Nous publions cet extrait des souvenirs du Colonel Parisot spécialement à la mémoire et en hommage au Sous-Lieutenant Renaud qui fut le premier officier S.M. de débarquement tué au cours de la première opération de libération du continent européen.

Outre ce dramatique épisode qui coûta le 14 juin 1943 la vie à notre héroïque camarade dans l’îlot de Pantelleria, le récit de Serge Parisot chef de notre première équipe S.M./T.R. de débarquement en Italie comporte des révélations fort révélatrices sur la nature des rapports avec nos alliés… ainsi qu’avec la gente féminine italienne.

DÉBARQUEMENT EN SICILE EN JUILLET 1943

Le lecteur alléché par ce titre risque fort d’être déçu : il ne sera question ici ni d’un héroïque assaut sous un feu d’enfer ni d’un abordage en tapinois par une nuit sans lune… Mon arrivée comme celle des fameux carabiniers fut si tardive que toutes les côtes méridionales de la grande île étaient déjà truffées de troupes anglo-américaines lorsque je fus admis (en même temps qu’un tabor de goums marocains prévu pour d’éventuels et obscurs combats en montagne) à l’honneur de représenter la participation française à l’opération.

L’EMBARQUEMENT DE L’ÉQUIPE S.S.M./T.R.

Car notre armée d’Afrique en dépit de sa contribution importante sinon décisive à la libération de la Tunisie, a tout de suite été traitée de façon indigne et évincée par nos alliés ; sous prétexte de haute politique. Il ne fallait pas que les Français risquent de se venger du coup de poignard dans le dos reçu des Italiens en juin 1940 ; en effet, les Anglo-Saxons espéraient bien la défection pure et simple des forces armées fascistes, et notre encombrante présence n’était pas souhaitable en raison des incidents à craindre.

Les goumiers engagés en petit nombre dans l’intérieur de l’île, ne seraient pas gênants et pourraient être précieux en terrain difficile ; les Services Spéciaux d’Alger qui venaient de rendre au débarquement en Sicile un service signalé en menant à bien l’Affaire Gilbert (opération d’intoxication menée par nos Services dans le cadre de la Force A) pourraient aussi être d’autant plus utiles à la coalition.

J’avais naguère voyagé en Sicile et j’offrais à démarrer dans l’île, sinon en Europe, une extension de la fameuse affaire (dont j’avais été l’officier traitant).

Le seul ennui était qu’un uniforme français serait plus voyant à Syracuse qu’au fin fond des djebels siciliens.

J’avais décliné l’offre flatteuse de revêtir l’uniforme britannique et décidé de remplir notre mission en civil.

Voilà comment au port de la Goulette je pris place avec Guillaume pour adjoint et deux sous-officiers français également ” en bourgeois ” dont un pianiste, c’est-à-dire un opérateur radio sur un honnête et pacifique chalutier battant pavillon neutre (portugais).

A bord une autre équipe de passagers, cette fois en tenue, appartenait aux Services Spéciaux britanniques : un captain irlandais arborant sur le côté de son béret un joli petit plumet vert, un Français d’origine maltaise frais émoulu des torrides geôles – pontons tunisiennes (pour avoir été pris quelques mois trop tôt en train de poser des mines ventouses sous le ventre de bateaux italiens), un juif tunisien et un aventurier italien ; le tout avec la bénédiction du sympathique major Trevor Wilson représentant de l’I.S. sur les territoires français libérés en Afrique du Nord.

Le bâtiment en cause ” Le Prodigal ” avait bel et bien droit aux initiales ” H.M.S. ” (on His Majesty Service). Son pittoresque commandant (un lieutenant de vaisseau anglais de Tanger parlant espagnol, français et arabe) et l’équipage de ” pêcheurs ” étaient intégralement fournis par la Royal Navy.

En principe, l’outil et ses forbans avaient été prévus pour travailler dans l’Adriatique parmi le dédale de ” canali ” et d’îles bordant la côte dalmate, leur mission normale était le largage d’agents yougoslaves opérant en liaison avec les partisans tchétniks (royalistes de Mikhaïlovitch) ou titistes (communistes) soulevés contre les occupants allemands.

Les mauvaises rencontres pouvaient être fréquentes entre bâtiments de nationalités incertaines, et le ” Prodigal ” était muni d’un dispositif ingénieux, permettant en appuyant sur un bouton, de démasquer instantanément un petit canon et deux postes de mitrailleuses jumelées normalement dissimulées derrière le plat-bord escamotable.

LA FIN DU SOUS-LIEUTENANT RENAUD A PANTELLERIA

Nous devions faire escale à Pantelleria ce petit chicot de lave noirâtre que des propriétaires italiens avaient aménagé au milieu du canal de Sicile à la fois en terrain d’aviation, en poste d’observation fortifié sur la route de Malte et, enfin, en ” confino ” camp de concentration pour déportés politiques.

Trois semaines auparavant, mon jeune camarade et co-équipier du poste de contre-espionnage de Tunis, le Sous-Lieutenant Renaud, y avait trouvé une mort héroïque dans les circonstances suivantes : sa connaissance de l’italien, du grec, du turc et de l’arabe (il était né à Alexandrie d’Égypte) lui avait valu la mission de recherches outre la documentation et le personnel des services spéciaux italiens, d’éventuels prisonniers échappés lors du repli du pénitencier et susceptibles d’être utilisés comme agents ; il avait comme compagnon de mission un journaliste israélite de Tunis et un gendarme secrétaire lui-même étant radio et muni d’un poste-valise pour communiquer avec notre poste de Tunis. A peine débarqué il avait déployé son antenne dans un bâtiment en ruines et attendait l’heure toute proche de la vacation, lorsqu’une vague de stukas entreprit un bombardement en piqué.

Ayant commencé ses appels il ne voulut pas céder aux objurgations de ses compagnons pressant d’interrompre l’émission et de chercher un meilleur abri. Sous le souffle des explosions ce qui restait de la toiture s’effondra et ensevelit notre camarade sous un chaos de pierres et de plâtre ; dans un nuage de poussière on parvint à le dégager en soulevant une énorme poutre qui l’étouffait. Pâle mais sans blessures autres que superficielles, il souriait et semblait presque intact. Les sauveteurs se félicitaient déjà de ce dénouement lorsqu’il rendit le dernier soupir, tué à retardement par le choc en ayant succombé à une hémorragie interne. Je tiens ces détails du journaliste de Tunis, Lucien Smadja que j’avais bien inconsidérément apostrophé en le voyant rentrer au poste de la rue d’Angleterre à Tunis avec la mine décomposée.

A PANTELLERIA NOUS AVONS RELACHE QUELQUES HEURES. Essuyant une tempête sévère j’y ai horriblement souffert ; pour la première et sans doute la dernière fois de mon existence, du mal de mer ; mais l’honneur était sauf car presque tous nos bourlingueurs étaient également hors de combat.

DÉBARQUEMENT EN SICILE

Pour notre arrivée à Syracuse nous avons eu droit à un étincelant feu d’artifice dû à une attaque aérienne. L’adorable fontaine Arethuse, désertée par ses colombes blanches, recélait des pièces de D.C.A. en batterie sur une affreuse plateforme datant sans doute des Allemands et masquant les papyrus de la célèbre vasque. Tous les murs de la ville étaient déjà bariolés d’affiches représentant Roosevelt ou Churchill souriant sur le fond tricolore de leurs couleurs nationales ; les moustaches de Giraud n’apparaissaient nulle part et il n’était pas davantage question de notre bleu, blanc, rouge. Très vite notre équipe s’est mise au travail en liaison avec les Services Spéciaux alliés.

Désormais nous portions ingénument nos tenues françaises, j’arborais même un képi et aucun Anglais ni Américain ne s’est permis de nous en faire la moindre réflexion. La suite de l’histoire comporte un épisode croustillant qu’il eût été dommage de passer sous silence : Une quinzaine de jours plus tard alors que nous étions à Catane nous apprenons que le ” Prodigal ” faisait escale dans le port. C’était le moment où jamais de rendre à son sympathique ” pacha ” la cordiale hospitalité qu’il nous avait offerte à son bord. Après quelque libations il nous a avoué chercher pour le repos du guerrier ” une femme au cheveux noirs, et sans conscience “. Après le dîner, comme nous le raccompagnions dans la chambre que nous lui avions réservée, il a eu l’agréable surprise de découvrir sous sa moustiquaire l’objet de ses désirs (1) dûment défrayée par anticipation, car pour l’honneur du pavillon il faut savoir recevoir.

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