Dans une rare prise de parole, l’ancien directeur de la DGSE livre une analyse implacable de la situation migratoire en France. Il dénonce un phénomène massif et incontrôlé, porté par une idéologie qui paralyse l’action politique et compromet la souveraineté nationale. Selon lui, l’absence de contrôle strict entraîne un bouleversement profond du tissu social, avec des conséquences irréversibles sur l’identité et la stabilité du pays. Face à cette situation, il appelle à un sursaut collectif pour préserver l’avenir de la France.
AASSDN Commentaire : Dans cette interview donnée à la revue Valeurs actuelles, Pierre Brochand décrit ce que la plupart des Français constatent, explique ce que trop de responsables politiques ne veulent pas dire et dit clairement ce qu’il faudrait faire de toute urgence. Il y faut du courage.
Napoléon, qui en avait, ne disait-il pas à juste titre « qu’un homme sans courage est une chose » C’est encore plus vrai, 2 siècles plus tard !
L’ancien patron de la DGSE, très rare dans les médias, pose un regard implacable sur une situation migratoire mortelle pour la France. Il lance un appel au sursaut.
Valeurs actuelles. Les derniers chiffres de l’immigration laissent entrevoir un phénomène plus massif que jamais. Vous qui avez appelé à un contrôle strict de l’immigration, comment réagissez-vous ?
Pierre Brochand. Avec consternation, mais aussi exaspération. Car, après cinquante ans d’inaction, la déploration finit par lasser. Si je suis sorti de la réserve qu’imposaient mes fonctions antérieures, c’est parce que j’estimais de mon devoir, au nom de l’expérience accumulée, d’avertir mes concitoyens des périls non pas de l’immigration en général mais de celle que nous subissons actuellement.
C’est pourquoi, à mes yeux, constater que le phénomène se poursuit et s’amplifie défie l’entendement alors même que le recul est désormais suffisant pour dresser un bilan, globalement très négatif. Au moment, aussi, où, sondage après sondage, une grosse majorité de Français (des deux tiers aux trois quarts) partage ce jugement. Car les statistiques ne concernent pas seulement les arrivées irrégulières mais également les titres de séjour légaux et semi-légaux (demandes d’asile), délivrés – théoriquement – en pleine souveraineté et dont l’accroissement est encore plus stupéfiant. Comment ne pas déceler, dans cet aveuglement, une pulsion suicidaire, que rien ne semble vouloir contrarier ?
Que manque-t-il à nos dirigeants ? De la lucidité ? du courage ? des moyens ?
Je ne crois plus au manque de lucidité. Au long de mon parcours, j’ai eu l’occasion de converser, en privé, avec nombre de responsables de tous bords : leurs propos sur l’immigration, quand ils ne se sentent pas surveillés, vous étonneraient par leur sévérité. Force est, donc, de dénoncer une absence de courage, car la carence des moyens n’est qu’une conséquence.
Pour expliquer ce double jeu, il convient de remonter aux causes. Car, avant la satisfaction d’intérêts économiques, ce qui nous arrive découle d’une idéologie, hégémonique depuis un demi-siècle, qui donne la priorité absolue aux droits des individus, d’où qu’ils viennent, sur les institutions, censées les réguler, désormais en voie de déconstruction. À commencer par la plus éminente, l’État national, réduit à garantir et promouvoir des prérogatives privées, au rebours de sa mission d’intérêt général : la protection de la collectivité, sur un territoire, délimité par des frontières. Soit, de fait, un désarmement unilatéral, que le reste du monde se garde bien d’imiter.
Puisque ce nouveau dogme exclut d’emprisonner les corps, il use, pour régner, de la manipulation des esprits. Avec, pour sanction suprême, l’excommunication, c’est-à-dire la mort sociale de ceux qui osent récuser le mythe de la bienveillance universelle. Le nouvel évangile est « l’État de droit », florilège de principes abstraits, décrétés supérieurs à la volonté populaire. Le paradoxe veut que nos « dirigeants », issus de cette volonté, endossent son abaissement. D’après ce que j’ai observé, leur hantise est d’échapper aux anathèmes, briseurs de carrières (racisme, extrême droite). Pourtant, dans la pratique, rien ne leur interdit de modifier « l’état du droit » tout en préservant « l’État de droit », distinction capitale que la doxa s’emploie à gommer. En bref, si nos élites ne sont pas au rendez-vous, c’est, avant tout, par terreur du bannissement, hors du « cercle de la raison », ce petit village où l’on se blottit, bien au chaud, et dont il ne fait pas bon sortir.
Le discours n’est-il pas aujourd’hui plus libre sur ces questions ?
Il est vrai que la parole est moins unanime et la dissidence, plus étayée, comme en attestent les travaux de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID). Mais, pour l’instant, cette brèche n’est qu’entrebâillement. Car, à s’en tenir au seul critère qui vaille – la dimension des flux entrants -, l’intimidation fonctionne encore. Ce ne sera que le jour, s’il advient, où la tendance s’inversera, que nous pourrons respirer. Mais, d’ici là, gardons-nous de tout « wishful thinking » (« vœu pieux »). J’en veux pour preuve ironique la énième loi de « maîtrise de l’immigration », adoptée en janvier 2024, dans un grand tumulte, alors qu’au final, son principal effet – après nettoyage du Conseil constitutionnel -est d’aggraver la situation, en instaurant un droit à régularisation pour « métiers en tension ». En cette matière, comme en bien d’autres, la sagesse est d’imiter saint Thomas.
Que pensez-vous du tandem Retailleau–Darmanin ?
Je répugne à porter des jugements sur les personnes, surtout quand elles sont aux prises avec les contingences de l’action, par opposition à ceux qui – comme moi – les tancent depuis le banc de touche… C’est pourquoi j’adopte l’expression « nos dirigeants », afin d’imputer le désastre à l’ensemble de la classe politique, aux affaires depuis des décennies, sans charger les responsables actuels davantage que leurs prédécesseurs. En outre, j’ai bien conscience des limitations que leur dicte la configuration parlementaire du moment. Il n’empêche. En aucune circonstance, pas même celles-ci, on ne saurait confondre les paroles et les actes : les premières, fussent-elles les mieux intentionnées, restent nulles et non avenues tant qu’elles ne sont pas suivies de résultats – en l’occurrence la réduction significative de l’immigration, que nous attendons toujours.
Bruno Retailleau a déclaré que l’immigration n’était plus « une chance » pour la France. Est-ce un bon début ou ne sont-ce encore que des mots ?
Je ne peux que partager cet avis. Mais il est étrange que le fait de l’émettre en 2025 soit célébré. Regardons les choses telles qu’elles sont. Tout compris, nous ouvrons la porte à au moins 500 000 personnes par an, venues pour rester. Elles sont, pour l’essentiel, originaires d’un tiers-monde dysfonctionnel, à majorité musulmane, de mœurs communautaires et patriarcales, animées pour beaucoup d’un ressentiment historique et d’une culture de l’honneur hors du temps. À quoi s’ajoutent un faible niveau d’éducation et une propension logique à surcharger services publics et budget social.
Une fois installés, ces nouveaux venus forment des isolats, où la pression sociale s’inverse au détriment de l’intégration et a fortiori de l’assimilation : d’où le fait – jamais vu – que les jeunes générations divergent du pays d’accueil davantage que leurs ascendants. Au point de ranimer les clivages « non négociables » qui ont causé nos pires malheurs : la discorde religieuse, l’antagonisme colonial, le fléau du racialisme. Sans compter des comportements prémodernes, un alternationalisme parfois agressif, des opportunités d’ingérence pour les pays d’origine et des risques d’importation de toutes les querelles de la planète.
Personnellement, je perçois plutôt, dans ce tableau, les indices d’une grosse « malchance », avec pour seule consolation que nous en sommes les auteurs.
Bien sûr, à ces « amalgames » échappent nombre d’individus. Mais précisément, si nous nous sommes trompés de diagnostic, c’est parce que nous n’avons voulu voir que des individus, en oubliant les liens naturels et culturels qui les réunissent en peuples, déterminés à persévérer dans l’être. Si bien qu’aujourd’hui, selon une évaluation purement subjective, j’estime que l’assimilation n’intéresse qu’un dixième, et l’intégration un tiers des immigrés et descendants. Le reste relevant de la mystérieuse catégorie des « inclus », parmi lesquels le spécimen, jusqu’ici inconnu, du « Français francophobe ». Si l’on souscrit à ces proportions, l’échec apparaît colossal.
Êtes-vous favorable à des statistiques ethniques ?
À l’évidence. Car les statistiques fondées sur la nationalité perdent de leur pertinence au fur et à mesure que les étrangers deviennent automatiquement français, sans perdre les traits qui en faisaient des allogènes. De toute façon, si l’on entend traiter un problème, il importe d’en connaître toutes les dimensions. Prendre en compte la culture et la religion, pour mieux appréhender des communautés largement endogamiques, n’a rien de scandaleux. C’est tout simplement préférer la connaissance à l’ignorance, et les faits mesurables à la polémique. Sinon, autant fermer le Quai d’Orsay et les services de renseignements, où ces paramètres sont d’usage quotidien.
Les « territoires perdus de la République » le sont-ils définitivement ?
La question est grave et la réponse, difficile. L’immigration obéit à des lois simples. Ses courants sont cumulatifs : ils créent des « stocks » – les diasporas -, qui entraînent de nouveaux flux, par autoengendrement. Stocks eux-mêmes constamment accrus par le différentiel de natalité entre indigènes et allogènes. Sont alors franchis des seuils qui « renversent la vapeur », au sein de micro-contre-sociétés enclavées (1 500 environ aujourd’hui). D’où une partition, dont la seule issue, quand absorption et intégration capitulent, est une violence multiforme, opposant des souverainetés concurrentes sur un espace donné.
Cet état de choses est-il réversible ? Ce qui est certain, c’est qu’il le sera de moins en moins, si les « territoires perdus » continuent d’être inondés d’arrivants supplémentaires. Pour sortir d’un trou, il faut, au minimum, arrêter de creuser. Ce n’est qu’alors que nous aurons une petite chance de rattraper le temps perdu, en maniant, sans sentimentalité excessive, les leviers de l’éducation, de la répression et du retour ciblé, tout en mettant un terme aux « accommodements raisonnables », qui nous ont fait tant de mal, et en révisant une « politique de la ville », dont l’efficacité est l’inverse du coût. En tout cas, nous sommes dans l’extrême urgence. D’où l’impatience, pour ne pas dire la colère, que suscitent tous les atermoiements.
Le 20 novembre, à l’Assemblée nationale, vous déclariez que « des écarts culturels insoutenables provoquent l’effondrement de la confiance sociale et donc de la qualité de l’existence, en attendant pire ». À quels écarts culturels pensez-vous ?
J’en ai déjà cité quelques-uns. Les Anglo-Saxons les résument par l’expression « blood and God », le sang et la religion, c’est-à-dire ce qui définit les agrégats prémodernes qui, tels des pavés, sont projetés dans la mare de nos sociétés hypermodernes, totalement impréparées à ce choc.
Du point de vue religieux, chacun comprend, à défaut de le reconnaître, que l‘islam, artificiellement importé, n’a pas chez nous de légitimité historique. C’est pourquoi sa présence ne cadre en rien avec les exigences d’une laïcité taillée sur mesure pour le christianisme. Qu’on me comprenne. Je ne suis pas islamologue. Mais j’ai acquis une connaissance de cette confession « en action », en m’y frottant quotidiennement à la tête d’un service de renseignements. Ce que j’ai perçu, c’est une croyance à l’ancienne, rigide, englobante, ostensible, mais aussi un agent historique, jeune, dynamique, éruptif. Une civilisation insatisfaite, jalousement hégémonique là où elle est majoritaire, proactive là où elle ne l’est pas. Bref, une « force qui va », révisionniste de l’ordre établi par l’Occident, et dont les symptômes de rébellion – identitaires, islamistes, salafistes, djihadistes – se retrouvent aussi bien dans sa zone de prépondérance qu’en France, tordant le cou au fantasme d’un islam gallican.
Quant aux liens du sang, ce sont ceux qui soudent les communautés naturelles, où tout le monde est “parent”, selon une hiérarchie qui place les hommes au-dessus des femmes, garantes de la reproduction du groupe et, donc, soumises au pistage. Morale de l’honneur, aussi, rémanente dans les « quartiers », en rupture avec un environnement où chacun mène sa vie dans la tolérance des autres. En effet, cette ségrégation détruit l’ingrédient principal des sociétés heureuses, à savoir la confiance civique, cette huile dans les rouages qui permet non seulement de « vivre » mais de « faire ensemble » et, notamment, de nourrir un État social où certains donnent et d’autres reçoivent.
À mon avis, l’immigration incontrôlée n’est pas étrangère au lent écroulement de cet édifice fragile, même s’il n’est pas recommandé de le dire. De Gaulle a, paraît-il, évoqué l’huile et l’eau pour décrire ces sociétés multicouches, où personne ne se mélange et tout le monde se fuit. Nous en sommes là. Comment bâtir un avenir sur pareilles fondations ?
« En attendant pire. » Quel est ce “pire” ?
En évoquant le pire, on pense souvent à une hypothétique « guerre civile ». Les choses sont un peu plus compliquées. Je crois qu’avant d’en arriver à une “bataille à mort”, nous allons au-devant de dégradations croissantes, sous-jacentes dans la durée et explosives dans l’instant. Soit des délabrements cumulés, façon « tiers-monde », assortis de violences de types variés, à la tournure imprévisible. En l’espèce, le choix n’est pas seulement entre la vie et la mort mais, aussi, entre des existences qui méritent d’être vécues et d’autres qui n’en valent pas la peine. En un mot, la qualité de la vie, au sens large, est tout autant une exigence que la vie tout court. Sinon, à quoi bon ?
Y a-t-il en France un choc entre une civilisation qui s’efface et une autre qui s’affirme ?
En bons individus, nous croyons ingénument que le monde est né avec nous. Parce que nous avons perdu le sens de l’appartenance, nous avons oublié le temps long. Oui, il existe des civilisations et elles se télescopent. Sinon, comment expliquer l’émergence de ce « Sud global », dont le seul ciment est le déboulonnage de l’Occident ?
Si nous changeons de lunettes, comment ne pas voir partout à l’œuvre des forces historiques supra-individuelles, telles que « l’islam mécontent » ou « la grande revanche des humiliés » ? S’agissant précisément des musulmans, pourquoi leur installation ne marquerait-elle pas une nouvelle phase de l’alternance pluriséculaire qui les oppose aux Européens pour le contrôle des deux rives de la Méditerranée ? Comment ne pas remarquer aussi, en consultant une carte, que chaque fois qu’ils arrivent au contact des autres sphères de civilisation, ils entrent en conflit avec toutes ? Comment ignorer que dans la surdélinquance immigrée, il y a un sous-texte de compensation postcoloniale ?
La différence est évidemment celle que vous dites : d’un côté, une civilisation qui baisse la garde et s’ouvre inconditionnellement à tous, de l’autre, des agents historiques à l’offensive, qui exploitent cette incroyable naïveté. Du plein qui s’engouffre dans du vide. Mais alors qu’un peu partout les yeux se dessillent, en France, on se dispute encore sur les mots – « submersion » ou non -pour masquer la chose. Serons-nous les derniers à ouvrir les yeux ?
Propos de Pierre BROCHAND*
recueillis par Gaspard de MALHERBE
Valeurs Actuelles
05 février 2025
*Pierre Brochand, Ambassadeur de France, a été directeur général de la Sécurité extérieure (DGSE) de 2002 à 2008.