Dans le B. L. 77, nous avons rendu compte de la cérémonie au cours de laquelle M. Pierre MONDANEL a reçu les insignes de Commandeur de la Légion d’honneur. Nous publions ci-dessous le texte de deux discours prononcés à cette occasion.

Discours de M. Pierre CHENEVIER, Président de la Fédération des Amicales des Réseaux de la France Combattante.

 

Mesdames, Messieurs, Chers Camarades,

Votre présence à cette cérémonie est un témoignage de sympathie pour Pierre MONDANEL, qui me fait l’amitié de le recevoir dans un grade supérieur dans l’Ordre National de la Légion d’honneur. En me choisissant, il n’a pas vu en moi, le Président National de la Fédération des Amicales de Réseaux de la France Combattante, mais seulement l’un de ses anciens et proches collaborateurs, témoin privilégié d’une époque encore citée en exemple, à la Sûreté Nationale, même par ceux qui ne l’ont pas vécue, tant elle a marqué cette administration, je veux parler de l’époque MONDANEL.

Pour l’évoquer, je vais m’appuyer sur des notes, en raison de ma crainte de m’embrouiller, au delà des limites acceptables, en fouillant dans mes souvenirs et surtout de mon inaptitude à improviser. Mon cher Ami, vous avez toujours été opposé à la médiocrité d’où qu’elle vienne. Considérant, qu’il ne suffit pas de dire, mais de faire, vous avez fourni la preuve, en bien des circonstances, de votre attachement indéfectible aux principes et aux causes nobles. Ainsi, vous pouvez être fier de votre passé, marqué de tant d’épreuves pénibles, auxquelles vous avez su donner la mesure et faire face, car vous possédez la connaissance des grandes valeurs qui forment les hommes de votre catégorie.

Je vais évoquer succinctement, ce que furent les étapes principales de votre belle carrière administrative.

Le 31 Décembre 1913, alors que vous êtes âgé de 23 ans, et frais émoulu de la Faculté de Droit, vous faites vos débuts à la Sûreté Générale, qui n’était pas encore Nationale. Je passerai sur vos lointaines et premières années qui comprennent la guerre de 14-18, pour arriver de suite à cette période qui fut fertile en événements dramatiques.

Dans le courant de l’année 1933, vous êtes Commissaire Divisionnaire au Contrôle Général des Services de Police Judiciaire qui constituait l’Etat-­Major des Brigades Mobiles. Vous avez conscience que cette Direction n’est pas suffisamment structurée. Qu’elle ne possède pas assez de fonctionnaires qualifiés pour faire face à une criminalité déjà grandissante. Mais vos études, vos propositions ne sont pas suivies.

Vers la fin de cette même année 1933 éclate le scandale STAVISKY dont les escroqueries se chiffreront à des sommes considérables. L’une des premières mesures arrêtées en Conseil des Ministres est de vous placer à la tête de ce Contrôle Général. Dans la même heure, vous en remplaciez le Chef, et vous mettez immédiatement en application votre plan de réorganisation en créant des sections spécialisées de répression, tant en matière criminelle que financière et économique, et en prélevez les effectifs dans les Brigades Mobiles de PARIS et de Province.

Alors, vous pouvez faire face à la situation, dénouer les intrigues et faire toute la lumière sur les agissements de l’escroc qui avait jusque là obtenu 19 remises successives devant les Tribunaux. Se voyant acculé et ne pouvant plus compter sur ses habituelles protections, STAVISKY s’enfuit. Mais, il est retrouvé au petit village de SERVOZ à 1.800 m. d’altitude, dans une villa, le « VIEUX LOGIS ». Il y attend la venue de l’un de ses complices qui doit lui apporter une importante somme d’argent avant de passer clandestinement en ITALIE. Mais ce sont vos collaborateurs qui sont au rendez-vous ce 8 Janvier 1934. La villa est cernée par les gendarmes. STAVISKY refuse d’ouvrir et un coup de feu retentit. Il vient de se donner la mort.

Les partis hostiles au Gouvernement organisent alors des manifestations dans la rue. Ils ameutent la foule et c’est la marche hurlante sur la Chambre des Députés. C’est l’émeute du 6 Février 1934. Stoïquement, vous faites face à l’orage et vous apprenez ainsi que le haut fonctionnaire ami de la vérité entre facilement en lutte ouverte avec le mensonge, et la calomnie même dans le déchaînement des partis pris. Vous n’êtes pas au bout de vos peines.

Quinze jours plus tard, le 21 Février, on découvre sur la voie ferrée au lieu dit la « COMBE AUX FEES », près de DIJON, le cadavre déchiqueté par un train, d’un homme rapidement identifié. Il s’agit de Monsieur Albert PRINCE, Conseiller à la Cour d’Appel de PARIS, ancien Chef de la Section Financière du Parquet de la Seine. Personne, à ce moment-là, ne sait que le jour même où il est découvert sur la voie ferrée, le Conseiller PRINCE devait être entendu comme témoin par une Commission d’enquête administrative et judiciaire chargée de rechercher les compromissions à l’aide desquelles, pendant plusieurs années, l’escroc STAVISKY avait pu bénéficier de l’impunité. Enfin, après plusieurs semaines d’enquête, vous avez été en mesure d’entériner les efforts de vos collaborateurs qui ont conclu au suicide.

Une certaine presse crie au scandale et veut absolument qu’il y ait eu crime. Une contre-enquête est effectuée par la Préfecture de Police. Ceux qui en sont chargés arrivent aux mêmes conclusions. Monsieur PRINCE avait en effet commis une négligence dans l’affaire STAVISKY, mais il avait un souci de l’honnêteté et de la loyauté poussé aux plus extrêmes limites. Son drame fut celui d’une conscience droite. L’émotion du public est à peine apaisée que se produit l’assassinat à MARSEILLE, le 9 Octobre 1934, du Roi ALEXANDRE DE YOUGOSLAVIE et du Président BARTHOU.

Le régicide est abattu sur place, mais il reste à identifier ses complices, une fois de plus vous intervenez pour centraliser toutes les opérations de police. Il est alors établi que ce crime est l’oeuvre d’une organisation terroriste croate, les « Oustachis ». La preuve est alors faite qu’elle est soutenue par l’Allemagne Hitlérienne et le fascisme italien. C’est tellement vrai, qu’après l’invasion de la YOUGOSLAVIE par les allemands et les italiens en 1941, ANTE PAVELITCH, Chef des Oustachis est nommé par HITLER, Président de la République de Croatie, et il s’em­presse de prendre comme Ministre de la Guerre, KVATERNIC, son principal adjoint « oustachi ».

Puis, c’est la Cagoule qui, par la force des événements devient le centre de vos préoccupations. Le public, en réalité, n’en sut jamais grand chose, cependant ce complot avait pour but l’alignement du régime de notre pays sur celui de l’Allemagne et de l’Italie. Les Cagoulards furent en France les agents les plus efficients de l’étranger dont ils recevaient argent et armement. Ils se livrèrent à diverses activités criminelles sur notre territoire afin de jeter le trouble dans les esprits et de créer une atmosphère de terreur sociale.

C’est ainsi que vous avez eu à connaître plus particulièrement des assassinats de NAVACHINE, au Bois de Boulogne, de LAETITIA TOUREAUX, dans le métro, des frères ROSSELLI à BAGNOLES-DE-L’ORNE, des attentats par explosifs de la place de l’Etoile et à l’Aérodrome de TOUSSUS-LE­NOBLE, ainsi que d’autres en Province. La liste est longue. Mais, je ne peux m’empêcher de rappeler que certains de ceux dont vous aviez chargé vos commissaires et inspecteurs d’identifier et d’arrêter, vous les avez retrouvés en 1940, à VICHY, au premier rang de la révolution nationale. Ils tenaient des leviers de commande dans le gouvernement. A noter que le IIIe Reich s’était empressé de faire libérer de prison tous ceux qui avaient été arrêtés.

Le 23 Juin 1941, c’est l’assassinat à MONTELIMAR, de Marx DORMOY qui, comme Ministre de l’Intérieur, avait porté de rudes coups à la Cagoule. Grâce aux dispositions immédiatement prises, les trois assassins, ex-cagoulards, sont arrêtés. Il était temps; car parmi les documents découverts se trouvait la liste d’autres personnalités à abattre. Mais, lors de l’occupation de la zone Sud, GEISLER, le Chef de la Gestapo, en poste à VICHY, s’empresse de faire remettre tout le monde en liberté.

En dehors de ces crimes retentissants, vous avez eu à coiffer bien d’autres affaires judiciaires. C’est encore à vous que revient le mérite d’avoir, grâce à votre organisation, fait détruire les premiers gangs, dits de « traction avant ». Leurs agressions souvent suivies de mort, inquiétaient le public, en raison de leur impunité. Il faut bien admettre que vos activités diverses commençaient à inquiéter l’occupant, car la Gestapo, au mois d’Avril 1942, obtenait que vous soyez relevé de vos fonctions d’Inspecteur Général des Services de Police Criminelle. Ainsi que vous le voyez, Mesdames et Messieurs, la carrière administrative de Pierre MONDANEL fut particulièrement brillante. Elle est restée un exemple pour la Sûreté Nationale.

Après avoir été fait Chevalier de la Légion d’honneur, il a été promu, en 1938, Officier dans le même Ordre, pour services exceptionnels. Son passé de Résistant est pour le moins aussi éloquent. Rien dans son tempérament, dans son caractère ne permettait une autre ligne de conduite que celle qu’il a choisie et poursuivie sans désemparer.

Lors de la défaite, les services centraux de Pierre MONDANEL ont été repliés avec le Gouvernement à VICHY. Dès Septembre 1940, il prend l’initiative d’organiser un groupe clandestin, appelé Section Spéciale, ayant pour mission exclusive de surveiller les Allemands en séjour ou de passage dans la Capitale provisoire et aux environs, ainsi que toutes personnes en relations avec eux. C’est par ce groupe que, pendant près de deux ans, furent surveillés aussi étroitement que possible les diplomates, les journalistes allemands et même les membres de la Gestapo.

Des renseignements précieux furent presque quotidiennement recueillis. Les plus urgents étaient communiqués directement par Pierre MONDANEL au Colonel PAILLOLE, Chef des Services de Contre-Espionnage qui nous fait l’amitié d’être ce jour parmi nous. Les autres étaient transmis aux Chefs de l’O.R.A. C’est ainsi que certaines conversations secrètes tenues dans son cabinet personnel, par KRUG VON NIDA, Consul d’Allemagne à VICHY, avec d”éminentes personnalités furent aussitôt signalées. Il en fut de même des propos confidentiels émanant de l’entourage de ce diplomate allemand. C’est ainsi que furent connues les intentions d’un Conseiller d’ABETZ d’envoyer des émissaires au TCHAD pour y accomplir la mission que vous pouvez supposer.

Il y eut aussi un code secret de la presse allemande habilement dévoilé. La désorganisation complète au réseau de propagande allemand désigné sous le nom de « RADIO MONDIAL » avec des antennes en SUEDE, à GENEVE, LISBONNE et MONTE-CARLO. Sa mission était d’agir sur l’opinion publique des pays anglo-saxons. Il y eut deux dangereux agents secrets, fraîchement arrivés de BERLIN, qui furent démasqués avant d’avoir pu effectuer leur mission. Il faudrait citer également les nombreuses enquêtes qui se terminèrent par de beaux rapports de recherches infructueuses, toutes les fois qu’il s’agissait de couvrir les services de contre-espionnage ou les réseaux qui se constituaient petit à petit.

Je n’en finirais pas non plus, si je devais énumérer l’action résistante de MONDANEL qui lui a valu deux perquisitions assorties de pillage à son domicile parisien et ici même. Cela lui a coûté seize mois de déportation à BUCHENWALD et à DACHAU et ce qui est infiniment plus triste encore, le décès prématuré de sa femme, à la suite des sévices dont elle a été victime au moment de l’arrestation de notre ami, par la Gestapo. N’oublions pas qu’avant de lui passer les menottes, quatre balles furent tirées dans sa direction, alors qu’il tentait de s’enfuir.

La grande épreuve de l’occupation et les courants « collaborateurs » qui traversèrent notre politique à cette époque trouvèrent Pierre MONDANEL égal à lui-même et fidèle aux grandes consignes de la résistance à l’ennemi. Il a fidèlement servi aux côtés de ses camarades de la guerre engagée contre l’allemand. Pas de défaillance, jamais d’attitude équivoque. Mais, l’acceptation courageuse des tâches qui lui étaient demandées. A VICHY, il a résolument joué sa carrière et aussi sa vie, pour rester dans le rang de ceux qui mettaient la libération du pays au-dessus des ambitions personnelles et des intérêts les plus légitimes. Intransigeant dans son patriotisme, il n’a pas transigé avec le Devoir.

Mesdames, Messieurs, ces dernières appréciations ne sont pas de moi, mais du Général RIVET qui fut le Chef du 2e Bureau de l’Armée Française.
Nommé Directeur au Ministère de l’Intérieur, c’est avec plaisir qu’il vit arriver l’heure de la retraite pour se consacrer à son violon d’Ingres « l’Histoire locale de sa chère Auvergne », qui nous a valu son premier livre :« PONT DU CHATEAU A TRAVERS LES AGES » qui a connu un large succès.

N’allez surtout pas penser qu’au fil des années Pierre MONDANEL a oublié ses anciens collaborateurs ou que ceux-ci l’ont oublié. II a de l’amitié une conception exigeante et totale qui rend la sienne précieuse à ceux qui l’ont reçue. Depuis son départ à la retraite, il fut convié par ceux-ci à un grand banquet annuel au cours duquel chacun lui manifestait sa sympathie et son attachement. Ces déjeuners amicaux arrivent à s’espacer de plus en plus. L’âge, la maladie, l’éloignement, la disparition de bien des participants en sont l’unique raison. Tous n’ont pas, il s’en faut, le dynamisme, la verdeur de leur grand ancien, qui ne m’en voudra pas de vous rappeler que, le mois dernier, il a franchi allègrement le cap de sa 83em année.

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