Extrait du Bulletin : Un héros du CE raconte – Capitaine Morange (2)
« Vous chercherez à vous évader, j’y veillerai et vous ne vous évaderez pas! »… Ainsi DUNKER-DELAGE du S.I.P.O.-S.D. de MARSEILLE prévenait notre camarade MORANGE, chef du poste T.R.115 (GLAÏEUL) qu’il avait arrêté le 11 décembre 1943, grâce à la trahison d’un important membre du groupe « COMBAT », Jean MULTON alias LUNEL.
Après avoir été blessé et abominablement torturé, MORANGE est finalement incarcéré à la prison des BAUMETTES à MARSEILLE.
Une seule idée le hante : s’évader, rejoindre ses camarades, reprendre le combat.
par Roger MORANGE
I – TRANSFERT DE MARSEILLE A COMPIÈGNE : VELLÉITÉ D’ÉVASION
Le 30 mai 1944, grand branle-bas dans les couloirs des Baumettes : galopade de bottes ferrées, vociférations de S.S., portes qui claquent. C’est un transfert qui se prépare. Attachés deux par deux à la même menotte, nous sommes poussés sans ménagement dans des camions militaires, qui stationnent, moteur en marche, dans la cour de la prison.
Le jour se lève à peine. La traversée de MARSEILLE jusqu’à la gare Saint-Charles n’attire pas l’attention des civils malgré l’importance du convoi, une vingtaine de camions, plus des voitures d’escorte. L’installation dans les wagons de 3° classe se fait avec ordre, sans hurlements et dans un confort inespéré puisque tout le monde est assis.
Dans chaque compartiment, stationne un Feldgendarme, la mitraillette suspendue en travers de la poitrine; le nôtre a l’air bonasse et somnolent. Je me suis assis près de la portière, à tout hasard. Je sais qu’on peut faire glisser les menottes, si elles ne sont pas trop serrées, en enduisant le poignet de mousse de savon. Une fois détaché, il faudra profiter de l’assoupissement du gardien pour ouvrir brusquement la portière et sauter en marche à l’occasion d’un ralentissement du train.
Le savon, je l’ai dans la poche. Il y a deux difficultés d’une part ma menotte est très serrée, et, d’autre part, mon compagnon d’attache n’est guère tenté par l’aventure. Je demande au gardien l’autorisation d’aller aux toilettes. Il me détache sans objection. Quand je reviens à ma place, je rattache ma menotte sous ses yeux, en prenant bien soin de la laisser peu serrée. A cagnarder sur le côté, je fais mousser le savon avec un peu de salive. Je frotte discrètement mon poignet. Au premier essai, la menotte glisse le long de ma main et me libère de mon compagnon.
Ce dernier me regarde avec inquiétude, mais nous finissons par convenir qu’il jouera l’innocente surprise du dormeur qui ne s’est rendu compte de rien. Il ne reste plus qu’à guetter un ralentissement du train, car le gardien s’est assoupi, comme je l’espérais. Hélas, le convoi prend de la vitesse, 80, 90, 100 km/h : sauter à cette allure me paraît insensé. Puis, il ralentit à nouveau. Je reprends espoir. Le ralentissement devient freinage et le train s’arrête en gare de Valence. Nouveaux hurlements de S.S. : c’est un contrôle.
Tous les prisonniers sont comptés, les menottes vérifiées et uniformément resserrées. De moi-même et au grand soulagement de mon compagnon de chaîne, j’ai dû replacer ma menotte avant d’être vérifié, et soigneusement la resserrer. Inutile de recommencer mon savonnage.
Arrivé vers la fin de l’après-midi à PARIS, gare de Lyon, où, sous les yeux de centaines de voyageurs de banlieue, notre défilé misérable, ne donne lieu à aucune sorte de compassion. Pour des civils méfiants, nourris de propagande nazie, notre mauvaise mine nous assimile à ces terroristes redoutés de tout honnête citoyen.
Pour marquer la couleur, quelques-uns d’entre nous amorcent une « Marseillaise », qui sombre immédiatement sous les coups des gardiens. Embarquement en cami…