Curieuse compagnie que la nôtre ! Le Commandant Gambiez ne disposait d’aucune réserve en uniforme pour nous équiper. C’est donc en vêtements civils, qu’après quelques jours d’entraînement commando, nous prîmes part aux premières opérations de Libération de la Corse. Afin de ne pas être traités comme des francs-tireurs en cas de capture, nous avions été pourvus d’un brassard blanc portant la tête de maure, emblème de la Corse. Cette précaution me parut très illusoire à un moment où les maquisards étaient l’objet de terribles représailles de la part des troupes allemandes. Nous fûmes par contre dotés du même armement que celui dont étaient pourvues les autres unités du Bataillon de Choc. Il comprenait essentiellement le fusil-mitrailleur Brent, le pistolet-mitrailleur Sten et la grenade Gammon dont la charge de plastic causait de terribles ravages au moment de l’impact.

J’avais retrouvé dans mes bagages un vieux béret alpin et mon ancien blouson des Corps Francs de 1940; ces deux attributs, complétés par des galons de lieutenant un peu défraîchis, me donnèrent une allure assez convenable dont se souciaient assez peu les garçons que j’avais à commander.

En rejoignant le Bataillon de Choc, je ne faisais que retrouver mon statut d’Officier de carrière. Pourtant pour les autorités civiles locales je demeurais Marcel CIMA, Délégué Départemental de l’Artisanat.

Il me fallait me dépouiller de ce déguisement. J’écrivis une lettre officielle au Préfet de la Corse pour lui annoncer ma démission de mes fonctions civiles et ma réintégration dans l’Armée.

Les événements évoluaient rapidement.

En effet, les Allemands ne furent pas longs à réagir. La Corse constituait pour eux un tremplin qui leur permettait d’acheminer par la plaine orientale et par Bastia vers l’Italie du Nord, leurs unités stationnées en Sardaigne. Ils ne tenaient pas à ce que ce marchepied leur fut interdit par l’armée française ou la résistance corse.

La mission du Bataillon de Choc était de s’opposer par tous les moyens (embuscades, coups de main, harcèlement) aux mouvements des unités allemandes qui se dirigeaient vers Bastia.

Notre compagnie, dont les sections opéraient isolement, prit vaillamment sa part dans cette mission.

Nos déplacements s’effectuaient soit en camion, soit souvent à pied. Je me souviens des marches exténuantes sur des sentiers de montagne auxquelles nos volontaires à tête de moines, non entraînés, étaient peu préparés. Ils furent en tous points remarquables par leur courage et leur entrain.

A plusieurs reprises ma section fut transportée sur des camions de l’armée italienne conduite par des soldats italiens en uniforme. Ces garçons auraient d’ailleurs fait n’importe quoi pour nous être agréable et se faire pardonner.

Nous arrivâmes ainsi un soir à Vescovato, village à 20 kilomètres au sud de Bastia.

Depuis notre départ d’Ajaccio, le Lieutenant Riquebourg avait été remplacé à la tête de notre compagnie par le Capitaine Charles Torri, un de mes grands anciens de Saint-Cyr.

Il vint me retrouver à Vescovato pour me fixer la mission du lendemain.

Il avait appris que les troupes allemandes occupaient le petit village d’Olmo (3 kilomètres à l’ouest de Vescovato). Il savait aussi que chaque matin, un ou plusieurs camions militaires allemands montaient à Olmo pour ravitailler le poste et y amener du personnel.

Ma mission consistait à tendre une embuscade pour détruire ces camions le lendemain matin.

Le « Maquis » mit un guide à ma disposition et nous quittâmes Vescovato avant l’aube.

La progression lente et pénible dans une végétation très dense et sur un terrain escarpé fut soudainement arrêtée par des rafales de pistolets- mitrailleurs. Nous venions de tomber nous-mêmes dans une embuscade ou sur une patrouille allemande chargée de découvrir si Vescovato était tenu par les Français.

Le guide Corse qui marchait devant moi avait été tué sur le coup.

La réaction de la section fut immédiate. Aux rafales allemandes succédèrent celles de nos P-M. et les explosions de nos grenades.

Il ne pouvait plus être question de remplir une mission dont le succès reposait sur la surprise. Je fis replier ma section qui fut accompagnée sur le chemin du retour par des tirs de mortier. Un de mes hommes fut légèrement blessé. Je n’étais pas fier, et mes hommes étaient furieux.

Le Capitaine Torri vint me retrouver quelques heures après à Vescovato.

Mis au courant des événements il me dit simplement : « Tu recommences demain matin. »

Ce qui fut fait, mes hommes avaient la rage au ventre.

Après une progression aussi lente et aussi pénible que celle de la veille, je fis mettre des fusils-mitrailleurs en batterie sur une pente qui dominait la route.

Un camion de la Wehrmacht l’emprunta ce matin-là. Foudroyé par les fusils-mitrailleurs il n’alla pas plus loin. Ses occupants non plus.

Après la libération complète de la Corse et le regroupement du Bataillon de Choc à Calvi, je revins à Vescovato pour revoir cette pittoresque localité dont le médecin m’avait hébergé.

Plus tard encore, le Capitaine Torri y fut enterré. C’était son village.

A CALVI

Fin 1943, le Bataillon de Choc fut regroupé à Calvi où il s’installa dans la citadelle qu’occupe maintenant la Légion Etrangère.

Les souvenirs de cette ville sympathique se sont progressivement estompés. Il ne reste dans ma mémoire que la vision d’une rade magnifique sur fonds de montagnes et ce promontoire autoritaire que constituait la citadelle dominant la cité.

Notre 4e Compagnie avait enfin reçu ses uniformes et équipements américains. Blouson Corps Franc, Béret alpin et brassard à tête de Maure trouvaient désormais leur place parmi d’autres reliques. L’instruction et l’entraînement poussés auxquels nous étions astreints achevaient de nous intégrer dans le Bataillon de Choc. Seul ne pouvait nous être donné l’entraînement parachutiste auquel avaient été soumis en Algérie tous les chasseurs de la prestigieuse unité. La Corse avait été libérée. Il fallait être en mesure de la défendre d’éventuels retours en force des Allemands. Le Bataillon avait reçu une mission de défense des côtes dans la région de Calvi en attendant de se voir confier une tâche plus conforme à sa vocation. C’est à Calvi que me parvinrent fin décembre 1943 l’ordre de rejoindre la Direction du Service de Renseignements à Alger pour une autre destinée.

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