A la gloire du Sous-Marin ” PERLE ” disparu corps et biens le 8 Juillet 1944

Avec l’autorisation de l’Amirauté, nous publions le récit du Capitaine de Frégate PAUMIER, qui commandait le Sous-Marin “PERLE” lors de sa mission sur les côtes de Provence en Octobre 1943. Cette mission sous-marine fut la dernière au Cap Camarat. Elle fut aussi l’une des plus risquées, car l’ennemi venait précisément d’y renforcer ses défenses côtières et ses moyens de guet. L’expédition ratée le mois suivant – Novembre 1943 – devait, hélas, démontrer la difficulté de l’entreprise. Pourtant le récit en est simple, discret, bien dans les traditions de la MARINE. A chaque ligne apparaît l’ex­traordinaire maîtrise, l’exceptionnel courage, la foi patriotique de l’équipage et de son Chef.

“LA PERLE” n’a pas connu la Victoire : disparue en mer le 8 Juillet 1944, elle symbolise l’héroïque abnégation de notre Marine Nationale.

C’est à cet héroïsme et à cette abnégation que nous rendons aujourd’hui hommage. Nous les perpétuerons demain en édifiant à Ramatuelle le MEMORIAL des SERVICES SPECIAUX.

UN DÉBARQUEMENT des SSM/TR

Sur les côtes de Provence (Octobre 1943)

Si la grande presse a beaucoup parlé des opérations de parachutage destinées à organiser les forces de la Résistance, un voile discret, par contre, semble avoir été jeté sur les opérations de débarquement, peut-être plus modestes, exécutées au cours des années 1943 et 1944 sur les côtes méditerranéennes, par le Groupe des Sous-marins d’Algérie.

A cette époque, la création de liaisons directes et françaises avec la Métropole et le maintien de ces liaisons étaient un problème vital. Très rapidement le sous-marin s’avèrera l’engin idéal pour ce travail, ayant sur l’avion l’énorme avantage d’une discrétion à peu près totale. Le Capitaine de Corvette L’HERMINIER, Commandant du “CASABIANCA”, fut le premier à tenter et à réussir, en Février 1943, un débarquement d’agents du SSM/TR sur les côtes de Provence (les BULLETINS 7 et 8 ont relaté cet exploit). Devenu notre chef de file, il ne cessera de nous recommander de toujours opérer avec la plus grande discrétion.

Le point de débarquement devant être impérativement isolé des grandes voies de communication, facilement identifiable de nuit, d’accès possible pour un sous-marin navigant en immersion profonde. Le choix du Commandant L’HERMINIER s’était porté sur la Baie de Bon-Porte, entre les Caps Taillat et Camarat, non loin de la Baie de Saint-Tropez, et pratiquement le seul endroit acceptable entre Toulon et la frontière italienne.

Le nombre d’agents que nous transportions variait généralement entre cinq et dix et se composait des éléments les plus divers, les uns Officiers de Marine en service aussi bien en Afrique du Nord qu’en France, se pliaient aisément aux pénibles conditions de vie des sous-marins, les autres ignoraient tout de la vie maritime et se trouvaient quelque peu perdus sur nos bateaux où les mètres carrés leur étaient distribués avec parcimonie.

Ainsi, chaque mois, à la nouvelle lune, un sous-marin d’Alger vint en Baie de Bon-Porte. Mais, tout a une fin; l’activité des Résistants ne pouvait à la longue rester inaperçue et, en Novembre 1943, l’ennemi interrompait brutalement les opérations poursuivies.(1)

Et c’est “LA PERLE” qui, en Octobre 1943, se trouve avoir réalisé le dernier débarquement sur ces côtes.

LE RAPPORT DE MER

Le départ d’Alger se fait au petit matin du Samedi 23 Octobre.

“LA PERLE” plonge dès la sortie du chenal dragué et se dirige vers la zone que l’Amirauté alliée réserve aux sous-marins en transit vers les côtes de Provence ou le Golfe de Gênes. Tenir l’horaire est absolument vital, au surplus l’un de nos passagers – Officier de Marine en service à Toulon, venu à Alger au voyage précédent – doit être impérativement rentré à l’issue d’une permission d’un mois qu’il est censé avoir passé.. quelque part dans le Sud-Ouest de la France. Heureusement les Dieux de la Mer et de la Guerre seront avec nous, aucun incident ne retardera notre marche. Dans la matinée du 26 Octobre, après avoir reconnu la terre, nous prenons l’immersion de 40 mètres pour rester invisible des bateaux de surveillance et des postes de guet, puis, délicatement, nous nous posons sur le fond en Baie de Bon-Porte.

Pendant la journée le silence le plus complet règne à bord, l’équipage, les passagers, tous se reposent dans l’attente du débarquement que nous tenterons au cours de la prochaine nuit. Seuls sont armés les appareils d’écoute. Le passage dans notre voisinage de quelques vedettes ou torpilleurs nous fait craindre la fuite d’air ou de gas-oil qui indiquerait d’une manière très précise notre position.

Le repas du soir nous réunit au “carré”, gais en apparence, mais cependant anxieux. Les derniers détails de l’opération sont mis au point, tout se passera par nuit noire, il est donc impératif que chacun connaisse ses consignes et les exécute en suivant un plan parfaitement minuté.

Vingt-trois heures : La nuit est entièrement tombée, lentement nous décollons du fond et faisons surface laissant le pont au ras de l’eau pour n’offrir qu’une très faible silhouette. Le plus silencieusement possible nous nous approchons de la côte essayant de découvrir la ROCHE ESCUDELIER, très remarquable et bien connue des sous-marins d’Alger.

Après quelques longues minutes d’attente, grâce aux petits appareils radios de transmission (2) dont les Services Spéciaux sont dotés, le contact s’établit avec le Comité d’accueil du SSM/TR chargé d’assurer la réception et la protection des camarades débarqués. Mais alors que la terre est à peine à trois cents mètres, quelle n’est pas notre stupéfaction d’apprendre l’installation toute récente d’un poste de garde allemand près de la roche Escudelier, à quelques mètres de nous. Il nous est demandé de remettre l’opération au lendemain et de tenter le débarquement huit cents mètres plus au nord dans la baie. Sans hésitation, mais avec regrets, nous acceptons ces conseils. Celui de nos hôtes – le marin – toujours préoccupé de rallier son poste, marque une certaine déception et se promet de partir seul à la nage le lendemain si un obstacle se manifeste à nouveau.

Lentement, sans bruit, nous “battons arrière” pour nous sortir de cette souricière.

Après avoir réussi à nous “éviter” cap au large, nous repartons vers la haute mer. Il est grand temps de recharger nos batteries d’accumulateurs si nous voulons revenir la nuit prochaine.

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La chance nous sourit encore et, lorsque le jour parait, les batteries sont bien chargées. Nouvelle marche d’approche comme la journée précédente.

Vers neuf heures du matin le 27 Octobre, nous reposons de nouveau sur le fond en Baie de Bon-Porte. Quelques bâtiments ennemis se manifestent dans l’après-midi. Avons-nous été repérés la nuit précédente ? Question bien angoissante pour la suite de l’opération.

Le même scénario continue à se dérouler. Nuit noire; surface vers vingt-trois heures, puis nous nous dirigeons vers le Nord de la Baie … avec la prudence du serpent. Les liaisons radios avec le Comité d’accueil SSM/TR s’établissent facilement et, lorsque la quille est prête à toucher le fond, nous nous immobilisons tout près de terre.

Le spectacle des montagnes environnantes est impressionnant, quelques lueurs sur la falaise montrent que les alentours du phare de Camarat ne sont pas inhabités, les faisceaux d’énormes projecteurs installés aux Caps Nègre et Lardier tournent sans arrêt découpant le Cap Taillat en ombre chinoise.

Les équipes du bord, en hâte, mais sans bruit, mettent à l’eau le youyou, les embarcations en caoutchouc sont hissées par le “sas” du scaphandrier. Nos hôtes montent sur la passerelle avec leurs précieuses valises et nous font leurs adieux. Minute particulièrement émouvante. Nous les envions de pouvoir fouler dans quelques minutes le sol de notre Patrie où tous, sans aucune exception, avons laissé nos familles.

En silence, le petit convoi pousse du bord, le youyou remorquant les radeaux pneumatiques.

La progression se fait lentement tant que les signaux discrets du Comité d’accueil n’ont pas été aperçus. L’opération se fera ce soir comme à l’entraînement, néanmoins, il s’écoulera près d’une heure avant que les embarcations ne rallient le bord. Les minutes d’attente paraissent interminables. Nous scrutons la côte sans interruption pendant que les projecteurs continuent à se manifester régulièrement. Le petit clapotis qui frappe la coque est d’une indiscrétion rare. L’angoisse nous étreint. L’arrivée d’une vedette ou d’une patrouille nous mettrait en fâcheuse position ainsi que nos camarades de combat.

Enfin, le youyou sort de l’ombre, l’accostage se fait doucement. Aucun nouveau passager ne nous est confié, mais nous rapportons un volumineux courrier où se trouvent les renseignements nécessaires à l’établissement des plans d’opération du débarquement en Normandie et du fonctionnement des Services de Contre-Espionnage.

En quelques minutes les sacs sont embarqués, le youyou est saisi, les radeaux sont descendus par le “sas” et, comme à regret, à petite vitesse, sans aucun bruit, nous gagnons le large. Une plongée trop rapide serait bruyante et donnerait l’alerte dans le secteur. Il faut être discret, d’autant plus que nos camarades débarqués ne sont sans doute pas encore à l’abri. Peut-être même n’ont-ils pas encore réussi à atteindre la ferme hospitalière d’ACHILLE (3) , première halte pour eux avant les rudes tâches de demain.

_________________ Pour nous, la patrouille continue. Un renseignement particulièrement intéressant reçu du Commandant de la Huitième Flottille de Sous Marins Britanniques à laquelle nous sommes attachés, nous avertit de la traversée probable de notre secteur par un sous-marin allemand ralliant Toulon.

L’atmosphère du bord restera lourde cette nuit. Nos familles trop proches … les équipages qui ont assuré le débarquement ont touché le sol de France. Peut-être quelques-uns ont-ils le pressentiment qu’ils ne reviendront jamais ? Peu d’entre nous connaîtrons les joies du débarquement de la Victoire, la plupart disparaîtront le 8 Juillet 1944 en plein Atlantique.

Le sacrifice de mes camarades de la “PERLE” rejoint celui de nos camarades de la Résistance.

Puissions-nous ne jamais l’oublier !

Capitaine de Frégate PAUMIER Groupe Bertin – Suffren TOULON

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Le souvenir du Commandant L’HERMINIER

Il y a quinze ans, le sous-marin “Casabianca”, sous le commandement du capitaine de corvette L’HERMINIER, s’évadait de Toulon envahi par les troupes allemandes.Fidèles au souvenir de leur ancien chef, les anciens du Casabianca ont déposé le 23 novembre à 11h30, au cimetière de Clichy, une gerbe de fleurs sur la tombe du Commandant L’HERMINIER.

Ils ont donné le même soir au profit des “Invalides de la Flotte” une soirée placée sous la présidence d’honneur de Mme L’HERMINIER et du vice-amiral d’escadre ORTOLI.

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