Guerre en Ukraine : La corruption comme un art de vivre

21 avril 2019 – « En écrivant et en incarnant le rôle principal dans la série à succès Serviteur du peuple, dans laquelle un professeur d’histoire, Vasyl Holoborodko, est propulsé président pour nettoyer le pays de la corruption, M. Zelensky a simplement donné à des millions d’Ukrainiens le sentiment que la politique pouvait être autre chose ». Benoît Vitkine rapportait, pour Le Monde (1), la victoire avec 73% des voix de Volodimir Zelensky en Ukraine, en notant : « Il est assez facile de comprendre contre quoi les Ukrainiens ont voté : corruption, guerre, pauvreté, ces maux associés à l’ère Porochenko ».
Ajoutant : « Ce changement plébiscité par les électeurs est aussi un pari. En 2014, les Ukrainiens ont estimé que nul n’était mieux placé pour démanteler le système politico-mafieux ukrainien que l’un de ses enfants, l’oligarque Petro Porochenko ; cinq ans plus tard, alors que leur pays est déchiré, ils misent sur un outsider investi d’une mission de salubrité publique ».
Mais quelques mois plus tard, en octobre 2021, des ombres viennent ternir déjà le promoteur d’un « populisme d’un type nouveau : un populisme « sympa », proeuropéen, qui ne cherche pas le clivage mais le rassemblement d’une Ukraine aux identités morcelées » – promesses de campagne non tenues, comme on le sait. Un regroupement de journalistes d’enquête, l’OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project), fondé en 2006, révèle que « M. Zelensky et ses partenaires dans une société de production télévisuelle, Kvartal 95, ont mis en place un réseau de sociétés offshore depuis au moins 2012, année où la société a commencé à produire régulièrement des contenus pour les chaînes de télévision appartenant à Ihor Kolomoisky, un oligarque poursuivi par des allégations de fraude portant sur plusieurs milliards de dollars ». C’est l’affaire des Pandora Papers, qui décrypte l’implication de Volodimir Zelensky, de sa femme et de leurs cercles proches dans l’achat de « coûteuses propriétés », notamment à Londres (2).
Vient l’affrontement armé avec la Russie, en février 2022.
Le 2 août 2022, c’est Thomas Friedman, trois fois prix Pulitzer, qui s’inquiète dans le New York Times, de « drôle d’affaires à Kiev ». Précisant : « En privé, les responsables américains sont beaucoup plus préoccupés par les dirigeants ukrainiens qu’ils ne le laissent paraître ». Le 7 août, c’est a chaîne américaine CBS (3) qui s’intéresse, avec précaution, au sort des « armes et équipements militaires » qui « sontacheminés jusqu’à la frontière polonaise, où les États-Unis et les alliés de l’OTAN les transportent rapidement de l’autre côté de la frontière pour les remettre aux autorités ukrainiennes ». Selon un témoin, « seulement « 30 à 40 % » des fournitures qui traversaient la frontière atteignaient leur destination finale ». Le doute traverse la presse américaine – dont Newsweek, le 10 août (4). « Ainsi, les contribuables américains empruntent des dizaines de milliards de dollars que leur pays n’a pas, pour envoyer des fortunes au dirigeant irresponsable d’un pays corrompu, tout cela pour intensifier une guerre dans laquelle les États-Unis n’ont aucun intérêt national vital. Oh, et cela pendant une récession marquée par une inflation galopante au niveau national. Je vois ».
Un an après « l’opération militaire spéciale russe » cependant, les armes arrivent toujours à flots en Ukraine. A l’Ouest, on s’est donc fait une raison quant à la corruption ?
Pourtant, la Cour des comptes européenne avait averti, dès 2021. Son rapport est toujours disponible en français. Et très clair, facile à lire, en synthèse ou in extenso. Que dit le rapport ? Il permet de comprendre comment les Ukrainiens acceptent cet état de fait. « L’Ukraine est minée de longue date par la corruption et est confrontée à la fois à la petite et à la grande corruption. La petite corruption est généralisée et est acceptée comme un phénomène presque inévitable par une grande partie de la population. Pour justifier leur participation à la petite corruption, les citoyens font souvent remarquer que de hauts fonctionnaires et des oligarques sont impliqués dans des malversations à une bien plus grande échelle. Les experts estiment que des montants considérables, à savoir des dizaines de milliards de dollars, sont perdus chaque année en raison de la corruption en Ukraine ».
La grande corruption ?
« Transparency International définit la grande corruption comme un abus de pouvoir de haut niveau, qui profite à quelques-uns au détriment du plus grand nombre et cause des préjudices graves et de grande ampleur aux individus et à la société. En Ukraine, la grande corruption repose sur des liens informels entre des fonctionnaires de l’exécutif, des membres du parlement, des procureurs, des juges, des agents des services répressifs, des dirigeants d’entreprises publiques, ainsi que des individus/entreprises jouissant de relations dans le monde politique (voir l’infographie, à ne pas manquer !). L’Ukraine compte environ 3 500 entreprises publiques au niveau central et 11 000 au niveau municipal ». Peut-on être plus clair ?
Précision ? « La «captation de l’État» par des groupes de puissantes élites politiques et économiques à la structure pyramidale et enracinés dans l’ensemble des institutions publiques et de l’économie est considérée comme l’une des caractéristiques spécifiques de la corruption en Ukraine. Tant le Fonds monétaire international (FMI) que le gouvernement ukrainien ont reconnu que des intérêts particuliers ont généré une résistance aux réformes structurelles. La grande corruption due à la faiblesse de l’état de droit et à la large influence des oligarques va à l’encontre des valeurs de l’UE et constitue un obstacle majeur au développement de l’Ukraine. La grande corruption ou la corruption de haut niveau entrave la concurrence et la croissance du pays, nuit au processus démocratique et fait le lit de la petite corruption ».
En 2021, la Cour pouvait espérer que les recommandations de l’Union européenne seraient efficaces.
D’ailleurs un an après le début de la guerre, en février 2023, Yves Bourdillon notait pour les Echos (6), que « le simple comique troupier télévisuel » de 2019, Volodimir Zelensky, « vêtu de son désormais inévitable tee-shirt kaki, celui qui a été élu personnalité de l’année par le magazine « Time », a reçu à Kiev tous les grands chefs d’Etat et de gouvernement alliés. Joe Biden a été, lundi, le premier président américain à se rendre dans un pays en guerre sans que son armée y soit déployée ». On se souvient aussi comment Volodimir Zelensky a été acclamé par le Parlement français en mars 2022, Assemblée nationale et Sénat (7). Tout à sa détestation de Vladimir Poutine, Joe Biden, lui même concerné par les affaires de son fils en Ukraine, continue de déverser armes et milliards sur le pays.
L’arrivée de Donald Trump en janvier 2025 ?
Ce n’est pas la corruption mais une autre vision du monde qui lui fait changer de pied – avec sa spectaculaire rencontre avec le président russe en Alaska – la suite nous étant à peu près indéchiffrable les deux protagonistes se voulant pour l’heure taiseux. C’est l’Europe – qui ne participe en rien aux négociations – qui a bruyamment repris le flambeau du soutien à l’Ukraine. Et qui est touchée de front par la nouvelle affaire « de corruption d’une ampleur exceptionnelle » qui, nous dit le Figaro (8), « secoue les plus hautes sphères de l’Etat ukrainien ». On y parle de milliards et de très proches de Zelensky (Timur Mindish, son associé dans Kvartal 95, voir plus haut), de quoi rendre la vue aux aveugles. « Elle a été révélée le 11 novembre, quand le Bureau national anticorruption (Nabu) » dont Volodimir Zelensky voulait supprimer l’indépendance – « a annoncé l’inculpation de huit personnes pour corruption, détournement de fonds et enrichissement illicite dans le secteur énergétique ». L’affaire tombe très mal pour le président Macron au moment où il annonce la vente d’une centaine de Rafale à l’Ukraine d’ici à 2035 (comment les fabriquer, payés comment ?) alors qu’il lui reste un peu plus d’un an de mandat non renouvelable.
Quant à la corruption, qui est notre sujet ici, une ONG citée par le Figaro résume : « Les mécanismes de corruption persistent. Même après trois années d’invasion totale et douze ans de guerre, certains continuent encore de s’enrichir sur le sang des Ukrainiens ».
Mais pour ceux qui pratiquent autour de Volodimir Zelensky, la corruption est un art de vivre, en somme.
Hélène NOUAILLE
Directrice de la rédaction
La lettre de Léosthène
19 novembre 2025
n°1951/2025
Infographie :
Le système ukrainien facilite la grande corruption (source : Cour des comptes européenne, 2021)
https://op.europa.eu/webpub/eca/special-reports/ukraine-23-2021/fr/#figure1
Notes :
(1) Le Monde, le 21 avril 2019, Benoît Vitkine, Ukraine : Volodymyr Zelensky remporte la présidentielle, le pays fait un saut dans l’inconnu
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/04/21/en-elisant-volodymyr-zelensky-president-l-ukraine-fait-un-saut-dans-l-inconnu_5453254_3210.html
(2) OCCRP, le 3 octobre 2021, Pandora Papers Reveal Offshore Holdings of Ukrainian President and his Inner Circle
https://www.occrp.org/en/the-pandora-papers/pandora-papers-reveal-offshore-holdings-of-ukrainian-president-and-his-inner-circle
(3) CBS, le 7 août 2022, Adam Yamaguchi, Ales Pena, Why military aid in Ukraine may not always get to the front lines
https://www.cbsnews.com/news/ukraine-military-aid-weapons-front-lines
(4) Newsweek, le 10 août 2022, Steve Cortes, The Zelensky Narrative is Shifting
https://www.newsweek.com/zelensky-narrative-shifting-opinion-1731875
(5) Cour des comptes européenne, 2021, Rapport spécial, Réduction de la grande corruption en Ukraine : des résultats encore insuffisants malgré plusieurs initiatives de l’UE
https://op.europa.eu/webpub/eca/special-reports/ukraine-23-2021/fr/#chapter0
(6) Les Echos, le 23 février 2023, Yves Bourdillon, Volodymyr Zelensky, le « lion » inattendu
https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/zelensky-le-lion-inattendu-1909503
(7) France Inter, le 23 mars 2022, Julien Baldacchino, Devant le Parlement français, Zelensky évoque Verdun, la devise tricolore et les entreprises françaises
https://www.radiofrance.fr/franceinter/devant-le-parlement-francais-zelensky-evoque-verdun-la-devise-tricolore-et-les-entreprises-francaises-3488919
(8) Le Figaro, le 17 novembre 2025, Clara Marchand, Corruption en Ukraine : cette affaire qui secoue les plus hautes sphères de l’Etat
https://www.lefigaro.fr/international/corruption-en-ukraine-cette-affaire-qui-secoue-les-plus-hautes-spheres-de-l-etat-20251117
Copyright©2025. La Lettre de Léosthène.
Tous droits réservés.
Photo créée par IA