La Russie dans le piège malien
La Russie, en soutenant la junte malienne contre les Touaregs du nord, s’est heurtée à la complexité du conflit au Sahel, notamment après la défaite de ses mercenaires et soldats maliens face aux combattants touaregs fin juillet 2024. Ce revers met en lumière l’erreur stratégique russe, similaire à celle de la France, en ignorant les réalités locales et en tentant de maintenir une unité malienne artificielle, sans résoudre les tensions ethniques profondes entre le nord et le sud du pays.
En plus d’indisposer son partenaire algérien en appuyant la junte de Bamako dans sa tentative de mise au pas des Touareg maliens, la Russie vient de découvrir tragiquement la « complexité » de la question sahélienne.
Une découverte qui s’est faite dans le sang, entre le jeudi 25 et le samedi 27 juillet, dans la région de Tinzawaten, à proximité de la frontière algéro-malienne, où une colonne de l’armée malienne encadrée de mercenaires russes a été anéantie par les combattants touareg. Encerclés, les russo-maliens n’ont pas pu être secourus, ce qui en dit long sur leur niveau opérationnel.
Il était clair qu’après l’humiliation de la chute de leur bastion de Kidal en novembre dernier, les combattants du Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad (CSP-DPA), le nouveau nom de la coalition armée touareg et maure, allaient contre-attaquer.
Si un bilan définitif est difficile à annoncer, les vidéos qui circulent largement permettent d’estimer les morts à peut-être une douzaine de Russes parmi lesquels le commandant du secteur nord, ainsi que plusieurs dizaines de soldats maliens. Toujours grâce aux vidéos, il est possible d’affirmer qu’au moins deux Russes ont été faits prisonniers.
Après une arrivée triomphale uniquement permise par l’addition des erreurs politiques de la France, les Russes ont choisi la pire des options, à savoir aider le Mali du sud à conquérir le Mali du nord, donc, en revenir à la situation antérieure à 2011, c’est-à-dire au début de la guerre. Or, une intervention qui ne serait pas précédée du règlement politique de la question touareg ne ferait que reporter le problème tout en l’amplifiant.
La Russie vient donc de découvrir qu’au Sahel, tout règlement en profondeur passe par la prise en compte des réalités locales… ce que la France a refusé de faire et qui explique son échec.
Le fond du problème dont j’explique la genèse dans mon livre Histoire du Sahel des origines à nos jours est en effet que s’obstiner à vouloir faire vivre dans un même Etat les agriculteurs noirs sédentaires du Sud et les nomades berbères ou arabes du Nord est une utopie crisogène puisque l’ethno-mathématique électorale donne automatiquement le pouvoir aux plus nombreux, en l’occurrence les Noirs sudistes, ce que les nordistes ne peuvent accepter.
Nouvelle venue dans la région, la Russie n’a pas compris que la seule option de sortie de crise est celle de la reconnaissance d’une réalité qui explique tout, à savoir que le Mali « unitaire » n’a jamais existé -, et qu’il est donc urgent de penser à une nouvelle organisation constitutionnelle et territoriale. Toute autre approche est vouée à l’échec et aboutira finalement à une coagulation ethnique à travers un califat islamique régional… comme à la fin du XIXe siècle… jusqu’à ce que la colonisation vienne en libérer les populations…
Bernard LUGAN
Editorial du numéro d’août 2024 de la revue : l’Afrique réelle