Jeudi 16 octobre dans la soirée, l’agence TASS relayait les propos de la porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt, sur Fox News : les deux présidents Donald Trump et Vladimir Poutine venaient de s’entretenir au téléphone pendant deux heures et demie. « Ce fut un appel fructueux et productif », disait-elle donc. Les dirigeants « ont abordé de nombreux sujets » (1).
Cette huitième conversation directe s’est tenue la veille de la rencontre à Washington entre Volodimir Zelensky et Donald Trump ce 17 octobre.
La presse américaine comme européenne, très occupée par la livraison possible de missiles américains longue portée Tomahawk à l’Ukraine, évoquait un « sommet surprise » (Le Monde). En Europe, la BBC rappelait « que Donald Trump avait adopté “une ligne beaucoup plus dure envers Poutine sur la guerre en Ukraine” depuis le sommet en Alaska, promettant même un soutien renforcé à l’Ukraine, à la grande satisfaction des alliés de Kiev ». De son côté, le Guardian remarquait que « le ton conciliant de Trump après l’appel avec Poutine laisse planer le doute sur la probabilité d’une aide immédiate à l’Ukraine et ravive les craintes européennes d’une capitulation américaine face à Moscou ». Ce que relève aussi le New York Times en notant que le président américain avait « brusquement » changé de position (2) – d’autant que les deux hommes ont prévu de se rencontrer dans les quinze jours en Europe, plus précisément en Hongrie, à Budapest, chez Victor Orban.
Faut-il être surpris ? Pas vraiment, pourtant.
D’abord parce que Donald Trump lui-même avait admis la limite de l’exercice, quant aux Tomahawks, ce que rapportait ZeroHedge le 8 octobre (3) : « ‘‘J’ai en quelque sorte pris une décision’’ », a déclaré Trump lorsque les journalistes lui ont demandé s’il avait pris une décision définitive. La réponse supplémentaire suivante est une mauvaise nouvelle pour les faucons, mais une bonne nouvelle pour les colombes qui souhaitent voir une désescalade de la guerre par procuration : « ‘‘Je suppose que je vais devoir leur demander où ils les envoient. Je poserai quelques questions. Je ne souhaite pas voir une escalade’’ », déclarait-il. A Moscou, l’adjoint de Sergueï Lavrov, Sergueï Riabkov, remarquait dans le même temps que « le transfert de missiles de croisière Tomahawk à l’Ukraine modifierait considérablement la situation, mais ne changerait pas les objectifs de l’opération militaire spéciale menée par Moscou » (4). Donald Trump a, durant la conversation du 16 octobre, évoqué la question des Tomahawks.
Ce à quoi, selon le compte-rendu donné sur le site du Kremlin (5), Vladimir Poutine a répondu sans ambages, « que les Tomahawks ne changeraient pas la situation sur le champ de bataille, mais qu’ils porteraient gravement atteinte aux relations entre nos pays, sans parler des perspectives d’un règlement pacifique ».
Du côté américain, Donald Trump exprimait sa satisfaction d’avoir tenu une conversation « productive » sur son réseau Truth Social (6). Félicité par V. Poutine pour « la grande réussite que représente la paix au Moyen-Orient », il pense que ce succès « facilitera nos négociations visant à mettre fin à la guerre entre la Russie et l’Ukraine ». Et il ajoute, préoccupation qu’il a en commun avec le président russe : « Nous avons également passé beaucoup de temps à discuter du commerce entre la Russie et les États-Unis une fois la guerre avec l’Ukraine terminée ». Ce que, nous l’avons relevé ici il y a peu de temps en rendant compte de la réunion à Sotchi du club Valdaï, début octobre. Certes, il est naturel que les Etats-Unis défendent leurs intérêts, disait Vladimir Poutine. « Mais alors, si vous me permettez, la Russie se réserve également le droit d’être guidée par ses intérêts nationaux. L’un d’entre eux, soit dit en passant, est le rétablissement de relations à part entière avec les États-Unis » (7).
N’oublions pas les besoins américains en terres et métaux rares – quand la Chine impose des restrictions sur ses exportations. Selon le Temps helvétique, (8) « le gouvernement américain a appelé mercredi à faire front commun contre les restrictions mises en place par Pékin sur les exportations de terres rares, essentielles à l’économie mondiale, assurant que «c’est la Chine contre le reste du monde». «Nous n’allons pas laisser un groupe de bureaucrates à Pékin tenter de contrôler les chaînes de production mondiales», a dit le ministre des Finances Scott Bessent, lors d’une rare conférence de presse organisée au sein du ministère par le Trésor, à quelques pas de la Maison-Blanche ». N’oublions pas non plus la proposition russe d’exploitation en commun avec les Américains de ses propres immenses réserves – affaire évoquée par exemple au Forum de Saint-Pétersbourg en juin dernier. Comme l’intérêt que portent les entreprises américaines au marché russe.
Même si amener les deux parties à un accord est difficile, ce que reconnaît le vice-président américain JD Vance, qui constate un « désalignement fondamental des attentes »entre les deux camps, (le Figaro live du 17 octobre, 13 h23), l’intérêt russo-américain n’est pas à l’escalade.
Qu’est-ce qui gêne Donald Trump que ses oscillations rendent peu lisible pour ses observateurs ?
C’est, nous l’avons remarqué ici, la situation dans son propre pays, où néoconservateurs, regroupés au Sénat, Républicains et Démocrates réunis autour, par exemple, de Lindsey Graham, veulent la poursuite de la guerre en Ukraine – et donc une escalade avec Moscou. Ce que dénonce un membre républicain de la chambre des Représentants, Anna Paulina Luna (Floride) :
« Les faucons de l’OTAN et les néoconservateurs ici aux États-Unis aimeraient continuer à massacrer la jeunesse des deux nations », a-t-elle écrit sur X, en référence au conflit ukrainien », relevait l’agence TASS le 16 octobre (9). « Je reproche en partie au Royaume-Uni de ne même pas avoir autorisé la tenue de pourparlers de paix », disait-elle le 10 octobre dernier, certainement en faisant allusion à Boris Johnson conjurant au début du conflit Volodimir Zelensky de refuser l’accord de paix proposé par les Russes. Ajoutant : « Ma critique de la guerre en Ukraine ne vise pas le peuple ukrainien, mais directement Zelensky. Il a subi des pressions de la part du gouvernement britannique pour ne pas accepter un accord de paix il y a plus de deux ans ». Affirmant « que le régime de Kiev se battait désormais pour «les intérêts de gouvernements étrangers». Et que pour sa part, « Luna a déclaré qu’elle attendait l’occasion de mener une délégation de législateurs américains pour rencontrer des membres de l’Assemblée fédérale russe. Elle n’a pas précisé quand la réunion devait avoir lieu. La députée s’est dite convaincue que le président américain Donald Trump était déterminé à résoudre le conflit en Ukraine et à rétablir les relations avec la Russie ».
C’est peut-être chez lui que Donald Trump a le plus de mal à imposer ses vues. Ce que Vladimir Poutine ne peut pas ignorer quand une partie de l’Europe – dont la France, la Grande-Bretagne de Keir Starmer et l’Allemagne de Friedrich Merz – fait partie des « faucons de l’OTAN » avec les pays Baltes et la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.
Au contraire du hongrois Victor Orban, qui tient contre vents et marées pour une paix négociée, depuis le début de la guerre. Et qui prépare, avec Marco Rubio et Sergueï Lavrov, la rencontre Trump-Poutine à venir sur ses terres – le premier voyage en Europe de Vladimir Poutine depuis 2021.
Rien de simple, confirme le Guardian (10) : « Le porte-parole du Kremlin, Dimitri Peskov, a déclaré aux journalistes que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, devraient s’appeler et organiser une réunion afin de régler de nombreuses questions préalables au sommet. «Il y a beaucoup de questions à régler, les équipes de négociation doivent être constituées, etc. Tout se fera donc par étapes, mais la volonté des présidents est bien là», a déclaré M. Peskov vendredi. «(Le sommet) pourrait effectivement avoir lieu dans deux semaines ou un peu plus tard. Tout le monde s’accorde à dire qu’il ne faut rien remettre à plus tard ».
A l’heure où nous écrivons, la rencontre de Donald Trump avec Volodimir Zelensky n’a pas encore eu lieu. On sait peu de choses sur la situation réelle du président ukrainien dans son propre pays – sauf que, soutenu par les faucons européens, néoconservateurs compris, il ne vient pas chercher la paix à Washington. La suite ?
La main est à Donald Trump.
Hélène NOUAILLE
La lettre de Léosthène
Image créée par IA
Infographie :
Cibles potentielles des Tomahawks en Russie (source Institute for Study of War)
https://cms.zerohedge.com/s3/files/inline-images/tomahwkreach.jpg?itok=bc6QXenJ
Notes :
(1) TASS, le 16 octobre 2025, Trump, Putin hold productive call — White House
https://tass.com/world/2031091
(2) Courrier International, le 17 octobre 2025, Un nouveau sommet Trump-Poutine “dans les deux prochaines semaines”
https://www.courrierinternational.com/article/diplomatie-guerre-en-ukraine-nouveau-sommet-trump-poutine-dans-les-deux-prochaines-semaines_236401
(3) ZeroHedge, le 8 octobre 2025, Tyler Durden, Watch : Trump ‘Sort Of Made A Decision’ On Tomahawks To Ukraine
https://www.zerohedge.com/geopolitical/watch-trump-sort-made-decision-giving-tomahawks-ukraine
(4) TASS, le 8 octobre 2025, Senior Russian diplomat evaluates Alaska summit outcome, Tomahawk issue
https://tass.com/politics/2026641
(5) Kremlin.ru, le 16 octobre 2025, Commentary by Aide to the President of Russia Yury Ushakov following a telephone conversation between Vladimir Putin and President of the United States Donald Trump
http://en.kremlin.ru/events/president/news/78237
Le détail de la conversation par RT en français : Donald Trump annonce une rencontre avec Vladimir Poutine à Budapest
https://francais.rt.com/russie/126418-vladimir-poutine-donald-trump-conversation-telephonique
(6) Truth Social, le 16 octobre 2025, Donald Trump au sortir de sa conversation avec Vladimir Poutine
https://truthsocial.com/@realDonaldTrump/posts/115384956858741387
(7) Voir Léosthène n° 1938 du 4 octobre 2025, Poutine au club Valdaï : les Etats-Unis d’abord
(8) Le Temps/AFP, le 15 octobre 2025, « C’est la Chine contre le reste du monde »: Washington appelle le monde à dénoncer la manœuvre de Pékin sur les terres rares
https://www.letemps.ch/economie/c-est-la-chine-contre-le-reste-du-monde-washington-appelle-le-monde-a-denoncer-la-manoeuvre-de-pekin-sur-les-terres-rares
(9) TASS, le 16 octobre 2025, US ‘neocons’ want Ukraine conflict to continue, congresswoman says
https://tass.com/world/2031163
(10) The Guardian, Minute by minute, le 17 octobre 2025, Sarah Haque
https://www.theguardian.com/world/live/2025/oct/17/viktor-orban-vladimir-putin-volodymyr-zelenskyy-donald-trump-europe-latest-news-updates-russia-ukraine-war?CMP=share_btn_url&page=with%3Ablock-68f2111e8f080b32d591debe#block-68f2111e8f080b32d591debe

