Depuis des décennies mais de manière plus marquée ces dernières années, la relation entre Taïwan et la Chine est une question géopolitique majeure, suscitant un large débat au sein de la société taïwanaise.
Face à la pression croissante de Pékin, l’opinion publique à Taïwan s’articule autour de plusieurs courants, chacun ayant une perspective différente sur la manière de gérer les relations avec la Chine continentale.
Cet article explore ces tendances et s’interroge sur les scénarios envisageables pour l’avenir de l’île.
Le courant indépendantiste : pour une identité taïwanaise affirmée
Une part significative de la population taïwanaise, en particulier les jeunes générations, favorise une identité distincte et se prononce pour le maintien d’une indépendance de facto, voire pour une indépendance officielle. Selon cette tendance, Pékin est perçu comme une menace directe, et la préservation de la souveraineté de l’île est essentielle. Ces opinions sont souvent soutenues par le Parti démocrate progressiste (DPP), actuellement au pouvoir. Ce courant cherche à consolider l’identité taïwanaise par des initiatives culturelles, politiques et éducatives, tout en renforçant les alliances internationales, notamment avec les États-Unis, le Japon, et d’autres démocraties.
Le courant modéré : équilibre entre souveraineté et apaisement des tensions
Les modérés prônent une approche pragmatique, visant à conserver la paix tout en maintenant une forme d’indépendance de facto. Ces Taïwanais considèrent que les provocations directes envers Pékin sont contre-productives et risquent de déclencher des réactions militaires ou économiques dangereuses. Ils défendent une politique de statu quo, évitant les déclarations d’indépendance officielles tout en développant des liens économiques et culturels prudents avec la Chine. Ce groupe inclut des membres du Kuomintang (KMT), le principal parti d’opposition, qui mise sur une politique de dialogue et d’échanges économiques pour désamorcer les tensions.
Le courant pro-réunification : des voix minoritaires mais influentes
Bien que minoritaire, un courant existe en faveur d’un rapprochement avec la Chine, voire d’une réunification, même si celle-ci serait largement conditionnée par des garanties d’autonomie politique. Pour les partisans de cette position, la Chine représente une opportunité économique et culturelle majeure, et un rapprochement pourrait garantir la stabilité de l’île à long terme. Toutefois, ce courant est confronté à un manque de soutien populaire, en raison des politiques répressives de Pékin et de la crainte d’une perte de libertés démocratiques.
La polarisation générationnelle et les influences externes
Il est important de noter une différence générationnelle notable dans les opinions. Les jeunes Taïwanais, souvent plus sensibilisés aux valeurs démocratiques et à une identité taïwanaise distincte, sont largement en faveur du maintien du statu quo ou d’une indépendance renforcée. Les générations plus âgées, ayant connu des périodes de rapprochement avec la Chine, sont parfois plus favorables à des relations apaisées, même si le soutien à une réunification reste marginal. L’influence des États-Unis et de ses alliés sur l’opinion publique taïwanaise est également déterminante. Les accords de coopération militaire, les visites officielles et les déclarations de soutien au gouvernement taïwanais encouragent une partie de la population à envisager un renforcement des alliances, tandis que d’autres craignent une escalade des tensions avec Pékin.
Mourir pour Taïwan
Concernant la volonté des taïwanais à défendre l’île face à une invasion chinoise, celle-ci est nuancée et complexe, influencée par nombre de facteurs internes comme externes. D’un côté, les sondages montrent que la majorité des Taïwanais se disent prêts à défendre leur île. Par exemple, environ 68 % des personnes interrogées en août 2023 se disaient « très » ou « plutôt prêtes » à se battre si la Chine attaquait, bien que ce pourcentage ait fluctué au fil du temps, notamment en réaction aux tensions militaires ou aux visites de responsables américains à Taipei.
Cependant, il y a des doutes sur ce que signifie concrètement cette volonté de com battre. Les expériences de guerre des Taïwanais sont limitées, rendant les prédictions sur leur comportement en cas de conflit réel plutôt incertaines. De plus, la question de la mobilisation et de la préparation militaire reste problématique : bien que Taïwan ait environ 188 000 soldats actifs, l’efficacité de ses réserves est souvent remise en question.
L’attente d’une aide internationale, et plus particulièrement américaine, joue un rôle majeur dans l’opinion publique. Les Taïwanais semblent divisés quant à la possibilité d’une intervention directe des États-Unis. Certains pensent que les États-Unis se contenteraient de fournir des armes, tandis qu’une minorité croit en une intervention militaire conjointe. Le soutien international, notamment de la part des États-Unis, est perçu comme un élément crucial pour maintenir la volonté de résister.
En somme, bien que de nombreux Taïwanais semblent prêts à défendre leur nation, leur détermination est liée à la perception d’un soutien international, tout comme celle de l’Ukraine est influencée par l’aide occidentale en cours. Les préoccupations concernant l’équipement, l’organisation militaire et la solidité des alliances internationales ajoutent à la complexité de la situation actuelle.
Les élections présidentielles et législatives de 2024
Le scrutin présidentiel de janvier 2024 a capté la majeure partie de l’attention médiatique internationale : William Lai Ching-ten (DPP) a été élu président avec 40,05% des voix alors que l’ancienne présidente Tsai Ing-wen (DPP) l’avait été avec 57,1% des voix en 2020.
Une autre élection s’était déroulée le même jour et était potentiellement tout aussi significative : l’ensemble des 113 sièges du Parlement taïwanais étaient à pourvoir pour un mandat de quatre ans. Ces élections législatives furent marquées par des pertes significatives pour le PDP (51 vs. 68 sièges en 2016) à la faveur du KMT (52 vs. 35 sièges en 2016). Une réelle lassitude politique, une volonté de changement et un mécontentement croissant ont pesé lourd dans le vote des Taïwanais.
Autre élément intéressant de cette élection est l’avènement du Parti du peuple taïwanais (TPP) qui avec près de 10% des sièges lui permet de jouer un rôle de «faiseur de roi» dans le parlement. Le KMT et le TPP représentent ensemble (62 %) une vision politique plus nuancée sur la question des relations avec la Chine continentale et un affaiblissement de la ligne dure indépendantiste.
Quelles solutions pour l’avenir ?
L’opinion reste divisée, oscillant entre la défense de la souveraineté et le désir d’éviter une confrontation directe avec la Chine. La majorité semble privilégier le statu quo, estimant qu’il représente le compromis le plus viable entre indépendance et stabilité. La consolidation des liens diplomatiques et économiques avec des puissances étrangères est vue comme une garantie de protection face à Pékin. À moyen terme, les solutions pourraient se concentrer sur un renforcement des capacités de défense tout en maintenant le statu quo, combiné à des politiques de dialogue économique mesuré avec la Chine pour réduire les risques de tensions. Il existe des mécanismes de coopération régionale et internationale, ceux-ci associée à une consolidation de l’identité taïwanaise, proposent des voies réalistes pour un avenir stable. Toute tentative de modification unilatérale du statu quo, qu’elle vienne de Pékin ou de Taipei, risquerait d’accentuer la polarisation interne et d’entraîner des conséquences géopolitiques imprévisibles. Une solution durable nécessiterait de concilier la reconnaissance de l’identité taïwanaise avec une gestion pragmatique des relations sino-taïwanaises, dans un cadre de sécurité collective plus large.
Claude R. JAECK
Membre de l’AASSDN
Bangkok, le 7 novembre 2024
TAÏWAN EN CHIFFRES
Taïwan est un État insulaire de 36 197 km² (1) situé à 180 km à l’est de la Chine.
Sa capitale, Taïpei, est située au nord de l’ile.
Ce pays très montagneux, est peuplé de 24,5 millions d’habitants avec une densité moyenne de 650 h/km2, une des plus élevées au monde. Mais la grande majorité de la population se concentre sur la côte ouest où la densité atteint 1 500 h/km2. La zone centrale de l’ile très montagneuse et forestière est à peu près déserte.
Les Chinois constituent l’essentiel du peuplement. Il existe des minorités proto malaises sur les hauteurs. Le taux de fécondité n’assure plus la croissance de la population, vieillissante (l’espérance de vie des femmes à la naissance est une des plus élevées du monde).
Taipei, la capitale, domine le réseau urbain avec 2,5 millions d’habitants , devant Kaohsiung 1,5 million d’habitants).
Considérée par la Chine comme sa 23e province, Taiwan est administrée de fait, sous le nom de république de Chine, par son propre gouvernement, depuis 1949.
Sur le plan économique, la principale entreprise est Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) qui produit plus de 90 % des puces de moins de 10 nanomètres utilisés dans le monde. Ce secteur représente 15 % du PIB taïwanais ; les exportations annuelles de semi-conducteurs sont estimées à plus de 150 milliards de dollars US.
Les grandes entreprises françaises implantées à Taïwan: Airbus, Total Energies, Thales, Safran, Dassault Systèmes.
(1) soit une superficie intermédiaire entre celle de la Belgique et celle des Pays-Bas
Vous pouvez télécharger la version PDF de cet article en cliquant ICI