moyen de ” fournitures ” savamment dosées et préalablement discutées avec les services alliés. Ceux-ci pouvaient d’ailleurs à l’occasion être nos concurrents, en dépit d’excellentes relations personnelles avec l’équipe du Major britannique Malcolm Smith et de son adjoint français Walter Borg (qui s’était fait prendre au Cap Bon en flagrant délit d’émission avec Malte, pour signaler à ceux qui n’étaient pas encore rede­venus nos alliés, les convois ennemis passant par le canal de Sicile).

Quant au SIM ” indigène ” – Servizio Informazioni Militare – en complète déconfiture, il était de surcroît trop peu sûr pour être fréquenté.

Les Britanniques n’en ont pas moins récupéré sournoisement Roatta.

Me sentant peu qualifié pour exposer l’historique de l’ensemble de nos Services Spéciaux au cours de la Campagne d’Italie, je me bornerai à évoquer les points forts ou les plus pittoresques de notre seule activité TR.

A Naples, il nous a fallu cornaquer une antenne de l’important réseau allemand coiffé en Tunisie. Un de ses ” W ” a été par nos soins intégré dans l’Institut français, permettant à son chef ” Gilbert “, depuis Tunis, de donner une origine vraisemblable aux fournitures qu’il répercutait par radio au Colonel Reile, patron de l’Abwehr.

Mais bientôt la SM nous a livré un étudiant génois ” Sergio ” qui avait accepté une mission des Allemands ; nous en avons patiemment fait un double au prix d’une action psychologique assez longue, après avoir pris sur lui un indéniable ascendant : tout à fait par hasard en explorant le dédale des souterrains de Naples, nous avions découvert un itinéraire menant des locaux de la SM à notre appartement de la Via dei Mille ; si bien que notre hôte, bluffé par ce raffinement, ne savait qui nous étions, où nous logions, et ne risquait pas de nous vendre. Lorsque ce double a été mûr, il a fallu le renvoyer à ses employeurs en lui faisant franchir les lignes nuitamment dans le sauvage parc national des Abruzzes ; nous y avons même craint, sans armes, d’être attaqués par les loups qui hantaient ces solitudes et souffraient, eux aussi, d’un ravitaillement succinct ! Dans une autre circonstance Lupatelli, un beau jour surpris par des tirs d’artillerie a attrapé des sueurs froides en s’apercevant qu’il s’était mis à l’abri derrière un dépôt d’obus.

Il était moins dangereux de coiffer un ” pianiste ” (émetteur radio) italo-bulgare, qui opérait sur une terrasse offrant une vue sublime sur les vieux toits de tuiles de Rome. Nous l’avons retrouvé à Florence, pendant la semaine où la ville, sillonnée de patrouilles adverses et sous les tirs de partisans juchés sur les toits, se trouvait entre les lignes. Dans une trattoria minable, il nous a remis une liasse de billets et un questionnaire de ses employeurs, en nous tendant discrètement d’une table voisine le contenu d’un pot de moutarde mal rincé. A la même époque le fidèle aspirant Rabouille – celui qui récupéra pour nous, plus tard, l’intégralité du trésor de la Milice de Darnand, arrêté à Milan (1) , y gagna sa médaille militaire dans un combat de rues non programmé.

Mais auparavant, c’est bien à Rome, où nous avons pénétré le 4 juin 1944 (les troupes y sont entrées le lendemain) que s’est déroulé le plus clair de notre activité. Nous y avons bénéficié de précieuses relations entretenues jusqu’à l’entrée en guerre de l’Italie, par l’auteur de mes jours, attaché militaire au Palais Farnèse (2).

A ses ” HC ” (Honorables Correspondants) de grande classe, dont un cardinal français, doyen du Sacré Collège et patron des Églises d’Orient, S.E. Mgr Tisserant alias ” Minerve “, qui ne reniait pas ses activités passées d’officier de renseignement au Levant, s’est ajouté un ministre italien, Giuseppe Bottai, qui a joué un rôle de premier plan dans l’éviction de Mussolini le 25 juillet 1943. Je suis allé le chercher dans un couvent, et selon son désir – mais à la barbe de tous les services alliés ou ennemis qui le recherchaient, français y compris, je l’ai accompagné jusqu’à Bel Abbés pour l’engager à la légion où il a fait le reste; la campagne de France et d’Allemagne comme mitrailleur d’un blindé léger. Il avait du cran, et le logement où on l’avait hébergé, annexe de notre PC des Parioli, a ainsi mérité son nom très pompéien de ” Villa des Mystères “. Il ne fallait pas se faire prendre et déjeunant avec luià l’escale de Naples pour changer d’avion, j’ai eu très peur qu’il ne soit reconnu par les serveurs italiens du mess américain intrigués par sa barbiche (malgré la tenue française qui avait remplacé… la soutane qu’il portait au couvent).

Enfin, bien qu’il s’agisse d’une escapade marginale, improvisée avec les moyens du bord mais avec l’autorisation du Commandant Paillole, nous avons pris pied dans les Balkans en Albanie, au cours d’une équipée que j’ai relatée dans le bulletin n° 36 (1962/IV) de l’A.S.S.D.N. et qui a été reproduite sans notre aval par un plagiaire, directeur de la revue H…….a.

Cette aventure nous a permis de blouser le dictateur communiste Enver Hodja en lui extorquant la récupération des ” Malgré-nous ” alsaciens et mosellans, déserteurs de la Wehrmacht.

Nous avons aussi mis la main sur les photos aériennes des puits locaux de pétrole.

Le chef de poste de notre antenne de Tiran, le captain J. Wisdorff, montait en toute simplicité un pur-sang du Roi Zog, évincé par les italiens.

Nous avons aussi bien failli faire de notre camarade, Jean Nadal, Père de la congrégation de Bétharram et Lieutenant de réserve, le premier nonce apostolique dans les Balkans libérés de l’occupation italo-allemande, mais pas de celle des Soviétiques…

Entre Noël 1945 et le nouvel An 1946, notre camarade, le Capitaine Lacat ayant disparu en mer entre Malte et la Sicile, j’ai dû quitter mon équipe d’Italie, d’ailleurs un peu féminisée et de moins en moins laïque ( que de jupons ! ) pour aller prendre à la Centale ( installée Boulevard Suchet dans les meubles de la Luftwaffe ) sa succession à la section géographique 25-7 ( Sud Europe ). La guerre chaude était finie, la guerre froide commençait.

(1) Une partie du très important magot – des sacs de doublons d’Espagne, sans doute volés à des juifs – était camouflée dans les tuyaux d’orgue d’un monastère de Tirana (Valteline, tout près de la frontière suisse).

(2) A ce sujet, qu’il me soit permis d’évoquer ici la plus grande joie de ma carrière : je l’ai eprouvée le jour où, exactement 4 ans après, j’ai assisté avec un bataillon de tirailleurs à un lever de conteurs expiatoire, sur les ruines de la villa Incisa all’olgiata où mon père avait été contraint, comme dernier attaché militaire à Rome, la mort dans l’âme, de signer l’Armistice de 1940 avec les Italiens