J’arrivais à la dernière phrase de sa lettre du 18 septembre 1997, écrite d’une main tremblante lorsque l’annonce brutale de sa fin m’a fait mal.

Nous étions amis depuis 57 ans. Cette affirmation surprendra surtout ceux qui jugent superficiellement des hommes et se délectent à les opposer. L’estime réciproque, les mêmes sentiments de civisme, les engagements sans retour dans une même idéologie patriotique, tels étaient les fondements de notre amitié.

Elle a résisté aux épreuves de la vie, comme au temps et à l’éloignement. J’ai connu Varin (alias Wybot) au soir de la débâcle de juin 1940. Lieutenant d’Artillerie, il avait été remarqué par le Colonel Groussard et affecté par lui au groupe de protection du Maréchal Pétain dont la motivation réelle était de s’opposer à l’envahisseur. Ainsi fut-il en décembre 1940 l’exécuteur de l’élimination de Pierre Laval au pouvoir. Sous la pression des autorités allemandes, le groupe de protection fut dissous et Varin mis à la disposition du Colonel d’Alès qui constituait les B.M.A. avec un personnel choisi en raison de sa valeur et de ses sentiments patriotiques.

Affecté à Marseille dans le poste le plus important de cette formation nouvelle, Varin-Wybot me fut signalé au début de 1941 par le Commandant Jonglez de Ligne, chef du B.M.A. comme un officier de grand choix, ardent, mal à l’aise dans une organisation statique et plein d’admiration et d’envie pour les activités clandestines du réseau T.R. que je dirigeais.

Nos premiers contacts scellèrent notre amitié. J’aimais sa farouche détermination, sa franchise parfois brutale, sa volonté d’être tout de suite au combat direct contre l’ennemi. Il fut séduit par nos méthodes d’action, les résultats que nous avions déjà obtenus et sans doute aussi par la passion avec laquelle je lui exposais nos objectifs ainsi que mes vues prospectives pour la délivrance de notre pays et l’organisation de sa sécurité.

L’occasion de satisfaire le désir de Wybot me fut offerte en novembre 1941. Je lui proposais de prendre à Paris la direction de notre antenne T.R. 112 bis devenue vacante à la suite de l’arrestation de son chef par l’Abwehr.

 

Il a exposé lui-même la suite de sa destinée en ces termes : ” J’avais été choisi par Paillole, grand maître du Renseignement pour être une de ses antennes à Paris. Je concevais ma mission comme devant être liée avec Londres où un télégramme de l’un de mes adjoints me conviait pour rencontrer de Gaulle. ” Ce que je fis. Dans ma conversation avec le Chef de la France Libre, je lui ai dit qu’il y avait fort peu de gaullistes en France. Il me répondit que j’étais trop intoxiqué par Vichy et que je devais diriger mon réseau depuis Londres. Ce qui n’avait aucun sens. ”

Il décida que je ne repartirai pas en France et m’affecta au S.R. de Passy. ” Le 18 décembre 1941, je proposais à Passy de remplacer son petit S.R. par un vaste B.C.R.A. dont je lui donnais un projet d’organigramme. ” Passy accepta ainsi que le Général et dès 1942, le B.C.R.A. remplaça le S.R. en changeant de local, passant de la rue Saint-James à l’immeuble de Duke Street dont j’occupais le 3eme étage avec mon nouveau service de C.E. ” Pendant près d’un an je dirigeais ce service dont je démissionnais fin 1942. ”

Le 16 décembre 1942, je voguais en convoi sur l’océan pour me rendre à Beyrouth et recevoir une affectation comme Capitaine au Premier Régiment d’Artillerie de la Première D.F.L. commandée par Koenig “.

 

Au cours d’une escale à Alger, Wybot tint à me rencontrer. C’était en avril ou mai 1943. Il avait belle allure dans son uniforme d’officier et témoignait toujours à mon égard d’une respectueuse amitié.

Il m’exposa son expérience peu concluante dans le B.C.R.A. et sa satisfaction de servir dans une unité combattante. Je lui proposais de le reprendre et de réaliser avec moi ce qu’il n’avait pu réaliser à Londres.

Dans les rapports trop distants que nous entretenions avec Passy à cette époque, j’entrevoyais ainsi une amorce de clarification et d’union. Son refus fut courtois, mais catégorique. Je ne le revis qu’en octobre 1944 alors qu’André Pelabon, nommé Directeur de la Sûreté Nationale au Ministère de l’Intérieur, lui proposait de remettre d’aplomb la surveillance du territoire totalement dissoute en France occupée depuis novembre 1942. Le challenge le séduisait.

On sait avec quelle ardeur et quelle efficacité il a dirigé ce grand service pendant quinze ans, laissant le souvenir d’un haut fonctionnaire d’autorité, redoutable pour les uns, énigmatique pour d’autres, mais toujours intransigeant lorsqu’il y allait de la sécurité de la France et de son avenir.

J’avais quitté l’armée. Je ne le voyais que très rarement mais j’ai le souvenir de son appel téléphonique d’un soir tragique où la République chancelait dans les déboires de la guerre d’Algérie: ” Mon Colonel, nous sommes le dos au mur, on ne peut plus reculer, faites quelque chose !”…

Depuis quelques années nos rapports s’étaient faits plus fréquents. Sa voix altérée par un mal incurable essayait de m’interroger sur les événements. Il s’intéressait à tout, avec une intelligence aiguë et profonde. Sachant que je souffrais d’un zona, il me fit un cours d’acupuncture qu’il conclua en m’adressant le livre qu’il avait écrit avec une compétence reconnue par les plus grands maîtres de cette spécialité.

Il s’est éteint dans la nuit du 25 au 26 septembre 1997, laissant allumée sa lampe de chevet aux côtés de la liste de ses amis dont j’étais.

Une délégation de l’A.A.S.S.D.N. avec son drapeau, assistait aux obsèques de Roger Wybot, le 1er octobre 1997 aux Invalides.

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