Depuis 1943, le chef du C.E. français multipliait ses démarches auprès des alliés pour que la préparation du débarquement dans le domaine de la sécurité fut entreprise en commun. Il y avait de bonnes raisons de croire qu’Anglais et Américains, invoquant les rivalités entre Français, prépareraient, seuls, l’action C.E. à entreprendre sur le territoire métropolitain libéré et imposeraient l’A.M.G.O.T. La masse impressionnante de renseignements C.E. recueillis sur la France par T.R., l’organisation méthodique et complète du S.S.M. clandestin, la préparation minutieuse en A.F.N. et à Londres du S.S.M. de débarquement (1) furent, avec la fusion des Services Spéciaux dans le sein de la D.G.S.S. les facteurs essentiels qui amenèrent le S.H.A.E.F. (2) à déléguer à Alger les Lieutenants-Colonels Dick White (3) et Jarvis pour étudier avec le Commandant Paillole la participation des Français à la sécurité des opérations de débarquement et des territoires libérés.
Plusieurs conférences et visites, en mars 1944, convainquirent le représentant du commandement allié de la part prépondérante que devait prendre le S.S.M. dans cette tâche.
Au cours de plusieurs semaines de travail en commun à partir du 5 mai 1944 à Londres, des accords définitifs furent établis. Ils eurent l’approbation du Général Koenig, Commandant en chef F.F.I. et furent signés du côté allié par le Colonel Scheen, du S.H.A.E.F., et par le Commandant Paillole, mandaté à cet effet par le Général de Gaulle.
Les opérations de débarquement dans le Sud de la France donnèrent lieu à des préparatifs analogues sur des accords aussi précis.
Au préalable, et pour préserver au mieux le secret des opérations en Corse et en Italie, où était stationnée l’armée française, le S.S.M. avait renforcé son dispositif de sécurité territoriale.
Sous les ordres du Commandant Tupinier, accolé à l’État-major de la 7ème armée (Général Patch) les services de C.E. de débarquement comprenaient :
– Le S.S.M./600 (Commandant Alet) destiné à suivre les opérations des grandes unités alliées.
– Le S.S.M./60 (Commandant Gacon) qui assurait la sécurité des armées françaises depuis les opérations d’Italie.
– Une équipe S.M. de réserve (Capitaine Bruel) destinée à implanter le S.M. Territorial dans la zone de débarquement Sud.
– Un élément T.R. (Capitaine Bertrand) jumelé avec les éléments alliés analogues, chargé du Contre-Espionnage offensif au sein de la 1ère armée française.
Des éléments S.M./Air (Capitaine Tamisier), Marine (Commandant Labarère), de la Sûreté aux Armées (M. Koenig), complétaient le service de C.E. de débarquement dans la zone Sud, le tout coordonné par le Commandant Tupinier.
Le Commandant Paillole s’était rendu à Naples, Rome et Ajaccio entre le 1er et le 15 août pour présider à cette organisation dont le fonctionnement fut satisfaisant dès le débarquement, en dépit des moyens matériels réduits.
Il était à prévoir que les opérations de Normandie et de Provence créeraient dans le Sud-Ouest de la France une zone confuse ou les armées franco-alliées ne pourraient intervenir qu’avec retard.
C’est la raison pour laquelle le chef du S.S.M. donna en mars 1944 au Capitaine Dumont, chef du service de C.E. à Madrid, la mission de préparer des équipes S.M. destinées à assurer à travers les Pyrénées les liaisons avec les S.M. précurseurs méridionaux et les réseaux T.R.
Ainsi fut effectuée, avant même le départ des Allemands, la mise en route des B.S.M. précurseurs de Bordeaux, Toulouse et Montpellier. A plusieurs reprises, souvent dans des conditions pénibles et dangereuses, Dumont et ses excellents collaborateurs franchirent clandestinement la frontière, assurant le transport d’archives et des instructions du S.S.M., veillant à la bonne marche des dispositifs de sécurité territoriaux.
Les extraits ci-après de la lettre du 21 août 1944 adressée par le Commandant Tupinier au Commandant Paillole, donnent une idée de l’ambiance dans laquelle le S.S.M. participe à la libération :
” Mon cher Commandant,
Vous dire mon émotion et ma joie devant la réussite de notre opération est inutile…
… Vie intense d’action et d’organisation. Résultats déjà excellents.
… Avons trouvé à Draguignan S.M. précurseur destiné à Toulon, Capitaine Girardet, Capitaine Boffy (4) également après très bon travail sans casse. Capitaine Girardet nous a donné toutes indications sur S.M. précurseurs des régions et départements voisins. Nous mettons en place avec les moyens locaux (bons) ces B.S.M. territoriaux. … Tout ceci se fait encore sans véhicules. Ceux-ci sont attendus avec impatience ; mais chacun est tellement gonflé qu’un seul officier remplace les 5 roues d’une jeep.
… J’ai déjà une masse de documents inexploitables par nous. Il est indispensable que le ler échelon de la D.S.M. arrive (5) .
Actuellement une force S.M. – S.R. que j’ai organisée sous le commandement d’Ales (je dois le rejoindre demain) est prête à bondir sur Toulon. Digne, Aix-en-Provence reçoivent notre visite dès maintenant par S.M. divisionnaire.
Cassagnou doit vous parler du problème F.F.I. A mon avis il se résume à ceci :
a) Organisation après contrôle et par enrôlement en ” Force spéciale ” de ces jeunes résistants dont trop sont de la dernière heure.
b) Contrôle très strict des arrestations innombrables qu’ils opèrent eux-mêmes, avant l’arrivée de la troupe. Le S.S.M. se trouve dans chaque village devant le fait accompli… petites vengeances locales, politiques, méridionales, etc. Il faut du tact, on y arrive, mais quelle perte de temps !
En résumé, situation excellente, moral magnifique de tous : comment pourrait-il en être autrement devant l’accueil enthousiaste de la population… La France n’était vraiment pas morte et nous ne sommes qu’en provence !…”
Les noyaux des équipes de débarquement et d’Espagne, groupés à Paris en novembre 1944, reçurent mission du Commandant Paillole, de poursuivre en Allemagne, sous les ordres du Colonel Gérard-Dubot leur action de C.E. en liaison avec les alliés et dans le cadre d’un Bureau Interallié de C.E. (B.I.C.E.)
(1) Les résultats remarquables obtenus par les équipes S.S.M. sur les théâtres d’opérations d’Italie avaient fortement impressionné le Commandant allié.
(2) Supreme Headquarter Allied Expeditionary Forces.
(3) Après le départ à la retraite du Général Menzies, le Colonel Dick White devint le chef de l’I.S.
(4) Après une excellente mission de liaison en France en 1943, le Capitaine Boffy avait été parachuté le 15 août 1944 en avant des troupes débarquées, pour préparer avec le S.M. précurseur la sécurité des opérations dans la région de Draguignan et de Toulon.
(5) Il avait été prévu que, pour éviter l’encombrement des équipes S.M. de débarquement, les documents saisis dans les postes de l’Abwehr et de la Gestapo, seraient exploités par un échelon de la D.S.M. à Londres pour le débarquement Nord et à Marseille pour le Sud.