Discours du Colonel Henri Debrun, Président de l’AASSDN, le 3 Décembre 2013 :

Permettez-moi de vous appeler encore ainsi aujourd’hui comme nous avions coutume de le faire, avec ce mélange de respect, d’admiration, d’attachement si représentatif de l’esprit qui nous anime toujours depuis la création, voici 60 ans, de l’ASSDN que vous avez rejointe peu après pour en devenir très vite l’aumônier jusqu’au début de ce siècle.

Abbé Lapouge en 1998

Pendant toutes ces années, vous avez apporté, d’abord à vos compagnons de guerre et à leurs familles, puis à ceux qui progressivement leur ont succédé, votre présence, votre sollicitude, votre foi communicative, votre dévouement de prêtre, votre regard d’homme d’église, votre lucidité parfois percutante, élevant nos pensées en gardien de nos âmes, émaillant notre vie associative d’homélies qui ont gravé nos mémoires lors des offices religieux de nos grands rassemblements. A bien des reprises, vous nous avez aidés à sublimer nos vies. Et vous avez eu la sagesse de confier ce ministère exercé pendant près de 40 ans à celui qui était votre discipline et votre fidèle ami, le Père Pierre Molin qui, lui, l’exerça plus de 10 ans et que Dieu rappela il y a juste 4 ans.

Aujourd’hui, vous l’avez rejoint comme vous avez rejoint toute la cohorte de vos compagnons de guerre : le Colonel Paillole, son épouse, le Général Rivet, le Général Navarre, le Colonel Lafont, dit « Verneuil » et bien d’autres, les responsables des services spéciaux militaires et des réseaux, tous ceux qui ont servi la France pendant ces années terribles dont les hauts risques des actions clandestines sont à présent volontiers estompés ainsi que celles et ceux qui ont fait sacrifice de leur vie dans des conditions difficiles à imaginer mais dont notre Mémorial national de Ramatuelle perpétue le souvenir de manière impérissable.

Cette « Pierre de Mémoire » sur laquelle sont gravés près de 320 noms de Morts pour la France au titre des services spéciaux pendant la guerre fut inaugurée le 3 mai 1959 par Monsieur Edmond Michelet, Ministre d’Etat, représentant le Général de Gaulle, Président de la République.

Vous avez célébré la messe de cette solennelle inauguration et en avez prononcé l’homélie. Vous étiez assurément le plus digne pour cet office religieux étant donné vos états de service pendant la guerre que je me dois d’exposer mais, rassurez-vous, succinctement. Accordez-moi seulement la latitude de prendre quelques libertés avec votre modestie et votre sens de la discrétion.

« Parachutiste – Thomiste – Canoniste »

A une certaine époque vous aimiez vous présenter ainsi :

  • « Parachutiste » : Le service de la France qui vous a toujours animé.
  • « Thomiste » : l’intelligence au service de la foi qui vous a toujours guidé dans votre sacerdoce.
  • « Canoniste » : Le droit pour que justice soit rendue, qui vous a mené à la fonction que vous avez exercée au tribunal de la Rote du Vatican.

Je parlerai bien sûr essentiellement de votre engagement au service de la France.

Dès l’été 1940, refusant la situation désespérée de notre pays, vous créez en liaison avec le S.R. de l’Armée comme officier de renseignement, un vaste réseau couvrant la Bretagne, le Nord de la France, la Belgique et le sud des Pays-Bas. Vous êtes nommé capitaine et chef de mission. C’est déjà le réseau « Roy », nom de votre alias, qui regroupera plus de 500 agents. Ce réseau recueille et transmet un nombre important de renseignements et de documents sur les forces de l’occupant. Le 31 décembre 1941 vous êtes arrêté à la frontière belge mais réussissez à vous évader début janvier 1942 en gare de Lille. Vous sécurisez alors votre réseau que vous continuez à diriger pleinement, ayant interrompu vos études au séminaire de Saint Sulpice.

Recherché activement par la Gestapo après l’arrestation en février 1943 de deux de vos compagnons, vous poursuivez cependant vos activités et échappez de justesse aux souricières tendues. Entre temps vous avez lancé un autre réseau « Manipule ».

Coupé de nos services depuis l’invasion de la zone dite « libre », vous décidez de gagner l’Afrique du Nord en passant par l’Espagne. Arrêté à Bilbao, vous êtes transféré à Burgos puis interné au camp de Miranda que vous quittez en juillet 1943 pour le Maroc en tant que ressortissant canadien. Vous reprenez alors contact avec le S.R. dirigé par le Colonel Rivet à Alger et, après plusieurs stages spécialisés vous êtes parachuté le 9 janvier 1944 en Haute Loire pour accomplir, avec votre réseau « Roy », une importante mission en vue du débarquement de Provence, en liaison avec l’OSS américain auprès duquel vous êtes détaché par la DGER.

Pour cette mission à très haut risque dans laquelle deux de vos radios périrent à Saint Génis Laval, les plus belles citations vous sont décernées :

Par le Général Patch, commandant la 7ème Armée américaine dans l’opération Dragoon, citation qui vous fut remise par le Général Eisenhower : « A Georges Lapouge, pour services exceptionnellement méritoires et courageux rendus au gouvernement des Etats-Unis et à ses alliés, du 9 janvier au 30 août 1944. A organisé un des plus efficaces et fructueux réseaux de renseignements opérant dans le sud de la France. A fourni un grand nombre d’informations précises sur la zone de l’objectif et des renseignements de dernière heure furent transmis par radio au commandement de l’opération alors en pleine mer, en route pour la France. Son ordre de bataille allemand était parmi les meilleurs reçus par l’état-major allié. L’habileté et le courage exceptionnels dont Georges Lapouge a fait preuve pour les forces alliées font honneur à la France. Le gouvernement des Etats-Unis a envers lui une grande dette de reconnaissance pour les services rendus ».

Par le Général de Gaulle vous nommant chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire et vous décernant la Croix de Guerre avec palme : « Dès juin 1940, a constitué un réseau de renseignement. Arrêté en décembre 1942, a réussi à s’échapper. En 1943, a rejoint l’Afrique du Nord en passant par l’Espagne. Parachuté en territoire occupé par l’ennemi le 9 janvier 1944, a repris la direction de son réseau jusqu’à la Libération, transmettant à Alger un millier de messages sur le stationnement des troupes ennemies, ses mouvements, ses fortifications, ses états-majors. A fait parvenir par pick-up un volumineux courrier considéré comme de la plus haute importance pour la conduite des opérations de débarquement ».

Par le Prince Régent de Belgique en 1949, vous nommant officier de l’Ordre de Léopold II avec palme et vous décernant la Croix de Guerre belge avec palme : « Organisateur et chef remarquable a mis sur pied dès le début de 1941 un très important réseau de renseignement opérant dans la zone nord française et dans le sud des Pays Bas. A fourni un nombre considérable de rapports de tout premier ordre sur l’ensemble de l’activité ennemie dans ces régions, rendant par ses recherches méthodiques et le contrôle rigoureux des documents recueillis d’inappréciables services à la cause de la Libération ».

Ordonné prêtre en 1947 après avoir repris vos études de séminariste, vous poursuivez des activités militaires comme officier de réserve au 11ème Bataillon de Choc et êtes promu chef de bataillon. Titulaire de la Médaille de la Résistance française, de la Croix du Combattant, de la Croix du Combattant volontaire de la Résistance et de la Médaille des Evadés vous avez été promu officier de la Légion d’honneur.

Un de vos anciens compagnons de combats clandestins a écrit à votre sujet : « N’hésitant jamais à prendre ses responsabilités, assurant toujours les missions les plus dangereuses, d’une prudence à toute épreuve lorsqu’il s’agissait de la vie de ses collaborateurs, l’Abbé Lapouge les a attirés par la pureté de son idéal patriotique et les a guidés avec un inlassable dévouement. »

Mais de tout cela, « Padre », vous aviez si peu parlé en 70 ans. Pardonnez-moi d’avoir tenté de le révéler aujourd’hui pour vous rendre l’hommage déférent que nous vous devons, contrevenant, j’en suis conscient, à votre discrétion bien connue.

A présent, nous vous saluons respectueusement « Padre » et vous demandons amicalement de veiller sur nous de « Là-haut »

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