Histoire. Juillet 1962 : Massacres de Français à Oran

(Document synthétique, documenté et vérifié, réalisé par Jean Balazuc)

1 000 en quelques heures ? beaucoup plus de morts en quelques jours ?

Le capitaine algérien Nemiche Djillali dit Si Bakhti, vieux militant nationaliste, est nommé, par l’armée des frontières, chef de la Zone Autonome d’Oran et ‘’assure l’autorité de fait’’.

En effet, le Préfet d’Oran, M. René Thomas, s’est embarqué le 1er juillet à Mers-el-Kébir sous la protection d’un bataillon du général Joseph Katz sans attendre la désignation officielle par l’Exécutif provisoire de son successeur musulman.

Des manifestations de Musulmans surexcités, dans un état semi-hystérique, se déroulent sans cesse à Oran depuis le référendum ; les cortèges des Musulmans et les voitures chargées d’emblèmes du F.L.N., klaxonnant sans trêve, entrent dans les quartiers européens ; 100 000 Français y vivent encore.

Vers 11 heures, la fête commence ; la Place d’Armes, le Boulevard Joffre et le Boulevard Gambetta sont noirs de monde. La foule, très compacte, montre un certain énervement ; danses, cris, chants, invocations se succèdent dans une atmosphère qui progressivement se dégrade ; de nombreux civils musulmans sont armés.

Vers 11 heures 30, la foule a encore grossi ; sept katibas de l’A.L.N. défilent en bon ordre dans les rues d’Oran ; des incidents éclatent ; l’horreur renaît dans la ville ; dans la confusion qui monte, une fusillade éclate faisant des morts et des blessés ; les djounoud tirent sur tous les Pieds-Noirs qu’ils aperçoivent ; la terreur s’empare des manifestants qui refluent en désordre : au passage, des Français sont lynchés, d’autres sont égorgés. C’est l’apocalypse. Progressivement des Algériens en tenue bariolée, des hommes de l’A.L.N. du capitaine Si Bakhti apparaissent.

Des Mauresques entrent dans les magasins, le couteau à la main ; elles éventrent les femmes, leur arrachent les yeux et leur coupent les seins.

Les A.T.O., dont la formation est sommaire, en tenue claire, se répandent dans les rues d’Oran dès l’annonce des massacres et se comportent avec une brutalité extrême ; ils portent la responsabilité de très nombreux enlèvements comme l’attestent les archives militaires ; pour le chef d’escadron qui commande le 452e G.A.A.L., ‘’leur attitude a favorisé le désordre le plus complet.’’

Vers 12 heures 15, des patrouilles de Musulmans, avec des soldats de l’A.L.N., des A.T.O. et des civils armés, ratissent la ville tirant sur tout ce qui bouge ; une répression extrêmement brutale s’abat sur Oran ; une chasse à l’Européen s’engage avec des lynchages, des égorgements, des enlèvements d’hommes, de femmes, d’enfants.

Des familles entières sont emmenées vers l’abattoir du Petit-Lac. La plupart seront égorgées. Les femmes, les fillettes sont violées, torturées, égorgées puis pendues par la gorge tranchée aux crochets où habituellement les Musulmans pendent les moutons.

Une unité de la Force de l’Ordre locale, la 502e U.F.O., composée de militaires indigènes, ayant à leur tête un Musulman, le lieutenant B. joue un rôle positif pour la protection des Européens.

Obéissant avec zèle aux instructions de Charles De Gaulle, alors Président de la République Française, transmises par le Comité des Affaires Algériennes, et appliquant l’instruction du 13 juin 1962, le général Joseph Katz, ‘’grosse brute bornée qui tire vanité de sa servitude’’, ordonne la non-intervention des unités lors du massacre des Français : il est interdit de se heurter à l’A.L.N. et aux A.T.O. ; il est permis de contrer les civils armés ; le général Joseph Katz se contente d’une réunion entre le commandant de gendarmerie Humbert et le capitaine Nemiche Djillali dit Si Bakhti de l’A.L.N. 

Les appelés, cloisonnés dans leurs casernes, ne reçoivent pas l’ordre d’intervenir. Leurs officiers ont reçu des consignes de passivité du général Joseph Katz. Alertés, le général Michel Fourquet et le ministre des armées, Pierre Messmer, ne réagissent pas.

Participent à cette tache sur le drapeau français et sur leur drapeau : les 5e, 21e, III/43e R.I. & 67e B.I., les 2e & 4e Zouaves, les I/2e, 8e, 22e, 66e & I/75e R.I.Ma., le I/2e R.A.Ma., les 10e, 29e & 30e B.C.P., le 3e Cuirs, les I/27e & III/24e R.A., les 452e & 457e G.A.A.L., l’armée de l’air à La Senia, la marine à Mers-el-Kébir, Arzew & Tafaraoui (Aéronavale) et 23 E.G.M., (escadrons de gendarmes mobiles). Une garnison de 18 000 hommes dont 12 000 sur le seul secteur d’Oran-ville, ont laissé enlever ou tuer des milliers de Français.

Certains régiments ont cependant désobéi aux consignes répétées sans cesse par la permanence de l’état-major assurée par le commandant Gaillard, – les troupes restent consignées – comme les J.M.O. l’indiquent  clairement.

  • le 2e Zouaves, dont certains éléments se trouvent Place Foch ou Place d’Armes, et le 4e Zouaves interviennent au centre-ville, avant midi, pour secourir des blessés et accueillir des réfugiés ; ils ripostent à des tirs ; une seule forte intervention est faite par le 8e R.I.Ma., basé à la gare d’Oran, pour protéger des Européens, avec usage offensif des armes causant plusieurs victimes côté Musulmans ; le lieutenant-colonel Jezequel, chef de corps du 5e R.I. et commandant du sous-secteur nord, envoie deux blindés en intervention rapide ;
  • le 67e B.I., le 452e G.A.A.L. disent aussi être intervenus par le feu, spontanément ;
  • seuls sept E.G.M., sur les 23 installée à Oran, n’interviennent que très tardivement sur ordre donné à 15 heures pour une protection statique de la population européenne, au secours des Européens en train de se faire massacrer depuis 8 heures par les A.T.O. et la population musulmane..

Sur le millier d’officiers présents, seul le lieutenant Rabah Khéliff, ancien commandant la 4e compagnie du 30e B.C.P., commandant la 430e unité de la force locale, avec ses 300 hommes, mène une action  isolée importante, dans le quartier de Sanchidrian, loin de sa base ; puis il libère quatre cents otages rassemblés par le F.L.N. devant l’ancienne Préfecture d’Oran, embarqués dans des camions à destination de Petit-Lac, gardés par une section de l’A.L.N. ; il reçoit les félicitations du colonel Nicolas, commandant le sous-secteur Est.

Selon des historiens, le nombre de morts se situe entre 218 et 448 et le nombre des disparus serait de 650. L’historien Jean-Jacques Jordi estime que 700 Européens et une centaine de Musulmans sont morts ou disparus. Au centre régional hospitalier d’Oran, un communiqué du docteur Mustapha Naït fait officiellement état de 933 morts et de 163 blessés graves, mais les inhumations faites à la hâte témoignent, hélas, d’un bilan beaucoup plus sombre.

Disparaît pour toujours Jacques Domeneghetty, commandant l’aéroport d’Oran, parti de chez lui pour prendre son poste à La Sénia.

Disparaissent ensemble à tout jamais madame Jeanne Ricard, née Bagout, femme d’un officier, âgée de 41 ans, et quatre de ses enfants, Christiane 19 ans, Edith 18 ans, Marie-Claude 14 ans, Alain 13 ans, avec leur oncle Julien Bagout et deux amis, André Chiaponne 28 ans et Christian Mesmacque 18 ans.

Disparaissent Roger Jourde, directeur adjoint des Postes et deux autres fonctionnaires dont une mère de quatre enfants ; Henri Prud’homme, fonctionnaire.

Pour un collectif d’associations de rapatriés, 3 500 Oranais ont été massacrés ce 5 juillet 1962.

Des officiers français contactent, au retour au calme, les responsables nationalistes et négocient avec eux pour faire libérer des Français prisonniers.

Le général Joseph Katz, commandant le secteur d’Oran, non exécutant fidèle, cherche à minimiser, à tout prix, les massacres à Oran ; il finira par obtenir rapidement ses quatre étoiles. Pour lui, des Européens ont tiré sur la foule musulmane et il suggère qu’il y a là une responsabilité de l’O.A.S.

Le capitaine Si Bakhti arrête le responsable de la cité du Petit-Lac, opère des perquisitions dans les quartiers les plus remuants et fait exécuter sommairement des Algériens présumés être auteurs d’assassinats. Le F.L.N. d’Oran, et ceci est tout à fait remarquable, n’a pas pour sa part, accusé l’O.A.S. d’être à l’origine des incidents.

Le Kairouan quitte le port en pleine fusillade et couvre-feu ; il est à moitié vide ; les Oranais n’ont pas pu tous embarquer.

Les témoignages des rescapés d’Oran contredisent les déclarations du général Joseph Katz et de T. Godechot, membre de ses services, qui disent que ‘’les troupes françaises sont intervenues dès les premiers coups de feu’’ :

  • M. Cadenat, fonctionnaire originaire de Tiaret, réfugié rue El-Moungar à Oran ;
  • M. Daubin, près du restaurant du Midi, arrêté et conduit au Commissariat Central ;
  • S. Zemor, publicitaire à Oran, à l’angle du boulevard Laurent Fouque et du Front de Mer ;
  • M. Diaz, sur le Front de Mer, non loin du marché Michelet, puis vers Gambetta ;
  • M. Poquéte, patron d’un café-restaurant très connu dans le Centre, blessé par balle ;
  • R. Vale, assureur, réfugié au lycée Jules-Ferry, témoin de nombreux assassinats ;
  • Serge Lentz, écrivain connu, journaliste à Paris-Match, de retour de Tlemcen, réfugié avec son photographe au lycée Jules-Ferry ;
  • M. Castaldi, employé à la base de Mers-el-Kébir, arrêté deux fois et tabassé devant un camion de militaires français qui n’interviennent pas ;
  • Amédée Moréno, officier de réserve, chef d’entreprise à Oran, à Saint-Eugène ; sa cousine, employée à E.G.A., qui lui signale une fusillade à la cantine de l’entreprise faisant des morts et des blessés.
  • (S73-251 à 254).

Menacé de mort par des soldats de l’A.L.N., le lieutenant Rabah Kheliff doit quitter Oran immédiatement.

Le Monde évoque une folie collective; Max Clos dans le Figaro écrit à peu près la même chose. Et rien d’autre. Les autres grands journaux de la presse écrite sont absents. Il en est de même avec la presse internationale.

L’ambassadeur André François-Poncet impute au général De Gaulle la responsabilité du dramatique massacre du 5 juillet à Oran.

Le soir même, le Président de la République, Charles De Gaulle, apparait à la télévision pour annoncer l’indépendance de l’Algérie. Les Français de Métropole viennent de rentrer de la plage. Les Pieds-Noirs, eux, vont continuer à prendre le bateau et quitter leur maison pour toujours.

Les massacres organisés de harkis débutent dans toutes les régions d’Algérie.

Le crime est quotidien dans les djebels. Des femmes de harkis sont violées devant leur mari et leurs enfants. Les harkis des frontières servent au déminage des barrages désarmés ; ils sautent par dizaines sur des mines posées par les Français.

Les massacres sont massifs et accompagnés de supplices inimaginables : il s’agit de les faire mourir deux fois. Même les déserteurs de la 11e heure n’y échappent pas.

C’est le deuxième échec des accords d’Evian, bien que formellement rien ne soit prévu pour les harkis. Le gouvernement français n’émet aucune protestation auprès des autorités algériennes.

  • Le rapatriement des harkis est considéré comme une action hors-la-loi ; même les appelés qui n’avaient jamais accordé que peu d’amitié à leurs compagnons musulmans, sont écoeurés ; ils ont honte ; mais, pressés d’oublier cette guerre qui meurt dans si peu de dignité, ils se taisent.
  • En Kabylie, le colonel Mohand Ou el-Hadj de la wilaya III est relativement modéré ; ses directives vont dans le sens de l’apaisement ; le colonel tolère l’action des officiers français qui sauvent leurs harkis ; c’est un nouveau signe du jeu particulier des Berbères.
  • Dans l’Aurès, la structure tribale des communautés aurésiennes, conservée dans la montagne, limite également les représailles ; mais les massacres se déroulent en bordure du massif.
·       A Khenchela, Biskra, Barika et Corneille, les harkis sont massacrés avec leurs familles.

  • A Mechtras, une cinquantaine de harkis et de moghaznis de la S.A.S. dont un certain avait déserté au cessez-le-feu,  sont exécutés.
  • A Teffreg, dans l’arrondissement de Bordj-Bou-Arreridj, du département de Sétif, un chef rebelle Guettari, libéré en mars d’une prison parisienne, fait régner la terreur sur la commune; il fait brûler vif son ancien camarade, le harki rallié, Saddek Sebbane, moqadem de la S.A.S.  des Ouled-Rached de cette commune, couper en morceaux le harki Tayeb Sebbane et massacrer à coups de pioche le sergent harki Salah Lagha ; l’interprète de la S.A.S., Saïd Belkacem Naït, adjudant à la retraite, lardé de coups de couteau, torturé, meurt après plusieurs jours de torture ; tous les anciens harkis du secteur sont massacrés dans chaque village et empilés dans des G.M.C.
  • A Bordj-Bou-Arreridj, tous les harkis sont massacrés.
  • Dans le camp de Blondel, entre Bordj-Bou-Arreridj et Medjana, M. Bouaza, maire des Ouled-Dahmane, est pendu.
  • Dans le camp de Mansourah, près de Bordj-Bou-Arreridj, Saïd Benchabane, maire de Harraza, chef du commando est torturé puis massacré avec tous les harkis de Harraza. Les harkis de Selaina, Ouled-Taïer, Ouled-Yacoub, Hamama, ainsi que tous ceux qui n’ont pas encore été massacrés, sont parqués dans ce camp.
  • Dans le camp de Melouza, près de Bordj-Bou-Arreridj, sont parqués deux cents harkis et mokhaznis de Dahmane-Daala et Béni-Ilman ; Ali Aribi, maire de Kerrabeha, est torturé puis égorgé ; la famille Bougherra a fourni à la France quinze harkis ou mokhaznis qui subissent le même sort. Tahar, chef de la harka de Dahmane-Daala est écorché vif.
  • La harka des Béni-Lalem, dans la région de Zemmorah, dans l’arrondissement de Bordj-Bou-Arreridj, est entièrement massacrée.
  • A Tizi-Ouzou, dans la caserne Bidoula, le G.M.S. est désarmé. Les hommes attendent leur prochaine affectation. Des membres du F.L.N. font irruption dans caserna française, en parfaite contradiction avec les accords du 19 mars. 23 soldats, dont Mohamed Abrous, sont faits prisonniers et conduits au camp de Makouda, où ils sont jugés par un tribunal militaire algérien. Un certain nombre sont fusillés ou exécutés à la baïonnette. Mohamed Abrous, Médaillé militaire, est condamné à mort mais la sentence est retardée. Torturé en permanence, prisonnier devenu esclave, il s’évade le 18.11.1969 après 7 ans, 4 mois et 13 jours de détention.
  • (S128-104 & 105).
  • A Dra-el-Mizan, des harkis sont égorgés sur la place publique ; la femme d’un harki est enlevée, violée pendant plusieurs jours puis égorgée.

Dans la nuit du 5 au 6 juillet 1962, des officiers du 3e R.P.I.Ma. utilisent le bulldozer et le dynamitage pour récupérer les fresques du Mémorial du débarquement, élevé à Sidi-Ferruch pour le centenaire de la présence française 1830-1930 ; les fresques, dont certaines endommagées, connaissent des pérégrinations avant d’être reconstituées à la Redoute Béar de Port-Vendres dans les Pyrénées-Orientales en 1988.

Jean Balazuc