Le 20 juillet 1944, la bombe qui devait tuer HITLER et mettre fin au régime manquait son but. Elle révélait au monde un complot dont les dessous n’allaient apparaître qu’après l’effondrement de l’Allemagne. Où se situaient les moteurs de la conspiration ? Quand était elle née ? Quels hommes l’animaient ou la cautionnaient ? Autant de questions auxquelles le procès de Nuremberg d’abord, les récits de témoins ensuite, et enfin une étude pertinente du Docteur ABSHAGEN, biographe de CANARIS, semblaient avoir répondu de manière décisive. Pas tout à fait cependant. Dans un livre récent de Karl BARTZ “Die Tragödie der deustchen Abwehr”, nous trouvons des précisions nouvelles et maintes obscurités tombent. Reprenant la succession des faits, maintenant connus, qui traduisaient, dès les premiers défis hitlériens à l’Europe, l’opposition un peu diffuse de nombreux Allemands de l’école classique, Karl BARTZ nous fait découvrir, dissimulé derrière l’aspect politique de cette dissidence, l’organe militaire demeuré longtemps “tabou”, source et noeud de la conspiration : l’Abwehr de l’Amiral CANARIS. Nous le savions déjà, certes, nous le savons mieux maintenant. La nouveauté dans l’ouvrage de BARTZ, c’est la preuve par le détail inédit. Ces contacts noués dans une ombre redoutable avec les opposants des divers milieux, ces négociations engagées par l’ABWEHR dans les coulisses de la Diplomatie étrangère pour y quêter des appuis et y susciter une résistance au débordement hitlérien, une police d’Etat qui guette les défaillances du Chef de l’ABWEHR trop assuré de ses ruses, un Commandement suprême dont la confiance en l’ABWEHR s’effrite dès la fin de 1942 à la constatation d’évidentes carences, cette lutte enfin, chaque jour aggravée, contre un pouvoir irrité qui flaire la trahison sans la pouvoir démontrer, toute cette atmosphère lourde de pièges et de menaces et annonciatrice de drames, nous est décrite avec des traits vivants et passionnants.

Pour clore ce tableau de la déchéance progressive de l’ABWEHR, Karl BARTZ évoque la découverte de documents massue, au début de 1945, à Zossen, devenu le siège de ce service en 1944. Ils furent pour la police et pour le gouvernement la révélation stupéfiante que CANARIS travaillait au renversement du régime, non point depuis 1942 comme ils l’avaient appris un peu tard, mais depuis 1938, quand BECK et CANARIS avaient acquis la conviction qu’HITLER lançait l’Allemagne dans une nouvelle aventure.

Cette découverte scellait le sort de CANARIS arrêté depuis le 23 juillet 1944. Déjà en février il avait été relevé de ses fonctions, ses collaborateurs mis en prison ou exécuté, et l’ABWEHR incorporée au R.S.H.A amalgame de polices qui exprimait la police d’Etat. Tragédie, oui. Interne d’abord, Quand la police, triomphante, fut libre d’agir contre les conjurés, il apparut que les caractères n’étaient pas tous à hauteur de l’épreuve, on connut les rivalités et les intrigues qui divisaient les collaborateurs de CANARIS.

Des hommes que l’on croyait unis par des sentiments et des buts identiques se déchargèrent sur leurs camarades des actes qu’on leur reprochait. CANARIS lui-même recourut à d’inutiles mensonges. Toutes les vertus civiques n’habitaient pas ce temple, naguère si orgueilleux. On en éprouve une insurmontable gêne.
Tragédie surtout, en ce sens que pour avoir quitté la légalité en vue d’atteindre au salut de l’Allemagne, le chef de l’ABWEHR a subi le sort que tout régime, même aux abois, réserve aux traîtres à sa loi. Il n’a finalement sauvé ni son pays de la défaite, ni son service de la destruction.

Les successeurs en tireront-ils la conclusion qu’un service de enseignements national se doit d’être en toutes circonstances le loyal serviteur du régime qui l’abrite, même quand ce régime s’écarte, contre l’opinion d’une fraction du pays, de la politique traditionnelle où la nation avait accoutumé de chercher sa grandeur ?

En définitive, la question reste entière ; qui était contre l’Allemagne ? CANARIS ou HITLER ?

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