Weekend intéressant en Europe, avec des élections en Pologne, premier tour des présidentielles, au Portugal, législatives anticipées, en Roumanie, finale des présidentielles. Avec un mot en vedette dans la presse : ingérences étrangères.
Certaines sont supposées être vertueuses. En effet, remarquait le Monde diplomatique déjà en janvier dernier « il y a ingérence et ingérence : d’un côté les manipulations odieuses orchestrées par Moscou et Pékin ; de l’autre, les interventions vertueuses des Américains et des Européens pour défendre les valeurs démocratiques » (1). Interventions sous diverses formes devenues banales si non avouées depuis la chute du mur de Berlin mais ouvertement déclarées en Europe cette année comme légitimes. Un exemple ? « Faisons appliquer nos lois en Europe lorsque celles-ci risquant d’être circonvenues et qu’elles peuvent, si on ne les applique pas, conduire à des interférences. On l’a fait en Roumanie, il faudra évidemment le faire si c’est nécessaire en Allemagne ». Cette déclaration est celle de l’ex-commissaire européen Thierry Breton le 9 janvier dernier sur RMC (1).
Notons une nouveauté : jusqu’à la nouvelle administration Trump, « l’Occident » était supposé travailler dans le même sens. Mais, depuis le 20 janvier, et plus précisément depuis le discours du vice-président américain JD Vance à Munich le 14 février, les Etats-Unis trouvent à redire à ces pratiques : « Lorsque nous voyons des tribunaux européens annuler des élections et de hauts responsables menacer d’en annuler d’autres, nous devrions nous demander si nous nous tenons à des normes suffisamment élevées (…). Nous devons faire plus que parler des valeurs démocratiques. Nous devons les vivre » (2). Il s’agissait évidemment d’une critique concernant le premier tour des élections présidentielles du 24 novembre 2024 en Roumanie, dont le second tour prévu le 8 décembre a été annulé par la Cour constitutionnelle roumaine sur des considérations qui n’ont pas été jusqu’ici avérées (3). Annulation qui a été accompagnée de l’ouverture d’une enquête par la Commission européenne.
Qu’est-ce qui est en jeu ?
Parce que, disait déjà Christian Lequesne (4), professeur à Sciences Po, en 2017, « les grandes élections nationales n’abordent que marginalement le thème européen pendant les campagnes » – ce qui est vrai. Tout en remarquant déjà « la vague d’euroscepticisme généralisée dans tous les Etats membres de l’Union européenne » – une vague qui s’est confirmée d’élection en élection, en France mais pas seulement, voir les élections européennes de 2024. Vague peut-être due à « la ‘polycrise’ que connaît l’Union européenne depuis 2008 ». Polycrise très sérieuse, certes, que les politiques au pouvoir et les fonctionnaires de l’UE ne parviennent pas à juguler. « L’industrie européenne, dont les parts du marché mondial ont fondu de 22,5 % à 14 % depuis 2000 quand celles de la Chine s’envolaient de 10 % à 28 %, est menacée de mort » rappelle Nicolas Baverez (5) en détaillant la régression secteur par secteur (acier, chimie, textile, automobile, agriculture, etc.).
Avec, ce qui touche particulièrement les populations au quotidien, partout : « Alors que l’énergie est 4 fois plus chère qu’en Asie et 5 fois plus qu’aux États-Unis, alors que la priorité absolue donnée aux renouvelables vient de provoquer en Espagne et au Portugal un black-out géant qui a plongé dans le noir 60 millions d’Européens, la trajectoire pour 2040 occulte la dimension de la sécurité, récuse la notion de décarbonation qui assure la neutralité entre les technologies et poursuit l’éradication du nucléaire ». Et, très sévère : « Ursula von der Leyen doit aujourd’hui être placée devant ses responsabilités ». Parce que « non seulement l’Union ne prend pas les mesures indispensables pour protéger son potentiel de développement, les conditions de vie de sa population et sa sécurité, mais elle s’enferme dans le déni des réalités et le refus de mettre en cause les principes et les politiques qui ont échoué ».
C’est peut-être cela que les populations contestent, non pas le fait d’être Européens, ils le sont et le savent, mais le système qui leur est uniformément imposé au nom d’une intégration fédérale, qui est en échec – et qui rogne leur liberté de décision. Alors que politiques élus et fonctionnaires de l’UE tentent de préserver leur modèle mondialiste, leur idéologie et leur pouvoir. On peut-être pour ou contre ce modèle, mais en démocratie, il faut accepter d’être contesté, c’est la règle.
Et le malaise s’accroît à chaque élection nationale.
Regardons les résultats du weekend. En Pologne, « l’étonnement domine dans la presse après les résultats du premier tour de la présidentielle polonaise, dimanche 18 mai. Le libéral Rafal Trzaskowski, maire de Varsovie, l’emporte de peu (avec 31,36 % des voix) face au candidat national conservateur Karol Nawrocki (29,54 %). L’extrême droite, elle, totalise plus de 21 % » nous dit Courrier International (6). Le second tour est prévu le 1er juin. Comprenez que les défenseurs du modèle défendu par la Commission européenne sont inquiets.
Au Portugal, se tenaient les troisièmes législatives en trois ans. Le centre droit sortant sort en tête – il n’inquiète pas Bruxelles, pas plus que ne l’inquiètent les socialistes. Mais, nous dit le Monde (7), il n’aura qu’une majorité relative. En effet, « la croissance du parti d’extrême droite Chega (Assez) pourrait cependant rendre le Parlement portugais plus difficile à manœuvrer ». Parce que « Chega a obtenu autant de députés que le Parti socialiste. Il devrait même le devancer, une fois terminé le décompte des résultats des circonscriptions des Portugais de l’étranger, où l’extrême droite était arrivée en tête en 2024 ». Comprenez que Chega défend les intérêts nationaux du pays.
En Roumanie ? « C’est un soulagement pour Bruxelles comme pour bon nombre de capitales européennes. Le maire de Bucarest, Nicușor Dan, a remporté l’élection présidentielle roumaine ce dimanche 18 mai. Le candidat centriste et pro-européen a recueilli près de 54 % des suffrages au second tour, devançant George Simion (46 %), leader de l’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR, affilié aux Conservateurs et réformistes européens), une formation nationaliste et eurosceptique » (8). Georges Simion, qui a pris la suite de Calin Georgescu invalidé à la suite du scrutin de novembre 2024, était arrivé en tête avec 41% des suffrages au premier tour (21% à Nicusor Dan).
Que voulaient au fond les électeurs roumains ? Ils n’ont certainement pas un bon souvenir de l’occupation soviétique et Georges Simion a été présenté comme un candidat pro-russe. De plus, leur adhésion à l’UE, fonds européens aidant, a été positive à l’économie du pays – et donc au bien-être de chacun.
Que faut-il penser du résultat ? Interrogé par le Figaro (9), le général Chauvancy (2S), docteur en sciences de l’information, résume, sans nier les ingérences, au contraire : « Je n’ai pas été à l’aise avec cette annulation. Lors du sommet des Européens à Munich en février dernier, JD Vance a déclaré : «Si votre démocratie peut être détruite avec quelques centaines de milliers de dollars de publicité numérique d’un pays étranger, alors c’est qu’elle n’était pas très forte». Il n’a pas tort. Les positions très moralisatrices de l’Union européenne et de la France m’ont un peu surpris aussi. On accablait l’électeur roumain en affirmant qu’il avait été manipulé. Alors qu’ils consultent les réseaux sociaux tout autant que nous ! Même s’il y a de la manipulation, cela sous-entend qu’ils ne seraient pas assez intelligents pour voter par eux-mêmes. L’idée sous-jacente c’est : «vous avez mal voté, on va vous aider à le faire comme il faut». Face à ces réactions, je me suis dit qu’on aurait mieux fait d’appliquer un relatif devoir de réserve ».
Tout en ajoutant : « J’espère que d’ici 2 ou 3 ans, un groupe de chercheur se sera attelé à comprendre ce qu’il s’est vraiment passé en Roumanie, car il y a des zones d’ombre à éclaircir : l’action exacte et précise de la Russie via TikTok même si des éléments précis ont été identifiés comme l’action de nombre d’influenceurs, mais aussi l’action de l’UE et de certains pays dans cette élection en Roumanie ». Certainement. Mais ce qu’en penseront les Roumains eux-mêmes et les conséquences sur la vie politique de leur pays reste incertain.
Ce qui est sûr, c’est que tous les Européens ont suivi cette malheureuse ingérence – la déclaration de Thierry Breton est scandaleuse et contre productive. Elle n’est pas faite pour amoindrir la défiance de chacun quant à l’honnêteté des responsables politiques comme à celle des fonctionnaires de l’UE – qui ne sont pas des élus, sont au service des électeurs et n’ont aucune légitimité à décider pour eux.
Qui a osé l’oublier ?
Hélène NOUAILLE
La Lettre de Léosthène
Notes :
(1) Le Monde diplomatique, le 20 janvier 2025, dossier « Telex », Au nom des ingérences
https://www.monde-diplomatique.fr/telex/2025-01-ingerences
(2) Discours intégral en français de JD Vance le 14 février 2025 (sur X, ouvert)
(3) « Un candidat d’extrême droite hostile à l’aide à l’Ukraine — qui transite largement à travers le pays — était arrivé en tête. Au lendemain de cette décision, sur la base d’un simple soupçon de manipulations russes par l’intermédiaire de TikTok, la Commission européenne diligentait une enquête sur de potentielles infractions du réseau social chinois. Mais, selon le site d’investigation roumain Snoop, les cent trente influenceurs supposément payés par Moscou auraient en réalité participé à une campagne financée… par le Parti national libéral (PNL) au pouvoir » (Le Monde diplomatique, note 1).
Enquête du SGDSN français publié le 4 février 2025 :
« A ce stade, le commanditaire derrière la campagne pro-Georgescu demeure inconnu, de même que le rôle exact joué par FA Agency et par les entreprises affiliées à Zlodeï dans l’ensemble de la campagne du candidat roumain, hormis leur recrutement d’influenceurs par email »
(4) Sciences Po/CERI, avril 2027, Christian Lequesnes, L’enjeu européen dans la campagne présidentielle
https://www.sciencespo.fr/ceri/en/content/l-enjeu-europeen-dans-la-campagne-presidentielle
(5) Le Figaro, le 19 mai 2025, Nicolas Baverez : « L’Union européenne otage de sa bureaucratie »
(6) Courrier International, le 19 mai 2025, Présidentielle en Pologne ‘carton jaune’ pour le gouvernement de Donald Tusk
(7) Le Monde, le 19 mai 2025, Sandrine Morel, Au Portugal, le centre droit remporte les élections, la gauche s’effondre au profit de l’extrême droite
(8) Toute l’Europe, le 19 mai 2025, Hugo Palacin, Roumanie : le candidat pro-européen, Nicusor Dan, remporte l’élection présidentielle
(9) Le Figaro, le 19 mai 2025, Elisabeth Pierson, Présidentielle en Roumanie: «Croyez-vous vraiment que nos dirigeants s’affranchissent de toute action d’influence? »
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